mercredi 30 septembre 2009

Histoire d'ogre - par Anne la bibliothécaire

Il était une fois... Ah ! quel beau début pour un livre destiné à la jeunesse. Ces mots vous invitent à la poésie, à la rêverie, au monde de la petite enfance. Mais ici ! Heulamondieu non ! Pas vraiment... En tout cas il ne se termine pas par : "ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants".
Donc, il était une fois un bûcheron qui en fait était un ogre.
Il était une fois une forêt mystérieuse.
Il était une fois une ribambelle d'enfants à qui on avait interdit d'aller dans la forêt mystérieuse. Jusque là rien que de très normal pour ce genre de littérature.

Mais aussi malheureusement, il était une fois... une tronçonneuse !
Et lorsque tous les personnages se rencontrent, cela devient vraiment glauque et sanglant, à la limite du supportable. Je vous passe les détails sordides et les épisodes rougeoyants qui émaillent ce livre monstrueux dont les illustrations tout à fait réalistes vous feront dresser les cheveux sur la tête et naître une chair de poule glacée.
Comment peut-on appeler cela un livre pour enfants. Ici Benoit Mignon se régale et nous gâte vraiment. Bien sûr les légendes, les contes et autres fables sont loins d'être des bluettes et sont remplis d'horreurs en tous genres : ogres donc anthropophages, marâtres assassines, monstres hideux, père amoureux de sa fille et qui veut l'épouser, enfants mis au saloir... et j'en passe. Bien sûr les enfants d'aujourd'hui sont plus soumis aux drames quotidiens rééls ou fictifs dont on les abreuve. Peut-être sont-ils plus "résistants" voire blasés. Mais là nous atteignons un pic : pic du mauvais goût, pic de la "glauquitude" si j'ose me permettre.
En tout cas on ne peut pas dire que l'illustratrice Anne Mignon ne colle pas à son sujet. Ses dessins sont de toute beauté dans les 2/3 du livre. L'atmosphère de la forêt est particulièrement bien rendue, ses grands arbres sombres se repliant sur les pauvres enfants perdus. Le livre vaudrait la peine d'être acheté juste pour les magnifiques aquarelles qui l'illustrent en son début. Elles vaudraient même un bel encadrement. Mais que dire de l'histoire, car lorsqu'on arrive à la maison de l'ogre-bûcheron tout se déchaîne... Les illustrations montrent alors une certaine prédilection pour la couleur rouge...
Oserais-je conseiller ce livre aux jeunes vampires assoiffés de sang et aux sadiques invétérés, à ceux qui n'aiment pas les enfants et à ceux qui souhaitent les voir faire des cauchemars chaque nuit au son d'une simple mobylette qu'ils prendraient pour une tronçonneuse ?...
Pour les courageux, j'indiquerai seulement qu'il est édité chez Offmann dans la collection Grand format 6-8 ans [et si!], qu'il fait 50 pages et vous coûtera la modique somme de 20 euros.
A vous de voir... ou pas.

Rendez-vous manqué - par Younes Jama



Parfois on manque des rendez-vous avec la littérature et plus précisément avec les romans. Il est question d’états d’âme, de lieux et d’époques. C’est le cas du roman ‘ Rendez-vous ’ de Christine Angot, publié chez Flammarion peu avant la rentrée 2006. On m’avait prêté ce livre pour me faire découvrir cet écrivain et la lecture fut arrêtée à la page 100, phrase et paragraphe point finis, choix radical suite à un agacement qui montait crescendo dès les premières pages. 

Est-ce pertinent une fiche de lecture d’un roman entamé et non fini ? Je n’ai l’art du style et puis qu’ai-je retenu au bout de ces 100 pages lues ? J’avais oublié le titre et j’ai dû chercher pour retrouver le résumé. L’Amour, le temps d’un livre confidences, entre l’écrivain et l’acteur de théâtre, le sexe entre l’écrivain et le banquier sexagénaire dont le bien doté par la nature n’est pas épargné aux lecteurs, et l’usité exercice du trio dans le Paris bourgeois à suffoquer de nombrilisme, propre à ce début de siècle.   

Il n’y a dans ce roman qu’un seul et unique ‘Je ’ corps égoïste et témoin aveugle de son époque, sans projection sur l’avenir de la société où il vit. Trois ans plus tard, la crise financière éclata.

La femme du Vème - par Marie/zelapin (Exercice n°3)


Cette note de lecture est rédigée de mémoire car je n ai pas jugé utile de conserver le livre dont il est question, je l’ai donné.

En effet, j’ai de La femme du Vème de Douglas Kennedy le souvenir impérissable qu’aurait pu me laisser un mauvais millefeuilles: la crème était lourde, le glaçage démonstratif et écoeurant, le feuilletage cartonné.

Au final, on n’a pas l’impression d’avoir mangé un dessert, on a peiné à le terminer.

Ce livre donne la même impression: l’écriture est laborieuse, les personnages et l intrigue inconsistants et le mystère éventé.

Au final, on n a pas l’impression d avoir lu un roman. On le termine pour être certain de n’avoir rien raté qui pourrait expliquer cet ennui.

Que ce soient les péripéties du personnage masculin central dans Paris ou sa relation à cette femme, tout est surjoué (sur-écrit). Les scènes « crues » (crues, pas érotiques) sont presque aussi excitantes qu’un livret médical d information au patient.

Le pseudo fantastique lié au personnage féminin est mal amené, tout comme les événements de sa biographie semblent plaqués sur la trame de ce roman, comme s’ils avaient été initialement prévus pour un autre.

Si je le conseille à la lecture, c’est pour un exercice (1) : à la fin de chaque chapitre, tenter de réécrire ce qui nous parait trop indigeste.

Mais aussi pour découvrir :

- un personnage d écrivain dans un roman (on pourra avec plus de bonheur lire du Djian).     

- la vision d un certain Paris par un américain,

- ce qu’est un roman de Douglas Kennedy,

- tout ce que je n ai pas su apprécier (et me le relater!).

(1) Tiens donc?!


 Marie/zelapin

Un jeu qui tourne mal - par Laura T. (Exercice n°3)


« Le jeu de l’ange » de Carlos Ruiz Zafon est sans aucun doute le livre le plus prétentieux et dénué d’humour que nous ayons eu entre les mains depuis longtemps. En effet, l’auteur ne fait que réécrire « l’ombre du vent » en plus volumineux et parfois plus assommant. Truffé de références littéraires abondamment citées ou « quasi » plagiés, il serait intéressant d’avoir le point de vue de l’auteur quant cette auto-parodie. Parfois l’intertextualité ne rend pas service, le palimpseste encore moins, surtout si ce n’est pas nécessairement voulu. Genette a du hurler en voyant le désastre…
Malgré tout, nous avons apprécié cet ouvrage, en créant une nouvelle mythologie populaire, il réinvente le genre à sa façon, même si on peut déplorer parfois son manque d’originalité. L’auteur connaît ses classiques et les manie à la perfection. On ne peut s’empêcher de penser aux « mystères de Paris ». L’ombre d’Eugène Sue plane au-dessus de cette Barcelone obscure et mystérieuse. Antonio Muñoz Molina a écrit « les mystères de Madrid », Zafon réinvente Barcelone la mystérieuse. Ce livre est peut-être le grand roman populaire qu’il manquait à la littérature espagnole, amateurs du genre, n’hésitez pas.

Laura T.

lundi 28 septembre 2009

"New York Central", une critique de Thierry (Exercice n°3)

« New York Central, vie et considérations de Marcial Schnaps. » J.F. Dos.

Publié dans l’indifférence en 1893, New York Central est le seul livre de son auteur. Dos disparaîtra un an après. D’abord célébré par d’obscurs cercles littéraires, le livre prendra de l’importance, jusqu’à devenir une référence majeure.
Pourtant rien ne le destinait à faire l’objet d’un tel culte. Sur plus de 650 pages, dans un style pompeux, Dos nous narre la vie de ce Schnaps, se résumant à un minuscule appartement crasseux, dans lequel il enchaîne des leçons de morale à un rat, des bouteilles de vodka frelatées, des lettres d’insultes à ses voisins, puis des jets nocturnes d’ordures dans Central Park. Le livre commence et finit sur cette activité. Entre temps : rien. Pourquoi perdre son temps à lire ce pavé grotesque ?
Dans son cours de littérature, Nabokov désigne le chapitre central du livre comme une des plus belle chose jamais écrite. De plus, ces 45 pages semblent être l’influence stylistique principale de la littérature de la deuxième moitié du 20ème siècle. Malheureusement, pour apprécier ce chapitre à sa juste valeur, la lecture entière du livre est indispensable. La richesse de ces pages ne s’exprime qu’au regard de cette vie nauséeuse et ridicule.


Thierry

dimanche 27 septembre 2009

Démagogique (et manichéen, par-dessus le marché !)

Il y a quelques années, au salon du livre, je signais au stand POL (Les Trois Médecins, je crois) et je vois un type s'approcher. Il a mon âge ou un peu plus, il vient vers moi sans sourire (c'est jamais bon signe, dans un salon), se plante à un mètre cinquante de la table (les personnes qui viennent saluer ou faire signer un livre s'approchent tout près) et me dit : "Winckler, c'est vous ?" Je réponds en hochant la tête. Il poursuit, sur un ton plutôt amer : "Je suis médecin. Je voulais vous dire que vos livres sont... démagogiques !"

Sans m'énerver, je m'incline, et dis : "Ah. Je suis désolé que vous le ressentiez comme ça. Voulez vous m'en dire plus ?" Il secoue la tête et répond : "Non. Je voulais vous dire ça. Ils sont démagogiques. Voilà." Il reste là, en suspens, oscillant d'un pied sur l'autre, quand une femme de son âge - sa compagne, probablement - s'approche de lui, apparemment soucieuse de son attitude, le tire par la manche et murmure : "Bon, ça va, tu lui as dit ce que tu voulais lui dire, à présent, viens, on s'en va." Il retire son bras et répète : "Ils sont démagogiques, voilà tout" et finit par la suivre.

 Sur le stand, je me gratte la tête, perplexe. Ce n'est pas la première fois, ni la dernière, qu'on qualifie mes livres de "démagogiques". Quelques années plus tôt, un autre médecin, m'a déclaré, en réunion, qu'à son avis, La maladie de Sachs donnait de l'exercice de la médecine une image qui la "tirait vers le bas" en caressant le lecteur dans le sens du poil (ou quelque chose d'approchant).

Il y a quelques jours, je me gratte la tête de nouveau. Sur son blog, une lectrice jadis enthousiaste à la lecture de "Sachs" déclare  qu'elle ne comprend pas ce qui s'est passé, qu'elle a décroché au bout de 200 pages du Choeur des femmes et ajoute "A un moment je me suis dis que c'était intentionnel, que les personnages étaient volontairement caricaturaux et le propos utilement démagogique, et que ça allait basculer si j'étais patiente, mais voilà, je ne le suis pas, et je laisse tomber, tant pis pour moi s'il fallait attendre la page 400 pour saisir..."

Bien embêté, plus embêté que par l'opinion d'un confrère désagréable, je lui écris pour lui demander de me préciser ce qu'elle veut dire par "caricatural et démagogique". (Ah, oui, on m'a souvent dit que mes personnages sont "manichéens" et "simplistes", aussi...). Parce que je veux comprendre. Quand on me dit "Ca ne m'a pas intéressé" ou "Je n'ai pas accroché", je ne pose pas de question. AImer un livre ou un film, c'est tellement subjectif.

Mais quand on qualifie le contenu ou les personnages ou l'écriture, et quand on les qualifie de manière aussi précise, je cherche à comprendre. J'ai vraiment envie qu'on m'explique ce qu'il y a de "caricatural", de "démagogique" (ou, question subsidiaire, de "manichéen") dans Le Choeur des femmes. 

Ma requête n'a pas abouti, je pense que cette lectrice blogueuse a mal pris l'insistance avec laquelle je lui demandais de préciser sa pensée (car sa pensée m'intéresse...) et elle ne m'a pas vraiment répondu.

Du coup, la question de ces termes : "démagogique" (retrouvé dans son texte) et "manichéen" (qui m'est revenu en écrivant le début de ce texte) s'est reposée. Je suis donc allé faire un tour vers leurs définitions.

"Démagogi(qu)e" 

D'après un dictionnaire en ligne, la démagogie est une "politique dans laquelle on flatte un groupe, une assemblée de personnes afin de gagner leur adhésion ou augmenter sa popularité."

La définition de Wikipédia précise que la démagogie est "l'art de mener le peuple en s'attirant ses faveurs, notamment en utilisant un discours simpliste, occultant les nuances, utilisant son charisme et dénaturant la réalité. Le discours du démagogue sort généralement du champ du rationnel pour s'adresser aux passions, aux frustrations de l'électeur. Il recourt en outre à la satisfaction des souhaits ou des attentes du public ciblé, sans recherche de l'intérêt général mais dans le but unique de s'attirer la sympathie et de gagner le soutien. L'argumentation démagogique est délibérément simple afin de pouvoir être comprise et reprise par le public auquel elle est adressée. Elle fait fréquemment appel à la facilité voire la paresse intellectuelle en proposant des analyses et des solutions qui semblent évidentes et immédiates."

Ce que je trouve intéressant, c'est la double connotation, politique et manipulatrice du terme démagogique. Sans hésiter, je revendique la dimension politique de mes livres - dimension qui n'aura échappé à personne, j'en suis sûr. Qu'un livre comme Le Choeur des femmes fasse écho aux "frustrations" du public, je n'en disconviens pas non plus. La frustration des femmes face à la manière dont tant de médecins les traitent mal et les maltraitent est grande.

En revanche, à l'évocation du caractère "manipulateur" de mon propos, qui "dénaturerait la réalité" pour flatter le public et lui proposer des solutions "simplistes", je me gratte la tête de nouveau.

Mon propos serait mensonger si je prétendais que certains de mes confrères sont des salauds en sachant pertinemment qu'il n'en est rien. Or, je sais pertinemment qu'ils le sont ! Il n'y a donc rien de mensonger (ni de manipulateur) à le dire (ou à le faire savoir). C'est anticonfraternel, certainement, mais c'est parfaitement conforme à la déontologie, qui veut qu'un médecin ne laisse jamais un autre médecin déconsidérer l'exercice médical. Certes, de leur point de vue, je déconsidère l'exercice médical en les dénonçant. Mais à mes yeux, ils déconsidèrent l'exercice médical en agissant comme des brutes. Il y a donc matière à débat d'idées, mais bizarrement, les confrères qui me trouvent démagogique ne veulent jamais débattre...

Enfin, est-ce que mon livre "flatte le public", "lui propose des solutions simplistes" et "fait appel à sa paresse intellectuelle" pour faire passer ses argumentations ?

Il serait sans doute "démagogique" de demander aux lecteurs/trices de répondre, je ne le ferai donc pas. Mais j'ai peine à croire que mes quatre romans médicaux (les trois suscités + La vacation) soient vraiment faits pour des "paresseux intellectuels". Six cents pages de texte serré et/ou de composition acrobatique, c'est une bien piètre stratégie pour convaincre des paresseux/ses de m'élire... pardon, de me lire.

"Manichéen"


Le manichéisme est une religion créée par le Perse Mani (ou Manès) au IIIe siècle ap. J.C. "Par dérivation et simplification du terme, on qualifie aujourd'hui de manichéenne une pensée ou une action sans nuances, voire simpliste, où le bien et le mal sont clairement définis et séparés."

Le bien et le mal ? Oui, bien sûr. L'éthique et la morale sont là pour débattre de ce qui est "bien" ou "bon" et de ce qui ne l'est pas. C'est tout le sens du Choeur des femmes. Il y a des comportements médicaux éthiques, d'autres qui ne le sont pas. Et c'est précisément de ça que Jean et Karma débattent.

Quant à savoir si ma définition du "bien" et du "mal" en médecine est "simpliste", il me semble que les six cents pages du livre (mais aussi de Sachs et des Trois médecins) démontrent que, même s'il existe des gens absolument malfaisants et des gens qui sont absolument dénués de méchanceté... la majorité de l'humanité (les deux héros inclus) n'est pas "toute bonne" ou "toute mauvaise", mais fait de son mieux (ou de son moins mal...) Enfin, je crois que c'est clair. Si ça ne l'est pas, cela signifie-t-il que je n'ai pas été assez simpliste pour que ce soit compréhensible par tout le monde ? Donc, pas assez démagogique ?

Alors, oui, finalement, si le Choeur des femmes n'est pas à proprement parler "démagogique" (il n'appelle pas vraiment à guillotiner les gynécologues maltraitants, il exhorte seulement - mais vigoureusement - les femmes et les intersexué(e)s, entre autres, à ne plus se laisser maltraiter) c'est sans doute un roman manichéen, puisqu'il énonce fermement qu'un médecin a l'obligation morale de "bien" se comporter dans l'exercice de son métier.

Cela dit, en y réfléchissant bien, si mes livres prônent le "manichéisme médical", dois-je vraiment en avoir honte ?

Je n'en suis pas certain. Surtout quand je lis ce résumé de la vie de Mani, toujours sur Wikipédia(1) :

Peintre visionnaire et philosophe, poète, musicien, médecin et consultant en développement personnel, Mani transmit une vision du monde et de la vie si puissante que son enseignement se répandit, de manière totalement pacifique, de l’Afrique à la Chine, des Balkans à la péninsule arabique.

"Totalement pacifique."
Tous les gynécologues non démagogues ne peuvent pas en dire autant...

____________________________________ 
(1) Pourquoi j'utilise Wikipédia pour donner des définitions ? Parce que je suis démagogique et paresseux, pardi !

mercredi 23 septembre 2009

Haïku - par Pascale


Frisson nocturne
Manque la belle ronde
Au plafond du soir

Bonne critique de livre détesté (Exercice d'écriture n°3)

Rédigez la critique/note de lecture d'un livre (roman, essai, livre pour enfant, ce que vous voulez - mais ça ne peut pas être un de mes livres) que vous détestez en expliquant au lecteur pourquoi il doit le lire quand même.

Vous devez faire ça en 1200 signes-zé-espaces (titre de l'article non inclus). 
Date limite de remise, mercredi 30 septembre à minuit (heure de votre fuseau horaire).
Mise en ligne des textes à partir de samedi.

mardi 22 septembre 2009

Qui a le droit d'écrire ?

Une internaute m'écrit pour me demander si elle a le droit d'écrire ici, car elle a le sentiment que ce sont surtout des écrivains professionnels qui contribuent aux commentaires (ou aux exercices) ; elle me demande si "il y a des règles" et si elle a le droit de lire et d'écrire sur ce blog. Je lui réponds qu'à ma connaissance les intervenants écrivains professionnels sont en minorité et qu'il n'y a pas de règles.

Et ça me donne l'occasion de revenir sur quelque chose qui m'a longtemps pourri la vie, bien avant que je sois publié, et pendant un bon moment après qu'un de mes livres ait, pour la première fois, été lu par de nombreux lecteurs.

Longtemps, je me suis demandé si j'avais le "droit" de penser que j'étais écrivain.

"L'écrivain", pensais-je comme beaucoup de monde, "est un être à part. Le statut d'écrivain, on ne le décroche pas comme ça. Faut le mériter. On ne se décrète pas écrivain. Il faut au moins que ça soit décidé par une commission spéciale de l'Académie, ou quelque chose. Il faut que ça soit notoire et écrit dans les journaux. Il faut qu'un type comme Bernard Pivot (autrefois) ou François Busnel (en ce moment) le dise à la télévision en vous lançant un regard énamouré (si vous êtes, mettons, Juliette - pardon, Justine - Lévy) ou déférent (si vous êtes, au hasard, Philippe - pardon, Patrick - Poivre d'Arvor) - "Quand on lit votre livre on sait qu'on a affaire à un écrivain"... Bref, il faut que quelqu'un vous ait estampillé, et que ça ne soit ni votre mère, ni votre moitié, ni votre "gang" de copains/copines. Faut que ce soit O-FFI-CIEL."

Je ne dirais pas que, quand je pensais ça, j'étais "stupide" (ça voudrait dire que celles ou ceux qui le pensent le sont et que moi, je ne le suis plus) mais je dirai, sans hésiter, qu'on m'avait bourré le mou. A l'école, dans les journaux, à la radio, à la télé. Implicitement, on m'avait fait croire à quelque chose qui n'existe pas : le statut sacré de l'écrivain.

Il n'y a pas de statut sacré de l'écrivain, pas plus que pour les musiciens ou les acteurs ou les peintres. Il y a des personnes qui ont un goût ou des aptitudes pour une expression artistique et qui en font, ou non, un métier. Un de mes meilleurs amis est un pianiste extraordinaire. Mais il joue pratiquement toujours seul (ou avec des amis très proches) et ne donne jamais de concert. Mais il peut passer des heures à travailler une pièce de Schumann ou de Bach. Est-ce qu'il est "moins" musicien qu'un pianiste-concertiste professionnel ? A-t-il "moins le droit" de jouer du piano ? Non. Ce n'est, simplement, pas son métier. Jouer lui donne du plaisir (et en donne à ceux qui l'écoutent, croyez-moi), c'est la seule chose qui importe. Un autre de mes amis est médecin ET auteur-compositeur-interprète. Il joue et enregistre avec d'autres musiciens (qui ont un autre métier, car ça ne nourrit pas...). Et ils ont auto-produit leur premier disque. Vaut-il moins que le disque d'un chanteur publié par une grande maison ? A mes oreilles, non. Ce qu'il fait est beaucoup mieux que tout plein de chansons sans texte ni mélodie qu'on nous balance sur les ondes. Je suis bien content qu'il ne se demande pas s'il "a le droit" de composer et jouer.

Pour l'écriture, c'est encore plus vrai. Il y a plus de gens qui savent lire et écrire que de personnes qui savent lire la musique et en jouer.

Mais il en va de l'écriture comme de la musique : on ne publie pas comme ça, les éditeurs français ont beau être légion, ils reçoivent plus de manuscrits qu'ils ne peuvent en publier (et, si je peux me permettre cette opinion, la plupart en publie beaucoup trop...), ce qui rend la lisibilité de beaucoup de textes problématique. De plus, contrairement aux pays anglo-saxons, on publie peu de textes courts (nouvelles, poésie) en France, ce qui veut dire que ces formes qui, en Amérique ou en Angleterre, sont souvent des bancs d'essai pour nombre d'écrivains, n'existent pas ici.


Depuis quelques années, la possibilité de mettre des textes en ligne, sur un blog ou un site, a changé la donne. Un nombre très important de personnes écrivent et donnent à lire ce qu'elles écrivent.
Mais il faut avoir entendu ou lu ce que beaucoup (trop) de critiques et d'écrivains estampillés disent de l'écriture en ligne et des blogs. Le mépris et la méfiance à leur égard sont malheureusement très répandus en France, beaucoup plus qu'ailleurs. Toujours à cause de l'image sacrée de l'écrivain.

Est-ce que l'écriture en ligne a "moins de valeur" que l'écriture publiée ? Je n'en sais rien et à vrai dire ça ne me soucie pas. Je pense que c'est une question vaine. Et que cette question est significative d'une posture de classe.

Qui aurait donc le droit de dire "ça c'est bon, ça c'est mauvais" ? Sur quels critères ?

J'ai beau être un écrivain publié et lu (il y a des écrivains publiés qui ne le sont pas, et je mesure ma chance), je ne me sens pas de qualité particulière pour dire ce qui est bon ou ne l'est pas. Je peux dire "J'aime ou je n'aime pas, pour telle ou telle raison", mais c'est tout. C'est d'ailleurs ce que je fais pour parler des écrivains que je lis et que je n'aime pas.  Je dis "Je n'aime pas et ça me tombe des mains", "ça m'a ennuyé", ou "c'est pas le genre de littérature qui me transporte". C'est subjectif, et ça ne concerne que moi. Car si des lecteurs ont aimé ce livre-là (ou aiment cet auteur-là), qui suis-je pour dire qu'ils ont tort ?

Je déteste entendre dire que Maurice Leblanc, qui était l'un des romanciers-feuilletonnistes les plus lus de son époque, "n'écrivait pas bien". Quand je le lisais, à l'adolescence, j'étais transporté par les aventures d'Arsène Lupin, qui me tenaient éveillé jusqu'au milieu de la nuit. Personne n'a le droit de dire qu'il n'écrivait pas bien, puisque, nom de dieu, il me faisait lire !!!! (Vous entendez l'ogre Winckler rugir, là, j'espère ?)

Etre critique littéraire est un exercice difficile. A mon humble avis, les critiques devraient avoir pour mission de faire lire des textes en expliquant pourquoi (du point de vue du/de la critique) ces textes sont riches et gratifiants à la lecture et peuvent faire le bonheur des personnes qui se risqueront à les lire. Ils ne devraient pas se contenter(comme je l'ai vu faire par plusieurs critiques parlant du Ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis) de résumer le début d'un roman puis de parler des "qualités d'écriture" de l'auteur pour qu'on ne s'aperçoive pas qu'ils ne l'ont pas lu en entier.

Ils ne devraient surtout pas "sacrer" un écrivain avant même que son dernier livre soit disponible comme le digne héritier de Flaubert, Proust ou Marguerite Duras, comme s'il s'agissait de désigner les membres de dynasties ou de lignées aristocratiques. Ils devraient, en bons professionnels, faire leur boulot, c'est à dire donner envie de lire des livres (et donner les clés pour les apprécier) plutôt qu'encenser des auteurs. L'écrivain sacralisé, "autorisé" (aux deux sens du terme) est un pur produit de la pensée la plus bourgeoise.

C'est cette sacralisation, entretenue par une partie de la critique (mais aussi par bon nombre d'enseignants, de journalistes et d'intellectuels auto-proclamés, hélas !) qui entretiennent chez le plus grand nombre l'idée qu'un écrivain est un être rare.

Or, non seulement c'est faux, mais c'est aussi profondément méprisant pour ceux qui écrivent et ne publient pas ou qui publient mais restent dans l'ombre, et qui, tout publiés qu'ils soient, ont un autre métier (ce qui est le cas de l'immense majorité) et ne se sentent pas "sacrés" du tout.

Personnellement, je n'ai pas envie d'être qualifié de sacré. Ca pourrit les relations humaines.

Tout ça pour dire (maintenant que j'ai vidé mon sac) que tout le monde a le droit d'écrire. Certains ont la chance de - ou l'entregent nécessaire pour - être publiés. Est-ce que ça les rend plus "écrivains" que les autres ? Non. Ca les rend seulement plus visibles.

N'oubliez jamais, vous qui lisez ceci, que tous les éditeurs publient des livres pour gagner de l'argent (et c'est bien naturel : comment pourraient-ils publier d'autres livres, sinon ?) et que leurs critères ne sont pas toujours la "qualité littéraire", bien subjective, des textes qu'on leur propose. En matière d'édition, beaucoup d'éditeurs préfèreront toujours le "coup" juteux (comme, je dis ça au hasard, les amours pseudo-autobiographiques d'un président et d'une princesse) au roman disséquant la société au scalpel.



L'écriture est un mouvement ET un travail ET un jeu ET un plaisir ET un casse-tête pour ceux/celles qui s'y adonnent profondément, qu'ils le fassent toute la semaine ou seulement le dimanche. J'ai écrit La maladie de Sachs par épisodes, un chapitre à la fois, quand je n'avais pas de travail urgent (traduction ou article) à remettre, et ça m'a pris cinq ans. A l'époque, je doutais d'être un écrivain. Je me trompais. J'étais déjà un écrivain. Non parce que les muses de l'Olympe s'étaient penchées sur mon berceau, mais parce qu'écrire (ce bouquin ou mon journal ou des chroniques pour Télécâble Hebdo) était ma musique et le clavier, mon instrument. J'écoutais du jazz au casque, et j'avais le sentiment que le phrasé irrégulier de mon clavier faisait écho à celui de Bill Evans ou d'Oscar Peterson. J'ai eu la chance de pouvoir passer pro, puis de faire un livre/disque qui a très très bien marché. Et puis celle de toujours avoir eu des engagements pour donner mes concerts-livres suivants. Ca ne me rend pas un "meilleur écrivain" pour autant. Et puis "meilleur écrivain que qui, d'abord ?"

J'ai nommé ce lieu "blog pour "écrivants". Sur ce blog, qui n'est qu'une estrade au fond d'un bar enfumé, j'ai posé mon piano à écran et je joue pour qui veut écouter. Et toutes celles, tous ceux qui le désirent peuvent monter avec leur instrument, et participer à la jam-session.

A leur manière, avec leurs mots, leurs mots qui valent ce qu'ils valent, mais justement, ce sont les leurs. (Merci, Mama Béa.)
Et ils sont les bienvenus.

lundi 21 septembre 2009

dimanche 20 septembre 2009

Haïku - par Jeanne

bleu gris le ciel
lune installée
adieu soleil




Réveils ("Contretemps", dernière) - par Lilian Saint-Gaudin

Comme je n'avais pas donné de date limite pour l'exercice "Contretemps", je publie celui-ci, mais c'est la dernière fois, hein ? Maintenant, faut faire les autres. Et pas dépasser la date limite, hein ? Hein ? Sinon je vais pas m'en sortir, moi... ;-) (MW)

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C’est la pluie qui le réveilla.

Il sortait tout juste de la réunion de coordination du groupe marketing d’ASSUR’TOU, et c’est en sortant de l’immeuble que la pluie s’abattit sur le trench dans lequel il se croyait protégé des éléments, transformant sa raie sur le côté, il le voyait d’un œil fatigué dans une vitre, en placard qui lui tombait de tous les côtés à la verticale.

La pluie l’imbiba aussitôt et sa noyade lui rappela ce qu’il venait de se passer : Giles Gerti, son manager venait littéralement de l’humilier devant l’équipe entière. Il le voyait à ses collègues qui en sortant évitaient son regard.
« Et c’est avec des idées pareilles que tu veux lancer la campagne qui est censée relancer la branche assurance-vie? Non mais ce sont des idées de branleur, ça ! Et tu as 15ans de boîte ? T’as toujours des idées du même type ? Non mais continue comme ça et tu finiras dans un placard quelconque où tu pourras faire office d’étagère. Là au moins, pas besoin d’idées » Il avait baissé la tête et cherché à cacher une larme. Elle ne passa pas inaperçue. La suite de la réunion fut longue et aveugle. Il ne se réveilla que sous la pluie.
En hiver à la sortie des bureaux, c’étaient les lumières qui dominaient, des halos partout qui tentaient inutilement de se cacher derrière la brume. D’habitude il trouvait ça plutôt gai : Noël approchait. Mais là il était complètement…à côté. Et son manteau qui ne lui servait à rien. Il le retira lentement pour le poser par terre passant sa mallette d’une main à l’autre. Sa mallette…elle dérangeait d’ailleurs ; il la posa alors sur son manteau et se cala les mains dans les poches. Il voulait perdre ses larmes et leva son visage cers le ciel.
Il ne pleurait plus, il s’en aperçu immédiatement. La pluie, le ciel le soutenaient. Il ne pouvait plus pleurer. Il était réconforté. L’eau était avec lui. C’était lui qui l’avait appelée. Et s’il lui commandait. Un sourire se dessina entre les lampadaires du parvis. Quel con, il le savait, pas lui mais Giles. Comment avait-il pu ? Comment s’était-il adressé à lui ?

Il se dirigea vers l’entrée du RER comptant les gouttes qui s’abattaient sur ses pommettes. Demain il lui ferait voir, il lui rabattrait sa jeunesse, ses certitudes, son école d’arriviste, son management qui fleurait bon le dégraissage et le suicide de masse. Le bruit sur la vitre de son wagon ne faisait que confirmer sa certitude : chaque goutte était un point d’exclamation à sa révélation : c’était fini tout ça. Le chemin qui luisait sous ses pas, reflétait sa célébration que lui rendaient les lampadaires. Et en se couchant la même idée l’amenait vers son sommeil lumineux. Enfin !


C’est la pluie qui le réveilla.

15 minutes avant la sonnerie du réveil. Il se leva avec une impression de martellement. Le vent projetait la pluie sur les vitres de son appartement. Les lumières sur le trottoir n’arrivaient pas à révéler les employés plus matinaux que lui qui se protégeaient tant bien que mal sous leur parapluie à contre-sens.

Il posa son front contre la vitre et se vit dehors, dans une heure subissant les éléments. Certainement que son pardessus et sa mallette étaient à l’accueil peut-être trouvés par le vigile. Comment allait-il expliquer qu’il les avait oubliés devant l’immeuble ? Il espérait que Giles ne serait pas de trop mauvaise humeur aujourd’hui. Il se leva prendre sa douche.

Haïku - par Quine

Le champignon dort
sur le toit des galeries
d'une taupinière

Haïkus - par Martine Bourguignon

Une étoile luit
dans les ténèbres de l'ennui,
ton sourire évanoui.


The torch is out,
And I wander alone
Through the dark lanes of grief


All the lights fade out
When you are away
And I stumble, my love.

Haïkus - par Younes Jama

Haïku (nuit)

de l'étreinte
souvenirs troublants
le rai n'est plus


Haïku (absence)

l'âme qui s'en va
mystique à souhait
le vent mime

A qui un écrivain offre-t-il ses livres ?

Je trouve sur la page FB de François Bon un lien vers un article consacré à son "Incendie du Hilton". Il le donne en s'excusant presque que ce soit un article consacré à son livre. Et je commente "Si l'article te fait plaisir, il n'y a aucune raison de ne pas le partager."

J'ai eu le même type de pudeur quand Vincent Berville m'a mis un site en ligne "clés en main", à la suite de la fin de ma chronique sur France Inter, en août 2003. Je voulais en faire une sorte de prolongement de la chronique, avec des infos, des textes critiques et polémiques, mais pas un portail de présentation de mes livres. Il a insisté (et il est revenu dessus il y a quelques semaines) en disant qu'après tout, il était naturel que j'informe mes lecteurs de mes publications et de ce qu'on en dit. C'est d'ailleurs ce que font les écrivains américains, sans aucune fausse pudeur, sur leurs propres sites.

Et lire ce même type d'hésitation sous la plume de François Bon m'a fait penser à ce que j'ai envie de faire de mes livres quand ils sont publiés. J'ai envie de les donner à tout le monde. En tout cas, à toutes les personnes que j'aime ou plus simplement, que j'estime. (Je respecte tout le monde, mais je suis un être humain, il y a des gens que j'estime plus que d'autres...)

Donc, je donne mes livres à mes amis les plus proches, j'en garde un exemplaire pour chacun des huit individus (ce ne sont plus tout à fait des enfants) que j'ai élevés avec MPJ (encore que je ne l'ai pas fait pour TOUS les bouquins, damn...) et je le distribue à des personnes moins proches, mais qui m'ont touché (pour ce qui concerne le Choeur des Femmes, les membres du CREUM et du département de philosophie de l'UdeM qui m'accueille depuis février, et où je l'ai écrit) ou alors les membres de la librairie Olivieri, ou un/e étudiant(e) de passage qui me dit avoir lu un autre de mes bouquins ou de mes textes et qui m'en parle avec tant de chaleur que j'éprouve le besoin de m'acquitter de ce bonheur qu'il/elle me fait en lui donnant quelque chose.

Ou alors, l'autre jour, dans le métro, quand François a dit "Faut que je lise ton livre, mais je l'ai pas encore", j'ai sorti l'exemplaire que je trimbalais avec moi pour chercher des extraits à faire lire à mes étudiants du cours d'éthique clinique, et je le lui ai donné, je n'y aurais pas pensé s'il ne l'avait pas mentionné.

Je n'attends jamais que le livre que j'ai donné soit lu. En particulier, je n'ai jamais attendu de mes enfants ou de mes amis les plus proches qu'ils les lisent. D'autant plus que j'en ai publié plusieurs dizaines en dix ans, dans des genres différents, alors je sais que peu de lecteurs pourraient suivre ce rythme-là ou lire ne serait-ce que mes romans (il y en quelques-uns, mais ce sont tous des lecteurs/trices hors du commun... Fanny, Emmanuelle, Alexis, David, Elodie entre autres, qui sont aussi des camarades internautes).

Je suis content quand un de mes enfants lit un de mes livres, pas nécessairement un roman, mais souvent un des livres sur les séries ou Super Héros. Mais je n'attends pas qu'ils le fassent. J'écris les livres pour les élever, pas pour qu'ils les lisent. Si, dans vingt ans, ou après ma mort, l'un d'eux retrouve un de mes bouquins sur une de ses étagères et, en le feuilletant, se dit "C'était pas mal, ce truc-là", ça me suffit. Je veux seulement qu'ils n'aient jamais honte d'avoir été élevés grâce à mes textes. Enfin, je ne sais pas si je me fais bien comprendre.

Quand j'étais adolescent, et plus tard encore, j'avais envie de donner mes textes bien sûr pour les faire lire, mais aussi parce que j'avais envie d'offrir quelque chose à mes amis, quelque chose que j'avais fait. Je ne savais pas trop bien bricoler, peindre, dessiner et encore moins composer des chansons (j'aurais aimé savoir faire tout ça) mais j'écrivais, de la fiction, alors je recopiais mes six ou sept nouvelles achevées (j'étais sûr de ne jamais pouvoir en écrire d'autres et d'être incapable d'écrire un roman) dans des cahiers et je les offrais à qui j'aimais et voulais faire savoir que je l'aimais. Et puis, bien entendu, j'ai offert par wagons les livres qui m'avaient touché profondément, Le Carnet d'Or, La vie mode d'emploi, pour ne citer que ces deux-là. (J'offrais des livres que je m'étais approprié en tant que lecteur. C'étaient "mes" livres avant que je n'en écrive.) Offrir un livre, à mes yeux, c'était un geste d'amour. Ca l'est toujours. Je n'aime rien plus que tomber sur un nouveau livre et me dire : "Ah, je sais que MPJ ou l'un des enfants va l'adorer".

Aujourd'hui, je sais qu'on peut estimer quelqu'un sans l'aimer, et que c'est une raison suffisante de lui offrir quelque chose. Je sais aussi qu'offrir un livre ce n'est pas "rien" (c'est ce que j'ai dit pendant longtemps), c'est un cadeau extrêmement chargé (il y a des gens qui ne lisent pas et qui sont très très touchés qu'on leur offre des livres, et je n'en ai pas toujours eu conscience, tant une vie sans lecture me semblait impossible alors que bien sûr, les vies sans lecture sont infiniment plus nombreuses que les vies avec, sur cette planète), ce n'est pas un cadeau dénué de sens ou de poids. Mais on ne sait jamais quel sera le poids d'un livre qu'on offre pour l'autre.

Je ne sais pas s'il y a une question dans ce texte, si je soulève la moindre interrogation philosophique, littéraire, éthique ou autre, mais le fait est que j'aime offrir des livres, que ça reste mon cadeau préféré (les DVD de films ou de séries viennent juste après, sans doute parce que ce sont les objets qui ont, à mes yeux, le plus de valeur au monde. Je ne suis pas sûr que ce soit "culturel" ou uniquement lié à mon milieu de naissance, car beaucoup de personnes dans ma famille aimaient lire mais auraient trouvé qu'offrir un livre était "un pis-aller", un cadeau un peu facile.

Mais comment un livre pourrait-il être un cadeau "facile" ? Quand on l'a choisi au dernier moment sur une table de "Prix littéraires" sans savoir de quoi il s'agit, oui, peut-être. Mais même dans ces conditions, qui sait si le livre, choisi au hasard, n'aura pas un effet profond sur celui/celle à qui il sera offert et qui le lira ?

Entre celui/celle qui offre et celui/celle qui reçoit, le livre est un tiers liant.

Merci, François.

vendredi 18 septembre 2009

Haïku (de plusieurs auteurs)

Un marron
Sur la tête
Et le jour disparu
(Anonyme)

Clavier céleste
Cendrillon démérite
Pantoufle éperdue.

(Marie-Thérèse)

The lights are out
The darkness comes
I’m safe

(Emmanuelle)

Sans tes yeux clos
Sans ton cou parfumé
Je me rends, conte.

(Emmanuelle)

Sur le quai


                                                                    
Avant-hier soir, tandis que j'arpentais le quai de la station Université de Montréal (je change à Jean Talon, et là-bas, l'escalator de correspondance est au bout du quai), j'entends une voix m'appeler :"Tiens, c'est le docteur". Je me retourne et je vois François Bon, qui s'avance et qui, tout heureux de me découvrir là, m'embrasse.



(Au même moment, une étudiante rencontrée il y a quelques semaines, avant l'été, au cours d'un atelier d'écriture improvisé au département d'histoire, sur la suggestion de Claire Garnier et Dominique Deslandres, me fait signe et se rappelle à mon souvenir depuis le banc sur lequel elle est assise, sur le même quai. Deux personnes qui vous hèlent en même temps, c'est beaucoup pour le même homme, surtout s'il est fatigué et cafardeux comme je l'étais ce soir-là. Je me suis laissé embringuer par l'enthousiasme de François et n'ai pu adresser la parole à la jeune femme que quelques minutes plus tard, au moment où elle s'est assise, un peu plus loin, dans la rame du métro, pour lui dire que j'avais bien l'intention de recommencer un atelier et que je lui ferais signe, bien entendu. )


François Bon (si vous ne le connaissez pas, je vous recommande son site, le tiers livre, et ses bouquins, bien entendu) est un homme aussi bon que son nom l'indique et aussi lettré que son prénom le suggère. C'est à lui (que j'admirais, en tant que lecteur, depuis ses premiers livres parus au début des années 80) que je dois une des plus belles surprises de ma vie, dans unecirconstance d'inversion assez bizarre : il était invité aux "24 heures du livre" (la fête du livre du Mans), en 1989, et j'étais allé  lui faire signer son dernier bouquin en date. Au moment où il me demande mon nom, j'hésite et je me dis "lequel est-ce que je lui donne ?". J'en avais deux, désormais : La Vacation avait été publié quelques mois auparavant. Finalement, je lui dis "Martin Winckler" et je vois ses yeux s'ouvrir. "La Vacation, c'est toi ?" (François tutoie tout le monde, comme le font les Québecois.) Et moi, héberlué "Euh... Vous avez lu La Vacation, M'sieur ?" (ou quelque chose d'aussi stupide...) 


Plus tard, après La Maladie de Sachs, il m'a donné bien d'autres bonheurs (je veux dire en plus de ses livres :  je ne me suis toujours pas remis de son bouquin sur les Stones et de son Dylan)  en particulier une soirée magique de lecture en public à Nancy dont je rêve encore, tant je me sentais entouré par les spectateurs/auditeurs (c'est fou ce que j'aime lire en public, des lectures publiques, j'en ferais tous les soirs, et j'ai bien l'intention d'en organiser à Montréal). 


Et le voilà sur le quai du métro, je savais qu'il venait passer l'année au Québec, à Québec-Ville (Quebec City, comme disent les Ricains), et donner un cours ou un séminaire le mercredi, et oui, on était mercredi, il sortait de ses trois heures de cours et me voilà pile au moment où il attend la rame. 


Ca me fait évidemment très plaisir de le voir, et de l'inviter à dîner mais il a une journée chargée le lendemain et il va revenir, chaque semaine, à Montréal, alors on aura d'autres occasions. 


Le monde est petit. 
Les quais de métro sont grands et il s'y passe des choses étranges. 


Au printemps dernier, sur le quai du même métro (mais une station plus à l'Ouest, à Côte-des-Neiges) j'étais debout en train de lire un livre de Bill Bryson, The Mother Tongue en attendant de me rendre à l'université quand une silhouette est passée devant moi et s'est dirigée vers le bord du quai. C'était un homme plus petit que moi, peut être un peu plus âgé, portant des vêtements fatigués mais propres. Il s'est approché du quai tranquillement, mais son pas m'a donné tout de suite le sentiment qu'il n'allait pas s'arrêter au bord. Il s'est arrêté, pourtant, une fraction de seconde, et puis il a levé les yeux vers le bout du quai, le tunnel d'où une rame jaillissait, et je l'ai distinctement vu faire un pas en avant. 


J'avais dû m'avancer, moi aussi, en le voyant se diriger vers les voies, avec ce réflexe de père de famille qui ne lâche pas ses enfants des yeux et reste toujours en éveil pour pouvoir les retenir s'il leure venait l'idée de se précipiter dans la rue en courant. 


Mon bras est parti, a saisi le sien et je l'ai tiré vers moi en disant/criant : "Qu'est-ce que vous faites ?" 
Il m'a répondu avec des phrases incohérentes dans lesquelles j'ai cru comprendre "Oui, je sais, faut pas, faut pas, je vais pas le faire". La rame est arrivée. Je ne savais pas quoi dire. Il a dégagé son bras, il est entré, s'est assis contre la cloison, à l'abri d'un autre voyageur, pendant que je restais debout, comme un imbécile, au milieu de la rame. Je n'avais qu'une station pour prendre une décision. Qu'est-ce que je faisais ? Qu'est-ce que j'avais le droit de faire ? Qu'est-ce qu'il était possible de faire ? S'il avait essayé de se jeter sous le train, il allait le faire de nouveau. Fallait-il que je parle avec lui, que j'essaie de savoir qui il était, pourquoi il avait voulu faire ça ?Il ne se passe qu'une minute, peut-être quatre-vingt-dix secondes, entre les deux stations, mais j'ai pu constater une fois combien les pensées vont vite... et combien il est difficile de se décider quand elles sont si nombreuses.


Il scrutait la vitre mais tournait la tête vers moi de temps à autre, les épaules basses, comme s'il avait eu peur que je le frappe ou que je l'engueule. Il semblait (mais je ne sais pas si, comme le reste, il ne s'agit pas d'une pure interprétation de ma part) avoir envie que je l'oublie, que je le laisse là, que je ne m'occupe plus de lui. Il avait l'air mortifié. Mortifié de n'avoir pas réussi son coup et de ne pas être mort, à l'abri peut-être de la tristesse qui l'avait conduit au bord du quai, et à l'abri de la honte de s'être raté sous mes yeux, par ma faute.
  
Je voulais faire quelque chose, et il restait hors d'atteinte. C'était clair, il ne voulait plus avoir affaire à moi, mais il n'allait pas me le dire de manière violente ou agressive, il était déjà très confus dans son élocution - il avait peutêtre bu, il prenait peut-être des médicaments - il n'allait pas pouvoir me faire un discours sur sa liberté à mourir.


Je voulais dire quelque chose, mais je n'avais pas le temps, et je voulais le faire avant que nos chemins se séparent, parce que je ne voulais pas m'incruster là, dans la rame, à coller au train de quelqu'un qui n'avait peutêtre qu'une envie : me voir disparaître moi, la cause et le témoin de son geste inachevé, et avec moi le souvenir cuisant de son échec.


La rame ralentissait. Je ne savais pas quoi faire. Je ne savais pas quoi dire. Je ne pouvais pas rester. Je ne voulais pas descendre en lui tournant le dos.


Alors j'ai fait deux pas et je lui ai tendu la main. Il l'a regardée avec surprise, l'a serrée rapidement, comme soulagé de pouvoir en finir et de me congédier et puis s'est de nouveau tourné vers la fenêtre en grommellant quelque chose que je n'ai pas compris.


Et puis je suis descendu de la rame, et elle l'a emporté. Et depuis, bien sûr, chaque fois que je prends le métro, je me demande ce qui lui est arrivé ensuite.


mercredi 16 septembre 2009

Haïku (exercice d'écriture, 2)

Ecrire un haïku (lire la fiche wikipédia pour la définition et les principes de base).

Eléments obligatoires du haïku :
- la nuit
- l'absence
(sans utiliser ces deux mots).

Date limite de remise : mercredi 23 septembre, minuit (heure de votre fuseau horaire).

"Contretemps" (dernière)

Bonjour M. Winckler,

Vous pouvez lire mon interprétation de votre exercice ici:
http://qbert72.com/2009/09/16/contretemps/

Je vous laisse libre de la reproduire sur votre blog ou de simplement lier au mien.

Merci de m'avoir fourni ce contexte d'écriture amusant!

Alexandre

P.S.: Vous comptez bien les signes avant de publier?

Réponse de MW : Non, je fais confiance au rédacteur. On n'est pas à 350 signes près. Si ça fait douze pages, en plus, je le verrai !!! Et puis je limite la longueur parce que 1° c'est un bon exercice, d'écrire "au nombre de signe" 2° c'est plus facile à lire pour les visiteurs du blog. 

Dans quelle langue écrivez vous ?

Hier mardi, je bavardais avec Yvon Lachance, l'un des propriétaires de la librairie Olivieri (sur Côte-des-Neiges, pas loin de l'université de Montréal) et il me racontait qu'il y a quelques années, Libération avait interrogé des écrivains francophones du monde entier en leur demandant "Pourquoi écrivez-vous en français ?" Une écrivaine québecoise (dont j'oublie le nom, le rouge de la honte m'en monte aux joues) aurait répondu de manière très cinglante à cette question qu'elle trouvait (à juste titre...) idiote.

On ne m'a pas posé la question (je vivais en France, à l'époque, écrire en français pour un citoyen français vivant en France c'est banal à mourir) mais là, tiens, j'ai envie d'y répondre, parce qu'après tout y'a pas de raison.

J'écris en français parce que c'est ma langue maternelle, je n'ai pas eu trop le choix sur ce coup-là, mais j'aurais pu, si les aléas de l'histoire l'avaient voulu, écrire en hébreu. Mes parents ont émigré en Israël en 1961-62 et si mon père avait pu y travailler, nous y serions restés. J'avais 7 ans, au bout d'un an je parlais déjà l'hébreu, bien sûr, j'aurais probablement continué à parler le français, mais j'imagine qu'une fois adulte, j'aurais - par nécessité - écrit en hébreu (ou dans les deux langues).

Je ne sais pas si je serais devenu médecin (c'est probable, étant donné la relation que j'avais à mon père, médecin lui-même) mais je serais certainement devenu écrivain (la lecture de On the Origin of Stories m'en a convaincu). Qu'est-ce que j'aurais écrit ? Qu'est-ce que j'écrirais aujourd'hui ? Ca, c'est plus difficile à dire, mais pour un médecin juif d'origine française vivant en Israël, les sujets ne manqueraient certainement pas !!!!

L'histoire avec sa grande hache en a décidé autrement, et je n'ai pas grandi à Jaffa ou à Tel-Aviv, mais à Pithiviers (45-Loiret), au beau milieu de la Beauce, le grenier à blé de la France, et il n'était pas question pour moi de parler autre chose que le français, langue maternelle de mes parents et, dans une certaine mesure, de mes grands-parents, qui devaient sûrement parler aussi le judéo-arabe ou le ladino, dont il ne me reste que quelques interjections imagées et quelques mots épars.

J'écris donc en français parce que j'ai grandi dans le français, parce que j'ai écrit "bien" (selon des critères scolaires) très tôt, parce que j'avais une mémoire photographique de l'orthographe, parce que je disais mes récitations comme pas un et comme tout ça faisait très plaisir à mes instituteurs - qui étaient très fiers d'avoir dans leur classe un élève aussi brillant, et comment leur en vouloir - ils ne m'ont pas dissuadé d'écrire bien sous leur dictée ou leurs instructions, et pourquoi m'en serais-je privé à la maison ?


J'écris en français parce qu'ayant grandi en français je me suis toujours senti à l'aise dans cette langue. Et puis, franchement, je ne me suis jamais posé la question. Ce qui me posait question, c'étaient toutes les injustices innommables que je découvrais les unes après les autres et sur lesquelles je me suis mis à vitupérer à partir de la pré-adolescence. Mais pas du tout la langue sous laquelle j'allais les dénoncer.

Aujourd'hui, j'écris en français parce que la langue écrite est mon outil de travail, autant que le clavier sur lequel j'écris ceci. Et même plus. Je peux changer de clavier comme de chemise (je passe d'un iMac au bureau à un miniportable chez moi) mais je ne peux pas changer de langue comme ça.

Encore que.

Voyez-vous, quand j'étais seulement lecteur (ou principalement lecteur) et jusqu'à l'âge de 17 ans j'ai lu presque exclusivement des auteurs de romans de "genre" et beaucoup, beaucoup, beaucoup de romans anglo-saxons. J'ai lu Jules Verne, Maurice Leblanc, les Maigret de Simenon et les romans d'énigme de Stanislas-André Steeman ; j'ai vu beaucoup de films français d'avant-guerre (j'adorais Jouvet, Françoise Rosay, Michel Simon, Pauline Carton, les films de René Clair et de Sacha Guitry, et c'est toujours vrai) et d'immédiate après-guerre (Tati, Noël-Noël, La vie est belle et les comédies avec Roger-Pierre et Jean-Marc Thibault), j'ai bouffé de la chanson française (Brassens, Trénet, Aznavour, Barbara, Ferré) ou francophone (Brel, Félix Leclerc) et j'ai lu des centaines de BD franco-belges, mais j'ai lu en plus grande quantité encore Agatha Christie, John Dixon Carr, Herbert George Wells, Conan Doyle, Shakespeare, George Orwell, Aldous Huxley, Jerome K. Jerome et des centaines de nouvelles et de romans de science-fiction et de comic-books américains, d'Asimov à Zelazny en passant par Stan Lee et Denny O'Neil. 

En français d'abord, puis, à mesure que je grandissais et que j'allais passer mes étés en Angleterre, en anglais.

Et quand j'ai passé mon année en Amérique, à l'âge de 17 ans, je savais pretty much ce que je voulais faire de ma vie. Je voulais être médecin ET écrivain. Je ne savais pas encore quel genre de médecin je voulais être, je voulais être médecin comme mon père, le reste n'avait pas grande importance, but I knew damn well what kind of writer I wanted to be. 

I wanted to be an American writer. 
I wanted to write in English. 

Alors, d'accord, j'écris en français, c'est un accident de l'histoire personnelle et mondiale, mais même si je suis très heureux d'avoir perfectionné ma langue d'écriture au fil des quarante années écoulées, je ne peux pas dire que je sois parfaitement heureux d'écrire en français. Ou plutôt, je ne suis pas heureux de n'écrire qu'en français.

Cette nuit (la nuit du 15 au 16 septembre 2009) je me suis réveillé à 4 h et j'ai tourné dans mon lit pendant environ une heure, sans pouvoir me rendormir. Et j'ai eu l'idée d'un livre. Une idée à la fois si simple et si transgressive que je me demande pourquoi je ne l'ai pas eue plus tôt.

L'idée a fait son chemin pendant les deux heures qui ont suivi et jusqu'à maintenant et évidemment, comme toutes les idées, elle a évolué, comme si de la gangue s'extrayait peu à peu un insecte qui se frottait les ailes. A cette idée initiale (un retour dans mon passé, un passé très précis), se sont ajoutées deux autres idées très précises. La première, je la garde pour moi, elle fait partie des surprises que recèlera le roman. La seconde est simple, très simple, mais pour moi limpide : ce roman, je vais l'écrire en anglais.

mardi 15 septembre 2009

Autoportrait en ogre

Hier, lundi 14 septembre, j'ai participé, en duplex, à une émission de France-Culture (diffusée le week-end du 19-20 septembre, je pense). La sélection  
France-Culture/Télérama était commentée et présentée au théâtre de l'Athénée. Je passais après la présentation du livre de Vincent Message (qui était dans la salle) et celle du livre de Marie NDiaye (qui avait été enregistrée, je crois).

J'ai été très impressionné par la lecture que Marie-Christine Barrault a faite des premières pages du Choeur des Femmes. Et cette lecture (qui a semblé beaucoup faire rire l'auditoire, il faut dire que M.-C. B. était vraiment excellente) m'a soudain fait prendre conscience que ce début, une description fantasmée de Karma par Jean Atwood, n'était rien d'autre qu'une sorte d'auto-portrait de l'auteur en ogre.

On m'a souvent - m'a-t-on dit - perçu comme un type agressif qui cherche à "bouffer" les autres et pendant longtemps je n'ai pas compris exactement pourquoi. Je me souviens que certains camarades de fac (ou des confrères, plus tard) me trouvaient intolérant, autoritaire, ayatollesque et je ne sais quoi d'autre. Et ça ne cessait de me stupéfier. Parce que moi, je n'avais pas du tout le sentiment d'être de taille à les bouffer.

Mais je sais pourquoi ils avaient ce sentiment (et pourquoi d'autres l'ont encore, parfois). Parce que je peux parler avec beaucoup d'énergie et de vivacité. Mais l'énergie avec laquelle je peux m'exprimer, verbalement, n'est pas sous-tendue par la haine ou le mépris, elle est, ni plus ni moins, proportionnelle à ma colère, à mon énervement, à mon sentiment de frustration du moment - souvent grands, quand il s'agit des sujets qui m'importent (les médecins maltraitants, les séries télé, la littérature...)

Après mes études (pendant lesquelles on m'a seriné que je "n'écoutais pas les autres") j'ai appris à me taire, ou à tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler, ou à reconnaître que j'étais de mauvaise foi.

Un jour - j'étais médecin de campagne - en me voyant surgir dans la salle d'attente où elle était assise, une patiente s'est exclamée "Oh, comme vous êtes impressionnant" (je n'étais pas barbu à l'époque). J'ai alors compris que la manière dont on me voyait n'avait rien de commun avec ce que je ressentais être à l'intérieur... (et qu'il devait en aller de même pour tout le monde). Ce sont des réflexions comme celle-là qui m'ont donné l'idée des portraits du médecin par ses patients dans la Maladie de Sachs.

J'ai aussi appris, grâce à la formation Balint (des groupes de parole où des médecins se racontent des histoires...) à être moins angoissé et moins culpabilisé par mon sentiment d'impuissance. A entendre la parole des patients autrement que comme une demande d'aide immédiate. A relativiser ce que je croyais être "la vérité" ou "des mensonges". A ne plus porter de jugement.

Alors, peu à peu, j'ai moins tonitrué. Moins souvent. Enfin, suffisamment souvent quand même pour avoir acquis parmi mes confrères la réputation d'être une « grande gueule », autrement dit : un emmerdeur. (On a aussi beaucoup dit, à une certaine époque, que j'étais un grand coureur de jupons, alors grande gueule + séducteur + pilosité au menton = Franz Karma en Barbe-Bleue et voilà comment on construit des personnages de fiction. Il suffit de se laisser porter par les images collectives. )

Cet apprentissage progressif de la distance entre conscience de soi et projection de soi ne m'a pas "calmé". Mes colères sont toujours là. Ainsi que les personnes (physiques ou morales) envers qui j'ai des raisons de rugir. Ce, d'autant plus que j'ai gagné, ces dix dernières années, un auditoire et une écoute que je n'avais pas auparavant.

Mais je ne me « vois » toujours pas en ogre.

Ca m'a donc fait sourire d'entendre ça, hier soir, à cinq mille kilomètres de distance, dans le studio que France-Culture avait réservé pour moi à Radio-Canada.

Je me demande ce que ma mère aurait dit.

Pourquoi ma mère ? Parce que c'est mon prochain personnage de fiction, pardi !
La mère de Barbe-Bleue.
C'est une idée rigolote, non ?

La dernière fois - par Elise Desaulniers

 J’ai  décidé qu’aujourd’hui, ce serait fini.
 
J’en ai assez de toute cette souffrance inutile. J’y pense depuis un moment. Je voudrais bien dire un bon moment, mais l’idée m’est venue il y a à peine deux mois. J’ai déjà entendu parler de quelques personnes qui l’avaient fait, qui avaient réussi, mais, je n’y avais pas trop porté attention. Elles devaient avoir leurs raisons, c’est compliqué ces histoires-là. Mais depuis deux mois, ça s’est bousculé dans ma tête. C’est devenu clair. Je devais le faire. Un jour, je dirai que pour moi aussi, c’est fini. Et ce jour, c’est aujourd’hui.
 
Hier, il fallait que j’en profite. C’était ma dernière journée. Je ne voulais pas être déçu de ma dernière fois; une dernière fois, je ne pense pas que ça se recommence. J’ai décidé de vider mon frigo; de me faire une grande bouffe, comme dans le film du même nom. Il me restait quelques légumes, une poitrine de poulet surgelée, des côtelettes de porc achetées en spécial et même une escalope de veau de lait. J’arrivais pas à me décider, j’ai décidé de tout  préparer. Tant pis pour la vaisselle et la cuisinière qu’il faudra nettoyer.
 
Ça été long, tout préparer. J’ai défait les emballages, rincé les assiettes de styrofoam -même pas sales à cause du truc au fond qui absorbe le sang-, puis je les ai mises au recyclage. Et puis j’ai tout coupé minutieusement, comme on le fait à la télé. J’ai bien huilé, attendu que ça frémisse, et j’ai commencé par faire cuire le veau que j’avais passé dans l’œuf et la chapelure comme ma mère me l’a appris. Quand ça commencé à cramer, je l’ai remplacé par le poulet que j’ai fait cuire avec des poivrons et une sauce « Souvenirs d’Indochine » du Président. Ça devrait être bon, c’est toujours bon, le Président. Ensuite par le porc, porc à rien
 
J’ai goûté le veau en premier. C’était le plus tendre. Après le croustillant, une viande rose, qui se coupe presque à la fourchette et qui fond dans la bouche. Ensuite, j’ai goûté au poulet. Ça aussi, c’était pas mal. Mais c’est le Président qu’on goûte, pas le poulet. Et puis le porc, tout sec, qui avait trop cuit, qui était de trop. Assez rapidement, sans trop y penser puisque je regardais des merdes sur Youtube, j’ai tout mangé. Pour une fois, sans culpabiliser, c’était la dernière fois. Je me suis allumé une cigarette, puis je suis allé me coucher. La vaisselle va attendre, mais je ne sais pas jusqu’à quand.
 
Je me suis réveillé au milieu de la nuit; en sueurs et avec un terrible mal de ventre.  Je n’ai pas pu vomir, je n’ai pas pu me rendormir. Quand je ne dors pas, j’angoisse. J’ai passé la nuit à angoisser. J’aurais préféré des cauchemars. J’ai tout repassé dans ma tête, tout ce que j’ai lu, tous les films que j’ai vus. J’ai pas changé d’idée. Ça suffit, ça ne peut pas continuer. Il faut que j’arrête cette souffrance. Il faut que je fasse ma part. C’est possible, je suis capable, d’autres l’ont fait avant moi.  Et puis c’est con, ça ne vaut pas la peine d’aller travailler dans cet état. Je m’étire, prends mon iPod Touch, envoie un mail au bureau pour dire que je suis malade.
 
Je ne pensais pas que ça finirait comme ça, mais c’est bien fini.
Je mets à jour mon status sur Facebook. : « est végétarien ».
 

dimanche 13 septembre 2009

En vrac

Filtrage

Vendredi j'ai passé la journée avec un petit groupe de médecins autour du thème des "conflits d'intérêt". Au cours des échanges qui ont eu lieu (et à propos des méthodes qui permettent de réfléchir à sa pratique), l'une des participantes a demandé si, quand on mettait sur le papier une expérience clinique, soit pour la lire à d'autres, soit pour la relire plus tard, on ne courait pas le risque de "filtrer" ce qu'on dit.

Je suis très sensible à cette idée de "filtrage" dans les textes autobiographiques. A l'âge de 14 ans, j'ai commencé à tenir un journal, et il y avait tant de choses qui se pressaient à dire - et que je n'osais pas dire de peur que ma mère tombe dessus et les lise - que mes textes étaient bourrés de points de suspension. J'étais persuadé que je me souviendrais toute ma vie de ce que ces points de suspension contenaient ou désignaient ! Mais c'était une forme de protection, bien naturelle à un âge où les garçons "doivent" courir après des ballons, et non rester coincés dans leur chambre, à lire ou (pire !) à écrire.

Alors, bien sûr, quand on écrit, que ce soit des textes intimes ou de la fiction, on "filtre". Ne serait-ce que parce qu'on choisit ses mots, ou son approche, ou ses sujets. Mais ce qu'on ne sait pas - et qu'on découvre bien plus tard - c'est qu'un filtre, ça retient et ça laisse passer. Ce qui passe semble anodin, sans danger, sans conséquence... et ne l'est pas. On le sait d'autant moins qu'on ne voit pas ce que ça donne en fin de compte, dans le texte. Il en va de même pour la fiction. On a beau être persuadé qu'on sait ce qu'on fait, il y a tant, dans le résultat, qu'on n'avait pas prévu, que les lecteurs/trices voient et pointent, et qu'on n'avait pas vu non plus à la relecture, fût-elle la douzième.

C'est comme les "coquilles", ces fautes d'orthographe ou de frappe ou de mise en page, qu'on trouve dans tous les livres (il y en a un certain nombre encore dans Le Choeur des femmes, j'espère que j'aurai l'occasion de les faire rectifier s'il y a une réimpression). Quand on lit, surtout quand on est un lecteur rapide, on ne les voit pas toujours. Même les relecteurs professionnels ne les revoient pas, car au bout d'un moment, ils ne peuvent pas seulement s'astreindre à regarder les mots et les lignes, ils... lisent. Et le cerveau comble les trous. Il met un mot là où ce mot manque, il remet dans l'ordre les lettres inversées, il ajoute l'alinéa qui a sauté, etc.

Le cerveau travaille sans qu'on s'en rende compte et il nous joue des tours. Mais au fond, l'essentiel, quand on écrit, n'est pas de se préoccuper de ce qu'on "filtre" ou de ce qu'on "dit", mais (il me semble, et en tout cas c'est ce que je m'efforce de faire dans mes textes) l'aspect, la sonorité, le rythme, le sens du texte final. S'il "sonne juste" dans la tête de l'écrivant, c'est qu'on a fait son boulot. Ensuite, quoi qu'on en veuille, il sonnera différemment aux oreilles internes des lisants. (Marre d'écrire lecteurs/trices). Et ce que les lisants distinguent ou entendent dans le texte fini est toujours surprenant pour l'écrivant. Alors, ce qui compte n'est pas ce qu'on a retenu en filtrant, c'est ce qu'on a, consciemment ou pas, laissé passer par les orifices. Et le résultat, je le crois sincèrement, est toujours fidèle à la personne qu'on est, même si, d'un point de vue formel, on n'a pas fait tout à fait ce qu'on voulait faire, ou ce qu'on prévoyait.

Quand un écrivant dit qu'il n'est pas content du texte qu'il a publié autrefois, je me demande toujours pourquoi il l'a laissé publier alors. Je sais que si j'écrivais La Vacation ou même La maladie de Sachs aujourd'hui, je ne les écrirais pas de la même manière. Mais je sais aussi que, lorsque je les ai écrits, j'ai fait du mieux que j'ai pu avec les outils dont je disposais à l'époque. Et je sais aussi que les erreurs ou maladresses ou bourdes que j'ai pu faire à l'époque ont, comme les réussites, contribué à préparer les textes qui ont suivi. Et ces textes, bons ou mauvais, je leur suis reconnaissant d'avoir tenu debout suffisamment pour être publiés et m'aider à en écrire d'autres. Jamais je ne pourrai les renier, ni même en avoir honte.

Pige 

Un journaliste de Ouest-France demande à m'interviewer pour avoir mon avis sur la campagne de vaccination de la grippe en France (je jouerais le partisan du "Non à la vaccination généralisée"). Je lui réponds que je suis un peu loin et qu'étant donné mon emploi du temps la semaine prochaine, ça va être acrobatique. Est-ce qu'il est d'accord pour que je lui envoie un texte, à la place ? Il me répond par l'affirmative. Je demande alors à ce que mon texte soit rémunéré comme une pige (un texte écrit par un rédacteur extérieur). Il me dit que "ça n'est pas prévu", mais qu'il peut citer le titre de mon livre... Je lui rétorque que si Ouest-France veut mon avis, et si je produis un texte argumenté, donc un travail de journaliste scientifique (ce que je suis depuis 25 ans), le premier quotidien de France a peut-être les moyens de me rémunérer. Je ne demande pas un cachet de diva, mais d'être rémunéré au tarif de n'importe quel journaliste extérieur, et rien d'autre. J'ajoute que je n'écris pas pour "qu'on cite mes livres", mais pour gagner ma vie, et que je veux être traité en professionnel, pas en personnalité. Je m'attends à ce qu'il m'envoie paître. Mais non, il me répond très courtoisement qu'il a compris mes arguments et qu'on me rémunèrera au tarif habituel des éditoriaux (200 euros).

Il me paraît TRES important qu'on se mette, dans la presse française, à faire très distinctement la différence entre d'une part les prises de parole d'opinion ou d'humeur et d'autre part les textes documentés. Une interview, c'est une interview. C'est le journaliste qui reprend et commente les propos de l'interrogé. Mais quand la contribution de la personne sollicitée est un texte qui partage des informations avec le public, c'est un texte de journalisme, et il doit être rémunéré comme tel.

Beaucoup de journalistes français (je ne parle pas de celui-ci, mais d'innombrables autres qui m'ont, pendant des années, interrogé sur les séries télé, par exemple, et que je gardais au téléphone pendant une heure pour leur expliquer ce qu'ils auraient pu savoir s'ils avaient pris la peine de lire mes bouquins sur le sujet au lieu de se contenter de repérer le type qui l'avait écrit pour lui tirer des informations sans avoir besoin de les rechercher) ont une attitude insupportablement paresseuse à l'égard du savoir : ils se contentent de faire parler les "spécialistes", les "experts" mais ne critiquent ni n'analysent (ni même ne lisent) ce qui leur permettrait de distinguer les questions superficielles des questions de fond. Combien de fois m'a-t-on appelé pour me demander "D'où vient l'engouement des Français pour les séries télé ? " ou "Est-ce que les séries ont facilité l'élection de Barack Obama ?", ou encore "Comment il se fait qu'il y ait tant de bonnes séries aujourd'hui alors qu'avant y'en avait pas ?" ... Toutes ces questions sont parfaitement acceptables de la part de quelqu'un qui n'y connaît rien, mais pas de la part de quelqu'un dont c'est le métier de chercher à savoir. Et pour savoir, il ne suffit pas d'interroger UN spécialiste, fût-il aussi bavard que moi. Pour savoir, il faut LIRE.
Aujourd'hui, avec un ordinateur et un abonnement internet, on peut lire beaucoup et apprendre beaucoup sur tout... avant d'appeler le spécialiste. Mais évidemment, c'est plus long.