C'est l'histoire d'un type qui se couche le soir en se disant que le lendemain sera la date la plus importante de sa vie. Il a en effet décidé de faire ce qu'il a toujours remis à plus tard et aurait dû faire depuis longtemps, un geste décisif, fondateur, radical comme par exemple aller dire merde à son patron, ou dire à l'un de ses parents qu'il est une ordure absolue et qu'il a décidé de ne plus se laisser maltraiter par lui, ou s'immoler par le feu en place publique, ou déclarer sa flamme à la femme qu'il aime en secret, ou tout quitter pour traverser l'Atlantique à la nage, ou encore déposer une demande d'immigration pour Mars ou... enfin, ce que vous voulez.
Et puis il se couche tout heureux et frétillant et le lendemain matin, quand il se réveille, il a mal partout, il a l'estomac qui chavire, il ne tient pas debout et il est obligé de rester au lit.
Imaginez son monologue, depuis le moment où il se réveille, la tête pleine des rêves de la veille, jusqu'au moment où il doit se résoudre à appeler son boulot (il est bureaucrate dans un service plus-ennuyeux-que-ça-tu-meurs) pour dire qu'il ne va pas venir. Vous pouvez vous inspirer de ce qui précède ou inventer des motifs d'enthousiasme et de frustration qui vous soient propres. Deux feuillets maximum (3000 signes).
La date limite de remise (et de publication éventuelle) de cet exercice est close (il y a d'autres exercices en ligne) mais rien ne vous empêche de le faire pour vous quand même.
mardi 8 septembre 2009
lundi 7 septembre 2009
Proximité/autobiographie et tout ça
(Attention ! Si vous n'avez pas lu Le Choeur des femmes et si vous avez l'intention de le lire, ne lisez pas la fin de ce texte à partir de l'avertissement suivant !!!)
ATTENTION SPOILER !!!
ATTENTION SPOILER !!!
ATTENTION SPOILER* !!!
(Un spoiler ("gâcheur", en anglais) c'est une information qui dévoile un élément de surprise dans la narration d'un roman, un film ou une série ; c'est en quelque sorte donner le nom de l'assassin longtemps avant la fin).
Vanessa, lectrice de Sachs et du Choeur des femmes, me demande si j'ai "mis quelque chose de moi-même" dans Sachs et Karma, et ajoute "Karma, c'est l'anagramme de Marc, non ?"
Oui, et Franz Karma est l'anagramme de Marc/k Zaf(f)ran. A un ami, qui a lui aussi lu le livre, je précisais que dans une certaine mesure, Karma c'est le médecin que je serais peut-être devenu si je n'avais pas été écrivain. Mais dans la "configuration" de son travail, beaucoup plus qu'à moi, Karma ressemble à mon père, Ange : son cabinet médical était dans la maison, ma mère était plus ou moins sa secrétaire et il avait "un service à lui" à l'hôpital de Pithiviers, dont la section "Médecine 1" était sous sa responsabilité. Il allait y faire ses visites le dimanche, il était toujours disponible et je sais que s'il était extrêmement respectueux avec les infirmières et les aide-soignantes du service, qui l'adoraient (il soignait d'ailleurs beaucoup d'entre elles), il leur parlait souvent de manière plus amicale que formelle, les nommant par leur prénom et leur demandant des nouvelles de leur famille, de leurs enfants. Karma est une version "contemporaine" d'Ange, que j'ai modelé à son image et à la mienne. Ange avait des conceptions du soin qui ont indiscutablement influé sur les miennes, et que je vois "engrammées" dans mon comportement mais il ne les "conceptualisait" pas. Le mot "éthique" lui était étranger, il ne parlait que de morale (c'est la même chose, bien sûr, mais ce n'était pas la mode, ça faisait partie de sa déontologie). Le discours de Karma est donc plutôt le mien.
Une autre lectrice, qui a également été une des patientes du centre où j'ai travaillé, il y a plusieurs années, m'a dit qu'elle reconnaissait dans le comportement de Karma certaines de mes attitudes, en particulier celle de faire asseoir les femmes pour parler avec elles, et de ne jamais me "précipiter" sur elles, voire de ne pas les examiner si ça n'est pas nécessaire à une décision (et c'est souvent inutile, en gynécologie courante) ; et aussi un détail comme le "petit coussin qu'on glisse sous la nuque" lorsque la patiente s'allonge sur la table d'examen.
En revanche, s'il m'est arrivé régulièrement d'examiner les femmes autrement que dans la position gynécologique "classique" - mais, comme le dit le livre, pas du tout obligatoire - je n'ai pas pu le faire de manière systématique, faute de matériel (une table assez large) qui fût approprié.
Mais j'espère que la lecture du livre donnera des idées à certains confrères et consoeurs : "Au 21e siècle, les femmes ne devraient plus être contraintes à écarter les jambes pour être soignées."
Ce qui me fait penser à la difficulté d'écrire un livre à la fois révolté, qui dise les choses crûment, sans détour, sans chichi, et qui malgré tout reste respectueux et délicat. Parler de la sexualité, de manière directe ou indirecte, sans le faire de manière vulgaire, aguicheuse ou voyeuse, c'est toujours épineux. Parler de l'intimité physique, également. Certes, j'ai fait très attention, chaque fois que j'écrivais la moindre phrase, pour être sûr que le contexte s'y prêtait (et par exemple qu'on ne m'attribuerait pas à moi les pensées machistes ou violentes d'un personnage que je fais parler) mais on n'est jamais sûr de l'effet que l'on produit sur le lecteur ou la lectrice. Ce n'est pas une question de pudeur (je suis pudique, mais par désir de me protéger, pas par pudibonderie) mais de délicatesse et surtout, je tenais à ce qu'il soit bien clair que dans ce roman, même s'il est question du corps des femmes, c'est de leurs sentiments et de leur vie qu'il est question, pas de leur anatomie ou de leur physiologie sexuelle.
POur le moment, les échos qu'on me donne du livre sont positifs personne ne m'a encore écrit pour me dire avoir été choqué(e) par ce que j'y écris. Mais les lecteurs/trices mécontent(e)s écrivent moins que celles ou ceux qui aiment un livre, et peut-être certain(e)s de mes correspondant(e)s ont ils omis les réserves qu'ils/elles pourraient avoir à l'égard de certains passages.
Les seules réserves que j'aie lues jusqu'à présent concernent les "péripéties qui ressemblent à celles d'un livre de SF" (Marianne) et la fin "grotesque" (Les Inrocks) - réserves atténuées par la notion que la fin, même si elle est grotesque, est dans le ton du livre.
Plus je m'éloigne dans le temps de l'écriture de ce livre, plus je suis convaincu que les péripéties du troisième tiers et la fin mélodramatique (je sais qu'elle l'est, je voulais qu'elle le soit...) sont celles qui convenaient parce que depuis le début, j'avais quelque chose de cet ordre en tête.
(Attention ! Si vous n'avez pas lu Le Choeur des femmes et si vous avez l'intention de le lire, ne lisez pas ce qui suit !!!)
ATTENTION SPOILER !!!
ATTENTION SPOILER !!!
ATTENTION SPOILER* !!!
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Donc, en relisant le livre, je me suis rendu compte qu'au tout début du roman, page 39, on découvre l'identité - ou plutôt le genre - de Jean, au moment où Karma la désigne comme étant une femme pour la première fois (il l'appelle "Mademoiselle"). Un peu plus tard, page 72, il lui dit que son prénom, "Jean" puisqu'il s'agit du prénom anglais et non français doit se prononcer Djinn. Autrement dit, à deux reprises, il lui restitue son identité sexuelle, renouant en quelque sorte avec le secret commun qui les lie (sans qu'ils le sachent encore) depuis 30 ans, et annonçant la scène de révélation/reconnaissance/retrouvailles de la fin.
Or, quand j'ai écrit ces deux scènes, p 39 et p 72, j'ignorais encore complètement quels seraient les secrets respectifs des deux personnages et ce qui finirait par les lier l'un à l'autre. Je ne l'ai mis en place (conçu, imaginé, concocté, construit, écrit) que bien plus tard, alors que j'en étais à la moitié du livre...
Il y a quelque chose d'assez vertigineux dans le fait de découvrir qu'on porte préalablement en soi, de manière informe (inconsciente, subliminale, tout ce que vous voulez) le sens final que l'on veut donner à son travail...
Ca me fait frissonner rien que d'en parler.
ATTENTION SPOILER !!!
ATTENTION SPOILER !!!
ATTENTION SPOILER* !!!
(Un spoiler ("gâcheur", en anglais) c'est une information qui dévoile un élément de surprise dans la narration d'un roman, un film ou une série ; c'est en quelque sorte donner le nom de l'assassin longtemps avant la fin).
Vanessa, lectrice de Sachs et du Choeur des femmes, me demande si j'ai "mis quelque chose de moi-même" dans Sachs et Karma, et ajoute "Karma, c'est l'anagramme de Marc, non ?"
Oui, et Franz Karma est l'anagramme de Marc/k Zaf(f)ran. A un ami, qui a lui aussi lu le livre, je précisais que dans une certaine mesure, Karma c'est le médecin que je serais peut-être devenu si je n'avais pas été écrivain. Mais dans la "configuration" de son travail, beaucoup plus qu'à moi, Karma ressemble à mon père, Ange : son cabinet médical était dans la maison, ma mère était plus ou moins sa secrétaire et il avait "un service à lui" à l'hôpital de Pithiviers, dont la section "Médecine 1" était sous sa responsabilité. Il allait y faire ses visites le dimanche, il était toujours disponible et je sais que s'il était extrêmement respectueux avec les infirmières et les aide-soignantes du service, qui l'adoraient (il soignait d'ailleurs beaucoup d'entre elles), il leur parlait souvent de manière plus amicale que formelle, les nommant par leur prénom et leur demandant des nouvelles de leur famille, de leurs enfants. Karma est une version "contemporaine" d'Ange, que j'ai modelé à son image et à la mienne. Ange avait des conceptions du soin qui ont indiscutablement influé sur les miennes, et que je vois "engrammées" dans mon comportement mais il ne les "conceptualisait" pas. Le mot "éthique" lui était étranger, il ne parlait que de morale (c'est la même chose, bien sûr, mais ce n'était pas la mode, ça faisait partie de sa déontologie). Le discours de Karma est donc plutôt le mien.
Une autre lectrice, qui a également été une des patientes du centre où j'ai travaillé, il y a plusieurs années, m'a dit qu'elle reconnaissait dans le comportement de Karma certaines de mes attitudes, en particulier celle de faire asseoir les femmes pour parler avec elles, et de ne jamais me "précipiter" sur elles, voire de ne pas les examiner si ça n'est pas nécessaire à une décision (et c'est souvent inutile, en gynécologie courante) ; et aussi un détail comme le "petit coussin qu'on glisse sous la nuque" lorsque la patiente s'allonge sur la table d'examen.
En revanche, s'il m'est arrivé régulièrement d'examiner les femmes autrement que dans la position gynécologique "classique" - mais, comme le dit le livre, pas du tout obligatoire - je n'ai pas pu le faire de manière systématique, faute de matériel (une table assez large) qui fût approprié.
Mais j'espère que la lecture du livre donnera des idées à certains confrères et consoeurs : "Au 21e siècle, les femmes ne devraient plus être contraintes à écarter les jambes pour être soignées."
Ce qui me fait penser à la difficulté d'écrire un livre à la fois révolté, qui dise les choses crûment, sans détour, sans chichi, et qui malgré tout reste respectueux et délicat. Parler de la sexualité, de manière directe ou indirecte, sans le faire de manière vulgaire, aguicheuse ou voyeuse, c'est toujours épineux. Parler de l'intimité physique, également. Certes, j'ai fait très attention, chaque fois que j'écrivais la moindre phrase, pour être sûr que le contexte s'y prêtait (et par exemple qu'on ne m'attribuerait pas à moi les pensées machistes ou violentes d'un personnage que je fais parler) mais on n'est jamais sûr de l'effet que l'on produit sur le lecteur ou la lectrice. Ce n'est pas une question de pudeur (je suis pudique, mais par désir de me protéger, pas par pudibonderie) mais de délicatesse et surtout, je tenais à ce qu'il soit bien clair que dans ce roman, même s'il est question du corps des femmes, c'est de leurs sentiments et de leur vie qu'il est question, pas de leur anatomie ou de leur physiologie sexuelle.
POur le moment, les échos qu'on me donne du livre sont positifs personne ne m'a encore écrit pour me dire avoir été choqué(e) par ce que j'y écris. Mais les lecteurs/trices mécontent(e)s écrivent moins que celles ou ceux qui aiment un livre, et peut-être certain(e)s de mes correspondant(e)s ont ils omis les réserves qu'ils/elles pourraient avoir à l'égard de certains passages.
Les seules réserves que j'aie lues jusqu'à présent concernent les "péripéties qui ressemblent à celles d'un livre de SF" (Marianne) et la fin "grotesque" (Les Inrocks) - réserves atténuées par la notion que la fin, même si elle est grotesque, est dans le ton du livre.
Plus je m'éloigne dans le temps de l'écriture de ce livre, plus je suis convaincu que les péripéties du troisième tiers et la fin mélodramatique (je sais qu'elle l'est, je voulais qu'elle le soit...) sont celles qui convenaient parce que depuis le début, j'avais quelque chose de cet ordre en tête.
(Attention ! Si vous n'avez pas lu Le Choeur des femmes et si vous avez l'intention de le lire, ne lisez pas ce qui suit !!!)
ATTENTION SPOILER !!!
ATTENTION SPOILER !!!
ATTENTION SPOILER* !!!
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Donc, en relisant le livre, je me suis rendu compte qu'au tout début du roman, page 39, on découvre l'identité - ou plutôt le genre - de Jean, au moment où Karma la désigne comme étant une femme pour la première fois (il l'appelle "Mademoiselle"). Un peu plus tard, page 72, il lui dit que son prénom, "Jean" puisqu'il s'agit du prénom anglais et non français doit se prononcer Djinn. Autrement dit, à deux reprises, il lui restitue son identité sexuelle, renouant en quelque sorte avec le secret commun qui les lie (sans qu'ils le sachent encore) depuis 30 ans, et annonçant la scène de révélation/reconnaissance/retrouvailles de la fin.
Or, quand j'ai écrit ces deux scènes, p 39 et p 72, j'ignorais encore complètement quels seraient les secrets respectifs des deux personnages et ce qui finirait par les lier l'un à l'autre. Je ne l'ai mis en place (conçu, imaginé, concocté, construit, écrit) que bien plus tard, alors que j'en étais à la moitié du livre...
Il y a quelque chose d'assez vertigineux dans le fait de découvrir qu'on porte préalablement en soi, de manière informe (inconsciente, subliminale, tout ce que vous voulez) le sens final que l'on veut donner à son travail...
Ca me fait frissonner rien que d'en parler.
dimanche 6 septembre 2009
La douleur, le bowling et l'écriture
Depuis que j'ai créé ce blog, j'écris chaque jour et je ne suis pas sûr que je pourrai tenir ne serait-ce qu'un mois à ce rythme, alors j'y reviens chaque fois que je peux, comme quand j'étais adolescent et que je retournais à mon journal chaque fois que j'allais mal. Bien sûr, je ne suis plus tout à fait aussi immature et perturbé que je l'étais à 16 ans - et j'en viens à me demander si j'étais vraiment "perturbé", tant ce que je lis sur le développement du cerveau me donne à penser que les "anomalies" montrées du doigt par les parents et les psychanalystes normatifs semblent un passage obligé de toute évolution vers l'âge adulte... Le cerveau mûrit. Il est un peu compréhensible que celui d'un adolescent mûrisse comme l'a fait précédemment celui du nourrisson... et que ça le fasse souffrir. Sans que les concepts lacaniens y soient pour quelque chose.
Mais, "équilibré" ou "mature", peu importe le terme, on peut continuer (ou se remettre à) souffrir pour les raisons les plus inattendues. C'est un peu comme la douleur que j'avais à l'épaule droite quand je jouais un peu trop (et pas très bien) au bowling. Il fallait que je prenne du paracétamol ou de l'ibuprofène une heure avant d'aller jouer, le mardi soir, pour ne pas avoir mal juste après avoir fait mes lancers d'échauffement. Et quand j'oubliais de le prendre (le reste de la semaine, je n'avais pas mal), j'étais toujours surpris et malheureux de me remettre à avoir mal, et de jouer mal parce que j'avais mal (je jouais bien mieux, sinon), et de ne pas pouvoir dire "J'ai mal à l'épaule" à mes camarades de bowling parce que je trouvais que c'était une excuse plate (comme on dit au Québec) de mal jouer, alors je disais : "Je joue mal, ce soir." C'était vrai, ça voulait dire que je ne m'en prenais à personne - je ne m'énervais pas, j'essayais de rester concentré - mais que j'étais conscient que je jouais mal. Et quand de temps à autre, je me mettais à jouer bien, à faire un strike ou une bonne première boule puis un spare, c'était du baume sur mon coeur d'homme qui avait mal et je sentais toujours mon épaule, mais je ne lui (m') en voulais plus.
Le bowling, pour moi en tout cas, ça n'est pas comme l'écriture. C'est un moment où je ne pense pas. Je reste concentré sur la manière dont je me place, dont je fais chaque fragment de geste (car tout compte, depuis la manière dont je place la boule devant moi jusqu'à la dernière impulsion du bras au moment où je vais la lâcher), je ne fais rien d'autre. Alors que pendant certaines activités "automatiques" (passer l'aspirateur, conduire mon scooter ou, depuis que je suis à Montréal, faire la vaisselle) je peux penser à autre chose. J'ai eu de belles idées en allant à la gare en scooter ou en faisant la vaisselle.
Au bowling, je n'ai aucune idée. Je suis concentré sur le geste, sur la répétition du geste. Je ne vise pas un score en particulier (je ne pense pas vraiment au score final, sauf quand j'en suis à deux séries de la fin) je vise la régularité, au moins des spares, je sais que c'est à ma portée si je ne m'énerve pas, si je ne me précipite pas quand je lance la deuxième fois. Des strike, si possible. Je ne cherche pas à battre mon propre record (je suis d'ailleurs incapable de dire si c'est 225 ou plus, je crois que j'ai fait 245 une fois mais je n'en suis pas sûr). Je cherche à bien jouer. En sachant qu'il n'y a personne pour le voir, sauf quand je joue avec mes enfants qui sont (mais la situation est biaisée) toujours admiratifs de me voir jouer bien, sans jamais perdre mon calme si je rate une boule...
Le bowling, c'est ce qui me permet de mettre mon coeur au repos. Mon coeur, ici, ce sont mes sentiments et mes émotions. Mes tourments.
Mon plus jeune fils, qui a onze ans et demi, craint l'obscurité et la peuple de monstres. Je faisais pareil à son âge, alors j'arrive à le rassurer et petit à petit il s'affranchit de cette peur comme je l'ai fait moi-même.
Je sais que mes tourments d'adulte sont un produit de mon imagination et de mon passé (et puis du passé des autres, en particulier de ma famille). Ca ne les rend pas plus supportables pour autant. Parfois c'est même encore plus insupportable parce que, comme je suis un homme de 54 ans (c'est à dire que j'ai l'âge qu'avait mon père à l'époque où il était mon héros de petit garçon pas encore adolescent) il n'y a personne pour me rassurer ou me consoler.
Et qu'on ne vienne pas me balancer : "Mais t'es un adulte, tu devrais prendre sur toi." Les sentiments qu'on a sont profondément ancrés en nous. Ils ne disparaissent pas sur commande. Ils échappent à la raison. La peur, le chagrin, l'angoisse, le sentiment d'indignité ne sont pas des choses qu'on maîtrise. Et si tous les adultes admettaient clairement qu'ils ont ce genre de sentiment toute leur vie, ça les rendrait plus humbles. Et ça aiderait les enfants à mieux grandir.
Je n'ai pas joué beaucoup au bowling depuis que je suis parti à Montréal. Deux fois à Montréal et deux fois au Mans pendant les séjours que j'ai faits là bas depuis février. J'ai mieux joué quand je n'étais pas seul (trois fois sur quatre) et je ne me souviens pas avoir eu mal à l'épaule.
Est-ce qu'écrire son journal dans un blog (où d'autres peuvent le lire, s'ils le veulent) c'est "mieux" que de tenir un journal qu'on est seul à lire ?
En tout cas, contrairement au bowling, je n'ai pas besoin de prendre quelque chose avant de me mettre à écrire ; car "tout pendant que j'écris", je ne sens pas la douleur.
Mais, "équilibré" ou "mature", peu importe le terme, on peut continuer (ou se remettre à) souffrir pour les raisons les plus inattendues. C'est un peu comme la douleur que j'avais à l'épaule droite quand je jouais un peu trop (et pas très bien) au bowling. Il fallait que je prenne du paracétamol ou de l'ibuprofène une heure avant d'aller jouer, le mardi soir, pour ne pas avoir mal juste après avoir fait mes lancers d'échauffement. Et quand j'oubliais de le prendre (le reste de la semaine, je n'avais pas mal), j'étais toujours surpris et malheureux de me remettre à avoir mal, et de jouer mal parce que j'avais mal (je jouais bien mieux, sinon), et de ne pas pouvoir dire "J'ai mal à l'épaule" à mes camarades de bowling parce que je trouvais que c'était une excuse plate (comme on dit au Québec) de mal jouer, alors je disais : "Je joue mal, ce soir." C'était vrai, ça voulait dire que je ne m'en prenais à personne - je ne m'énervais pas, j'essayais de rester concentré - mais que j'étais conscient que je jouais mal. Et quand de temps à autre, je me mettais à jouer bien, à faire un strike ou une bonne première boule puis un spare, c'était du baume sur mon coeur d'homme qui avait mal et je sentais toujours mon épaule, mais je ne lui (m') en voulais plus.
Le bowling, pour moi en tout cas, ça n'est pas comme l'écriture. C'est un moment où je ne pense pas. Je reste concentré sur la manière dont je me place, dont je fais chaque fragment de geste (car tout compte, depuis la manière dont je place la boule devant moi jusqu'à la dernière impulsion du bras au moment où je vais la lâcher), je ne fais rien d'autre. Alors que pendant certaines activités "automatiques" (passer l'aspirateur, conduire mon scooter ou, depuis que je suis à Montréal, faire la vaisselle) je peux penser à autre chose. J'ai eu de belles idées en allant à la gare en scooter ou en faisant la vaisselle.
Au bowling, je n'ai aucune idée. Je suis concentré sur le geste, sur la répétition du geste. Je ne vise pas un score en particulier (je ne pense pas vraiment au score final, sauf quand j'en suis à deux séries de la fin) je vise la régularité, au moins des spares, je sais que c'est à ma portée si je ne m'énerve pas, si je ne me précipite pas quand je lance la deuxième fois. Des strike, si possible. Je ne cherche pas à battre mon propre record (je suis d'ailleurs incapable de dire si c'est 225 ou plus, je crois que j'ai fait 245 une fois mais je n'en suis pas sûr). Je cherche à bien jouer. En sachant qu'il n'y a personne pour le voir, sauf quand je joue avec mes enfants qui sont (mais la situation est biaisée) toujours admiratifs de me voir jouer bien, sans jamais perdre mon calme si je rate une boule...
Le bowling, c'est ce qui me permet de mettre mon coeur au repos. Mon coeur, ici, ce sont mes sentiments et mes émotions. Mes tourments.
Mon plus jeune fils, qui a onze ans et demi, craint l'obscurité et la peuple de monstres. Je faisais pareil à son âge, alors j'arrive à le rassurer et petit à petit il s'affranchit de cette peur comme je l'ai fait moi-même.
Je sais que mes tourments d'adulte sont un produit de mon imagination et de mon passé (et puis du passé des autres, en particulier de ma famille). Ca ne les rend pas plus supportables pour autant. Parfois c'est même encore plus insupportable parce que, comme je suis un homme de 54 ans (c'est à dire que j'ai l'âge qu'avait mon père à l'époque où il était mon héros de petit garçon pas encore adolescent) il n'y a personne pour me rassurer ou me consoler.
Et qu'on ne vienne pas me balancer : "Mais t'es un adulte, tu devrais prendre sur toi." Les sentiments qu'on a sont profondément ancrés en nous. Ils ne disparaissent pas sur commande. Ils échappent à la raison. La peur, le chagrin, l'angoisse, le sentiment d'indignité ne sont pas des choses qu'on maîtrise. Et si tous les adultes admettaient clairement qu'ils ont ce genre de sentiment toute leur vie, ça les rendrait plus humbles. Et ça aiderait les enfants à mieux grandir.
Je n'ai pas joué beaucoup au bowling depuis que je suis parti à Montréal. Deux fois à Montréal et deux fois au Mans pendant les séjours que j'ai faits là bas depuis février. J'ai mieux joué quand je n'étais pas seul (trois fois sur quatre) et je ne me souviens pas avoir eu mal à l'épaule.
Est-ce qu'écrire son journal dans un blog (où d'autres peuvent le lire, s'ils le veulent) c'est "mieux" que de tenir un journal qu'on est seul à lire ?
En tout cas, contrairement au bowling, je n'ai pas besoin de prendre quelque chose avant de me mettre à écrire ; car "tout pendant que j'écris", je ne sens pas la douleur.
samedi 5 septembre 2009
"Si tu gagnais un milliard, tu continuerais à écrire ?"
C'est juste que tout à l'heure, mon plus jeune fils m'a demandé : "Ton dernier livre, c'est Le Choeur des femmes, c'est ça ?" J'ai répondu par l'affirmative et comme il me demandait si j'allais en écrire un autre j'ai précisé : "C'est mon dernier livre en date..." J'imagine qu'il se demandait si, une fois que je vais me mettre à enseigner, je vais continuer à écrire des livres. Et bien sûr la question ne se pose même pas. J'ai toujours deux, trois, dix livres en tête. Ca fait partie de ma vie, d'écrire. Même si ça contribue à faire vivre ma famille, a conditionne toutes mes relations aux autres, depuis toujours ou presque.
Quand il m'a entendu répondre que j'écrirais d'autres livres, un de mes jumeaux a demandé : "Mais si tu gagnais un milliard avec ce livre-ci, est-ce que tu continuerais à écrire ?" J'ai répondu bien sûr. Je ne cracherais pas sur le milliard mais ça n'y changerait rien. Je n'écris pas pour devenir rentier ni parce que je veux m'offrir un yacht ou une maison de trente pièces. Je n'écris pas non plus pour être admiré ou devenir important. J'écris parce que ça m'aide à faire face à ma tristesse, à ma colère, à mes inquiétudes, au heartache que j'ai de temps à autre (et en ce moment-même, d'ailleurs, depuis quelques jours).
Et là je me rends compte que ce blog est en train de devenir mon journal intime, celui que j'ai commencé à 14 ans. A ceci près (et ça n'est pas un détail) que personne n'avait accès à mon journal (j'offrais mes nouvelles, je ne faisais pas lire mon journal) et que tout le monde (enfin, celles et ceux qui ont envie d'y venir) peut lire ce blog.
Avoir un heartache, ça m'a toujours fait écrire. L'écriture est ma trinitrine.
Comédie (médicale) humaine
Commentant sa lecture du Choeur des femmes, un critique (élogieux, par ailleurs) de Marianne me compare à Balzac (rien que ça) et Karma au Père Goriot qui "ferait tout pour protéger ses filles". Or, justement (et même si j'apprécie l'hommage pour ce qu'il est) Karma s'efforce de ne jamais se comporter comme un père avec les patientes dont il s'occupe. Son objectif, c'est de sortir de ce qu'on appelle le paternalisme médical, une idéologie qui sous-entend qu'un médecin doit "paterner" les patients qui se confient à lui. Bien sûr, cette idéologie est ancienne, et remonte à toutes les époques passées où les médecins faisaient quasiment partie d'une société secrète - et, en tout cas, d'une classe sociale à part et proche du pouvoir.
Je voulais justement dessiner un personnage qui n'ait pas de rapport hiérarchique avec ses collègues ni avec les femmes qui viennent le voir.
Ca me rappelle les discussions incessantes que je peux avoir autour du fait de tutoyer ou de vouvoyer les autres. Je trouve que l'anglais (entre autres maintes supériorités par rapport au français) a cette énorme capacité de mettre tout le monde au même niveau par l'unicité du pronom à la deuxième personne. En français, savoir à qui dire tu ou vous est un casse-tête insensé.
Personnellement, j'utilise "Vous" ou "Tu" de manière intuitive, totalement arbitraire et peut-être parfois ridicule, mais j'ai le sentiment que c'est pour "personnaliser" ma relation à l'autre. Il y a des gens à qui je dis "Vous" par respect ou parce que je ne les prendrais pas avec des pincettes (wouldn't touch them with a ten-foot pole) ; il y en a à qui je dis "Vous" alors que j'aimerais bien leur dire "Tu" mais n'ose pas ; il y en a à qui je dis "Tu" mais j'aimerais mieux ne pas avoir à leur parler ; et d'autres à qui je dis "Tu" alors que je trouve ça inapproprié (je devrais les vouvoyer). Bref, le "Tu" et le "Vous" c'est le début des conventions et je déteste les conventions. "You", c'est vraiment plus reposant.
Cela dit, j'aimais bien, dans les années 50 et 60, entendre des personnages dans les VF des films américains passer du "Tu" au "Vous" après un baiser passionné ou après une ellipse qui permettait de comprendre qu'ils avaient passé la nuit (ou deux heures) ensemble à faire des galipettes. Cette subtilité de langage (parfois complètement arbitraire, si rien n'indiquait un surcroît d'intimité entre eux, comme c'était parfois le cas) n'était évidemment audible qu'en français puisque la version originale, bien sûr, ne pouvait pas l'inclure. Je pense qu'elle résultait de conventions dans le cinéma ou le théâtre français, transposées dans les dialogues des doublages...
Dans Le Choeur des femmes, Atwood rigole de voir Karma osciller du Vous au Tu sans arrêt parce qu'il ne sait pas comment lui parler. Atwood, en revanche, ne cesse de vouvoyer Karma pendant tout le livre. (Il est très probable qu'après la fin du livre, elle le tutoie enfin.) D'abord par défiance ou défi, ensuite par circonspection, ensuite par respect.
Il n'en reste pas moins que je ne sais pas toujours passer du Vous au Tu. C'est en train de devenir crucial ici, à Montréal, où tout le monde se tutoie. J'ai un peu de mal à tutoyer certain(e)s collègues au CREUM ou certaines personnes que je côtoie et que je pourrais très bien tutoyer... Tiens, d'ailleurs, ce sont des femmes, pour la plupart...
En général, je vouvoie les jeunes gens parce que je ne veux pas qu'ils pensent que je les traite de manière paternelle.
Je vouvoie les personnes que je respecte (un/e aîné/e, un "mentor") et j'ai du mal à les tutoyer même quand elles me le demandent. Je n'arrivais pas à tutoyer Daniel Zimmermann, qui me tutoyait et que j'aimais profondément. Je n'arrive pas à tutoyer Claude Pujade-Renaud.
Parfois, je brûle de tutoyer quelqu'un et je ne le fais pas parce que je redoute que ce soit une intrusion dans son intimité.
Je dois avoir un problème de limites.
Il y a peut être un texte à écrire sur le sujet.
Tout peut s'écrire, à condition de ne pas écrire dans le vide.
Tiens, hier je caressais l'idée d'animer un atelier d'écriture, et comme je ne l'ai jamais fait, j'essayais d'imaginer ce que je dirais aux personnes qui y participeraient. Et dans mon demi-sommeil (c'était peu après avoir éteint la lumière) j'imaginais que je dirais : "commencez d'abord à vous poser et à répondre à des questions simples : de qui racontez vous l'histoire ? à qui ? qui est-ce qui parle ? comment ça commence (à peu près) ? comment ça finit (approximativement) ? et par où avez vous envie de passer ? (les étapes, morales ou topographiques ou narratives ou formelles, ou je ne sais quoi.
Pour tous mes romans, j'ai procédé de cette manière là, sans me poser les questions de manière aussi explicite, évidemment, mais en y répondant implicitement.
Je savais toujours ce que j'avais envie de raconter : la journée d'un médecin avorteur dans La Vacation ; la vie quotidienne d'un généraliste dans Sachs ; mes études de médecine dans Les Trois médecins ; mes vingt-cinq ans de service de planification dans Le Choeur des femmes. Je n'ai jamais commencé un roman sans savoir qui allait raconter l'histoire (je ne pouvais pas). J'ai toujours eu à peu près en tête la dernière scène. Je savais (dans les grandes lignes) ce que je voulais dire ("un avortement, ça fait mal à tout le monde" ; "un médecin est une personne comme une autre" ; "les études de médecine sont violentes mais ceux qui veulent soigner finissent par soigner" ; "la personne qu'on soigne aujourd'hui est le soignant de demain" et "soigner ce n'est pas une relation de pouvoir mais de partage").
En ce moment, je suis dans un état bizarre, intermédiaire. Je n'ai pas eu de "baby blues" après la fin d'écriture du CDF parce que tout s'est ensuite passé très vite, la mise sous presse, mon départ en France pour déménager, mon retour à Montréal pour emménager et me préparer au cours que je donne ce trimestre, etc. Je n'ai pas eu le temps de ressentir le manque de mon livre (mais je l'ai tout de même relu, par fragments, pendant plusieurs jours après avoir reçu le premier exemplaire, dans l'espoir d'y retrouver une partie de l'ivresse que j'ai ressentie en l'écrivant).
Et là, je me sens bizarre parce que depuis sa sortie il y a huit jours, des lecteurs/trices nouveaux m'écrivent tous les jours et qu'ils réactivent ce que je ressens par rapport à ce livre. Et parce que, pour diverses raisons, je suis en train de penser au suivant. Il sera radicalement différent des romans précédents : ce n'est ni un roman médical, ni un roman policier (ou de SF).
Ca s'appelle "La tête d'un homme" et ça renvoie à deux choses, d'abord au préjugé selon lequel une femme pense avec son coeur, tandis qu'un homme ne pense qu'avec sa tête, sans sentiments. Et aussi au fait qu'après avoir écrit "Le Choeur des femmes", j'ai envie de parler des hommes avec la même acuité. Et puis, ça fait aussi penser au titre d'un film des années 50 sur la peine de mort...
Tout un programme.
Oh I wish I had a river
I could skate away on.
Je voulais justement dessiner un personnage qui n'ait pas de rapport hiérarchique avec ses collègues ni avec les femmes qui viennent le voir.
Ca me rappelle les discussions incessantes que je peux avoir autour du fait de tutoyer ou de vouvoyer les autres. Je trouve que l'anglais (entre autres maintes supériorités par rapport au français) a cette énorme capacité de mettre tout le monde au même niveau par l'unicité du pronom à la deuxième personne. En français, savoir à qui dire tu ou vous est un casse-tête insensé.
Personnellement, j'utilise "Vous" ou "Tu" de manière intuitive, totalement arbitraire et peut-être parfois ridicule, mais j'ai le sentiment que c'est pour "personnaliser" ma relation à l'autre. Il y a des gens à qui je dis "Vous" par respect ou parce que je ne les prendrais pas avec des pincettes (wouldn't touch them with a ten-foot pole) ; il y en a à qui je dis "Vous" alors que j'aimerais bien leur dire "Tu" mais n'ose pas ; il y en a à qui je dis "Tu" mais j'aimerais mieux ne pas avoir à leur parler ; et d'autres à qui je dis "Tu" alors que je trouve ça inapproprié (je devrais les vouvoyer). Bref, le "Tu" et le "Vous" c'est le début des conventions et je déteste les conventions. "You", c'est vraiment plus reposant.
Cela dit, j'aimais bien, dans les années 50 et 60, entendre des personnages dans les VF des films américains passer du "Tu" au "Vous" après un baiser passionné ou après une ellipse qui permettait de comprendre qu'ils avaient passé la nuit (ou deux heures) ensemble à faire des galipettes. Cette subtilité de langage (parfois complètement arbitraire, si rien n'indiquait un surcroît d'intimité entre eux, comme c'était parfois le cas) n'était évidemment audible qu'en français puisque la version originale, bien sûr, ne pouvait pas l'inclure. Je pense qu'elle résultait de conventions dans le cinéma ou le théâtre français, transposées dans les dialogues des doublages...
Dans Le Choeur des femmes, Atwood rigole de voir Karma osciller du Vous au Tu sans arrêt parce qu'il ne sait pas comment lui parler. Atwood, en revanche, ne cesse de vouvoyer Karma pendant tout le livre. (Il est très probable qu'après la fin du livre, elle le tutoie enfin.) D'abord par défiance ou défi, ensuite par circonspection, ensuite par respect.
Il n'en reste pas moins que je ne sais pas toujours passer du Vous au Tu. C'est en train de devenir crucial ici, à Montréal, où tout le monde se tutoie. J'ai un peu de mal à tutoyer certain(e)s collègues au CREUM ou certaines personnes que je côtoie et que je pourrais très bien tutoyer... Tiens, d'ailleurs, ce sont des femmes, pour la plupart...
En général, je vouvoie les jeunes gens parce que je ne veux pas qu'ils pensent que je les traite de manière paternelle.
Je vouvoie les personnes que je respecte (un/e aîné/e, un "mentor") et j'ai du mal à les tutoyer même quand elles me le demandent. Je n'arrivais pas à tutoyer Daniel Zimmermann, qui me tutoyait et que j'aimais profondément. Je n'arrive pas à tutoyer Claude Pujade-Renaud.
Parfois, je brûle de tutoyer quelqu'un et je ne le fais pas parce que je redoute que ce soit une intrusion dans son intimité.
Je dois avoir un problème de limites.
Il y a peut être un texte à écrire sur le sujet.
Tout peut s'écrire, à condition de ne pas écrire dans le vide.
Tiens, hier je caressais l'idée d'animer un atelier d'écriture, et comme je ne l'ai jamais fait, j'essayais d'imaginer ce que je dirais aux personnes qui y participeraient. Et dans mon demi-sommeil (c'était peu après avoir éteint la lumière) j'imaginais que je dirais : "commencez d'abord à vous poser et à répondre à des questions simples : de qui racontez vous l'histoire ? à qui ? qui est-ce qui parle ? comment ça commence (à peu près) ? comment ça finit (approximativement) ? et par où avez vous envie de passer ? (les étapes, morales ou topographiques ou narratives ou formelles, ou je ne sais quoi.
Pour tous mes romans, j'ai procédé de cette manière là, sans me poser les questions de manière aussi explicite, évidemment, mais en y répondant implicitement.
Je savais toujours ce que j'avais envie de raconter : la journée d'un médecin avorteur dans La Vacation ; la vie quotidienne d'un généraliste dans Sachs ; mes études de médecine dans Les Trois médecins ; mes vingt-cinq ans de service de planification dans Le Choeur des femmes. Je n'ai jamais commencé un roman sans savoir qui allait raconter l'histoire (je ne pouvais pas). J'ai toujours eu à peu près en tête la dernière scène. Je savais (dans les grandes lignes) ce que je voulais dire ("un avortement, ça fait mal à tout le monde" ; "un médecin est une personne comme une autre" ; "les études de médecine sont violentes mais ceux qui veulent soigner finissent par soigner" ; "la personne qu'on soigne aujourd'hui est le soignant de demain" et "soigner ce n'est pas une relation de pouvoir mais de partage").
En ce moment, je suis dans un état bizarre, intermédiaire. Je n'ai pas eu de "baby blues" après la fin d'écriture du CDF parce que tout s'est ensuite passé très vite, la mise sous presse, mon départ en France pour déménager, mon retour à Montréal pour emménager et me préparer au cours que je donne ce trimestre, etc. Je n'ai pas eu le temps de ressentir le manque de mon livre (mais je l'ai tout de même relu, par fragments, pendant plusieurs jours après avoir reçu le premier exemplaire, dans l'espoir d'y retrouver une partie de l'ivresse que j'ai ressentie en l'écrivant).
Et là, je me sens bizarre parce que depuis sa sortie il y a huit jours, des lecteurs/trices nouveaux m'écrivent tous les jours et qu'ils réactivent ce que je ressens par rapport à ce livre. Et parce que, pour diverses raisons, je suis en train de penser au suivant. Il sera radicalement différent des romans précédents : ce n'est ni un roman médical, ni un roman policier (ou de SF).
Ca s'appelle "La tête d'un homme" et ça renvoie à deux choses, d'abord au préjugé selon lequel une femme pense avec son coeur, tandis qu'un homme ne pense qu'avec sa tête, sans sentiments. Et aussi au fait qu'après avoir écrit "Le Choeur des femmes", j'ai envie de parler des hommes avec la même acuité. Et puis, ça fait aussi penser au titre d'un film des années 50 sur la peine de mort...
Tout un programme.
Oh I wish I had a river
I could skate away on.
vendredi 4 septembre 2009
Le monde est tout ce qui s'écrit (1)
Si j'avais le cerveau branché sur un ordinateur (ou sur quelque chose d'équivalent, un convertisseur de voix en texte, par exemple), j'écrirais des nouvelles à partir de tout ce qui m'arrive, dans la réalité ou l'imaginaire.
J'écrirais l'histoire de cette femme âgée qui marchait à petits pas rapides pour attraper le bus devant moi (elle est descendue du 24 et a sauté dans le 165) ce matin.
J'écrirais l'histoire du garçon qui s'en allait à l'école avec des gants de cuir un jour où il faisait grand soleil.
J'écrirais l'histoire de la jeune femme assise au café qui n'arrêtait pas d'enlever et de remettre la jolie bague qu'elle avait à l'annulaire et regardait autour d'elle comme si elle attendait quelqu'un
J'écrirais l'histoire de l'homme qui chaque matin en passant devant une vitrine avait envie d'aller parler à la jeune femme assise derrière un ordinateur et n'osait pas entrer de peur qu'elle se sente harcelée.
J'écrirais l'histoire de l'homme qui, tous les soirs, faisait le ménage dans le bâtiment de l'université, et parfois y emmenait sa petite fille, et souvent trouvait un chercheur encore assis devant son écran à des heures où les bureaux sont vides et leurs occupants sont rentrés chez eux se nourrir ou passer la soirée en famille.
J'écrirais l'histoire de la jeune femme qui, tard le soir, mettait des photos en ligne et n'osait pas écrire.
J'écrirais l'histoire du chauffeur d'autobus qui avait toujours la même chanson en tête.
Et, toutes ces histoires, je les tisserais pour qu'elles se croisent.
J'écrirais l'histoire de cette femme âgée qui marchait à petits pas rapides pour attraper le bus devant moi (elle est descendue du 24 et a sauté dans le 165) ce matin.
J'écrirais l'histoire du garçon qui s'en allait à l'école avec des gants de cuir un jour où il faisait grand soleil.
J'écrirais l'histoire de la jeune femme assise au café qui n'arrêtait pas d'enlever et de remettre la jolie bague qu'elle avait à l'annulaire et regardait autour d'elle comme si elle attendait quelqu'un
J'écrirais l'histoire de l'homme qui chaque matin en passant devant une vitrine avait envie d'aller parler à la jeune femme assise derrière un ordinateur et n'osait pas entrer de peur qu'elle se sente harcelée.
J'écrirais l'histoire de l'homme qui, tous les soirs, faisait le ménage dans le bâtiment de l'université, et parfois y emmenait sa petite fille, et souvent trouvait un chercheur encore assis devant son écran à des heures où les bureaux sont vides et leurs occupants sont rentrés chez eux se nourrir ou passer la soirée en famille.
J'écrirais l'histoire de la jeune femme qui, tard le soir, mettait des photos en ligne et n'osait pas écrire.
J'écrirais l'histoire du chauffeur d'autobus qui avait toujours la même chanson en tête.
Et, toutes ces histoires, je les tisserais pour qu'elles se croisent.
L'écriture comme acquis évolutif
Un jour, je suis allé parler à l'école de mes jumeaux. Ils étaient en dernière section de maternelle, à l'époque. On m'invitait parce que j'avais un métier un peu hors du commun. Un écrivain, c'est pas courant... Une petite fille se lève et, sans lâcher sa poupée ou son nounours, me demande : "Où est-ce que tu les trouves, tes idées d'histoire à écrire ?" Je réfléchis un peu en vitupérant intérieurement - "Si les gamins posent des questions impossibles dès l'âge de six ans, où va-t-on ? " - contre ma propre impréparation... et puis je désigne sa poupée et je demande : "Tu lui racontes des histoires, à ta poupée, le soir avant de te coucher ?" Elle fait oui de la tête. "Et tes histoires à toi, où tu les trouves ?" Elle lève le doigt et désigne son front. "Eh bien, moi, c'est pareil... Mais au lieu de les raconter au nounours que j'avais quand j'étais petit, je les écris."
Ce matin, dans le bus, je continuais à lire On the Origin of Stories (dont il va falloir que je fasse un compte-rendu ici après l'avoir terminé et peut-être relu, tant c'est un livre stupéfiant). J'y cherchais une citation à intégrer à l'article que j'ai écrit (en anglais) pour le numéro spécial "Narrative Medicine" de Literature and Medicine (que, pour bien faire, il faudrait que je traduise en français... comme si j'avais pas assez de boulot...). Et ma lecture m'a conduit à penser : au fond, si j'écris, c'est parce que mon cerveau/ma personnalité sont faits comme ça, depuis le début. Ce n'est pas une aptitude apprise ou induite par l'environnement - même si l'environnement m'a fourni à la fois les motivations à écrire et le matériau à travailler - c'est une aptitude personnelle. Tout comme la mémoire photographique ou l'oreille absolue ou le sens de l'équilibre qui permet de marcher sur un fil entre les twin towers du WTC. Et j'ai trouvé aussi dans le livre de Bryan Boyd une définition très gratifiante des avantages évolutifs que représente l'apparition de la fiction dans le cerveau humain. La fiction (les histoires) nous servent à représenter le monde en y intégrant des valeurs propres à la vie en société : la générosité, l'entraide, la fraternité, la coopération, la justice...
Autrement dit, ce que nous appelons "les idéaux", ce ne sont pas seulement des notions "naïves", mais les valeurs qui, à travers la fiction et les représentations du monde, contribuent à nous civiliser.
Bon, ça va pas encore m'inciter à cesser d'écrire, ça !!!
Allez, avant d'entrer dans le week-end, une page très rigolote : les livres les plus bizarres présentés par le site de bouquinistes Abebooks.com
Cela dit, lundi 7 septembre a beau être un jour férié au Québec (la fête du travail), je ne suis pas persuadé que je vais rester éloigné de mon ordinateur et de ce blog jusqu'à mardi...
Ce matin, dans le bus, je continuais à lire On the Origin of Stories (dont il va falloir que je fasse un compte-rendu ici après l'avoir terminé et peut-être relu, tant c'est un livre stupéfiant). J'y cherchais une citation à intégrer à l'article que j'ai écrit (en anglais) pour le numéro spécial "Narrative Medicine" de Literature and Medicine (que, pour bien faire, il faudrait que je traduise en français... comme si j'avais pas assez de boulot...). Et ma lecture m'a conduit à penser : au fond, si j'écris, c'est parce que mon cerveau/ma personnalité sont faits comme ça, depuis le début. Ce n'est pas une aptitude apprise ou induite par l'environnement - même si l'environnement m'a fourni à la fois les motivations à écrire et le matériau à travailler - c'est une aptitude personnelle. Tout comme la mémoire photographique ou l'oreille absolue ou le sens de l'équilibre qui permet de marcher sur un fil entre les twin towers du WTC. Et j'ai trouvé aussi dans le livre de Bryan Boyd une définition très gratifiante des avantages évolutifs que représente l'apparition de la fiction dans le cerveau humain. La fiction (les histoires) nous servent à représenter le monde en y intégrant des valeurs propres à la vie en société : la générosité, l'entraide, la fraternité, la coopération, la justice...
Autrement dit, ce que nous appelons "les idéaux", ce ne sont pas seulement des notions "naïves", mais les valeurs qui, à travers la fiction et les représentations du monde, contribuent à nous civiliser.
Bon, ça va pas encore m'inciter à cesser d'écrire, ça !!!
Allez, avant d'entrer dans le week-end, une page très rigolote : les livres les plus bizarres présentés par le site de bouquinistes Abebooks.com
Cela dit, lundi 7 septembre a beau être un jour férié au Québec (la fête du travail), je ne suis pas persuadé que je vais rester éloigné de mon ordinateur et de ce blog jusqu'à mardi...
jeudi 3 septembre 2009
Ce qu'on écrit, ce qu'on perd... et ce qu'on trouve
Allez, comme j'ai pas écrit hier, je m'offre deux entrées aujourd'hui.
Dans l'entretien que Sylvie Prioul a publié dans Le Nouvel Observateur de ce jour, je mentionne clairement (et j'en suis très heureux, parce que je voulais en parler ici) l'influence de Barberousse (Akahige), le film d'Akira Kurosawa.
Ce film de 1965 m'a beaucoup frappé quand je l'ai vu au Studio, à Tours, pendant mes études dans les années 70. Avec Johnny Got His Gun, c'est un des deux films qui m'ont le plus marqué, en tant que médecin en formation. L'argument, que je reprends dans le CDF, mais qui est un argument presque obligé de tout récit initiatique, est l'entrée d'un jeune médecin dans un monde qu'il ne connaît pas et qu'il ne tient pas à connaître, puis sa découverte de ce monde et de la richesse de ce qu'il y reçoit et peut lui donner.
Bien sûr, il ne s'agit pas d'un "remake" de Barberousse comme Les Trois Médecins étaient un remake des Trois Mousquetaires. Non seulement le monde qu'explore Jean Atwood est très différent de celui que découvre Yasumoto, le héros de Kurosawa, mais ce sont des personnages très différents et les relations entre patients, étudiant et médecin ne sont pas du tout de la même nature.
Il y a des clins d'oeil à Barberousse, dans le livre (le fait qu'on surnomme Karma "Barbe-Bleue" ; la scène où Karma regarde le film sur son ordinateur portable et prête le DVD à Jean ; d'autres scènes encore...) et le film est cité clairement car justement je ne voudrais pas qu'on me soupçonne de plagiat ou de manipulation du lecteur... Il n'était pas dans mon intention de tromper le lecteur ou la lectrice en lui servant l'histoire de quelqu'un d'autre.
Mais l'influence de ce film a été si forte sur moi qu'elle a certainement été déterminante dans mon choix et ma définition du cadre où je voulais inscrire le "roman pédagogique" dont je rêvais depuis très longtemps. J'ai revu le fim après avoir terminé le livre (je ne l'ai pas fait avant pour qu'il ne m'influence pas trop, justement) et je me suis rendu compte d'une chose très simple mais déterminante : en dehors même du fait que Barberousse est une histoire d'hommes (malades ou soignants, ce sont les hommes qui y sont héroïques, tandis que les femmes y sont maintenues dans des rôles secondaires, conformément à la répartition des sexes dans le Japon du 19e siècle) c'est aussi l'histoire d'un personnage insondable. Finalement, on ne sait rien de Barberousse, à la fin du film (Kurosawa s'en est expliqué en disant que c'est Mifune qui a entraîné le personnage dans cette direction).
Et quand je considère mes propres personnages je me rends compte que je les ai traités comme j'imagine qu'ils traitent les patientes : en ne les prenant pas pour acquis une fois pour toutes, en ne les traitant pas de manière monolithique, en les amenant à se découvrir (et en les découvrant moi-même) jusqu'au plus profond d'eux-mêmes.
Ecrire, c'est à mon humble avis s'appuyer sur ce qui nous a transportés pour tenter d'aller plus loin. A la fin de La Vacation, Bruno pense "Ecrire, c'est tuer quelque chose en soi pour pouvoir continuer à vivre." A la fin de La Maladie de Sachs, il déclare "Ecrire, c'est mesurer la perte."
Il y a tout plein de points communs entre Le Choeur des femmes et mes romans "médicaux" précédents, bien entendu, mais il me semble que le CDF synthétise en quelque sorte le sujet central de chacun des trois autres, d'une manière moins "expérimentale", et aussi plus spontanée.
Quand j'ai écrit La Vacation j'étais dans la perte absolue. Et le livre ne parle pratiquement que de ça. Il est sombre et pas très optimiste. C'est un livre techniquement maîtrisé, je le crois (Paul O-L ne l'aurait pas pris, s'il ne l'avait pas été) et dont je ne renierais pas une virgule (ni une parenthèse.... elles y sont fort nombreuses et s'ouvrent et se ferment de manière parfois surprenante... ;-) mais imprégné d'une froide colère. Et le "Tu" qui décrit les actes de Bruno, même s'il est signifiant pour l'ensemble du livre et s'il m'a permis de l'écrire, empêche en grande partie le lecteur/la lectrice de plonger émotionnellement dans le texte. Quand je l'ai écrit, le sujet me paraissait si important que, ça ne faisait à mes yeux aucun doute, il allait être plébiscité par le public. Il ne l'a pas été, et je comprends bien pourquoi : ce n'est pas un livre facile à recommander, et on ne l'offre pas non plus. Il est trop personnel, trop intime. Trop sombrement intime.
Dans La Maladie... , le "Tu" a l'effet inverse, parce qu'il n'est pas univoque, justement, mais polyphonique (chaque chapitre est raconté par une personne différente) et plus varié dans son énonciation, ses émotions, ses points de vue, ses jugements sur Bruno, etc. C'est cela, à mon avis, qui remporte l'adhésion de beaucoup de lecteurs/trices : ils/elles sentent qu'ils/elles pourraient faire partie des narrateurs. Et de fait, ça crée une complicité et un sentiment de communauté qui donne envie de le partager avec les autres. Vue ainsi, la "propagation épidémique" de La maladie de Sachs est assez compréhensible. (Bon, mais c'était pas seulement un bouquin contagieux, c'est un bon bouquin aussi, je pense.) Le succès aidant, La Vacation a trouvé un public plus large (30 000 exemplaires, si je ne m'abuse, au format de poche) mais je pense que l'expérience de lecture est restée la même. C'est Sachs qui a donné des lecteurs à La Vacation, je le pense sincèrement. Et je suis reconnaissant aux lecteurs qui ont reporté leur confiance d'un livre sur l'autre, car les deux sont très très différents, même s'ils parlent tous deux de la perte.
Beaucoup de lecteurs m'ont gentiment reproché d'avoir écrit avec Sachs un livre dont les 60 premières pages sont difficiles à lire, parce que froides et répétitives... Ce à quoi j'ai répondu : "En tout cas, ça ne vous a pas empêché(e) de continuer à lire"... La perte dont Bruno parle à la fin du roman, c'est beaucoup, à mes yeux, la perte de mon cabinet médical. J'ai dû le quitter parce que, ayant changé de compagne et de domicile, je devais faire quarante kilomètres aller-retour pour aller travailler. Comme nous avions entre deux et cinq enfants à la maison en permanence, je voulais travailler à temps partiel. Mon associée l'a très mal accepté, la situation s'est envenimée, et j'ai fini par partir. Ca m'a fait mal au coeur, car j'avais créé ce cabinet médical. Et si j'ai fait travailler Bruno dans un lieu qui ressemble à s'y méprendre au mien, c'était pour continuer à y exercer, en quelque sorte. Je faisais le deuil d'un projet que j'avais mené à bien sans pouvoir le transformer et le faire évoluer. Si mon associée avait accepté que nous nous organisions autrement, je serais peut-être resté là-bas plus longtemps. Installer Bruno S. dans mon lieu de travail, c'était aussi une manière, sans doute, de revenir sur ce que j'y avais fait, pour dire ce que mon travail représentait à mes yeux, symboliquement et affectivement parlant.
Dans Les Trois Médecins, le mouvement était différent : je voulais régler mes comptes avec la violence des études de médecine. L'esprit même du propos était de "réécrire l'histoire" sous la forme d'une épopée, et de jouer avec une contrainte - la trame du roman de Dumas - pour signifier mon désir de toujours d'écrire de la littérature populaire. C'était un roman de revanche, en quelque sorte. Le retour de Lagardère, La revanche du Bossu... (Je trimballe dans un coin de ma tête un vieux désir de faire un remake du Bossu...). Dans ce livre là, je cherchais à réparer/compenser la violence qu'on m'a faite, quand j'étais étudiant, en cherchant à étouffer mes idéaux et mes mouvements de générosité. Il a eu son propre succès (quelque chose comme 100 000 exemplaires toutes éditions comprises), mais singulièrement, ceux/celles qui m'en parlent le plus sont les étudiant(e)s en médecine, et c'est assez normal : c'est tout de même à eux (et à mes camarades d'alors) que je m'adressais en l'écrivant. Et la polyphonie des Trois Médecins n'est pas celle de Sachs : les narrateurs et narratrices sont tous les acteurs d'une épopée du passée, et non les membres d'une communauté. Dans ce roman-là, écrire c'était "redresser les torts".
Dans Le Choeur des femmes, il y a l'univers de La Vacation, la polyphonie de Sachs, la "réinvention" d'un lieu de soins (le centre de planification où j'ai exercé jusqu'en décembre 2008, et dont les locaux ne ressemblent plus du tout à ce que je décris dans le livre, car il a déménagé) et d'un mode de travail, plus "idéal" que dans la réalité, mais pour la première fois, en décrivant les relations entre Karma et Atwood, j'ai l'impression de parler du futur. Mon rêve, évidemment, c'est de former des soignants. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que c'est peut-être à ma portée, par l'intermédiaire des cours d'éthique que je vais assurer à la faculté de médecine de Montréal, auprès d'étudiant(e)s en ergothérapie, d'étudiant(e)s en médecine et d'autres.
Cette fois-ci, pour la première fois depuis que j'écris des romans, l'histoire est presque entièrement racontée par une seule personne, à la première personne. J'ai compris, à cette occasion que lorsque je me suis mis à écrire, je trouvais immodeste ou vaniteux ou in-digne de parler pour moi-même. Je pense que c'est aussi pour ça que j'ai donné la parole aux autres : c'est ce qui m'autorisait à écrire. Ecrire "Je", à mes yeux, c'était suspect. Je me souviens avoir dit à Daniel Zimmermann quelque chose du style "Je ne suis pas handicapé ou homosexuel ou noir ou opprimé ; j'ai pas été violé dans mon enfance ou eu une enfance malheureuse ; ma famille n'a pas été décimée dans les camps ; qu'est-ce que je peux bien avoir d'intéressant à raconter ?" Il m'avait répondu quelque chose du genre. "Je ne sais pas, c'est à toi de voir. Si tu n'as rien à raconter, pourquoi écris-tu ?" Finalement, c'est en écrivant que j'ai trouvé (que je trouve) ce que j'ai à dire.
Rétrospectivement, je crois que chacun de mes trois romans antérieurs a peu ou prou rencontré le public chez qui le fond, la forme et l'énonciation faisaient écho. Je ne sais pas quel écho aura le CDF, mais j'ai le sentiment que je comprends un peu mieux ce que je fais quand j'écris. Et qu'avec ce roman je ne suis pas dans la perte et dans le passé : je fais plutôt le tour de ce que j'ai appris, donc, de ce qui, dans ma pratique de médecin a contribué à m'éduquer, me former, m'aider à grandir - en premier lieu, les patient(e)s et les étudiant(e)s.
Bref, j'ai le sentiment très agréable que, cette fois-ci, "Ecrire c'est transmettre".
Dans l'entretien que Sylvie Prioul a publié dans Le Nouvel Observateur de ce jour, je mentionne clairement (et j'en suis très heureux, parce que je voulais en parler ici) l'influence de Barberousse (Akahige), le film d'Akira Kurosawa.
Ce film de 1965 m'a beaucoup frappé quand je l'ai vu au Studio, à Tours, pendant mes études dans les années 70. Avec Johnny Got His Gun, c'est un des deux films qui m'ont le plus marqué, en tant que médecin en formation. L'argument, que je reprends dans le CDF, mais qui est un argument presque obligé de tout récit initiatique, est l'entrée d'un jeune médecin dans un monde qu'il ne connaît pas et qu'il ne tient pas à connaître, puis sa découverte de ce monde et de la richesse de ce qu'il y reçoit et peut lui donner.
Bien sûr, il ne s'agit pas d'un "remake" de Barberousse comme Les Trois Médecins étaient un remake des Trois Mousquetaires. Non seulement le monde qu'explore Jean Atwood est très différent de celui que découvre Yasumoto, le héros de Kurosawa, mais ce sont des personnages très différents et les relations entre patients, étudiant et médecin ne sont pas du tout de la même nature.
Il y a des clins d'oeil à Barberousse, dans le livre (le fait qu'on surnomme Karma "Barbe-Bleue" ; la scène où Karma regarde le film sur son ordinateur portable et prête le DVD à Jean ; d'autres scènes encore...) et le film est cité clairement car justement je ne voudrais pas qu'on me soupçonne de plagiat ou de manipulation du lecteur... Il n'était pas dans mon intention de tromper le lecteur ou la lectrice en lui servant l'histoire de quelqu'un d'autre.
Mais l'influence de ce film a été si forte sur moi qu'elle a certainement été déterminante dans mon choix et ma définition du cadre où je voulais inscrire le "roman pédagogique" dont je rêvais depuis très longtemps. J'ai revu le fim après avoir terminé le livre (je ne l'ai pas fait avant pour qu'il ne m'influence pas trop, justement) et je me suis rendu compte d'une chose très simple mais déterminante : en dehors même du fait que Barberousse est une histoire d'hommes (malades ou soignants, ce sont les hommes qui y sont héroïques, tandis que les femmes y sont maintenues dans des rôles secondaires, conformément à la répartition des sexes dans le Japon du 19e siècle) c'est aussi l'histoire d'un personnage insondable. Finalement, on ne sait rien de Barberousse, à la fin du film (Kurosawa s'en est expliqué en disant que c'est Mifune qui a entraîné le personnage dans cette direction).
Et quand je considère mes propres personnages je me rends compte que je les ai traités comme j'imagine qu'ils traitent les patientes : en ne les prenant pas pour acquis une fois pour toutes, en ne les traitant pas de manière monolithique, en les amenant à se découvrir (et en les découvrant moi-même) jusqu'au plus profond d'eux-mêmes.
Ecrire, c'est à mon humble avis s'appuyer sur ce qui nous a transportés pour tenter d'aller plus loin. A la fin de La Vacation, Bruno pense "Ecrire, c'est tuer quelque chose en soi pour pouvoir continuer à vivre." A la fin de La Maladie de Sachs, il déclare "Ecrire, c'est mesurer la perte."
Il y a tout plein de points communs entre Le Choeur des femmes et mes romans "médicaux" précédents, bien entendu, mais il me semble que le CDF synthétise en quelque sorte le sujet central de chacun des trois autres, d'une manière moins "expérimentale", et aussi plus spontanée.
Quand j'ai écrit La Vacation j'étais dans la perte absolue. Et le livre ne parle pratiquement que de ça. Il est sombre et pas très optimiste. C'est un livre techniquement maîtrisé, je le crois (Paul O-L ne l'aurait pas pris, s'il ne l'avait pas été) et dont je ne renierais pas une virgule (ni une parenthèse.... elles y sont fort nombreuses et s'ouvrent et se ferment de manière parfois surprenante... ;-) mais imprégné d'une froide colère. Et le "Tu" qui décrit les actes de Bruno, même s'il est signifiant pour l'ensemble du livre et s'il m'a permis de l'écrire, empêche en grande partie le lecteur/la lectrice de plonger émotionnellement dans le texte. Quand je l'ai écrit, le sujet me paraissait si important que, ça ne faisait à mes yeux aucun doute, il allait être plébiscité par le public. Il ne l'a pas été, et je comprends bien pourquoi : ce n'est pas un livre facile à recommander, et on ne l'offre pas non plus. Il est trop personnel, trop intime. Trop sombrement intime.
Dans La Maladie... , le "Tu" a l'effet inverse, parce qu'il n'est pas univoque, justement, mais polyphonique (chaque chapitre est raconté par une personne différente) et plus varié dans son énonciation, ses émotions, ses points de vue, ses jugements sur Bruno, etc. C'est cela, à mon avis, qui remporte l'adhésion de beaucoup de lecteurs/trices : ils/elles sentent qu'ils/elles pourraient faire partie des narrateurs. Et de fait, ça crée une complicité et un sentiment de communauté qui donne envie de le partager avec les autres. Vue ainsi, la "propagation épidémique" de La maladie de Sachs est assez compréhensible. (Bon, mais c'était pas seulement un bouquin contagieux, c'est un bon bouquin aussi, je pense.) Le succès aidant, La Vacation a trouvé un public plus large (30 000 exemplaires, si je ne m'abuse, au format de poche) mais je pense que l'expérience de lecture est restée la même. C'est Sachs qui a donné des lecteurs à La Vacation, je le pense sincèrement. Et je suis reconnaissant aux lecteurs qui ont reporté leur confiance d'un livre sur l'autre, car les deux sont très très différents, même s'ils parlent tous deux de la perte.
Beaucoup de lecteurs m'ont gentiment reproché d'avoir écrit avec Sachs un livre dont les 60 premières pages sont difficiles à lire, parce que froides et répétitives... Ce à quoi j'ai répondu : "En tout cas, ça ne vous a pas empêché(e) de continuer à lire"... La perte dont Bruno parle à la fin du roman, c'est beaucoup, à mes yeux, la perte de mon cabinet médical. J'ai dû le quitter parce que, ayant changé de compagne et de domicile, je devais faire quarante kilomètres aller-retour pour aller travailler. Comme nous avions entre deux et cinq enfants à la maison en permanence, je voulais travailler à temps partiel. Mon associée l'a très mal accepté, la situation s'est envenimée, et j'ai fini par partir. Ca m'a fait mal au coeur, car j'avais créé ce cabinet médical. Et si j'ai fait travailler Bruno dans un lieu qui ressemble à s'y méprendre au mien, c'était pour continuer à y exercer, en quelque sorte. Je faisais le deuil d'un projet que j'avais mené à bien sans pouvoir le transformer et le faire évoluer. Si mon associée avait accepté que nous nous organisions autrement, je serais peut-être resté là-bas plus longtemps. Installer Bruno S. dans mon lieu de travail, c'était aussi une manière, sans doute, de revenir sur ce que j'y avais fait, pour dire ce que mon travail représentait à mes yeux, symboliquement et affectivement parlant.
Dans Les Trois Médecins, le mouvement était différent : je voulais régler mes comptes avec la violence des études de médecine. L'esprit même du propos était de "réécrire l'histoire" sous la forme d'une épopée, et de jouer avec une contrainte - la trame du roman de Dumas - pour signifier mon désir de toujours d'écrire de la littérature populaire. C'était un roman de revanche, en quelque sorte. Le retour de Lagardère, La revanche du Bossu... (Je trimballe dans un coin de ma tête un vieux désir de faire un remake du Bossu...). Dans ce livre là, je cherchais à réparer/compenser la violence qu'on m'a faite, quand j'étais étudiant, en cherchant à étouffer mes idéaux et mes mouvements de générosité. Il a eu son propre succès (quelque chose comme 100 000 exemplaires toutes éditions comprises), mais singulièrement, ceux/celles qui m'en parlent le plus sont les étudiant(e)s en médecine, et c'est assez normal : c'est tout de même à eux (et à mes camarades d'alors) que je m'adressais en l'écrivant. Et la polyphonie des Trois Médecins n'est pas celle de Sachs : les narrateurs et narratrices sont tous les acteurs d'une épopée du passée, et non les membres d'une communauté. Dans ce roman-là, écrire c'était "redresser les torts".
Dans Le Choeur des femmes, il y a l'univers de La Vacation, la polyphonie de Sachs, la "réinvention" d'un lieu de soins (le centre de planification où j'ai exercé jusqu'en décembre 2008, et dont les locaux ne ressemblent plus du tout à ce que je décris dans le livre, car il a déménagé) et d'un mode de travail, plus "idéal" que dans la réalité, mais pour la première fois, en décrivant les relations entre Karma et Atwood, j'ai l'impression de parler du futur. Mon rêve, évidemment, c'est de former des soignants. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que c'est peut-être à ma portée, par l'intermédiaire des cours d'éthique que je vais assurer à la faculté de médecine de Montréal, auprès d'étudiant(e)s en ergothérapie, d'étudiant(e)s en médecine et d'autres.
Cette fois-ci, pour la première fois depuis que j'écris des romans, l'histoire est presque entièrement racontée par une seule personne, à la première personne. J'ai compris, à cette occasion que lorsque je me suis mis à écrire, je trouvais immodeste ou vaniteux ou in-digne de parler pour moi-même. Je pense que c'est aussi pour ça que j'ai donné la parole aux autres : c'est ce qui m'autorisait à écrire. Ecrire "Je", à mes yeux, c'était suspect. Je me souviens avoir dit à Daniel Zimmermann quelque chose du style "Je ne suis pas handicapé ou homosexuel ou noir ou opprimé ; j'ai pas été violé dans mon enfance ou eu une enfance malheureuse ; ma famille n'a pas été décimée dans les camps ; qu'est-ce que je peux bien avoir d'intéressant à raconter ?" Il m'avait répondu quelque chose du genre. "Je ne sais pas, c'est à toi de voir. Si tu n'as rien à raconter, pourquoi écris-tu ?" Finalement, c'est en écrivant que j'ai trouvé (que je trouve) ce que j'ai à dire.
Rétrospectivement, je crois que chacun de mes trois romans antérieurs a peu ou prou rencontré le public chez qui le fond, la forme et l'énonciation faisaient écho. Je ne sais pas quel écho aura le CDF, mais j'ai le sentiment que je comprends un peu mieux ce que je fais quand j'écris. Et qu'avec ce roman je ne suis pas dans la perte et dans le passé : je fais plutôt le tour de ce que j'ai appris, donc, de ce qui, dans ma pratique de médecin a contribué à m'éduquer, me former, m'aider à grandir - en premier lieu, les patient(e)s et les étudiant(e)s.
Bref, j'ai le sentiment très agréable que, cette fois-ci, "Ecrire c'est transmettre".
Séries et livres
Ce matin, André Martineau, chroniqueur de Radio-Canada qui m'invite à passer un petit moment à l'émission La tête ailleurs (samedi 5 septembre 18 heures) pour parler de séries télé me demande quelle place le visionnage de séries occupe dans ma vie. Je lui réponds : une grande place, mais pas plus que la lecture, après tout je suis un gros lecteur depuis plus longtemps que je ne regarde les séries, et j'ai passé de grandes périodes de ma vie (pendant mes études de médecine) sans en regarder.
Je regarde des séries comme je lis : chaque fois que je peux. Quand j'étais chroniqueur à Télécâble Hebdo, entre 1997 et 2004, j'enregistrais beaucoup de séries, les chaînes m'envoyaient les cassettes des séries qu'elles allaient diffuser, je voyais beaucoup de choses avant diffusion, et j'avais donc complètement dissocié séries et télévision, que je ne regarde pour ainsi dire plus du tout. Même depuis que je suis à Montréal (février 2009), j'ai dû allumer le poste de télé une douzaine de fois en tout.
Aujourd'hui, les séries, je les regarde sur mon ordinateur portable, parfois plusieurs épisodes d'une même production à la suite. A cet égard, en Amérique du nord, les enregistreurs numériques, le peer-to-peer, l'édition des DVD et la diffusion d'épisodes en streaming sur les sites des chaînes ou sur des sites comme Hulu ont radicalement changé la manière de regarder les séries. On n'est plus obligé d'attendre l'épisode du jour devant son écran et de subir la publicité toutes les douze minutes. On peut choisir son moment de regarder. Ou plutôt, choisir de regarder une série plutôt que faire autre chose.
De ce fait, ces dernières années, j'ai vu plus de séries que je n'ai lu de livres, même dans le train, que je prenais souvent (lire dans le train m'endort ; dans l'avion aussi). Depuis que je suis arrivé à Montréal, je prends beaucoup les transports en commun pour aller de mon domicile à mon bureau actuel, et je passe ce temps à lire. Je me suis rendu compte, hier, qu'en ce moment, selon le moment de la journée, je lis trois livres différents.
Le matin, dans les bus 24 puis 165 (ou 535), je lis On the origin of stories (dont j'ai parlé dans une entrée précédente) ; le soir, dans le métro puis le bus, je lis un manuel théorique intitulé Clinical Ethics (je prépare le cours que je vais donner d'ici quinze jours) ; et le soir, au lit, avant de m'endormir, je lis Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis.
Et quand j'ai un peu de temps en ce moment, je regarde Numb3rs (la fin de la saison écoulée), Mad Men (la troisième saison actuellement en cours), Monk (l'ultime saison, actuellement diffusée), Royal Pains, Nurse Jackie...
Je regarde des séries comme je lis : chaque fois que je peux. Quand j'étais chroniqueur à Télécâble Hebdo, entre 1997 et 2004, j'enregistrais beaucoup de séries, les chaînes m'envoyaient les cassettes des séries qu'elles allaient diffuser, je voyais beaucoup de choses avant diffusion, et j'avais donc complètement dissocié séries et télévision, que je ne regarde pour ainsi dire plus du tout. Même depuis que je suis à Montréal (février 2009), j'ai dû allumer le poste de télé une douzaine de fois en tout.
Aujourd'hui, les séries, je les regarde sur mon ordinateur portable, parfois plusieurs épisodes d'une même production à la suite. A cet égard, en Amérique du nord, les enregistreurs numériques, le peer-to-peer, l'édition des DVD et la diffusion d'épisodes en streaming sur les sites des chaînes ou sur des sites comme Hulu ont radicalement changé la manière de regarder les séries. On n'est plus obligé d'attendre l'épisode du jour devant son écran et de subir la publicité toutes les douze minutes. On peut choisir son moment de regarder. Ou plutôt, choisir de regarder une série plutôt que faire autre chose.
De ce fait, ces dernières années, j'ai vu plus de séries que je n'ai lu de livres, même dans le train, que je prenais souvent (lire dans le train m'endort ; dans l'avion aussi). Depuis que je suis arrivé à Montréal, je prends beaucoup les transports en commun pour aller de mon domicile à mon bureau actuel, et je passe ce temps à lire. Je me suis rendu compte, hier, qu'en ce moment, selon le moment de la journée, je lis trois livres différents.
Le matin, dans les bus 24 puis 165 (ou 535), je lis On the origin of stories (dont j'ai parlé dans une entrée précédente) ; le soir, dans le métro puis le bus, je lis un manuel théorique intitulé Clinical Ethics (je prépare le cours que je vais donner d'ici quinze jours) ; et le soir, au lit, avant de m'endormir, je lis Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis.
Et quand j'ai un peu de temps en ce moment, je regarde Numb3rs (la fin de la saison écoulée), Mad Men (la troisième saison actuellement en cours), Monk (l'ultime saison, actuellement diffusée), Royal Pains, Nurse Jackie...
mardi 1 septembre 2009
"HKPQ"
Je l'ai rapidement mentionné dans la page que j'ai écrite pour Libération samedi 29, et j'avais envie d'en reparler de manière plus détaillée - soyez indulgent(e)s, je ne suis pas critique littéraire professionnel.
HKPQ (Ed. Marchand de Feuilles, Montréal) est un court livre de Michèle Plomer, et sauf erreur c'est son deuxième roman. Le titre est aussi mystérieux que le personnage, dont on ne connaîtra que les initiales (PQ) et se passe en Chine, à Hong-Kong (HK...). La narratrice raconte comment, après le suicide de son compagnon elle décide de quitter le Canada et d'accepter un poste dans une entreprise à Hong Kong. Elle connaît déjà la Chine, elle y part pour couper les ponts avec cet événement douloureux et avec la relation difficile et complexe qui la liait au disparu mais aussi pour se replonger dans un univers qu'elle connaît et qu'elle aime. En arrivant à Hong-Kong, elle croise le chemin d'une jeune femme en fuite qui lui confie une lettre pour sa mère et disparaît. Dans le quartier où elle élit domicile, elle fait fortuitement l'acquisition d'un poisson qui se révèle avoir une très grande valeur, pour elle et pour d'autres, mais de manière très différente. Dépositaire du secret de la jeune femme et de cet animal fabuleux,la narratrice va également voir apparaître une silhouette qui lui rappelle terriblement son ami disparu. Cette triple empreinte va nouer les événements du roman, et l'aventure de cette jeune femme dans une ville qu'elle aime mais où elle est tout de même étrangère à la langue, aux coutumes, aux jeux de pouvoir et d'influence.
HKPQ est (si ma mémoire est bonne) le premier roman québecois que je lis. Il m'a été recommandé par Fleur, une des libraires de chez Olivieri (une grande librairie indépendante sur Côte-des-Neiges, à Montréal). J'étais entré pour demander conseil : vivant désormais à Montréal, j'avais envie de connaître les écrivains du Québec, les écrivains qui écrivent aujourd'hui. Après m'avoir conseillé Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis (que j'ai acheté également et que je suis en train de lire) Fleur m'a parlé du roman de Michèle P. en me disant qu'elle le trouvait "rafraîchissant" (en tout cas, c'est ce que j'avais compris). Effectivement, c'est un roman épatant. Une sorte de roman d'aventures exotiques dans lequel les éléments du genre sont traités de manière à la fois légère, réaliste, passionnante et... modeste. Mais cette modestie ne doit pas faire illusion : Michèle Plomer n'évoque pas Hong-Kong à grands coups de panoramiques spectaculaires, mais en décrivant à petites touches le quartier où vit la narratrice, la boutique où elle commande de la soupe et des nouilles, les relations codées et formelles qu'elle entretient avec son collègue et ami Ju-Lin, l'attachement qu'elle porte à "Poissonne" à qui elle parle (et qui lui répond...), les problèmes matériels concrets et triviaux que rencontre une occidentale dans une grande ville d'Asie, la valeur très différente que peut avoir la vie d'une personne ou d'un animal porteur de symboles aux yeux d'une jeune expatriée occidentale et de ses hôtes chinois.
Cette maestria et ce calme dans la narration pourraient donner un sentiment trompeur de "facilité", mais la tenue de l'écriture témoigne, à mon sens, d'un travail acharné. J'ai été très impressionné par la grande élégance de Michèle Plomer, par sa manière d'user d'une phrase précise, poétique et cependant dénuée de prétention ou de m'as-tu-vu. Je n'avais jamais lu ça, ça m'a complètement charmé et je peux dire que je n'ai pas souvent été charmé par la lecture d'un roman écrit en français, dernièrement.
(Il faut dire que j'en lis peu, depuis dix ans, et en ce moment, je préfère de beaucoup les livres de sciences humaines américains. Mais je suis peut-être en train de changer de cap : en juillet, j'ai lu Le roman de l'été de Nicolas Fargues, dont il faudra que je parle aussi un de ces jours.)
Le dernier roman qui m'ait "charmé" ainsi est The Time Traveler's Wife, le roman d'amour et de voyage dans le temps d'Audrey Niffenegger (traduit en français sous le titre Le temps n'est rien, ce qui est à mon avis un contresens désastreux). C'est un roman d'amour poétique sur un thème classique de science-fiction. Je l'ai lu parce que le thème du voyage dans le temps me fascine, et je n'ai pas été déçu. Audrey N. développe son récit de manière intriquée, complexe, sous la forme d'un puzzle dont les pièces sont savamment réorganisées dans le temps et l'espace.
Tout en restant tout à fait ancré dans la réalité, le roman de Michèle Plomer joue également du fantastique et de la poésie (en particulier dans la description des relations de la narratrice avec "Poissonne"), mais avec une économie de moyens et, une fois encore, une modestie impressionnantes.
Pour couronner le tout, HKPQ raconte plusieurs histoires entrelacées - dont la narratrice est en quelque sorte le catalyseur involontaire - que Michèle Plomer dénoue, en quelques pages, avec la même élégance consommée.
Au fond, ce roman me fait penser à un numéro de music-hall : à ces numéros où une jeune asiatique jongle avec des assiettes ou des anneaux en se tenant en équilibre sur d'énormes boules et pendant lesquels on reste bouche bée, yeux écarquillés, retenant son souffle, partagé à chaque instant entre l'admiration et la crainte de la voir tomber ou laisser échapper une assiette. Et puis, sans jamais avoir perdu son sourire communicatif (je me suis surpris à sourire en permanence en lisant HKPQ) ou son calme olympien, d'un seul coup, son numéro impeccablement achevé, elle salue brièvement et disparaît, laissant le spectateur content et stupéfait.
Chapeau, l'artiste.
HKPQ (Ed. Marchand de Feuilles, Montréal) est un court livre de Michèle Plomer, et sauf erreur c'est son deuxième roman. Le titre est aussi mystérieux que le personnage, dont on ne connaîtra que les initiales (PQ) et se passe en Chine, à Hong-Kong (HK...). La narratrice raconte comment, après le suicide de son compagnon elle décide de quitter le Canada et d'accepter un poste dans une entreprise à Hong Kong. Elle connaît déjà la Chine, elle y part pour couper les ponts avec cet événement douloureux et avec la relation difficile et complexe qui la liait au disparu mais aussi pour se replonger dans un univers qu'elle connaît et qu'elle aime. En arrivant à Hong-Kong, elle croise le chemin d'une jeune femme en fuite qui lui confie une lettre pour sa mère et disparaît. Dans le quartier où elle élit domicile, elle fait fortuitement l'acquisition d'un poisson qui se révèle avoir une très grande valeur, pour elle et pour d'autres, mais de manière très différente. Dépositaire du secret de la jeune femme et de cet animal fabuleux,la narratrice va également voir apparaître une silhouette qui lui rappelle terriblement son ami disparu. Cette triple empreinte va nouer les événements du roman, et l'aventure de cette jeune femme dans une ville qu'elle aime mais où elle est tout de même étrangère à la langue, aux coutumes, aux jeux de pouvoir et d'influence.
HKPQ est (si ma mémoire est bonne) le premier roman québecois que je lis. Il m'a été recommandé par Fleur, une des libraires de chez Olivieri (une grande librairie indépendante sur Côte-des-Neiges, à Montréal). J'étais entré pour demander conseil : vivant désormais à Montréal, j'avais envie de connaître les écrivains du Québec, les écrivains qui écrivent aujourd'hui. Après m'avoir conseillé Le ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis (que j'ai acheté également et que je suis en train de lire) Fleur m'a parlé du roman de Michèle P. en me disant qu'elle le trouvait "rafraîchissant" (en tout cas, c'est ce que j'avais compris). Effectivement, c'est un roman épatant. Une sorte de roman d'aventures exotiques dans lequel les éléments du genre sont traités de manière à la fois légère, réaliste, passionnante et... modeste. Mais cette modestie ne doit pas faire illusion : Michèle Plomer n'évoque pas Hong-Kong à grands coups de panoramiques spectaculaires, mais en décrivant à petites touches le quartier où vit la narratrice, la boutique où elle commande de la soupe et des nouilles, les relations codées et formelles qu'elle entretient avec son collègue et ami Ju-Lin, l'attachement qu'elle porte à "Poissonne" à qui elle parle (et qui lui répond...), les problèmes matériels concrets et triviaux que rencontre une occidentale dans une grande ville d'Asie, la valeur très différente que peut avoir la vie d'une personne ou d'un animal porteur de symboles aux yeux d'une jeune expatriée occidentale et de ses hôtes chinois.
Cette maestria et ce calme dans la narration pourraient donner un sentiment trompeur de "facilité", mais la tenue de l'écriture témoigne, à mon sens, d'un travail acharné. J'ai été très impressionné par la grande élégance de Michèle Plomer, par sa manière d'user d'une phrase précise, poétique et cependant dénuée de prétention ou de m'as-tu-vu. Je n'avais jamais lu ça, ça m'a complètement charmé et je peux dire que je n'ai pas souvent été charmé par la lecture d'un roman écrit en français, dernièrement.
(Il faut dire que j'en lis peu, depuis dix ans, et en ce moment, je préfère de beaucoup les livres de sciences humaines américains. Mais je suis peut-être en train de changer de cap : en juillet, j'ai lu Le roman de l'été de Nicolas Fargues, dont il faudra que je parle aussi un de ces jours.)
Le dernier roman qui m'ait "charmé" ainsi est The Time Traveler's Wife, le roman d'amour et de voyage dans le temps d'Audrey Niffenegger (traduit en français sous le titre Le temps n'est rien, ce qui est à mon avis un contresens désastreux). C'est un roman d'amour poétique sur un thème classique de science-fiction. Je l'ai lu parce que le thème du voyage dans le temps me fascine, et je n'ai pas été déçu. Audrey N. développe son récit de manière intriquée, complexe, sous la forme d'un puzzle dont les pièces sont savamment réorganisées dans le temps et l'espace.
Tout en restant tout à fait ancré dans la réalité, le roman de Michèle Plomer joue également du fantastique et de la poésie (en particulier dans la description des relations de la narratrice avec "Poissonne"), mais avec une économie de moyens et, une fois encore, une modestie impressionnantes.
Pour couronner le tout, HKPQ raconte plusieurs histoires entrelacées - dont la narratrice est en quelque sorte le catalyseur involontaire - que Michèle Plomer dénoue, en quelques pages, avec la même élégance consommée.
Au fond, ce roman me fait penser à un numéro de music-hall : à ces numéros où une jeune asiatique jongle avec des assiettes ou des anneaux en se tenant en équilibre sur d'énormes boules et pendant lesquels on reste bouche bée, yeux écarquillés, retenant son souffle, partagé à chaque instant entre l'admiration et la crainte de la voir tomber ou laisser échapper une assiette. Et puis, sans jamais avoir perdu son sourire communicatif (je me suis surpris à sourire en permanence en lisant HKPQ) ou son calme olympien, d'un seul coup, son numéro impeccablement achevé, elle salue brièvement et disparaît, laissant le spectateur content et stupéfait.
Chapeau, l'artiste.
lundi 31 août 2009
(A suivre...)
Ca me fait toujours marrer d'entendre un journaliste français me demander "pourquoi les spectateurs aiment les séries". C'est tellement évident. Nous sommes faits (par l'Evolution) pour aimer les histoires (je vous recommande à ce sujet le merveilleux On the origin of stories de Brian Boyd) et nous avons écouté des histoires enfant, et nous en racontons aux autres en permanence. Les séries, c'est une forme d'histoire à suivre qui rythme nos semaines et parfois nos années, avec des personnages en évolution au même rythme que nous (ils vieillissent en même temps que nous, ils grandissent en même temps que nos enfants). Aimer les séries, c'est aussi naturel que d'aimer les histoires (la fiction en général). On serait même en droit de dire que l'inverse (ne pas aimer la fiction) n'est pas "naturel"... à ceci près que, comme le dit le proverbe, tous les goûts sont dans la nature.
Mais depuis que Le Choeur des femmes circule, c'est à dire quelques semaines, avant même qu'il ne sorte en librairie, le commentaire que j'entends le plus souvent (et que je n'avais pas encore entendu au sujet d'un de mes livres) est : "Je n'arrive pas à m'arrêter de lire. Ca me maintient éveillé(e). C'est un page-turner." Ce matin, à quelques minutes d'intervalle, deux personnes du CREUM (l'une qui a fini de lire le roman, l'autre qui est au milieu) me disaient la même chose : quand on finit un chapitre, on a envie de lire le suivant, parce que je laisse le lecteur en plan juste au bon moment pour qu'il ait envie de tourner la page.
Ca m'a fait sourire parce que je me suis rendu compte qu'un certain nombre de chapitres se terminent par la sortie d'un personnage (Karma) et la frustration de l'autre (Jean) de ne pas savoir le "fin mot" de l'histoire qu'il était en train de raconter ou de la discussion dans laquelle ils s'étaient engagés ensemble.
Et d'un seul coup, j'ai compris ce que les lecteurs veulent dire par "page-turner". L'interruption de la narration les laisse dans l'attente. Ils ont envie de connaître la suite. Alors, ils tournent la page. C'est plus facile à faire que de regarder l'épisode suivant de Mad Men quand celui de la semaine vient de se terminer.
Le fait est que je n'ai pas fait exprès de construire un page-turner. Je veux dire que je ne l'ai pas fait sciemment - en tout cas, non de manière "calculée" mais de manière intuitive. Pour ménager dans la narration un rythme, des pauses dont j'avais besoin, moi, pour respirer. Quand j'écris, je suis mon propre lecteur. Je ne connais pas toujours la suite. J'aime m'arrêter pour réfléchir à la manière dont je vais poursuivre. J'aime prendre une grande inspiration avant de plonger.
Quand j'écrivais le CDF, je ne savais pas exactement où j'allais. Je savais à peu près ce que je voulais faire (un roman pédagogique, un roman de formation qui parle de la manière dont on soigne - et dont on devrait soigner - les femmes). Quand j'ai commencé le gros de la rédaction, à Montréal, sur l'écran du mac flambant neuf qu'on avait installé dans mon bureau au CREUM, je n'avais que les quarante premières pages, les vitupérations de Jean Atwood jusqu'au moment où Karma lui (re)donne son nom et un visage humain qui supplante le monologue de robot formaté par la faculté que le lecteur entend depuis son entrée dans l'unité 77.
Je me suis avancé dans le roman en même temps que les personnages et quand j'étais Jean, je fonçais. Et quand j'étais Karma, je mettais le hola à mes propres désirs de ruer dans les brancards. Je jouais avec deux expériences, celle d'un médecin de pas encore trente ans, celle d'un médecin de cinquante ans passés. Je faisais dialoguer ces deux voix en moi, et ces allers-retours prenaient forme dans le texte. Je dressais malicieusement des chausse-trappes devant l'arrogance Jean et je renvoyais à la gueule de Karma ses propres contradictions. Bref, je m'amusais. Et c'est essentiellement pour m'amuser (j'avais si peur d'être pontifiant et emmerdant...) que j'ai écrit des chapitres courts, qui se terminent en suspens, et que j'ai entraîné Jean et Karma dans une sorte de jeu de cache-cache. Parfois, je m'arrêtais parce que je ne savais pas où aller. Et je me donnais la nuit pour y réfléchir. Et je m'arrêtais, la mort dans l'âme de ne pouvoir continuer, et j'allais prendre le métro, et en regagnant l'appartement où je logeais, je voyais comment je pouvais continuer, et ça prenait forme quand je me glissais sous la douche, et ça me démangeait quand je me glissais dans le lit, au point que je prenais mon portable et que je me remettais à écrire. (Je prenais la précaution de sauvegarder le fichier sur une clé USB, ET de me l'envoyer par courriel, afin de ne pas risquer de l'oublier au bureau, et d'être incapable d'y retravailler pendant la nuit.)
Au fond, je ne sais pas si c'est l'écriture qui alimentait mon excitation, ou l'excitation qui alimentait l'écriture, ou les deux, mon capitaine. Toujours est-il que (si j'en crois les celles et ceux qui m'en ont parlé jusqu'ici) ce jeu, cette excitation, ces ruptures de rythme et ces frustrations, que j'aime imaginer à l'oeuvre dans le texte fini, semblent contaminer lecteurs et lectrices et leur faire tourner les pages sans pouvoir s'arrêter.
Ce qui crée en retour une double frustration : d'abord, je ne sais pas "ce qu'il fait", ce roman, quand on le lit ; je ne l'ai jamais lu, je n'ai fait que l'écrire ; ensuite, je trouve quand même insensé qu'on dévore les 600 pages de mon foutu bouquin en deux jours alors que j'ai tout de même mis plusieurs mois, à raison de 15 heures par jour, à l'écrire ! Ca me ravit, et ça me contrarie, et ça me ravit, et ça me vexe, et ça me ravit...
Jamais content, l'écrivain.
Mais depuis que Le Choeur des femmes circule, c'est à dire quelques semaines, avant même qu'il ne sorte en librairie, le commentaire que j'entends le plus souvent (et que je n'avais pas encore entendu au sujet d'un de mes livres) est : "Je n'arrive pas à m'arrêter de lire. Ca me maintient éveillé(e). C'est un page-turner." Ce matin, à quelques minutes d'intervalle, deux personnes du CREUM (l'une qui a fini de lire le roman, l'autre qui est au milieu) me disaient la même chose : quand on finit un chapitre, on a envie de lire le suivant, parce que je laisse le lecteur en plan juste au bon moment pour qu'il ait envie de tourner la page.
Ca m'a fait sourire parce que je me suis rendu compte qu'un certain nombre de chapitres se terminent par la sortie d'un personnage (Karma) et la frustration de l'autre (Jean) de ne pas savoir le "fin mot" de l'histoire qu'il était en train de raconter ou de la discussion dans laquelle ils s'étaient engagés ensemble.
Et d'un seul coup, j'ai compris ce que les lecteurs veulent dire par "page-turner". L'interruption de la narration les laisse dans l'attente. Ils ont envie de connaître la suite. Alors, ils tournent la page. C'est plus facile à faire que de regarder l'épisode suivant de Mad Men quand celui de la semaine vient de se terminer.
Le fait est que je n'ai pas fait exprès de construire un page-turner. Je veux dire que je ne l'ai pas fait sciemment - en tout cas, non de manière "calculée" mais de manière intuitive. Pour ménager dans la narration un rythme, des pauses dont j'avais besoin, moi, pour respirer. Quand j'écris, je suis mon propre lecteur. Je ne connais pas toujours la suite. J'aime m'arrêter pour réfléchir à la manière dont je vais poursuivre. J'aime prendre une grande inspiration avant de plonger.
Quand j'écrivais le CDF, je ne savais pas exactement où j'allais. Je savais à peu près ce que je voulais faire (un roman pédagogique, un roman de formation qui parle de la manière dont on soigne - et dont on devrait soigner - les femmes). Quand j'ai commencé le gros de la rédaction, à Montréal, sur l'écran du mac flambant neuf qu'on avait installé dans mon bureau au CREUM, je n'avais que les quarante premières pages, les vitupérations de Jean Atwood jusqu'au moment où Karma lui (re)donne son nom et un visage humain qui supplante le monologue de robot formaté par la faculté que le lecteur entend depuis son entrée dans l'unité 77.
Je me suis avancé dans le roman en même temps que les personnages et quand j'étais Jean, je fonçais. Et quand j'étais Karma, je mettais le hola à mes propres désirs de ruer dans les brancards. Je jouais avec deux expériences, celle d'un médecin de pas encore trente ans, celle d'un médecin de cinquante ans passés. Je faisais dialoguer ces deux voix en moi, et ces allers-retours prenaient forme dans le texte. Je dressais malicieusement des chausse-trappes devant l'arrogance Jean et je renvoyais à la gueule de Karma ses propres contradictions. Bref, je m'amusais. Et c'est essentiellement pour m'amuser (j'avais si peur d'être pontifiant et emmerdant...) que j'ai écrit des chapitres courts, qui se terminent en suspens, et que j'ai entraîné Jean et Karma dans une sorte de jeu de cache-cache. Parfois, je m'arrêtais parce que je ne savais pas où aller. Et je me donnais la nuit pour y réfléchir. Et je m'arrêtais, la mort dans l'âme de ne pouvoir continuer, et j'allais prendre le métro, et en regagnant l'appartement où je logeais, je voyais comment je pouvais continuer, et ça prenait forme quand je me glissais sous la douche, et ça me démangeait quand je me glissais dans le lit, au point que je prenais mon portable et que je me remettais à écrire. (Je prenais la précaution de sauvegarder le fichier sur une clé USB, ET de me l'envoyer par courriel, afin de ne pas risquer de l'oublier au bureau, et d'être incapable d'y retravailler pendant la nuit.)
Au fond, je ne sais pas si c'est l'écriture qui alimentait mon excitation, ou l'excitation qui alimentait l'écriture, ou les deux, mon capitaine. Toujours est-il que (si j'en crois les celles et ceux qui m'en ont parlé jusqu'ici) ce jeu, cette excitation, ces ruptures de rythme et ces frustrations, que j'aime imaginer à l'oeuvre dans le texte fini, semblent contaminer lecteurs et lectrices et leur faire tourner les pages sans pouvoir s'arrêter.
Ce qui crée en retour une double frustration : d'abord, je ne sais pas "ce qu'il fait", ce roman, quand on le lit ; je ne l'ai jamais lu, je n'ai fait que l'écrire ; ensuite, je trouve quand même insensé qu'on dévore les 600 pages de mon foutu bouquin en deux jours alors que j'ai tout de même mis plusieurs mois, à raison de 15 heures par jour, à l'écrire ! Ca me ravit, et ça me contrarie, et ça me ravit, et ça me vexe, et ça me ravit...
Jamais content, l'écrivain.
dimanche 30 août 2009
Dix heures d'écriture par jour (au moins)
Ma première rencontre avec de vrais écrivains s'est produite au milieu des années 80. J'ai acheté une revue intitulée Nouvelles Nouvelles et j'ai lu dans la présentation qu'on pouvait envoyer des nouvelles inédites. Qu'on n'avait pas besoin d'être un écrivain connu. Qu'ils (je ne savais pas de qui il s'agissait) publiaient des écrivains débutants. J'ai sauté sur l'occasion. J'ai retravaillé (pour la quinzième ? vingtième fois) une nouvelle que j'avais écrite au cours de mes études, et je la leur ai envoyée.
J'attendais une acceptation ou un refus, et j'ai reçu... une lettre de Claude Pujade-Renaud (la co-directrice de la revue) me disant qu'il fallait que je retravaille ma nouvelle. Je venais juste d'avoir le téléphone, et j'ai la phobie du téléphone. Je l'ai appelée et je lui ai demandé "Il faut que je retravaille quoi, exactement ?" Elle ne voulait pas me répondre, mais comme j'insistais elle m'a expliqué que deux ou trois pages au milieu de la nouvelle constituaient une digression qui nuisait à la lecture et qu'il valait mieux que je la retire et en fasse une autre nouvelle. J'ai soupiré de soulagement. Je pensais qu'elle allait me dire de tout réécrire ! J'ai procédé à l'amputation demandée (ça ne m'a pas fait mal, j'étais trop excité pour sentir la moindre douleur...), j'ai fait les sutures pour que rien ne se voie, et j'ai renvoyé le texte.
Spectacle Permanent a donc été ma première nouvelle de littérature publiée dans une revue de littérature. Les deux personnes qui avaient créé Nouvelles nouvelles, Claude Pujade-Renaud et Daniel Zimmermann, étaient tous deux écrivains, ils vivaient ensemble, ils avaient enseigné ensemble, ils écrivaient aussi beaucoup ensemble, se relisant et se critiquant, mais composant aussi ensemble certains de leurs livres.
Claude a publié en alternance des romans (La danse océane, Belle-Mère, Le sas de l'absence, Platon était malade, La nuit la neige, Le jardin forteresse, Le désert de la grâce) et des recueils de nouvelles (Vous êtes toute seule ? ; Un si joli petit livre ; La châtière) et bien d'autres, pour la plupart chez Actes Sud.
Daniel a écrit de nombreux romans, de La Garderie à l'Ultime maîtresse, en passant par un grand cycle intitulé "Les Banlieusards" ; il était nouvelliste lui aussi et a de plus écrit deux grandes biographies, d'Alexandre Dumas et de Jules Vallès.
Ensemble, ils ont publié des livres de pédagogie (en particulier sur le "langage silencieux" des élèves et des enseignants en classe), des livres pour enfants, des ouvrages autobiographiques (Les écritures mêlées, Duel) et un roman érotico-satirique sur le monde universitaire français, Septuor.
Bref, ils n'ont pas perdu leur temps. Tout ça, en découvrant des auteurs nouveaux avec leur revue, qui parut de 1985 à 1992 et reste à ce jour la plus grande revue exclusivement consacrée à la nouvelle en France au 20e siècle.
Daniel est mort en 2000 et il me manque beaucoup. Claude et lui ont été, d'emblée et très vite, mes "parrains" - et pour ainsi dire mes parents - en écriture. J'ai lu compulsivement ce qu'ils avaient écrit avant que je les rencontre, et tout ce qu'ils ont écrit ensuite (ou presque) et ils sont des figures récurrentes dans mes livres : on les voit apparaître sous les noms inversés de Danièle et Claude dans La Maladie de Sachs ; le personnage récurrent d'Angèle Pujade est bien sûr partiellement modelé en pensant à Claude et dans Le Choeur des femmes, le maître d'arts martiaux qui enseigna l'aïkido à Jean Atwood, Enzo, a pour moi le visage de Daniel, qui était lui aussi maîtres en arts martiaux.
De même que mon père incarne à mes yeux le "médecin modèle" (j'en parle abondamment dans Plumes d'Ange, qui est sa biographie et dans Les Trois Médecins à travers le personnage d'Abraham Sachs, le père de Bruno), Claude et Daniel incarne à mes yeux les "écrivains modèles" que j'ai eu la chance de rencontrer à l'âge adulte. Adolescent puis jeune homme, j'ai été fortement impressionné par Isaac Asimov et Georges Perec, mais je ne les ai jamais rencontrés. Claude et Daniel m'ont montré qu'écrire, c'était un métier, un mode de vie, une manière de diriger son existence.
Ils m'ont également invité à me joindre ) un groupe constitué par eux-mêmes et quatre autres écrivains : Alain Absire, Dominique Noguez, Michel Host et Jean Claude Bologne. J'étais le "jeune" du groupe et tous ensemble nous avons composé un roman collectif drôle et échevelé intitulé L'affaire Grimaudi - un roman d'énigme autour d'un écrivain insaisissable. Nos rencontres mensuelles étaient très importantes pour moi, comme on peut l'imaginer. Je me demandais parfois comment ces hommes et cette femme, qui avaient tous déjà une carrière d'écrivain solide, pouvaient trouver le moindre intérêt à ma compagnie. Mais cette pensée, je le sais, ne venait que de moi. J'étais plus jeune qu'eux, certes, mais manifestement, aucun d'eux n'avait oublié qu'il avait un jour, eu mon âge et mon inexpérience.
Quand j'étais encore médecin de campagne, un jour, Daniel me demande combien d'heures j'écris par jour. Je réponds en riant que je n'ai pas beaucoup le temps d'écrire, avec un cabinet médical, des enfants... Il me dit "Mais si tu veux être écrivain, il faut écrire dix heures par jour." J'ai évidemment éclaté de rire : j'en étais bien loin. Je pouvais tout juste taper quelques pages le soir quand je n'étais pas trop crevé (et si j'avais investi dans un ordinateur de bureau, je n'avais pas du tout les moyens à l'époque de m'offrir un ordinateur portable, car les quelques modèles existants valaient une fortune). Mais sa déclaration m'a ébranlé, quand même. Est-ce que je pourrais jamais être un "vrai" écrivain si je ne travaillais pas dix heures par jour ?
Au moment où il m'a dit ça (probablement quelques temps après la publication de mon premier roman, La Vacation, que Claude et lui ont lu bien entendu avant que je l'envoie à des éditeurs, et pour lequel ils m'ont donné de précieux conseils et de non moins précieux encouragements) j'étais encore médecin généraliste à temps plein, et loin de m'imaginer que quelques années plus tard (à partir de 1993) je serais généraliste à temps partiel et traducteur à temps plein, toujours aussi incapable d'écrire dix heures par jour.
Mais j'écrivais quand même. Entre deux commandes alimentaires (articles, traductions médicales ou de comic-books). De manière "semi-clandestine". Pendant cinq ans, j'ai écrit petit à petit un deuxième roman. A la fin, il faisait 500 pages bien serrées, trois fois le volume de La Vacation. Il s'est d'abord intitulé Les Relations. Puis La relation. Puis enfin, parce que ce dernier titre était déjà utilisé, La maladie de Sachs.
Je n'ai pas travaillé dix heures par jour quand je l'écrivais - enfin, peut être que si, à la fin... - mais à force d'après-midi ou de week-end volés à mes tâches mercenaires, le résultat était là.
Depuis qu'il a été publié, je ne traduis plus. Et j'écris parfois dix ou douze ou quinze heures par jour.
Les Trois Médecins a été écrit en quatre mois. Le temps que Dumas a pris pour publier Les Trois Mousquetaires en feuilleton dans un quotidien. Le Choeur des femmes (610 pages...) a été presque entièrement rédigé entre le 1er mars 2009 et le 15 mai 2009.
Est-ce qu'il faut écrire dix (ou quinze) heures par jour pour être écrivain ? Non, bien sûr. Il n'y a pas de règles. C'était vrai pour Daniel, pour des raisons qui lui étaient propres, ça n'est pas vrai pour tout le monde.
Mais en ce qui me concerne, je sais que je peux écrire quinze heures par jour. Et que c'est dans les moments de plus grande euphorie insomniaque que je travaille le mieux...
J'attendais une acceptation ou un refus, et j'ai reçu... une lettre de Claude Pujade-Renaud (la co-directrice de la revue) me disant qu'il fallait que je retravaille ma nouvelle. Je venais juste d'avoir le téléphone, et j'ai la phobie du téléphone. Je l'ai appelée et je lui ai demandé "Il faut que je retravaille quoi, exactement ?" Elle ne voulait pas me répondre, mais comme j'insistais elle m'a expliqué que deux ou trois pages au milieu de la nouvelle constituaient une digression qui nuisait à la lecture et qu'il valait mieux que je la retire et en fasse une autre nouvelle. J'ai soupiré de soulagement. Je pensais qu'elle allait me dire de tout réécrire ! J'ai procédé à l'amputation demandée (ça ne m'a pas fait mal, j'étais trop excité pour sentir la moindre douleur...), j'ai fait les sutures pour que rien ne se voie, et j'ai renvoyé le texte.
Spectacle Permanent a donc été ma première nouvelle de littérature publiée dans une revue de littérature. Les deux personnes qui avaient créé Nouvelles nouvelles, Claude Pujade-Renaud et Daniel Zimmermann, étaient tous deux écrivains, ils vivaient ensemble, ils avaient enseigné ensemble, ils écrivaient aussi beaucoup ensemble, se relisant et se critiquant, mais composant aussi ensemble certains de leurs livres.
Claude a publié en alternance des romans (La danse océane, Belle-Mère, Le sas de l'absence, Platon était malade, La nuit la neige, Le jardin forteresse, Le désert de la grâce) et des recueils de nouvelles (Vous êtes toute seule ? ; Un si joli petit livre ; La châtière) et bien d'autres, pour la plupart chez Actes Sud.
Daniel a écrit de nombreux romans, de La Garderie à l'Ultime maîtresse, en passant par un grand cycle intitulé "Les Banlieusards" ; il était nouvelliste lui aussi et a de plus écrit deux grandes biographies, d'Alexandre Dumas et de Jules Vallès.
Ensemble, ils ont publié des livres de pédagogie (en particulier sur le "langage silencieux" des élèves et des enseignants en classe), des livres pour enfants, des ouvrages autobiographiques (Les écritures mêlées, Duel) et un roman érotico-satirique sur le monde universitaire français, Septuor.
Bref, ils n'ont pas perdu leur temps. Tout ça, en découvrant des auteurs nouveaux avec leur revue, qui parut de 1985 à 1992 et reste à ce jour la plus grande revue exclusivement consacrée à la nouvelle en France au 20e siècle.
Daniel est mort en 2000 et il me manque beaucoup. Claude et lui ont été, d'emblée et très vite, mes "parrains" - et pour ainsi dire mes parents - en écriture. J'ai lu compulsivement ce qu'ils avaient écrit avant que je les rencontre, et tout ce qu'ils ont écrit ensuite (ou presque) et ils sont des figures récurrentes dans mes livres : on les voit apparaître sous les noms inversés de Danièle et Claude dans La Maladie de Sachs ; le personnage récurrent d'Angèle Pujade est bien sûr partiellement modelé en pensant à Claude et dans Le Choeur des femmes, le maître d'arts martiaux qui enseigna l'aïkido à Jean Atwood, Enzo, a pour moi le visage de Daniel, qui était lui aussi maîtres en arts martiaux.
De même que mon père incarne à mes yeux le "médecin modèle" (j'en parle abondamment dans Plumes d'Ange, qui est sa biographie et dans Les Trois Médecins à travers le personnage d'Abraham Sachs, le père de Bruno), Claude et Daniel incarne à mes yeux les "écrivains modèles" que j'ai eu la chance de rencontrer à l'âge adulte. Adolescent puis jeune homme, j'ai été fortement impressionné par Isaac Asimov et Georges Perec, mais je ne les ai jamais rencontrés. Claude et Daniel m'ont montré qu'écrire, c'était un métier, un mode de vie, une manière de diriger son existence.
Ils m'ont également invité à me joindre ) un groupe constitué par eux-mêmes et quatre autres écrivains : Alain Absire, Dominique Noguez, Michel Host et Jean Claude Bologne. J'étais le "jeune" du groupe et tous ensemble nous avons composé un roman collectif drôle et échevelé intitulé L'affaire Grimaudi - un roman d'énigme autour d'un écrivain insaisissable. Nos rencontres mensuelles étaient très importantes pour moi, comme on peut l'imaginer. Je me demandais parfois comment ces hommes et cette femme, qui avaient tous déjà une carrière d'écrivain solide, pouvaient trouver le moindre intérêt à ma compagnie. Mais cette pensée, je le sais, ne venait que de moi. J'étais plus jeune qu'eux, certes, mais manifestement, aucun d'eux n'avait oublié qu'il avait un jour, eu mon âge et mon inexpérience.
Quand j'étais encore médecin de campagne, un jour, Daniel me demande combien d'heures j'écris par jour. Je réponds en riant que je n'ai pas beaucoup le temps d'écrire, avec un cabinet médical, des enfants... Il me dit "Mais si tu veux être écrivain, il faut écrire dix heures par jour." J'ai évidemment éclaté de rire : j'en étais bien loin. Je pouvais tout juste taper quelques pages le soir quand je n'étais pas trop crevé (et si j'avais investi dans un ordinateur de bureau, je n'avais pas du tout les moyens à l'époque de m'offrir un ordinateur portable, car les quelques modèles existants valaient une fortune). Mais sa déclaration m'a ébranlé, quand même. Est-ce que je pourrais jamais être un "vrai" écrivain si je ne travaillais pas dix heures par jour ?
Au moment où il m'a dit ça (probablement quelques temps après la publication de mon premier roman, La Vacation, que Claude et lui ont lu bien entendu avant que je l'envoie à des éditeurs, et pour lequel ils m'ont donné de précieux conseils et de non moins précieux encouragements) j'étais encore médecin généraliste à temps plein, et loin de m'imaginer que quelques années plus tard (à partir de 1993) je serais généraliste à temps partiel et traducteur à temps plein, toujours aussi incapable d'écrire dix heures par jour.
Mais j'écrivais quand même. Entre deux commandes alimentaires (articles, traductions médicales ou de comic-books). De manière "semi-clandestine". Pendant cinq ans, j'ai écrit petit à petit un deuxième roman. A la fin, il faisait 500 pages bien serrées, trois fois le volume de La Vacation. Il s'est d'abord intitulé Les Relations. Puis La relation. Puis enfin, parce que ce dernier titre était déjà utilisé, La maladie de Sachs.
Je n'ai pas travaillé dix heures par jour quand je l'écrivais - enfin, peut être que si, à la fin... - mais à force d'après-midi ou de week-end volés à mes tâches mercenaires, le résultat était là.
Depuis qu'il a été publié, je ne traduis plus. Et j'écris parfois dix ou douze ou quinze heures par jour.
Les Trois Médecins a été écrit en quatre mois. Le temps que Dumas a pris pour publier Les Trois Mousquetaires en feuilleton dans un quotidien. Le Choeur des femmes (610 pages...) a été presque entièrement rédigé entre le 1er mars 2009 et le 15 mai 2009.
Est-ce qu'il faut écrire dix (ou quinze) heures par jour pour être écrivain ? Non, bien sûr. Il n'y a pas de règles. C'était vrai pour Daniel, pour des raisons qui lui étaient propres, ça n'est pas vrai pour tout le monde.
Mais en ce qui me concerne, je sais que je peux écrire quinze heures par jour. Et que c'est dans les moments de plus grande euphorie insomniaque que je travaille le mieux...
"Autorité"
Libé m'a demandé d'écrire "ma semaine" pour la publier dans le numéro de ce jour, 29 août 2009. Evidemment, le texte n'est accessible que dans la version papier, alors je ne sais pas de quoi il a l'air (ni s'ils y ont fait des ajustements ou des coupes). Bien que le papier paraisse le lendemain de la sortie officielle du Choeur des femmes je ne parle pas du bouquin dans le papier. J'aurais peut-être dû, mais j'ai toujours trouvé immodeste de parler de mes livres (comme s'il s'agissait de "hauts faits") quand on ne m'a pas posé de questions. C'est sans doute pour ça que je n'ai pas fait de blog littéraire jusqu'ici. Ce soir, j'avais à dîner mon neveu (le fils de mon frère) qui vient étudier à McGill, l'université anglophone de Montréal. Il a fait ses études en Angleterre et en Australie et m'expliquait qu'il avait suivi les cours de spécialistes mondiaux de certains sujets de relations internationales. Et que ces profs disaient aux étudiants : "Lisez tel ou tel de mes livres/articles."
Ca m'a rappelé que je dois assurer un enseignement pendant 15 semaines cet automne (à partir du 17 septembre) et aussi assurer un cours d'éthique de trois heures dans le cadre de l'enseignement de Daniel Weinstock, le directeur du CREUM où je suis chercheur actuellement.
Daniel m'a dit : "Si tu veux leur donner à lire des extraits de tes livres, n'hésite pas."
Et ce soir, je me suis dit qu'il fallait peut-être que j'admette, dans une certaine mesure, d'être devenu, que je le veuille ou non, une sorte de "spécialiste" de la relation de soins et de son éthique, au travers de mon travail d'écrivain. C'est étrange parce que je n'ai jamais vu mes romans comme un travail de recherche scientifique - plutôt comme un travail de composition artistique - mais d'un autre côté, il ne viendrait à personne l'idée de dire qu'une production artistique n'a pas de valeur pédagogique ou morale...
C'est drôle comme on est compartimenté, finalement. Mais en ce qui me concerne, cette pudeur à ne pas mettre mes textes en avant comme étant ceux d'un "expert", d'une "autorité" ne relève pas d'une sorte de fausse modestie, mais de la peur d'être perçu comme un usurpateur, quelqu'un qui est indigne de ce qu'il prétend être.
Je me demande d'où ça vient, mais ça vient de loin.
Longtemps, après même avoir été "reconnu" par le lectorat de la Maladie de Sachs, j'ai eu du mal à dire que j'étais écrivain.
En fait, je pense que pour pouvoir dire ce genre de chose, il ne faut pas que j'ai le sentiment d'être une "autorité", mais celui d'y être "autorisé". Et stricto sensu, l'autorisation ne peut venir que des lecteurs...
Ca m'a rappelé que je dois assurer un enseignement pendant 15 semaines cet automne (à partir du 17 septembre) et aussi assurer un cours d'éthique de trois heures dans le cadre de l'enseignement de Daniel Weinstock, le directeur du CREUM où je suis chercheur actuellement.
Daniel m'a dit : "Si tu veux leur donner à lire des extraits de tes livres, n'hésite pas."
Et ce soir, je me suis dit qu'il fallait peut-être que j'admette, dans une certaine mesure, d'être devenu, que je le veuille ou non, une sorte de "spécialiste" de la relation de soins et de son éthique, au travers de mon travail d'écrivain. C'est étrange parce que je n'ai jamais vu mes romans comme un travail de recherche scientifique - plutôt comme un travail de composition artistique - mais d'un autre côté, il ne viendrait à personne l'idée de dire qu'une production artistique n'a pas de valeur pédagogique ou morale...
C'est drôle comme on est compartimenté, finalement. Mais en ce qui me concerne, cette pudeur à ne pas mettre mes textes en avant comme étant ceux d'un "expert", d'une "autorité" ne relève pas d'une sorte de fausse modestie, mais de la peur d'être perçu comme un usurpateur, quelqu'un qui est indigne de ce qu'il prétend être.
Je me demande d'où ça vient, mais ça vient de loin.
Longtemps, après même avoir été "reconnu" par le lectorat de la Maladie de Sachs, j'ai eu du mal à dire que j'étais écrivain.
En fait, je pense que pour pouvoir dire ce genre de chose, il ne faut pas que j'ai le sentiment d'être une "autorité", mais celui d'y être "autorisé". Et stricto sensu, l'autorisation ne peut venir que des lecteurs...
vendredi 28 août 2009
"Chevaliers des touches"
Le 28 août 2009 à midi, je déjeune avec l'équipe de Gallimard Ltée - une douzaine de personnes qui diffusent 130 éditeurs au Québec - pour leur présenter Le Choeur des femmes (CDF). Le livre sort au Québec en librairie le 9 septembre, une dizaine de jours après la France, ce qui est inhabituel. En général, les livres français arrivent au Québec plusieurs semaines après leur sortie en librairie dans l'Hexagone. Mais pour la rentrée de septembre, quand les livres ont été imprimés avant l'été - c'est le cas de celui-ci - les deux sorties sont presque simultanées. La rencontre est un moment très agréable pour moi, car plusieurs des personnes présentes ont déjà lu (et aimé) le livre et parce que j'aime toujours parler de la manière dont je fabrique mes bouquins. J'aime raconter des histoires, et la confection d'un livre est une histoire à part entière. Souvent d'ailleurs, je la raconte par épisode, à mesure qu'on m'interroge sur le contenu. Je trouve important d'expliquer que ce que j'écris ne sort pas du néant (ou de mon "inspiration"), mais a été préparé, influencé, guidé par tout un tas d'événements antérieurs ou contemporains de la composition même.
Clins d'oeil
Ainsi, tout à l'heure, une de mes collègues du CREUM, Ryoa, me parle d'un personnage nommé Héloïse, qu'on aperçoit fugitivement dans le roman. Elle me demande si c'est un clin d'oeil à l'une des chercheuses hébergées par le centre. Je lui réponds par l'affirmative et lui explique : Héloïse Côté est écrivain (auteure de plusieurs romans d'Heroïc Fantasy). Pendant que j'écrivais le CDF, je l'ai interrogée sur la manière dont elle introduit les éléments fantastiques ou "magiques" dans ses romans, car j'avais l'intention d'en introduire moi aussi, bien que le roman se présente comme réaliste. J'ai donc déjeuné au restaurant de l'école HEC tout proche avec elle un midi et on a "parlé boutique". Ca m'a beaucoup libéré. L' "Héloïse" du livre est une des infirmières qui travaille dans l'unité 77, lieu où le roman se situe ; c'est une figure qui ne fait que passer, mais elle rend hommage et fait un clin d'oeil à la vraie. Une manière de dire qu'écrire ou soigner ça ne se fait jamais seul, mais en équipe, et que tout le monde contribue et a une expérience à partager.
Partage
Bon, ce qui précède n'est qu'un des nombreux apartés et digresssions auxquels il faudra probablement vous habituer en lisant ce blog, mais je reviens à mon propos initial.
La rencontre chez Gallimard Ltée se passe très bien, j'aime parler de ce que je fais (je suis intarissable...) et bien sûr, étant donné la nature du livre (l'apprentissage de la médecine), la conversation dévie lentement mais sûrement vers les problèmes de santé de l'époque (la grippe et le terrorisme commercial qui a "provoqué" la "pandémie").
Après la rencontre, Florence Noyer, de Gallimard Ltée, me parle de Catherine Mavrikakis, écrivaine québecoise, auteure entre autres de Le ciel de Bay City (éd. Héliotrope au Québec ; Ed Sabine Werspieser en France). Florence me dit que celle-ci tient un blog où elle parle de son roman comme j'ai parlé du mien quelques minutes plus tôt et me dit que moi aussi je devrais tenir un blog où je parle de "ça", de ce qui entre dans l'écriture et de ce qui se fait autour, avec (ou contre...). Elle ajoute que ça serait un "complément" à la lecture, et que les lecteurs l'apprécieraient sûrement.
Je réponds (faiblement) que je ne sais pas "faire la promotion de mes livres" et comme elle dit "Mais vous venez de le faire", j'ajoute "Sur mon site" (le Winckler's Webzine ). Il est vrai que le Webzine est plutôt un "petit journal", un lieu de partage d'information et d'opinions qu'un lieu de débat sur mon travail d'écrivain. Mais la suggestion de Florence me "travaille".
Quand je regagne mon bureau à l'U de M, je reçois de plusieurs amis et lecteurs un lien vers un article que la journaliste et écrivain Mona Chollet vient de mettre en ligne sur le site "Périphéries". C'est une critique élogieuse du CDF intitulée "Le chevalier au spéculum".
Je cherche un lieu d'accueil pour un blog, et je me mets à composer ce texte.
Parallèle
Le 29 août au matin, je relis ce que j'ai écrit (essentiellement, ce qui précède) et je m'interroge sur le titre que j'ai donné au blog : "Parler d'écrire". Il y a déjà des livres, des émissions sur ce thème. J'essaie "Lire, écrire, conter", mais une association porte déjà ce nom. Et puis je repense au texte de Mona Chollet ; le parallèle avec Millenium et l'itinéraire de Stieg Larsson qu'elle établit au début de l'article m'a travaillé toute la nuit ; je le trouve à la fois très chaleureux et très généreux. Je n'ai pas lu la trilogie de Stieg, mais j'ai lu des articles sur l'homme et son engagement et le parallèle me touche beaucoup. TOut comme la conclusion de Mona, qui, reprenant une formule du livre, formule l'espoir que le CDF inspire des jeunes gens à devenir soignants et à partir, eux aussi, "terrasser le dragon", explicitant ainsi le titre de l'article ("Le chevalier au spéculum").
Alors je me mets à jouer avec le mot "dragon", "dragonslayer", "dragonsayer" puis je dérive sur l'idée de clavier... et je tombe sur "Chevalier des touches", qui évidemment me fait sourire.
Un petit tour sur Google pour me rappeler le contenu du roman de Barbey d'Aurevilly qui porte ce titre (Le Chevalier des Touches) et je tombe sur un article du Forum for Modern Language Studies dont le titre est "Sexual Ambivalence and Barbey d'Aurevilly's Le Chevalier des Touches". C'est trop beau pour être vrai.
Prédilection
Dans son article, Mona Chollet affirme qu'avec la santé des femmes et la question de l'identité sexuelle, j'ai trouvé mes thèmes de prédilection. Je crois qu'elle a raison : la question de l'identité sexuelle me "travaille" depuis que j'ai entrepris la "Trilogie Twain" (publiée par Calmann-Lévy en 2008 et 2009 et passée à peu près inaperçue de la critique et des lecteurs).
Or, tout en n'étant ni intersexué, ni homosexuel, ni transgenre, je suis irrésistiblement attiré par la question de l'identité sexuelle, par empathie et sympathie, comme si tous les misfits sexuels étaient... mes frères et mes soeurs. Je ressens à leur égard le même désir de me battre en leur nom que Jean Atwood, le personnage principal du CDF.
Alors, c'est décidé, Chevaliers des touches ce sera (au pluriel, parce que je ne parlerai pas que de mon travail, mais aussi de celui des writers dont je croise ou ai croisé le chemin) . Ce qui me plaît bien c'est que ça me donne aussi un titre parfait, si je décide un jour de publier ce blog en anglais : "Keyboard Knights".
Clins d'oeil
Ainsi, tout à l'heure, une de mes collègues du CREUM, Ryoa, me parle d'un personnage nommé Héloïse, qu'on aperçoit fugitivement dans le roman. Elle me demande si c'est un clin d'oeil à l'une des chercheuses hébergées par le centre. Je lui réponds par l'affirmative et lui explique : Héloïse Côté est écrivain (auteure de plusieurs romans d'Heroïc Fantasy). Pendant que j'écrivais le CDF, je l'ai interrogée sur la manière dont elle introduit les éléments fantastiques ou "magiques" dans ses romans, car j'avais l'intention d'en introduire moi aussi, bien que le roman se présente comme réaliste. J'ai donc déjeuné au restaurant de l'école HEC tout proche avec elle un midi et on a "parlé boutique". Ca m'a beaucoup libéré. L' "Héloïse" du livre est une des infirmières qui travaille dans l'unité 77, lieu où le roman se situe ; c'est une figure qui ne fait que passer, mais elle rend hommage et fait un clin d'oeil à la vraie. Une manière de dire qu'écrire ou soigner ça ne se fait jamais seul, mais en équipe, et que tout le monde contribue et a une expérience à partager.
Partage
Bon, ce qui précède n'est qu'un des nombreux apartés et digresssions auxquels il faudra probablement vous habituer en lisant ce blog, mais je reviens à mon propos initial.
La rencontre chez Gallimard Ltée se passe très bien, j'aime parler de ce que je fais (je suis intarissable...) et bien sûr, étant donné la nature du livre (l'apprentissage de la médecine), la conversation dévie lentement mais sûrement vers les problèmes de santé de l'époque (la grippe et le terrorisme commercial qui a "provoqué" la "pandémie").
Après la rencontre, Florence Noyer, de Gallimard Ltée, me parle de Catherine Mavrikakis, écrivaine québecoise, auteure entre autres de Le ciel de Bay City (éd. Héliotrope au Québec ; Ed Sabine Werspieser en France). Florence me dit que celle-ci tient un blog où elle parle de son roman comme j'ai parlé du mien quelques minutes plus tôt et me dit que moi aussi je devrais tenir un blog où je parle de "ça", de ce qui entre dans l'écriture et de ce qui se fait autour, avec (ou contre...). Elle ajoute que ça serait un "complément" à la lecture, et que les lecteurs l'apprécieraient sûrement.
Je réponds (faiblement) que je ne sais pas "faire la promotion de mes livres" et comme elle dit "Mais vous venez de le faire", j'ajoute "Sur mon site" (le Winckler's Webzine ). Il est vrai que le Webzine est plutôt un "petit journal", un lieu de partage d'information et d'opinions qu'un lieu de débat sur mon travail d'écrivain. Mais la suggestion de Florence me "travaille".
Quand je regagne mon bureau à l'U de M, je reçois de plusieurs amis et lecteurs un lien vers un article que la journaliste et écrivain Mona Chollet vient de mettre en ligne sur le site "Périphéries". C'est une critique élogieuse du CDF intitulée "Le chevalier au spéculum".
Je cherche un lieu d'accueil pour un blog, et je me mets à composer ce texte.
Parallèle
Le 29 août au matin, je relis ce que j'ai écrit (essentiellement, ce qui précède) et je m'interroge sur le titre que j'ai donné au blog : "Parler d'écrire". Il y a déjà des livres, des émissions sur ce thème. J'essaie "Lire, écrire, conter", mais une association porte déjà ce nom. Et puis je repense au texte de Mona Chollet ; le parallèle avec Millenium et l'itinéraire de Stieg Larsson qu'elle établit au début de l'article m'a travaillé toute la nuit ; je le trouve à la fois très chaleureux et très généreux. Je n'ai pas lu la trilogie de Stieg, mais j'ai lu des articles sur l'homme et son engagement et le parallèle me touche beaucoup. TOut comme la conclusion de Mona, qui, reprenant une formule du livre, formule l'espoir que le CDF inspire des jeunes gens à devenir soignants et à partir, eux aussi, "terrasser le dragon", explicitant ainsi le titre de l'article ("Le chevalier au spéculum").
Alors je me mets à jouer avec le mot "dragon", "dragonslayer", "dragonsayer" puis je dérive sur l'idée de clavier... et je tombe sur "Chevalier des touches", qui évidemment me fait sourire.
Un petit tour sur Google pour me rappeler le contenu du roman de Barbey d'Aurevilly qui porte ce titre (Le Chevalier des Touches) et je tombe sur un article du Forum for Modern Language Studies dont le titre est "Sexual Ambivalence and Barbey d'Aurevilly's Le Chevalier des Touches". C'est trop beau pour être vrai.
Prédilection
Dans son article, Mona Chollet affirme qu'avec la santé des femmes et la question de l'identité sexuelle, j'ai trouvé mes thèmes de prédilection. Je crois qu'elle a raison : la question de l'identité sexuelle me "travaille" depuis que j'ai entrepris la "Trilogie Twain" (publiée par Calmann-Lévy en 2008 et 2009 et passée à peu près inaperçue de la critique et des lecteurs).
Or, tout en n'étant ni intersexué, ni homosexuel, ni transgenre, je suis irrésistiblement attiré par la question de l'identité sexuelle, par empathie et sympathie, comme si tous les misfits sexuels étaient... mes frères et mes soeurs. Je ressens à leur égard le même désir de me battre en leur nom que Jean Atwood, le personnage principal du CDF.
Alors, c'est décidé, Chevaliers des touches ce sera (au pluriel, parce que je ne parlerai pas que de mon travail, mais aussi de celui des writers dont je croise ou ai croisé le chemin) . Ce qui me plaît bien c'est que ça me donne aussi un titre parfait, si je décide un jour de publier ce blog en anglais : "Keyboard Knights".
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