samedi 5 septembre 2009
"Si tu gagnais un milliard, tu continuerais à écrire ?"
C'est juste que tout à l'heure, mon plus jeune fils m'a demandé : "Ton dernier livre, c'est Le Choeur des femmes, c'est ça ?" J'ai répondu par l'affirmative et comme il me demandait si j'allais en écrire un autre j'ai précisé : "C'est mon dernier livre en date..." J'imagine qu'il se demandait si, une fois que je vais me mettre à enseigner, je vais continuer à écrire des livres. Et bien sûr la question ne se pose même pas. J'ai toujours deux, trois, dix livres en tête. Ca fait partie de ma vie, d'écrire. Même si ça contribue à faire vivre ma famille, a conditionne toutes mes relations aux autres, depuis toujours ou presque.
Quand il m'a entendu répondre que j'écrirais d'autres livres, un de mes jumeaux a demandé : "Mais si tu gagnais un milliard avec ce livre-ci, est-ce que tu continuerais à écrire ?" J'ai répondu bien sûr. Je ne cracherais pas sur le milliard mais ça n'y changerait rien. Je n'écris pas pour devenir rentier ni parce que je veux m'offrir un yacht ou une maison de trente pièces. Je n'écris pas non plus pour être admiré ou devenir important. J'écris parce que ça m'aide à faire face à ma tristesse, à ma colère, à mes inquiétudes, au heartache que j'ai de temps à autre (et en ce moment-même, d'ailleurs, depuis quelques jours).
Et là je me rends compte que ce blog est en train de devenir mon journal intime, celui que j'ai commencé à 14 ans. A ceci près (et ça n'est pas un détail) que personne n'avait accès à mon journal (j'offrais mes nouvelles, je ne faisais pas lire mon journal) et que tout le monde (enfin, celles et ceux qui ont envie d'y venir) peut lire ce blog.
Avoir un heartache, ça m'a toujours fait écrire. L'écriture est ma trinitrine.
Comédie (médicale) humaine
Commentant sa lecture du Choeur des femmes, un critique (élogieux, par ailleurs) de Marianne me compare à Balzac (rien que ça) et Karma au Père Goriot qui "ferait tout pour protéger ses filles". Or, justement (et même si j'apprécie l'hommage pour ce qu'il est) Karma s'efforce de ne jamais se comporter comme un père avec les patientes dont il s'occupe. Son objectif, c'est de sortir de ce qu'on appelle le paternalisme médical, une idéologie qui sous-entend qu'un médecin doit "paterner" les patients qui se confient à lui. Bien sûr, cette idéologie est ancienne, et remonte à toutes les époques passées où les médecins faisaient quasiment partie d'une société secrète - et, en tout cas, d'une classe sociale à part et proche du pouvoir.
Je voulais justement dessiner un personnage qui n'ait pas de rapport hiérarchique avec ses collègues ni avec les femmes qui viennent le voir.
Ca me rappelle les discussions incessantes que je peux avoir autour du fait de tutoyer ou de vouvoyer les autres. Je trouve que l'anglais (entre autres maintes supériorités par rapport au français) a cette énorme capacité de mettre tout le monde au même niveau par l'unicité du pronom à la deuxième personne. En français, savoir à qui dire tu ou vous est un casse-tête insensé.
Personnellement, j'utilise "Vous" ou "Tu" de manière intuitive, totalement arbitraire et peut-être parfois ridicule, mais j'ai le sentiment que c'est pour "personnaliser" ma relation à l'autre. Il y a des gens à qui je dis "Vous" par respect ou parce que je ne les prendrais pas avec des pincettes (wouldn't touch them with a ten-foot pole) ; il y en a à qui je dis "Vous" alors que j'aimerais bien leur dire "Tu" mais n'ose pas ; il y en a à qui je dis "Tu" mais j'aimerais mieux ne pas avoir à leur parler ; et d'autres à qui je dis "Tu" alors que je trouve ça inapproprié (je devrais les vouvoyer). Bref, le "Tu" et le "Vous" c'est le début des conventions et je déteste les conventions. "You", c'est vraiment plus reposant.
Cela dit, j'aimais bien, dans les années 50 et 60, entendre des personnages dans les VF des films américains passer du "Tu" au "Vous" après un baiser passionné ou après une ellipse qui permettait de comprendre qu'ils avaient passé la nuit (ou deux heures) ensemble à faire des galipettes. Cette subtilité de langage (parfois complètement arbitraire, si rien n'indiquait un surcroît d'intimité entre eux, comme c'était parfois le cas) n'était évidemment audible qu'en français puisque la version originale, bien sûr, ne pouvait pas l'inclure. Je pense qu'elle résultait de conventions dans le cinéma ou le théâtre français, transposées dans les dialogues des doublages...
Dans Le Choeur des femmes, Atwood rigole de voir Karma osciller du Vous au Tu sans arrêt parce qu'il ne sait pas comment lui parler. Atwood, en revanche, ne cesse de vouvoyer Karma pendant tout le livre. (Il est très probable qu'après la fin du livre, elle le tutoie enfin.) D'abord par défiance ou défi, ensuite par circonspection, ensuite par respect.
Il n'en reste pas moins que je ne sais pas toujours passer du Vous au Tu. C'est en train de devenir crucial ici, à Montréal, où tout le monde se tutoie. J'ai un peu de mal à tutoyer certain(e)s collègues au CREUM ou certaines personnes que je côtoie et que je pourrais très bien tutoyer... Tiens, d'ailleurs, ce sont des femmes, pour la plupart...
En général, je vouvoie les jeunes gens parce que je ne veux pas qu'ils pensent que je les traite de manière paternelle.
Je vouvoie les personnes que je respecte (un/e aîné/e, un "mentor") et j'ai du mal à les tutoyer même quand elles me le demandent. Je n'arrivais pas à tutoyer Daniel Zimmermann, qui me tutoyait et que j'aimais profondément. Je n'arrive pas à tutoyer Claude Pujade-Renaud.
Parfois, je brûle de tutoyer quelqu'un et je ne le fais pas parce que je redoute que ce soit une intrusion dans son intimité.
Je dois avoir un problème de limites.
Il y a peut être un texte à écrire sur le sujet.
Tout peut s'écrire, à condition de ne pas écrire dans le vide.
Tiens, hier je caressais l'idée d'animer un atelier d'écriture, et comme je ne l'ai jamais fait, j'essayais d'imaginer ce que je dirais aux personnes qui y participeraient. Et dans mon demi-sommeil (c'était peu après avoir éteint la lumière) j'imaginais que je dirais : "commencez d'abord à vous poser et à répondre à des questions simples : de qui racontez vous l'histoire ? à qui ? qui est-ce qui parle ? comment ça commence (à peu près) ? comment ça finit (approximativement) ? et par où avez vous envie de passer ? (les étapes, morales ou topographiques ou narratives ou formelles, ou je ne sais quoi.
Pour tous mes romans, j'ai procédé de cette manière là, sans me poser les questions de manière aussi explicite, évidemment, mais en y répondant implicitement.
Je savais toujours ce que j'avais envie de raconter : la journée d'un médecin avorteur dans La Vacation ; la vie quotidienne d'un généraliste dans Sachs ; mes études de médecine dans Les Trois médecins ; mes vingt-cinq ans de service de planification dans Le Choeur des femmes. Je n'ai jamais commencé un roman sans savoir qui allait raconter l'histoire (je ne pouvais pas). J'ai toujours eu à peu près en tête la dernière scène. Je savais (dans les grandes lignes) ce que je voulais dire ("un avortement, ça fait mal à tout le monde" ; "un médecin est une personne comme une autre" ; "les études de médecine sont violentes mais ceux qui veulent soigner finissent par soigner" ; "la personne qu'on soigne aujourd'hui est le soignant de demain" et "soigner ce n'est pas une relation de pouvoir mais de partage").
En ce moment, je suis dans un état bizarre, intermédiaire. Je n'ai pas eu de "baby blues" après la fin d'écriture du CDF parce que tout s'est ensuite passé très vite, la mise sous presse, mon départ en France pour déménager, mon retour à Montréal pour emménager et me préparer au cours que je donne ce trimestre, etc. Je n'ai pas eu le temps de ressentir le manque de mon livre (mais je l'ai tout de même relu, par fragments, pendant plusieurs jours après avoir reçu le premier exemplaire, dans l'espoir d'y retrouver une partie de l'ivresse que j'ai ressentie en l'écrivant).
Et là, je me sens bizarre parce que depuis sa sortie il y a huit jours, des lecteurs/trices nouveaux m'écrivent tous les jours et qu'ils réactivent ce que je ressens par rapport à ce livre. Et parce que, pour diverses raisons, je suis en train de penser au suivant. Il sera radicalement différent des romans précédents : ce n'est ni un roman médical, ni un roman policier (ou de SF).
Ca s'appelle "La tête d'un homme" et ça renvoie à deux choses, d'abord au préjugé selon lequel une femme pense avec son coeur, tandis qu'un homme ne pense qu'avec sa tête, sans sentiments. Et aussi au fait qu'après avoir écrit "Le Choeur des femmes", j'ai envie de parler des hommes avec la même acuité. Et puis, ça fait aussi penser au titre d'un film des années 50 sur la peine de mort...
Tout un programme.
Oh I wish I had a river
I could skate away on.
Je voulais justement dessiner un personnage qui n'ait pas de rapport hiérarchique avec ses collègues ni avec les femmes qui viennent le voir.
Ca me rappelle les discussions incessantes que je peux avoir autour du fait de tutoyer ou de vouvoyer les autres. Je trouve que l'anglais (entre autres maintes supériorités par rapport au français) a cette énorme capacité de mettre tout le monde au même niveau par l'unicité du pronom à la deuxième personne. En français, savoir à qui dire tu ou vous est un casse-tête insensé.
Personnellement, j'utilise "Vous" ou "Tu" de manière intuitive, totalement arbitraire et peut-être parfois ridicule, mais j'ai le sentiment que c'est pour "personnaliser" ma relation à l'autre. Il y a des gens à qui je dis "Vous" par respect ou parce que je ne les prendrais pas avec des pincettes (wouldn't touch them with a ten-foot pole) ; il y en a à qui je dis "Vous" alors que j'aimerais bien leur dire "Tu" mais n'ose pas ; il y en a à qui je dis "Tu" mais j'aimerais mieux ne pas avoir à leur parler ; et d'autres à qui je dis "Tu" alors que je trouve ça inapproprié (je devrais les vouvoyer). Bref, le "Tu" et le "Vous" c'est le début des conventions et je déteste les conventions. "You", c'est vraiment plus reposant.
Cela dit, j'aimais bien, dans les années 50 et 60, entendre des personnages dans les VF des films américains passer du "Tu" au "Vous" après un baiser passionné ou après une ellipse qui permettait de comprendre qu'ils avaient passé la nuit (ou deux heures) ensemble à faire des galipettes. Cette subtilité de langage (parfois complètement arbitraire, si rien n'indiquait un surcroît d'intimité entre eux, comme c'était parfois le cas) n'était évidemment audible qu'en français puisque la version originale, bien sûr, ne pouvait pas l'inclure. Je pense qu'elle résultait de conventions dans le cinéma ou le théâtre français, transposées dans les dialogues des doublages...
Dans Le Choeur des femmes, Atwood rigole de voir Karma osciller du Vous au Tu sans arrêt parce qu'il ne sait pas comment lui parler. Atwood, en revanche, ne cesse de vouvoyer Karma pendant tout le livre. (Il est très probable qu'après la fin du livre, elle le tutoie enfin.) D'abord par défiance ou défi, ensuite par circonspection, ensuite par respect.
Il n'en reste pas moins que je ne sais pas toujours passer du Vous au Tu. C'est en train de devenir crucial ici, à Montréal, où tout le monde se tutoie. J'ai un peu de mal à tutoyer certain(e)s collègues au CREUM ou certaines personnes que je côtoie et que je pourrais très bien tutoyer... Tiens, d'ailleurs, ce sont des femmes, pour la plupart...
En général, je vouvoie les jeunes gens parce que je ne veux pas qu'ils pensent que je les traite de manière paternelle.
Je vouvoie les personnes que je respecte (un/e aîné/e, un "mentor") et j'ai du mal à les tutoyer même quand elles me le demandent. Je n'arrivais pas à tutoyer Daniel Zimmermann, qui me tutoyait et que j'aimais profondément. Je n'arrive pas à tutoyer Claude Pujade-Renaud.
Parfois, je brûle de tutoyer quelqu'un et je ne le fais pas parce que je redoute que ce soit une intrusion dans son intimité.
Je dois avoir un problème de limites.
Il y a peut être un texte à écrire sur le sujet.
Tout peut s'écrire, à condition de ne pas écrire dans le vide.
Tiens, hier je caressais l'idée d'animer un atelier d'écriture, et comme je ne l'ai jamais fait, j'essayais d'imaginer ce que je dirais aux personnes qui y participeraient. Et dans mon demi-sommeil (c'était peu après avoir éteint la lumière) j'imaginais que je dirais : "commencez d'abord à vous poser et à répondre à des questions simples : de qui racontez vous l'histoire ? à qui ? qui est-ce qui parle ? comment ça commence (à peu près) ? comment ça finit (approximativement) ? et par où avez vous envie de passer ? (les étapes, morales ou topographiques ou narratives ou formelles, ou je ne sais quoi.
Pour tous mes romans, j'ai procédé de cette manière là, sans me poser les questions de manière aussi explicite, évidemment, mais en y répondant implicitement.
Je savais toujours ce que j'avais envie de raconter : la journée d'un médecin avorteur dans La Vacation ; la vie quotidienne d'un généraliste dans Sachs ; mes études de médecine dans Les Trois médecins ; mes vingt-cinq ans de service de planification dans Le Choeur des femmes. Je n'ai jamais commencé un roman sans savoir qui allait raconter l'histoire (je ne pouvais pas). J'ai toujours eu à peu près en tête la dernière scène. Je savais (dans les grandes lignes) ce que je voulais dire ("un avortement, ça fait mal à tout le monde" ; "un médecin est une personne comme une autre" ; "les études de médecine sont violentes mais ceux qui veulent soigner finissent par soigner" ; "la personne qu'on soigne aujourd'hui est le soignant de demain" et "soigner ce n'est pas une relation de pouvoir mais de partage").
En ce moment, je suis dans un état bizarre, intermédiaire. Je n'ai pas eu de "baby blues" après la fin d'écriture du CDF parce que tout s'est ensuite passé très vite, la mise sous presse, mon départ en France pour déménager, mon retour à Montréal pour emménager et me préparer au cours que je donne ce trimestre, etc. Je n'ai pas eu le temps de ressentir le manque de mon livre (mais je l'ai tout de même relu, par fragments, pendant plusieurs jours après avoir reçu le premier exemplaire, dans l'espoir d'y retrouver une partie de l'ivresse que j'ai ressentie en l'écrivant).
Et là, je me sens bizarre parce que depuis sa sortie il y a huit jours, des lecteurs/trices nouveaux m'écrivent tous les jours et qu'ils réactivent ce que je ressens par rapport à ce livre. Et parce que, pour diverses raisons, je suis en train de penser au suivant. Il sera radicalement différent des romans précédents : ce n'est ni un roman médical, ni un roman policier (ou de SF).
Ca s'appelle "La tête d'un homme" et ça renvoie à deux choses, d'abord au préjugé selon lequel une femme pense avec son coeur, tandis qu'un homme ne pense qu'avec sa tête, sans sentiments. Et aussi au fait qu'après avoir écrit "Le Choeur des femmes", j'ai envie de parler des hommes avec la même acuité. Et puis, ça fait aussi penser au titre d'un film des années 50 sur la peine de mort...
Tout un programme.
Oh I wish I had a river
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