Ces dernières semaines, je me suis mis à ranger mes archives...
Il y a bien sûr beaucoup de textes, de brouillons, de cahiers, mais il y a aussi un paquet de lettres.
J'ai échangé beaucoup de lettres avant l'internet (et beaucoup depuis, mais celles-là, elles sont déjà archivées sous forme numérique) et, comme je suis sentimental, je garde tout.
Je garde même parfois mes propres courriers parce que depuis longtemps je fais des copies (d'abord au carbone, déjà quand j'écrivais à la main, puis évidemment sous forme de tirage papier puis de fichier quand j'ai eu un ordinateur, à partir de 1988), même des lettres désagréables (et de mauvaise foi) que j'ai rédigées dans un élan de colère, des lettres d'excuses que j'ai envoyées honteux, des lettres vengeresses que je n'ai pas osé mettre à la poste, etc. Et je rougis de confusion en les relisant... Ca me fait faire une petite cure d'humilité.
Je garde, bien sûr, tous les courriers personnels. Car la plupart ont une importance symbolique ou affective. Je ne détruis que lorsque conserver me semble indiscret pour la personne qui l'a envoyé. Parfois, je rends les courriers à la personne qui les a envoyés, si on ne se parle plus.
(Par exemple, j'ai rendu à ma première épouse, à sa demande, les courriers qu'elle m'avait écrits. Elle m'a rendu les miens.)
J'ai un joli dossier dans laquelle je garde les cartes que Rachel, ma blonde, glisse dans ma valise chaque fois que je pars en France. (J'ai aussi gardé tous nos courriels, bien entendu.)
J'ai un carton à chaussures plein de courriers de lecteurices (depuis La Vacation et jusqu'à En souvenir d'André, à peu près, car ensuite, j'ai reçu très peu de lettres écrites à la main, mais ça m'arrive encore, j'en ai reçu une ce matin, d'une lectrice de Ateliers d'écriture). Il y a des lettres stupéfiantes, de trois lignes ou de vingt pages et d'autres simplement émouvantes. Aucune n'est "banale" à mes yeux.
J'ai deux épaisses chemises contenant les lettres que ma mère américaine, Betty et mon meilleur ami du Minnesota, Jim L. m'ont envoyées pendant plus de vingt ans. (Après, ils sont passé au courriel). Et ceux de mon prof de classe de première et aujourd'hui ami, Raphaël Monticelli, avec qui j'échange depuis 1970, par là...
Une autre contient des lettres ou des cartes écrites par des personnalités ou des lecteurices "célèbres", en réponse à l'admirateur inconnu qui leur avait écrit de Pithiviers ou du Mans (Isaac Asimov, Léo Malet, Umberto Eco, Jean-Luc Benoziglio) ou après avoir lu un de mes livres (Mylène Demongeot, Pierre Bourdieu, Claude Nougaro), ou parce qu'on était ami·e·s (Daniel Zimmermann et Claude Pujade-Renaud, Philippe Lejeune, Paul Otchakovsky-Laurens), ou simplement parce qu'on s'était rencontrés, on s'était trouvé des intérêts communs et on s'était mis à s'écrire de temps à autre (Gotlib, Serge Tisseron, Jean Guenot).
En triant tous ces courriers, j'ai découvert avec tristesse que je n'ai plus qu'une ou deux lettres de mon ami Opher, ami d'enfance et d'adolescence qui fut mon principal correspondant entre treize et dix-huit ans. Je ne sais pas ce qu'elles sont devenues.
J'ai gardé beaucoup de lettres de mes parents et toutes celles que je leur ai écrites d'Amérique, que ma mère avait conservées dans un tiroir et que j'ai retrouvées après sa mort.
J'ai beaucoup de chance : dans tout ça, je n'ai pas souvent reçu de lettres d'insultes. J'en ai peut-être reçu une demi-douzaine depuis soixante ans.
Mais en les triant, j'ai retrouvé une lettre désagréable. L'auteur (au ton de la missive, je pense que c'est un homme) ne l'a pas signée et je ne suis pas sûr de l'époque à laquelle je l'ai reçue, mais comme il mentionne des articles dans Libération, je pense qu'il fait allusion à un "Bloc-Notes" écrit pour le quotidien, et publié le 4.12.1999.
Toujours est-il qu'il m'écrit ceci (je transcris parce que je suis pas sûr que le scan est bien lisible)
(Comme vous le voyez peut-être, il emploie des majuscules dans tout le texte. C'était avant le courriel, le SMS et la nétiquette, mais il avait déjà compris qu'en majuscules, ça fait plus menaçant...)
VOS ARTICLES DANS LIBERATION SONT RISIBLES ET PITOYABLES. VOUS VOUS CROYEZ ENCORE EN MAI 68, DU TEMPS DE LA LCR ET DES MAOS SPONTEX (sic !).
FAITES UN BILAN DE VOTRE CARRIÈRE C'EST UN VRAI DESASTRE. VOUS N'AVEZ ÉTÉ CAPABLE QUE DE DEVENIR UN PETIT AVORTEUR PROVINCIAL...
("Avorteur et provincial", c'est vrai. Et même poseur de stérilet ! On me l'a déjà reproché, alors je vais pas discuter. Mais "petit", c'est tout relatif... je mesure 1,80, même après m'être tassé un peu, alors...)
C'EST MINABLE POUR UN MEDECIN DE VOTRE INTELLIGENCE !
REGARDEZ UN PEU DANS LE LOINTAIN PASSÉ ET FAITES VOTRE AUTOCRITIQUE ! QUEL GÂCHIS ! VOS PROCHES DOIVENT ÊTRE SIDÉRÉS DE VOTRE INFANTISME. (sic !)
RESSAISISSEZ VOUS ! COURAGE !
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C'est bizarre de retrouver une lettre d'insultes. Pasque bon, elle ne contient pas d'injures à proprement parler, mais elle est désagréable quand même. Je me suis jamais pris pour (ni même frotté à) un Mao Spontex ; j'ai toujours été marxiste tendance Groucho...
C'est bizarre, parce que je ne me souviens pas évidemment comment j'ai réagi lorsque je l'ai reçue. Je peux supposer qu'elle m'a surtout intrigué (comme aujourd'hui) et que je me suis gratté la tête pour la comprendre. Et que c'est pour ça que je l'ai conservée. Si je l'avais traitée par le mépris, je m'en serais débarrassé, mais non.
Et je n'ai pas pu lui répondre, bien entendu : il n'y avait ni signature ni adresse retour sur l'enveloppe. Je regrette. Ca aurait pu donner lieu à un bel échange.
Mais en la relisant, je l'ai pris au mot, je me suis retourné vers mon passé (encore plus lointain que lorsqu'il l'a écrite) de petit avorteur provincial, écrivant professionnel et occasionnel contributeur de Libé.
Et je me suis dit que, somme toute, cette lettre me faisait du bien.
Ca doit être ma tournure d'esprit : je vois du positif dans presque tout, pas toujours sur le moment, mais après avoir pris un peu de recul. Là, par exemple, je peux me féliciter d'avoir continué à écrire et à publier (en général). Ca m'a permis de gagner ma vie.
Si ça se trouve, cette lettre m'a incité à écrire des maos plus spontex -- pardon ! -- des mots plus spontanés qu'avant.
Bref, il est très possible que mon interlocuteur inconnu m'ait poussé, comme il l'écrit, à me ressaisir de mon destin. Auquel cas, je lui dois beaucoup.
J'aimerais pouvoir le lui dire, et le remercier. Mais je ne peux pas. Et c'était il y a bien longtemps. Depuis tout ce temps, il est bien possible qu'il ne s'en souvienne plus. Ca me rend un peu triste.
Et d'ailleurs, pour ce que j'en sais, il est peut-être mort d'une apoplexie ou encore renversé par un bus deux jours après me l'avoir écrite, cette lettre. Vous vous rendez compte ? Ecrire ça et paf ! mourir juste après ? Quel destin cruel.
Oui, j'ai bien fait de la conserver. Si ça se trouve, je suis peut-être le dernier à l'avoir lu vivant (et, à présent, mort...)
Je me demande si je ne vais pas l'encadrer.
Mar(c)tin