vendredi 24 décembre 2010

Bonne fin 2010, bon début 2011

Merci à toutes celles et tous ceux qui ont fréquenté ce blog pendant l'année 2010. De nouveaux textes seront mis en ligne début 2011.
En attendant, je souhaite à toutes et à tous de très bonnes fêtes de fin d'année.

Amicalement
Mar(c)tin Winckler/Zaffran

Et pour commencer l'année, mon "petit afflictionnaire médical", un cadeau offert par le site d'édition en ligne de François Bon, publie.net !







mercredi 22 décembre 2010

Débuts de roman (rattrapage) - par Fred (Exercice n°15)



1. Dans son bureau translucide, flottant au-dessus du gratte-ciel de l'Oulipothèque, le Lynx me scruta des pieds à la tête avant de me remettre la liste des ingrédients à réunir : un avion en papier pour le décollage, un paquet de farine blanche pour le maquillage, le ticket d'un film de Malle pour tout bagage… La façon dont j'avais réussi à grimper jusqu'à lui en échappant au censeur pour les chats faux avait suffi à le convaincre de ma détermination de panthère aux aguets. N'ayant pas l'esprit de l'escalier, j'avais pu répondre avec une souplesse féline à son interrogatoire serré. Enfin, je tenais le secret des grands tigres de papier ! Après plusieurs vies de labeur inutile, j'allais pouvoir poser ma griffe sur le clavier et devenir la reine de l'incipit. Un bon début de roman et c'en serait fini de ces vils chiens de garde des canons du style canin ! Un nouveau chat pitre commençait…


2. La porte de l'appartement se referme sur ton père qui part au travail. La peur te contracte le ventre. Quand le chat est parti, la furie est en transe. Ses invectives tranchantes, ses paroles incisives te réduisent à l'état d'un paquet de farine qu'une vilaine souris ronge avec obstination au fond d'un placard qu'on n'ouvre plus. Ta cervelle est une poudreuse où ses pattes nerveuses, ses névroses griffues, laissent des traces de louve traquant sa proie. Tu fermes les yeux pour conjurer ses phrases couteaux. Caché en toi, tu t'insurges. Tu te barricades. Tu t'absentes. Tu décolles, tu n'es plus sur le sol froid de la cuisine, tu es le roi et l'oiseau, perché tout en haut du plus haut des gratte-ciel. Tu es l'éléphanteau aux oreilles géantes, comme dans ce film dont tu as accroché le joli ticket au-dessus de ton lit. Tu voles si vite, tu planes si haut, tu tournoies si fort, que tu ne la vois déjà plus. Et qu'elle ne pourra jamais plus te voir.


3. Elle pousse son caddie dans les allées de ce labyrinthe de lessives, de nouilles, de briques de lait. Elle regarde son post-it fluo. Elle prend. Elle lâche. Une boîte de tomates pelées au jus. Elle prend. Elle lâche. Un litre de dégraissant pour la vaisselle. Elle prend. Elle lâche. Cinq tranches de jambons la sixième gratuite. Elle prend. Elle lâche. Une boîte d'aliments pour le chat qu'il lui a laissé. Elle prend. Elle lâche. Un kilo de sucre brun pur canne. Elle prend. Elle lâche. Un souvenir de vacances à la Martinique. Elle prend. Elle lâche. Un paquet de farine garantie anti-grumeaux. Elle prend. Elle lâche. La main de Paul qui pianote quelque part à New York. Il vit  aujourd'hui dans un film dont elle a perdu le ticket d'entrée. Elle avance dans les rues de ce manhattan provincial aux gratte-ciel de lessive, de nouilles, de briques de lait, perdue dans le trafic des caddies qui se croisent, se frôlent, se séparent.

samedi 18 décembre 2010

La vie en Brève, 10 - par Fulbine (exercice N°16)


C’est à vif, que j’annonce la mort de ma dernière peau.

J’avais compris les prémisses de cette phase ultime en apercevant le suivant déjà prêt derrière moi dans le miroir. Il avait probablement eu un traitement de faveur du conseil, pour me pousser aussi vite vers le vide. Au départ une fumée légère, puis une silhouette blanche, de plus en plus dense. Jusqu’aux yeux avides dans ma nuque hérissée.
Ma dernière peau est morte presqu’assassinée.

Enfant, la perte de ma première peau ne m’a pas affecté naïf que j’étais. Jeune adulte engagé dans les troupes de sécurité, je pratiquais la flagellation des populations de dermocriminels. La perte de ma peau, patriote m’a même rempli de fierté, pour le suivant qui l’endosserait.

Ma dernière peau n’avait pas eu beaucoup d’antérieurs, je fus le premier à la marquer.
Elle portait en elle la lumière pâle des lunes rencontrées, était marquée des ondes lunaires qui bleutaient ses pigments. Elle en avait acquis une certaine grâce, qu’apprécierait sûrement le suivant qui attendait.
Elle était imprégnée de l’empreinte trouble des animas de la planète Terre que j’avais eu la chance d’aborder dans ma millième année. Ceux qui avaient besoin de copulation pour se régénérer. Un ballet de mélange de peaux, étrange et odorant. Ma dernière peau en portait l’expérience.

Ma dernière peau était empreinte des atmosphères d’Andromède et du Centaure. Autant d’années lumières subies dans ma carrière de Naute, qui l’ont liée intimement à mon esprit de chair. Combien de grammes partiront avec elle ? Combien de mon âme vais-je perdre ?
Ma dernière peau, était aussi ma dernière vie.

jeudi 16 décembre 2010

Rattrapage : Débuts de romans par Salomé Viviana (Ex. n°15)

1. Putain d’avion… Se payer un gratte-ciel en plein jour…Mais qu’est-ce qui lui a pris ? A l’instar de milliers de New Yorkais, Kirk s’était immédiatement rendu sur place. Il n’en croyait pas ses yeux. Un désastre dépassant l’imagination. La guerre, une bombe, c’était les images qui s’imposaient à lui. Un quartier dévasté. La tour ouverte, violée, écartelée, la carcasse de l’avion mêlée à sa sienne, le baiser de Juda qui l’entraîne vers la mort. Ensemble dans l’anéantissement. Des hurlements. Des gens sans voix. Ceux qui courent, ceux qui sont pétrifiés. Des silhouettes hagardes qui se croisent sans se voir. Des poutres tordues, les restes de ce qui fut une cafetière électrique, du verre brisé en quantité, des ordinateurs écrasés, des fauteuils éclatés, des feuilles de papier libérées de leur dossier, quelques vêtements éparpillés et, parmi tous ces restes, un dérisoire ticket de cinéma. Un chaos indescriptible. Et une poussière, une poussière … des quantités astronomiques d’une poussière grisâtre qui flottait, emplissait les narines, piquait les yeux. Des monceaux de poussière telle la farine s’échappant d’un gigantesque paquet éventré qui se serait déversée là, parmi les décombres de ce qui fut un symbole du capitalisme. Des chats sauvages rodaient déjà parmi les gravats, à la recherche d’une proie qui améliorerait leur quotidien ; des rongeurs doivent aussi être à l’œuvre, se dit Kirk, même s’il ne les voyait pas.

 2. C’était aux temps anciens où Dieu, qui n’avait pas encore achevé son travail, n’était pas fatigué ; il ne s’était pas encore retiré du monde pour le confier à l’homme, qu’il venait d’ailleurs à peine de créer et qui lui causait déjà bien des soucis. Dieu avait créé la terre – mais pas encore le métro souterrain permettant aux pauvres hères de se chauffer l’hiver, craignant que l’homme n’y instaure un droit d’entrée exigible sous forme d’ignobles tickets jaunes parés d’une seyante rayure marron en leur exact milieu-, il avait créé la terre, donc, le ciel aussi évidemment mais pas encore les gratte-ciel – le ciel n’aimant pas être chatouillé trop souvent. Il avait aussi créé toute sorte de mammifères : chevaux, vaches, chats, poissons (pourquoi les poissons ont-ils arrêté d’allaiter leurs petits fera l’objet d’une autre histoire), cochons, lapins… De la nourriture variée aussi : sauterelles, chenilles, vers de terre, pommes, oranges, blé, bien qu’Hawa (Eve, en bonne africaine, répondait au doux prénom d’Hawa) se plaignît qu’il n’ait pas directement inventé les paquets de farine, ce qui aurait été plus commode, on voit bien que ce n’est pas lui qui fait la cuisine. Septième jour : Dieu, donc, venait de créer l’être humain. Homme et femme il le créa. Un seul être humain, deux côtés, comme une pièce de monnaie ; côté pile, l’homme, côté face, la femme. Idéal pour se croiser sans se voir. Pile Adam gagne, face je perds, se dit notre mère à tous qui était aussi la première féministe. Etre ainsi accolés dos à dos, ça ne peut plus durer.

 3. Perché au sommet du plus haut gratte-ciel de Newman City, Œil Perçant scruta la ville à ses pieds. La circulation était dense en cette fin d’après-midi d’un automne déjà frileux. La 17ème avenue longeait un parc aux arbres mordorés où des enfants jouaient à chat. Sur le trottoir d’en face, une femme à chapeau noir sortit d’une supérette, un grand sac en papier dans les bras dont émergeaient un paquet de farine en équilibre périlleux et deux poireaux. Passant devant le cinéma, elle croisa sans le voir un homme encapuchonné qui en sortait et qui laissa négligemment son ticket voleter vers le sol. Scènes de vie ordinaire, pensa Œil Perçant. Maintenant, on va s’amuser un peu. Et son rire sardonique éclaboussa la ville.

mardi 14 décembre 2010

La vie en brève, 9 - par Lyjazz (Exercice d'écriture n°16)

C’est ce matin vendredi 3 décembre 2010 que notre population, suivant en cela le cycle normal des naissances et des morts, s’est délestée de Mr Ignace, Adolphe FRANCISCO. Entré dans l’organisation en tant qu’aspirant à la copulation, pardon : étalon de 1ère classe, en 1969, il a suivi les grades habituels de masturbateur de 1er dan jusqu’au 32ème dan, celui de la sagesse. Il allait ensuite obtenir sans haute lutte, puisque sa carrière se déroulait selon ses vœux (et selon nos vieux) le titre de grand maître viagra de la copulation, en 1999. Nous nous souviendrons toujours avec dégoût de ses blagues cochonnes et de sa propension à mettre la main au panier. Il était entré en mode « hors copulation » autrement dit en retraite, en 2009. Au soulagement de ses pairs. Que sa famille soit assurée de notre entière flagellation en son honneur. Une cérémonie aura lieu en sa mémoire le 6 décembre à 17h, entre chien et loup. Ni fleur ni couronnes, mais 11000 verges et cilices. Lyjazz

dimanche 12 décembre 2010

Rattrapage : Débuts de Romans par Marcel cuivre (Ex. n°15)

1/ Lorsqu’il décida de rejoindre son pays, c’était avant tout pour se soustraire au connard des villes, beaucoup plus constant et moins naturel dans sa connerie que le connard des champs. Pour tout dire, il ne supportait plus les instruits. Ceux qui savent et ont pour principale activité de vous le faire savoir. En fait, aucune raison, aucun sentiment ne le retenait plus à Paris. Lassé de Pigalle, sans blé ni turf, blasé et tricard, il tentait de tirer un trait sur trente ans de poisse. Car poissard il l’était. Toutes les poupées qu’il avait mises sur le trottoir ou dans son lit ne lui avaient rapporté qu’ennuis et mal de tête. Il avait voulu être un caïd, il n’était qu’un demi-sel. Et migraineux. Les bars de Montmartre, il en avait bu jusqu’à plu soif,  les lits défoncés dans des chambres cafardeuses avaient fini par le faire débander et la pluie poisseuse comme elle ne l’est qu’à Paris lui imbibait jusqu’à la cervelle. Rien de grave. Simplement à sa bourse personnelle, les rêves n’étaient plus cotés depuis quelques temps déjà.
Le tortillard se trainait. Le paysage l’avait vite lassé. Il s’était plongé dans un recueil de mots croisés. Deux horizontal : gratte-ciel. Le chauffeur venait de mettre un grand coup de volant pour éviter un chat pas même noir. Trois horizontal : Sac de farine. En sept lettres. Avec la chance qu’il n’avait pas, il y aurait bien un contrôleur. Bah il lui fourguerait un ticket de métro. Ici ils ne feraient pas la différence. Quatre horizontal : Peuvent être de sexe différent mais ne se voient pas. Parfois il se demandait ou ils allaient chercher tout ça. Il n’avait jamais pu en finir un. Il n’était qu’un baltringue. Peut-être, mais ils allaient voir ce qu’ils allaient voir les paysans.

2/ Dans mon village, autant qu’il m’en souvienne, nous naquîmes au temps des bien-pensants et je ne saurais dire comment  nous passâmes à l’époque du politiquement correct. Bien sûr, on continua de brider les esprits chagrins. Ceux que la bien pensance cataloguait rebelles devinrent ringards et  passéistes. L’obsolescence et le désuet ont des charmes que l’affairé ignore. Nous voulions nous séparer de nos chaînes, ils en profitèrent pour s’en prendre à nos racines, à les peindre de couleurs nauséabondes afin de les discréditer. Et nous avec.
Nos pères et mères communs nous firent frères à douze ans d’intervalle et jamais nous ne partageâmes les maux de l’enfance ni l’arrogance adolescente. Dés que nous fûmes en âge de comprendre l’absence de sens ici bas, nous nous débarrassâmes des scories familiales qui rendent souvent pathétiques les relations entre frères. Sans éclat mais sans heurts nous nous retrouvions de loin en loin,  nos vies ne semblant ni en pâtir, ni s’en trouver éclairées outrageusement. Nous noyâmes quelques illusions depuis longtemps perdues dans notre amour commun du jus de la treille. Si les mots avaient gardé un peu de sens, j’écrirais que chacun respectait suffisamment l’autre pour ne pas le vouloir différent. Il faut dire qu’il n’y avait nulle valeur ajoutée dans notre ciel quotidien : nous vivions seuls.
En faisant ses poches j’ai trouvé un ticket de cinéma et une photo de gratte-ciel. Sur la table de la cuisine, une plaquette de beurre, un litre de lait un sac de farine ouvert et sur le carrelage un livre de Jacques Salomé « Homme et femme, ensemble sans se voir ». Ils lui ont éclaté la tête sur la pierre de l’évier. La police politique, c’était signé.

3/  Elle l’aime bien son appartement. Ca ne lui déplait pas de vivre seul dans son vingt quatrième étage. Elle va souvent au cinoche. Elle en collectionne même les tickets. Elle aime cuisiner, surtout la pâtisserie. Elle a toujours en réserve trois paquets de farine et autant de sucre. Ce soir elle a fait une tarte aux pommes Jacques Prévert. Celle qu’aimait tellement Patrick qu’il a fini par la manger sans plus la voir, elle, sa pâtissière. Faut dire qu’elle aussi l’oubliait parfois lorsqu’elle petit déjeunait en face de lui. Match nul ; complètement nul. Il s’était séparé sur ce score. Non ce n’est pas d’être seule qui la travaille c’est autre chose. Elle n’a pas corrigé ses copies. Et  elle la connaît trop bien l’histoire : Il ne faut pas laisser traîner des copies non corrigées. Rien n’est plus dangereux. Elles semblent dormir mais n’hésiteront pas à venir se poser au creux de l’oreiller. Encre noir sur nuit blanche. La copie non corrigée ne geint pas mais elle s’insinue entre les draps. Elle ronronne au rythme du tic-tac du réveil. Une fois réveillé il est trop tard.Mais il y a pire : la copie à moitié corrigée, la plus vicieuse. Elle ne permet pas un décompte clair de ce qu’il reste à souffrir, ni du temps inhérent à cette présence qui n’est pas encore une douleur (vous êtes jeune) mais le deviendra, la cinquantaine passée. Celle là est sacrifiée ; il faudra reprendre soin d’elle du début. Elle est la réalité de votre lâcheté, vous auriez du la corriger, pour son bien et le votre, vous le savez, mais vous avez baissé les bras au milieu, et il faudra tout reprendre à zéro. La copie non corrigée ne disparaît jamais. Elle est là et l’instinct grégaire la fait vivre en groupe, car la copie non corrigée ne supporte pas la solitude. Et celle du dessus qui s’offre au regard n’est pas la pire ; les autres, celles du dessous, encore camouflées, qu’est-ce qu’elles réservent ? Le pire c’est sûr.  La copie non corrigée est comme un rhumatisme qu’on traite inlassablement à l’encre de mercurochrome sans que jamais il ne disparaisse. Et pour cause c’est votre corps qui la réclame, corps des certifiés ou des agrégés, peu importe, il génère de la copie. Elle le sait : Tu peux te faire un sang d’encre rouge : tu seras toujours seule face à tes copies ! 

vendredi 10 décembre 2010

Trainspotting (Texte à la volée) - par Scarabée

Scarabée est étudiante en médecine. Elle m'envoie des textes que je publie sur mon site professionnel Winckler's Webzine.
Voici le début du dernier en date. MW

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Trainspotting

"Choisis la vie. Laisse-toi terroriser sur tes perspectives d'avenir, balaie d'un coup d'oeil les propositions de carrière qui s'offrent à toi, le chômage fatalement au bout, les voies sans issue, le quotidien sans passion, la feuille Excel à perpétuité, le devoir de subordination. Souffre pour des mecs qui ne te regardent pas, passe tes samedis la tête dans la cuvette à te demander si c'est toi ou si c'est les autres ; fais-toi remarquer, fonds-toi dans la masse. Roule ton pétard sous la paillasse de la salle de TP de chimie pendant que ton voisin glisse une paire de ciseaux dans une prise pour faire sauter les plombs. La plupart de ceux qui se taisent n'éprouvent pas grand-chose ; ceux qui parlent trop, surtout de leurs émotions, fatiguent leurs congénères. Persévère avec l'alcool, c'est une question d'entraînement. Ta soupape, c'est samedi soir, et pas avant, fourre-toi bien ça dans le crâne. Triche sur ton âge pour rentrer en boîte. Tu fais beaucoup plus que tes 13 ans. Mets-toi une cuite. Ce matin, ton mec t'a dit qu'on l'appelait « le pédophile ».

Ecoute du métal à fond volets tirés, ta chambre éclairée par 118 bougies dont la cire dégouline sur les étagères. Fais crier ta mère. Sois sage. Crache ta rage. Bosse ton bac. Si tu n'as aucun contrôle sur tes émotions, reporte ton besoin de maîtrise sur la bouffe. Perds 6 kilos en 6 mois. Reprends les en une semaine. Nettoie bien la cuvette avant de sortir. Le sport, c'est pour les cons décérébrés. Le sport, c'est l'évasion par la souffrance. Discipline ton corps à défaut de pouvoir fermer ta gueule sur commande. Je hais mes règles. Encore un asservissement dont j'aimerais bien me débarrasser. De toute façon je n'ai jamais voulu être une fille, c'est trop encombrant.

Choisis la mort. Lis et relis Camus. Bats en retraite dans ta chambre dès la fin du repas pour graver ton mal de vivre adolescent sur la face antérieure de ton avant-bras gauche. Remonte tes manches pendant des semaines. (...) "

Scarabée


Pour lire la suite et la fin de ce texte cliquez ICI



mercredi 8 décembre 2010

La vie en brève, 7 et 8 par Salomé Viviana et Thierry V.


République Démocratique de France

Avis à la population

Après des années de lutte acharnée et grâce à l’appui de chacun de vous, nos Forces Intérieures Vertueuses viennent de remporter une victoire décisive :  

le Désir, ce fléau de l’humanité, est mort ce soir.

L’Homme nouveau, libéré de ses pulsions, est avenu.
La copulation, vestige des temps primitifs, est désormais interdite.
Une peine de flagellation, prévue par la loi, punira tout contrevenant.
La République Démocratique de France peut à présent rejoindre la puissante Confédération des Univers Libres.

Fait à Paris, le 4 mai 2031
Le porte parole du gouvernement

James Haibander
 (pcc : Salomé Viviana)


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Francisco Poncherello.

A l’occasion d’une interview, Francisco Poncherello répondit à la question « Comment souhaiteriez-vous finir ? » par un laconique « En catalogue d’exposition ».
Du passé de l’artiste, nous ne connaissons que peu de choses : une enfance ennuyeuse à Bâle, encerclé par un père terrassier et une mère maniaco-dépressive, avant sa fuite à 17 ans pour New-York, où il aurait travaillé comme jongleur de rue ou cuisinier dans un restaurant portoricain. Il rejoint en 1992 la School of Visual Arts, où sa première exposition est remarquée. Pour Copulation, l’artiste prit en photo des dizaines de traders adeptes du sadomasochisme, les faisant poser devant leurs écrans de travail, bâillon boule en bouche.
De retour en Europe en 2002, Poncherello enchaîne les expositions controversées dans de nombreux pays, dont celle de 2012 en France : Population 0. Il transforme pour l’occasion le dernier étage du Centre Pompidou en paysage post-apocalyptique, où des comédiens, grimés en Michel Drucker et Mireille Mathieu, grognaient et erraient parmi les nombreuses pièces de l’artiste, uniquement constituées de détritus peints aux couleurs du drapeau français.
Si l’artiste nous a quittés le 23 juin dernier après 55 ans d’une existence agitée, ce n’est qu’à l’occasion de son exposition posthume que nous apprenons officiellement sa mort. Ses avocats ont bloqué toutes les tentatives d’annonces, afin que les assistants de Poncherello accomplissent ses dernières volontés. Le 31 octobre commence son ultime exposition au Palais de Tokyo : Toutes mes tripes. Selon les consignes très précises de l’artiste, son corps démembré et recomposé en diverses œuvres est exposé. Par exemple dans Flagellation : son cœur tranché est mis dans un cube en plexiglas, baigné de paillettes rouges, alors qu’à ses côtés, un chanteur folk enchaîne des reprises acoustiques de Cat Stevens. Le reste de Poncherello est tout aussi judicieusement disséminé dans l’exposition. Notons que la dernière salle propose une série d’œuvres « à emporter », sobrement intitulées Kebab. Les restes de l’artiste sont présentés dans plusieurs pains pita du plus bel effet, sobrement entourés de quelques frites convaincantes. Nous tenons à préciser aux collectionneurs que les frites, faites dans une résine synthétique, ne sont pas comestibles.

Thierry V.


samedi 4 décembre 2010

La vie en brève, 5 et 6 par BF et Zelapin (Ex. n°16)

Les propositions de rubriques nécrologiques tombent comme à Gravelotte. Alors je les publie deux par deux...
Merci à toutes et à tous
Mar(c)tin

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Veuves et orphelines ?

Marcel Mélot n’est plus hélas. Hélas, jamais plus ne le retrouverons
Nous ses femmes que, prodigue, il amenait, au temps de la copulation,
Aux plaisirs ineffables, infatigablement, sans dessein de population.
Nous ne le verrons plus, jamais plus, nous ses fans inconditionnelles,
Qu’il savait sans détour transporter aisément jusques au septième ciel.
Concoctons un hommage, mes sœurs, à l’homme qui nous rendait si belles
Que d’autres vibraient du pressant désir d’exercer leur concupiscence,
De jouir sans vergogne de nos libidos avivées par son exquise ferveur,
Tout impatients d’imposer maints caprices teintés d’obscène arrogance,
Infligeant flagellations et autres vils traitements ; mais leur ardeur,
Loin d’égaler celle de Marcel, abandonnait nos corps à leur frustration,
Attristés, amoindris par ces déplorables usages, en manque d’affection,
De cette affection que Marcel distribuait à toutes avec égale passion.
Nous sommes affligées, certes, … vivement que nous nous en remettions !      

BF

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Il s’en est allé…

Il s'en est allé, nous surprenant tous et le temps a manqué pour lui témoigner toute la rancune que chacun lui vouait.

    Il est parti et se sont éteints son rire chevalin, sa prononciation inimitable par laquelle des mots comme population, flagellation sonnaient comme copulation et fellation.
Éteint aussi l'éclat carmin de son visage en fin de repas, menton luisant de graisse,  postillons, caractéristiques qui réunies lui avaient valu le surnom de Spitfire le dragon du self.

    Absent à présent dans les couloirs ce parfum complexe, mêlant de façon inattendue les effluves sophistiquées de la haute parfumerie et celles plus triviales du vêtement de sport oublié dans le sac.

    Combien de mois avant que le personnel féminin cesse de trembler devant l'ascenseur, n'ayant plus à craindre de devoir « lui en claquer deux »?

    Tout à notre bonheur, saurons-nous garder en mémoire la cohésion qu'il a su créer contre lui?

    Ne l'oublions pas. C'est par nos moqueries qu'il restera présent.

Zelapin 

jeudi 2 décembre 2010

Comment j'ai gagné ma vie (en/d')écrivant, 4


4e épisode : Séries en famille  (1993-1996)

En 1993, lorsque j’ai quitté mon cabinet médical et me suis mis à écrire et traduire pour gagner ma vie, je vivais avec MPJ au rez-de-chaussée d’une grande maison en partie désaffectée (le premier étage était inoccupé). Nous avions un poste de télévision mais l’antenne de toit ne donnait que des images floues et le contenu des chaînes, pour tout dire, ne nous intéressait pas beaucoup. Nous avons investi dans un excellent magnétoscope multistandard. A l’époque, lorsque j’allais à Paris, je passais toujours du temps dans le rayon films la Fnac de la rue de Rennes ou du magasin Virgin des Champs-Elysées. Quand nous n’étions pas trop fauchés, j’achetais des classiques du cinéma américain en VOST et, parfois, des films importés, en PAL ou en NTSC.

Je n’ai pas de goût particulier pour les produits de luxe, sous quelque forme que ce soit. Les voitures ; les vêtements, chaussures et montres de prix me laissent indifférent ; je ne pratique pas de sport coûteux et je préfère un bon film ou une soirée chez des copains à un repas dans un restaurant coté - et, depuis que je vis avec MPJ, je mange très bien sans avoir besoin de partir de chez moi. Mes seules luxes, depuis bientôt vingt ans, sont mes outils de travail : les livres (beaucoup de livres), les cassettes puis les DVD et les ordinateurs avec lesquels j’écris. Depuis mon arrivée à Montréal, mon ordinateur principal était jusqu’ici l’IMac qui se trouve à mon bureau, au CREUM. Chez moi, je bossais jusqu’à ces dernières semaines, sur un minuscule PC portable, auquel j’avais ajouté un clavier et un grand écran. Comme j’ai reçu récemment la deuxième  partie de mon à-valoir pour Les Invisibles, je me suis résolu - non sans une forte pression de MPJ - à acquérir… un IMac identique à celui du bureau. (Ca me fait penser qu’il faudra que je raconte comment je suis passé des PC au Mac, mais c’est une autre histoire.) Et, bien sûr, j’ai commandé des livres et des DVD. Ce matin, au CREUM, un paquet m’attendait. Il contenait trois livres (The End of Eternity d’Isaac Asimov, que je voulais relire en anglais quarante ans après l’avoir lu dans la collection Présence du Futur, chez Denoël ; Sperm Wars de Robin Baker et The Red Queen de Matt Ridley, deux livres sur l’évolution de la sexualité) et le DVD de Castle, The Complete First Season – série de comédie policière comme on en faisait dans les années 40, en France aussi bien qu’en Amérique.

Toujours est-il que pendant les années où nous avons vécu, au 109 de la rue Ambroise Paré au Mans, dans une maison qui plus tard disparut avec le petit parc et les potagers entre lesquels elle était plantée, nous n’avons pas regardé la télévision. Nous regardions des films – et nos enfants ont pris l’habitude de regarder des VOST plutôt que des films doublés (ce qui ne les empêche pas de garder un faible pour la VF de The Princess Bride - Tiens ! encore une anecdote qu’il faudra que je raconte - ou celle de Retour vers le Futur). Lorsque je me suis mis à travailler à la rédaction de Mission : Impossible, dont j’ai parlé dans l’épisode précédent, j’ai bien sûr revu toute la série, grâce aux cassettes de mon co-auteur, Alain Carrazé, qui avait tout enregistré lors de la rediffusion en boucle sur La 5, chaîne franco-berlusconienne des années 80, puis sur M6, qui l’avait reprise.
Par l’intermédiaire de PJ et Hélène Oswald, j’ai également rencontré un autre critique de séries, Christophe Petit. Rémois d’origine, Christophe y avait créé et y animait ce qui restera la première (et sans doute la meilleure) revue consacrée aux fictions télé : Génération Séries. Il publiait avec une rigueur, une obstination et un dévouement extraordinaire, malgré les difficultés qu’il rencontrait, des actus, des dossiers sur des séries anciennes et nouvelles, des guides d’épisodes, des interviews de comédiens et de producteurs aussi bien français que britanniques ou américains.  Dès qu’on s’est rencontrés, on est devenus amis. Je me souviens être allé chez lui, peut-être après la présentation du livre dans une librairie rémoise, et avoir vu, sur ses étagères, les cassettes de la série Star Trek The Next Generation (ST:TNG, 1987-94). J’étais un fan de la série originelle, et je ne connaissais pas cette première spin-off, dont les vidéos commençaient à être disponibles en version PAL, en Grande-Bretagne. Très généreusement, Christophe m’a proposé de me les prêter. J’avais bien fait d’acheter un magnétoscope multistandard !

Pour MPJ et moi, mon entrée dans le monde des séries reste intimement lié à l’arrivée des jumeaux, nos premiers enfants ensemble. Quand ils sont nés, fin 1993, Mission : Impossible venait d’être publié. Au cours des mois suivants, quand ils se réveillaient la nuit, pendant que MPJ donnait le sein à l’un, j’allais donner le biberon à l’autre (et m’endormir) devant un épisode de ST:TNG. Et d’un point de vue général, l’écriture des livres consacrés aux séries par 8eArt reste lié à nos enfants plus grands. L’été où je finissais l’écriture de Mission : Impossible, nous devions partir passer une semaine en Bretagne, les cinq enfants, MPJ enceinte des jumeaux et moi, avec le C25 à 9 places que nous avions acheté d’occasion, dans une maison de vacances qu’on avait promis de nous prêter. Au dernier moment, les personnes qui nous l’avaient promise (de manière un peu inespérée et, somme toute, peu fiable) nous ont appelés pour nous dire qu’elle n’était plus libre. Nous n’avions pas les moyens de louer une maison de vacances. Nous étions coincés chez nous. Le coup était rude, d’autant que nous avions réussi à grand-peine à négocier avec nos ex  respectifs pour que cette semaine familiale coïncide avec les vacances de MPJ qui, travaillant dans un bureau de la communauté urbaine, ne choisissait pas ses dates. Pour occuper de manière constructive nos cinq monstres (les quatre plus vieux avaient à l’époque entre 12 et 10 ans, et le cinquième quatre), j’ai mis à profit le travail que je venais de faire sur Mission : Impossible en écrivant un épisode inédit. Les enfants connaissaient la série, bien sûr : je l’avais regardée suffisamment avec eux pour qu’ils en aient saisi les ressorts, les figures imposées, les moments charnières. Et par bonheur, ils pouvaient, à eux cinq, reconstituer le casting originel ! Mélanie devint Cinnamon, Pierre devint Jim, JB devint Rollin, Thomas devint Barney, Paul devint Willy. J’écrivis avec eux Mission : Impossible, Junior et, grâce à une caméra vidéo prêtée par des amis, cela devint un court-métrage de 20 minutes dans lequel je joue… le rôle du villain.

La relation étroite entre nos enfants et mon travail sur les séries ne cessa pas là.
Fin 1993, juste avant la naissance des jumeaux, MPJ et moi nous étions mis à la recherche d’une maison assez grande pour accueillir une famille de neuf personnes. Nos aînés ne vivaient pas toujours avec nous, mais ils passaient toujours leurs weekends et la moitié des vacances chez nous ensemble (c’étaient eux qui l’avaient demandé, d’emblée) et nous savions qu’ils finiraient par grandir. Au 109 rue Ambroise Paré, ils cohabitaient dans une grande pièce-dortoir où Mélanie avait un lit et un coin à elle, et les quatre garçons des lits superposés. Mais quand ils seraient adolescents, nous savions qu’ils auraient besoin d’une chambre individuelle. Nous cherchions donc une maison suffisamment grande pour que chacun ait sa chambre. Après avoir visité un grand nombre de logements qui ne correspondaient pas du tout à nos besoins (lesquels étaient pourtant très précis, mais on dirait que beaucoup d’agents immobiliers n’écoutent pas ce que les gens leur disent) nous avions fini par trouver, un peu par hasard, LA maison qu’il nous fallait. Elle avait un jardin pas très grand, mais assez ; beaucoup de chambres et un grenier ; et, au rez-de-chaussée, un petit bureau. Après l’avoir vu, MPJ et moi nous nous sommes regardés en disant : « Ca, ce sera le petit salon de télévision ». Des fauteuils (en particulier celui sur lequel nos enfants s’entassaient pour regarder The Princess Bride ou L’homme qui rétrécit) d’un côté, une télévision de l’autre, ça serait parfait.

Nous n’avons emménagé dans la maison qu’en juin 1994, avec nos jumeaux de six mois et leurs cinq frères et sœurs mais d’un seul coup, les relations avec la télévision ont changé.

Notre nouvelle maison se trouvait dans une rue câblée. Je me suis tout de suite abonné au fournisseur d’accès local, qui diffusait entre autres Canal Jimmy, Série Club et Téva, trois chaînes proposant en VOST des séries récentes de grande qualité. Depuis plusieurs années, Canal Jimmy (dont Alain Carrazé était conseiller aux acquisitions, il n’y a pas de hasard) était devenue la chaîne-phare en matière de séries. Après The Larry Sanders Show et Dream On, deux comédies produites par HBO, elle commença en juillet 1994 (au moment de notre installation !) la diffusion d’une série policière hors du commun diffusée par la chaîne américaine ABC depuis l’automne précédent : NYPD Blue (New York Police Blues). Quelques années plus tard, ce serait Jimmy encore qui ferait connaître My So-Called Life (Angela, 15 ans), Profit, Six Feet Under, The Sopranos à un public français encore vierge – mais je parlerai de ça plus tard.

Lorsque nous nous installons dans la nouvelle maison, les enfants se mettent à regarder ce que proposent les chaînes. Et à me le montrer. Chaque samedi, sur M6, ils regardent une série intitulée (en français) Code Quantum, que je trouve un peu gnangnan. J’en parle à Christophe Petit, qui m’explique que je me trompe, c’est une très bonne série, il faut que je lui donne sa chance (je dois à la vérité de préciser qu’il avait dû faire la même chose avec ST:TNG, car les deux premiers épisodes qu’il m’avait prêtés ne m’avaient pas convaincu ; heureusement, il avait insisté, et heureusement, je lui avais fait confiance). Christophe m’envoie plusieurs cassettes contenant les épisodes que j’ai ratés et je découvre que Quantum Leap (1989-1993) est effectivement une excellente série,  un peu desservie par sa VF, mais intelligente, drôle, émouvante et engagée. Grâce au prétexte du voyage dans le temps, le héros, Sam Beckett (le choix de son nom n’est pas un hasard) nous fait explorer sur un mode mêlant comédie et drame, à travers les yeux de personnages de tous les jours, l’histoire sociale et culturelle des Etats-Unis au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle, anticipant ce que fera dix ans plus tard sur un mode plus sombre l’excellente Cold Case (2002-2009). Grâce à mes enfants et à Christophe Petit, Code Quantum devient la première série contemporaine à laquelle je consacre un long article, publié par Génération Séries, et assorti d’un guide d’épisodes complet.

Pendant ce temps, à 8eArt, la lutte continuait. Avant la publication de Mission : Impossible, PJ et Hélène Oswald m’avaient invité à contribuer aux nouveaux ouvrages qu’ils préparaient avec les auteurs et complices habituels de la maison : Alain Carrazé et Christophe Petit, mais aussi Jacques Baudou et Jean-Jacques Schleret. Collègues et amis depuis fort longtemps, critiques et grands connaisseurs de la SF et du polar, Baudou et Schleret avaient déjà publié chez 8eArt deux ouvrages remarquables, et aujourd’hui encore inégalés dans la production éditoriale française : Meurtres en séries (1990), consacré aux séries policières et Les feuilletons historiques de la télévision française (1992). Baudou avait également signé, avec Philippe Ferrari, un ouvrage de référence sur la série britannique Destination : Danger (1991). En 1995, ils publieraient également le magnifique Merveilleux, fantastique et science-fiction à la télévision française. Entre temps, avec Alain et Christophe, ils préparaient quatre nouveaux volumes pour l’éditeur : Les Grandes Séries américaines (en deux volumes), britanniques et françaises. Le dernier volume, malheureusement, ne parut jamais en raison de la disparition de la maison d’édition 8eArt en 1996, mais je fus enrôlé pour participer aux trois autres.

Pendant les années 1993-1997, la critique de séries ne fut pas vraiment une activité lucrative. Les éditions Huitième Art vivaient mal, et lorsque les auteurs recevaient une rémunération pour leurs textes, ils étaient modestes. Nous le savions et l’acceptions car il n’y avait, alors, aucun autre endroit pour écrire des choses intelligentes sur un genre presque unanimement méprisé par la critique et la presse françaises.
Je gagnais essentiellement ma vie en traduisant (je l’ai raconté précédemment) mais passer sa vie à traduire des livres d’intérêt inégal n’a rien d’enthousiasmant. Regarder des séries (parfois avec mes enfants, parfois avec MPJ, parfois seul) pour en tirer des textes originaux, c’était à la fois une détente et un stimulus important. Je me souviens m’être un jour assis devant un épisode de ST :TNG et m’être senti coupable de regarder la série lorsque MPJ s’était mise à repasser derrière moi. Quand je me suis levé après avoir éteint la télé au milieu de l’épisode, elle m’a dit « Vous allez écrire quelque chose au sujet de la série, non ? » (Je devais, effectivement, écrire un article pour Génération Séries.) « Euh, oui… » « Alors, vous travaillez. Et moi, pendant ce temps-là, je fais de l’anglais. » (Les cassettes de Christophe étaient en VO non sous-titrée.) Et elle m’a obligé à m’y remettre.

Pendant ces années-là, pour mes collaborations aux trois volumes des grandes séries, j’ai revisité beaucoup de séries anciennes que je n’avais pas vues intégralement ou pas du tout (The Twilight Zone, The Outer Limits, Alfred Hitchcock Presents, The Wild, Wild West, The Man from U.N.C.L.E, Get Smart !, ) et des séries beaucoup plus récentes, datant des années 80 mais diffusées en France seulement depuis l’apparition du monopole de l’ORTF, après 1986 : Hill Street Blues, Wiseguy, Dream On, et bien d’autres.
Le fait d’être abonné à Canal Jimmy et Série Club m’a aussi donné accès, bien avant que les médias s’en entichent, à des séries qui restent méconnues, telles NYPD Blue et d'autres, qui furent déclinées jusqu'à la nausée, comme Friends (1994-2004).

Ce n’est pas une expérience banale d’avoir regardé Friends presque en direct, avec seulement quelques mois d’écart entre la diffusion aux Etats-Unis et la diffusion en VOST sur Jimmy.
La comédie de NBC a été la première à être diffusée simultanément sur cinq chaînes françaises au moins (Jimmy, Canal +, France 2, AB1 et RTL9 !). Elle a été aussi la première série à faire l’objet d’une immense popularité parmi les jeunes adultes, au point de donner lieu à des soirées spéciales dans des cafés ou des clubs. Elle a eu aussi l’honneur d’être la première série dont les cassettes vidéo se sont plus vendues en VOST qu’en VF, plusieurs années avant l’apparition et la démocratisation du DVD.

Lorsque Friends a commencé sa diffusion sur Jimmy en 1996, nos aînés avaient entre 13 et 15 ans et ils ont regardé la série assidûment, pendant ses premières années, puis de loin en loin jusqu’à la fin de sa diffusion, qui dura 10 ans.  C’est en entendant mes enfants dire, en revoyant un des premiers épisodes de Friends à l’âge adulte, que j’ai pris conscience d’un aspect que personne n’avait jusque là noté et souligné, du moins en France (j’aurais l’occasion de le faire dans des livres ultérieurs, au début des années 2000) : les séries télévisées, qu’il s’agisse des soaps de la journée ou des séries hebdomadaires du soir, sont les seules fictions dont les comédiens et les personnages vieillissent en même temps que leurs spectateurs. Il en résulte une connivence, une proximité et une familiarité qui ne peut découler d’aucune autre forme de fiction.

Une autre série, bien sûr, m’a totalement bouleversé quand j’en ai vu l’épisode-pilote, en 1995. Alain Carrazé, qui l’avait obtenu d’un de ses correspondants aux Etats-Unis, me l’avait envoyé en me disant que ça m’intéresserait sûrement et qu’il voulait savoir ce que j’en pensais.
C’était un téléfilm de 75 minutes (90 minutes avec la pub). Il commençait dans le noir. Au premier plan, un type allongé. Au second plan, une porte s’ouvre un peu brusquement et une infirmière apparaît. Elle harangue le type allongé, lui parle d’une patiente, s’en va. Elle revient quelques secondes (en réalité, deux heures) plus tard, pour lui dire qu’il doit se lever…
Ainsi commençait ER (Urgences, 1994-2009). Et cette série-là allait avoir une immense influence sur le roman que j’étais en train d’écrire.

(A suivre…)

Mar©tin


Bonus : Vous auriez aimé voir Mission : Impossible, Junior ? Mais il suffisait de le demander ! La vidéo a été remontée et remixée quinze ans après par "Rollin", devenu ingénieur du son et par Brice, compagnon de "Cinnamon" et monteur de formation. CLIQUEZ ICI. 

mercredi 1 décembre 2010

La vie en brève, 4 - par Serge (Ex. n°16)


"Pressé de sortir  et d’entrer dans la vie dés votre naissance prématurée, sans doute fils claustrophobe d’une maman pressée et d’un papaéjaculateur précoce, vous acceptâtes, par  devoir de clone,  la mission de réussir ce que vos anciens avait raté. Vous vous acquittâtes habilement d’une studieuse scolarité franchissant ce  passage étroit où se faufiler sans dommages et  de votre  adolescence perdure cette période d'invincibilité et d'immunité ornée d’une crinière léonine qui rendit jaloux les dégarnis et fit la fortune des capilliculteurs.

Révolutionnaire opportuniste tournant  à contresens pour revenir à votre point de départ après avoir dépavé les rues tel un  fou lucide intermittent qui  touche le fond de la vérité et remonte à la surface de l'erreur vous vint la raison et la réversibilité vestimentaire.

Adulte, à l’heure du  renoncement,  la rencontre avec une actrice filiforme, évidente comme l’intersection de deux improbabilités fut la plus douce des punitions.

Libertin des mots martyrisés pour enfanter des idées imaginaires, dans la zone de non compromis de l’art, nous avons admiré le triptyque de votre talent protéiforme d' écrivain persistant, de cinéaste soporifique  et de justicier philosophe au courage  inversement proportionnel à la proximité du danger.
À bout d'échec et à taux d'usure,  investissant notre  espace, notre temps,  votre talent et votre  énergie de la difficulté à  vous faire aimer jusqu’ à vous faire détester votre entêtement  fût  finalement récompensé par la valeur ajoutée à votre notoriété prégnante d’un attentat pâtissier commis par un envieux de votre emblématique chemise.

Par facilité et goût des impasses, toute votre volonté  tendue d'un priapisme verbal bandant l’arc d’un Ulysse de pacotille, cédant aux sirènes lors de vos copulations médiatiques vous nous infligeâtes la dictature de vos redondances  jusqu’à la douleur de la  flagellation.

Cependant nous vous resteront attachés par amour, ce sentiment définitif et irréversible devenu  tendresse comme une épouse, dame aux rêves volages et aux réveils fidèles  à un mari, ce monsieur qui dit “je t’aime” au début et “qu’est-ce qu’on mange” à la fin.

Grâce à votre descendance, véritable projection du Vous dans le futur, la saga continue.

Sans rancune aucune, au Bien Achevé B.H.L désormais horizontal sous l’ultime et définitive Arielle Tombale, la population reconnaissante. "

mardi 30 novembre 2010

La vie en brève, 3 - par Kate Bonobo (Ex. n° 16)


Oyez, Oyez, avis à la population, Benoît XVI est mort !

Lui qui jadis criait « Sus à la copulation encapuchonnée ! » a subi la flagellation sur la Place Saint Pierre pour avoir autorisé l’usage du préservatif aux prostitué(e)s sidaïques.

Dieu n’était pas d’accord, la communauté ecclésiastique en a convenu. Elle a donc jugé le Souverain Pontife pour incitation à la débauche et a chargé un cardinal revêtu d’une auréole de sainteté, certifiée par les autorités cléricales, de lui infliger la sanction divine.

Par les mains du bourreau, le Saint Esprit a encore frappé. L’ordalie est sans appel : il était bien coupable, n’ayant pas survécu.

Benoît, nous implorons Dieu qu’il te fasse rôtir en enfer. Pardonner tes paroles licencieuses s’avèrerait pour lui difficile, à moins de se compromettre devant tous ses saints, ce qui ne ferait pas très sérieux.

Le Pape est mort ! Vive le Pape ! Celui qui lui succèdera devrait être encore plus con que le précédent. Amen.

samedi 27 novembre 2010

La vie en brève, 2 - par Julie (Ex. n°16)



Zénobie Maindefer est morte ce matin à l'âge vénérable de 88 ans. 88, ça fait tout de même plus net que 87 ou 89. On reconnaît bien là son amour déraisonnable de l'ordre, aussi bien matériel que moral, qui l'avait bien jeune détournée d'éventuelles envies de copulation - dont on n'a jamais décelé aucune trace chez elle, même pendant les poussées hormonales de l'adolescence. A cet âge tendre, elle se vouait déjà à rendre l'intérieur familial impeccable, maniant le balai et la Bible avec une ardeur qui confinait à l'auto-flagellation. L'observateur attentif aurait pu remarquer avec une certaine gêne qu'elle en tirait quelque chose de l'ordre du plaisir, mais les voies des grenouilles de bénitier sont impénétrables, surtout quand elles sont comme Zénobie restées vieilles filles, et fières de n'avoir pas contribué à la croissance "infernale" de la population mondiale. Qu'elle retourne donc à la poussière... si toutefois il en reste.

Julie

jeudi 25 novembre 2010

Suicide du Salon du roman - Par Bruno De La Vega (Ex. n°16, 1)


SUICIDE DU SALON DU ROMAN

Le salon du roman est mort, samedi soir en région parisienne.
La rédaction du journal et l’auteur de ces lignes sont bien sûr effondrés et présentent leurs condoléances à la famille de la grande littérature.
Les circonstances qui entourent cette disparition sont tragiques, mais nous ne pouvons écrire ici que rien ne laissait prévoir cette fin. En effet, nous avions rencontré le salon du roman quelques jours avant son geste funeste. Il s’était confié à nous et son ton était quelque peu déprimé : « Vous savez, il en faut de l’énergie pour continuer à me tenir, comme cela, droit dans mes bottes, tous les ans. Alors que, je peux bien vous le dire, j’en ai plus qu’assez de cette population d’auteurs, qui ne pensent qu’à venir chez moi, pour se distraire, passer un week-end de loisirs, à picoler, à s’empiffrer aux frais de la princesse, à assouvir leur besoin de copulation, prétextant me présenter leur dernier ouvrage, la plupart du temps, un livre écrit à la va-vite, de mauvais genre, noir, humoristique ou pire des deux. Je sais bien que c’est de ma faute, que j’aurais du être plus vigilant et ne permettre que la venue de vrais Livres de Littérature, avec deux grand L » 
Nous ne pensions pas que cette auto flagellation était prémonitoire d’une disparition prématurée…mais chaque fois que nous lirons un livre de grande littérature, que les auteurs de mauvais genre osent parfois qualifier de poussiéreux, voire d’ennuyeux, nous aurons une pensée émue pour notre salon disparu.

Bruno De La Vega

lundi 22 novembre 2010

La vie en brève (Exercice d'écriture n°16)

Ecrire la notice nécrologique
D'une personne de votre choix
En exactement quatorze lignes de 70 signes et espaces maximum (donc 980 signes maxi au total)
Ton : de préférence humoristique (voire caustique)
En utilisant les mots "copulation", "flagellation" et "population" au moins une fois


Publication au fur et à mesure de la réception, comme d'habitude.
A vos claviers !
Mar(c)tin

mercredi 17 novembre 2010

"Comment écrivez vous ? "- Des questions en vrac (Ficelles et chapeaux-claques, 7)


·       Connaissez-vous vos personnages ? Je veux dire, est-ce que vous vous inspirez toujours de personnes que vous connaissez ou bien les créez-vous de toutes pieces ? Physiquement les visualisez- vous ?


Ca dépend. Je ne suis pas très bon pour décrire (les gens ou les choses) alors j’ai besoin de modèles. Donc, je m’inspire souvent de personnes que je connais, mais ça ne se voit pas nécessairement, car je ne les décris pas (ou alors, très vaguement). Mais j’ai leur visage en tête, et c’est ça qui m’aide à écrire. Cela dit, une fois qu’ils sont « mis en scène », ils cessent d’être les sosies des personnes vivantes. D’ailleurs, d’un point de vue général, je n’aime pas l’idée que mes amis se « reconnaissent » (à tort) dans mes personnages. Alors de deux choses l’une : ou bien ils sont une caricature (comme le redoutable Maire Esterhazy, petit homme caractériel et mégalomane dans la Trilogie Twain) et tout le monde peut voir de qui il s’agit ; ou bien ce sont des personnages composites et les reconnaissances sont souvent trompeuses. Par exemple, on pense que Bruno Sachs ou Franz Karma, c’est moi, mais je les ai imaginés avec le visage d’un de mes amis de fac, Olivier M. pour l’un, et le visage de mon père pour l’autre. Donc, quand je les écris, je ne pense pas du tout à moi. Ce que j’aime faire aussi, c’est suggérer que mes personnages ressemblent à des comédiens que j’aime bien. Ainsi, Aline, la secrétaire de l’Unité 77 dans le Chœur des femmes  ressemble à  Abby Sciutto, la « lab tech » de la série NCIS. Avec dix ans de plus…
Ensuite, s’il s’agit de dire que je les « connais », non, pas vraiment. Ils ont toujours quelque chose à m’apprendre. Dans mon esprit, mes personnages se définissent par leur comportement, et non par une sorte de contenu psychologique que j’aurais prédéfini.



·       Choisissez-vous d’écrire sur un thème en particulier ou les thèmes que vous abordez s’imposent-ils comme des evidences ?

Je n’écris jamais « par thèmes ». Je ne connais le thème de mes romans qu’une fois qu’ils sont publiés et qu’on (les lecteurs, parfois quelques critiques) en parle. De toute manière, je pense que j’ai des thèmes généraux récurrents : les abus de pouvoirs liés à la médecine, les relations amoureuses et familiales, le partage du savoir… Donc, les thèmes, ils sortent toujours. Quand je me mets à écrire, c’est parce que j’ai une histoire à raconter (d’abord) puis une forme pour la raconter (ça peut être assez long à définir). Et là, je me mets au boulot, en sachant à peu près où je vais, mais sans savoir toujours très bien par où je vais passer. Mais une fois que j’ai mon histoire et ma forme, je ne me pose plus de questions, j’avance. En ce moment, je n’avance pas sur mon prochain roman, parce que je ne sais pas exactement quelle histoire je vais raconter ni sous quelle forme. Jusqu’ici j’avais des histoires simples (et la forme me permettait de les rendre plus complexes, plus étoffées) mais cette fois-ci, j’ai une histoire compliquée, et j’aimerais que la forme soit en accord. Alors, je tâtonne.


·       Comment écrivez-vous ? Le matin ? Le soir ? En silence ? En musique ? Avec le bruit des gens qui passent ?

J’ai toujours écrit empêché, depuis que je suis gamin. Ma chambre était un hall de gare (il y avait trois portes, tout le monde passait par chez moi pour traverser l’étage). Et depuis que je suis adulte, j’ai passé le plus clair de mon temps à travailler sur un bureau installé dans mes chambres successives, parfois (en 1993-94, en particulier) avec des bébés dans un lit juste derrière moi, ou sur les genoux - et c’est parfois acrobatique, vu la propension qu’ils ont à foutre leurs menottes couvertes de beurre et de confiture sur le clavier… Je peux écrire en silence ou en musique (mais pas de la chanson, plutôt un trio de jazz, Bill Evans de préférence). Je peux écrire avec des gens dans la pièce (à condition qu’ils ne m’adressent pas la parole, le fait qu’ils parlent ne me gêne pas). J’écris mieux le soir que le matin, sauf quand je suis dans un roman, alors là j’écris jusqu’à pas d’heure et je me lève dès que je me réveille et je suis capable de m’y remettre. Mais globalement je suis plutôt quelqu’un du soir et de la nuit que du matin.


·       Etiez-vous sur depuis le départ que vous seriez ecrivain ? Ou avez-vous été saisi parfois du doute de ne pas réussir a vous faire publier ?


Je sais que j’ai eu très tôt envie d’écrire des livres et « être écrivain », pour moi, c’était ça : aligner les bouquins. C’est ma rencontre avec les écrivains américains de SF (Asimov, Sturgeon, Sheckley, Bester) qui m’a fait comprendre que c’était un métier et qu’on pouvait gagner sa vie avec. En France, il était plutôt sous-entendu qu’on ne pouvait être écrivain que si on avait d’emblée un talent tellement impressionnant que toute la galaxie allait le savoir. Comme personne ne me disait rien de tel, je pensais que je me faisais des idées.
Avant d’être publié pour la première fois, bien sûr, j’ai douté de la possibilité que ça m’arrive. Après le premier livre, j’ai moins douté, mais je n’ai jamais pensé qu’une publication était assurée ou que mes livres allaient toujours plaire. Le dernier roman que j’ai écrit, Les Invisibles, qui sortira en mai 2011, est différent des précédents. C’est un roman policier, mais la narration est très particulière pour moi : il n’y a qu’un seul narrateur, et c’est un homme. Ça ne m’était pas arrivé. Je me suis demandé si les éditrices qui s’occupent de moi au Fleuve allaient aimer, et si c’était intéressant. Je pensais que non, qu’elles me diraient : « Ca ne nous plaît pas. » Et j’étais étonné qu’elles me disent le contraire. Le doute ne disparaît jamais, je pense, sauf quand on est boursouflé d’une très grande vanité.


·       Ecrivez vous des histoires pour plaire ? – Je veux dire, choisissez-vous les sujets de vos romans en ayant dans la tête son « positionnement marketing » (l’expression n’est pas belle pour parler de livres mais enfin…)

Je mentirais en disant que je n’espère pas que mes livres vont se vendre, bien sûr, mais je n’ai plus de complexe à ce sujet parce que je me souviens qu’on avait posé à Howard Hawks (probablement le cinéaste américain que j’aime le plus) la question de savoir s’il faisait des films artistiques ou commerciaux. Et il avait répondu : « Je serais stupide de faire un film en ne voulant pas que les spectateurs aillent le voir. Mais je pense que quand on fait un bon film avec de bons acteurs et une équipe qui a du talent, ça se voit et ça s’apprécie. » Enfin, à peu près. Je le cite de mémoire et je ne peux pas vous dire où j’ai lu ça. Toujours est-il que Hawks (comme Ford, d’ailleurs) s’était très vite affranchi des studios et produisait ses propres films. Alors bien sûr, il voulait qu’ils aient du succès. Parce qu’il savait que le succès commercial, pour lui, c’était la liberté. Mais s’il était indépendant, c’est précisément parce qu’il voulait tourner les films qu’il voulait tourner, et non être l’exécutant d’un studio qui lui aurait confié seulement les films desquels ils espéraient de grosses recettes.
Donc, en ce qui me concerne, bien sûr, j’espère que mes livres vont être très lus (et donc, se vendre beaucoup). Mais je serais incapable de dire quel est leur « positionnement marketing ». J’écris d’abord pour raconter une histoire que je n’ai lue nulle part ailleurs (du moins, sous cette forme). Je fabrique un objet-livre que j’ai envie de pouvoir lire avec plaisir. Et je fais mon possible pour que ce livre plaise au lecteur que je sais être. Par conséquent, j’écris pour ce lecteur-là (et ceux qui lui ressemblent). J’ai la chance qu’il y en ait beaucoup dans ce genre.


·       Quels conseils donneriez-vous aux gens comme nous ? – a part écrire et lire.

Je suis comme vous, donc je n’ai pas de conseils à donner autres que ceux-là : lire beaucoup et écrire beaucoup et saisir toutes les occasions d’écrire, partout où on peut. Une des participantes à ce blog, Elise D., m’a envoyé un texte l’an dernier. C’était le premier texte qu’elle écrivait depuis de nombreuses années, alors qu’elle avait beaucoup écrit pendant son adolescence. Et ça a déclenché chez elle le désir de reprendre. Elle a mis un blog sur pied « Penser avant d’ouvrir la bouche » et comme ça marchait bien, elle a proposé d’en faire un livre à un éditeur de Montréal, qui en voyant le blog a dit oui. Et là, elle bosse sur son bouquin (c’est un livre sur le végétarisme, pas un roman). Il y a un an, elle n’aurait jamais imaginé qu’elle ferait ça. Et tout ce qu’elle a fait c’est lire (beaucoup) et se remettre à écrire.


       Par qui est-il bon de se faire relire ?

Je commence par les personnes à qui (à mon humble avis) il n’est PAS BON DU TOUT de donner nos textes à lire tant qu’ils ne sont pas terminés : les membres de sa famille (parents, frères, soeurs, cousins, cousines, etc.) ; les amis proches ou intimes ; les collègues de travail ; les gens dont on veut devenir l’ami ; les écrivains professionnels ; les profs qu’on aime bien et qui sont des écrivains frustrés…

Dans l’entourage proche, le conjoint est un cas à part.
Personnellement, j’ai toujours donné mes textes à lire à ma compagne, MPJ, et je m’en suis toujours félicité parce qu’elle est à la fois une très bonne lectrice (si elle rit, si elle pleure, si elle tourne les pages très vite, je sais que j’ai réussi à faire ce que je voulais) et aussi parce qu’elle sait désigner, sans complaisance ni malice, les défauts que j’ai laissés passer. Mais je pense que la relation qui nous lie est exceptionnelle. 

Alors je ne suis pas sûr qu’il soit de règle que le compagnon ou la compagne d’un(e) écrivain(e) soit un bon lecteur ou une bonne lectrice. Ça dépend vraiment de la personne et de la relation qu’on a établie avec elle. Autrement dit : c'est indépendant du fait qu'on écrit ou non. 

Mais il faut une indépendance intellectuelle hors du commun et une relation très sereine pour ne pas être tenté(e) de lire sans arrêt dans les textes d’un écrivain une transposition de sa vie et ne pas en être atteint(e) quand on est très proche de l’auteur (ou quand on se sent proche de lui). 

Les amis, en particulier, peuvent avoir des réactions surprenantes. Lorsque j’ai écrit mon premier roman, une fois terminé, je l’ai fait lire à un ami très proche, dont je pensais qu’il serait sensible à ce que j’avais écrit. Sa réaction – très négative – m’a totalement surpris. Comme quoi…

Je pense également qu’il est hautement risqué de faire lire ce qu’on écrit à une personne avec qui on aimerait avoir une relation intime, ou avec qui on ne sait pas exactement sur quel pied danser. Bien sûr, lui donner à lire ce qu’on écrit peut avoir un effet extrêmement positif (si c’est ressenti comme une sincérité) mais parfois aussi très négatif (ça peut être ressenti comme une intrusion dans les sentiments de l’autre, ou ça peut donner un levier à quelqu'un qui désire vous manipuler - et Dieu sait qu'on ne sait jamais qui veut nous manipuler, et Dieu sait qu'on ne se fait jamais manipuler aussi bien que par le biais de ce qu'on chérit le plus au monde). 

L’aptitude à commenter sereinement ce qu’un ou une autre a écrit est proportionnelle au respect qu'on peut avoir pour l'écriture et pour l'auteur(e), proportionnelle à l'honnêteté intellectuelle que l'on est capable d'avoir, et inversement proportionnelle à la frustration propre qu’on peut éprouver à (ne pas) écrire . C’est pour ça entre autres que je ne lis pas les manuscrits et que je préfère ne pas en recevoir. Il faut que je sois particulièrement détaché de mes propres préoccupations d’écrivain pour lire la prose d’autrui sans m’énerver… 

En ce moment, je suis en train de lire un livre par obligation, et ce livre ne me plaît pas. Je le trouve superficiel, je n’arrive pas à le saisir. Sans pour autant savoir s’il s’agit du style, du contenu, des deux ou de ma propre frustration à ne pas pouvoir écrire « à la hache » en ce moment. Alors, je me méfie de ma lecture, je cherche les points positifs, j’essaie de voir ce que je ne vois pas, car je suis sûr que c’est un très bon livre, mais je n’arrive pas à voir en quoi, et ça m’embête, car ça voudrait dire alors que je ne suis pas un bon lecteur…

Bon, mais tout ça ne nous dit pas à qui faire lire…

Il est rare, en France, de trouver des gens qui relisent de manière dépassionnée, technique, intelligente et aidante. Le plus souvent, ceux qui existent (et n’ont pas d’ego ou de désir rentré d’écrire) travaillent dans les maisons d’édition. Donc, les meilleures personnes pour relire un manuscrit, pour en voir le potentiel et pour aider l’écrivain à le (re)travailler, c’est un éditeur ou une éditrice. Chevronné(e) de préférence.

Pour ma part, j’ai eu la chance de pouvoir faire lire mon premier roman à trois personnes qui avaient toutes les qualités requises, et qui n’étaient pas éditeurs/trices. C’étaient trois écrivains, qui portaient sur mon travail un regard bienveillant mais pas du tout complaisant. Ils (deux hommes et une femme) avaient leurs propres préoccupations mais étaient aussi dotés d’une distance (et d’un humour) qui leur ont permis de me lire le crayon à la main, sans se transformer en profs castrateurs ni tomber dans la dithyrambe bêtasse.

Et ils m’ont bien fait comprendre qu’ils préféraient ne pas me donner d’avis sur un travail inachevé.

C’est pour ça que je conseille toujours de finir un manuscrit avant de le donner à lire. On ne peut rien dire d’un fragment. A la rigueur des trois premiers chapitres ou des cinquante premières pages (mais qu’est-ce qu’on peut dire en dehors de : « J’aimerais lire la suite » ou « Je me suis ennuyé » ?) mais pas de quelques pages, à moins de tomber sur un(e) écrivant(e) dont les textes sont impressionnants par leur ton, leur rythme, leur mouvement, même en quelques pages. Et je dois dire, à ma grande joie, que ça m’est arrivé à plusieurs reprises depuis que ce blog existe. Il y a parmi les participant(e)s à ce blog des personnes dont les textes m’ont coupé le souffle. Mais c’est une opinion purement personnelle, pas un jugement absolu, alors généralement, j’essaie de ne pas être trop dithyrambique mais d’être encourageant, et surtout j’invite à ne pas m’envoyer de manuscrit, même si je ne déteste pas lire de très bons textes de une à trois pages.

·       Vous imposez-vous un nombre de pages/chapitres à écrire par jour ?

Non, je ne m’impose jamais rien. Parfois je sais que je dois rendre un texte à telle date, alors c’est le délai qui m’impose de m’asseoir et d’écrire pour rendre mon travail à l’heure. Mais je n’ai pas besoin de me dire « tant de pages aujourd’hui ». Je me débrouille pour le faire à temps, avec des ajustements si je suis en retard, mais le plus souvent minimes (un mois pour un roman, quelques jours pour un article). La seule chose que je m’impose, c’est de respecter les délais. Ça m’aide à travailler d’ailleurs : quand Paul me dit que pour insérer un de mes livres correctement dans le planning de publications, il faudrait qu’il l’ait à telle date, je me donne la date en question pour finir. En sachant que si je ne le fais pas, eh bien le bouquin paraîtra six mois plus tard, et voilà tout… 


·       Notez-vous les anecdotes du quotidien pour les réutiliser ?

Non, pas vraiment. Il m’arrive de transcrire des histoires du quotidien dans l’un de mes journaux ; il m’arrive aussi de recourir à une anecdote du quotidien dans un de mes livres, mais je ne note pas pour réutiliser. Ce que je note pour réutiliser, ce sont plutôt des réflexions, des paroles, des listes de mots ou de phrases qui me servent à organiser ce que j’ai pensé en lisant autre chose, par exemple. Mais c’est le fait de noter qui est important en soi, pas la note elle-même puisqu’il m’arrive souvent de ne même pas relire mes notes pour un projet, et de les retrouver une fois le livre publié et de me dire « Ah, c’est marrant, j’avais écrit ça… »


·       Avez-vous besoin de ruptures de rythme pour avancer dans un roman ou au contraire d'un certain train-train?

J’ai besoin, quand je n’avance pas (quand le projet n’a pas encore pris forme dans ma tête), de faire autre chose pour ne pas y penser, et d’y revenir ensuite. Quand je suis dedans, en général, j’ai envie de ne faire que ça. Je ne sais pas si on peut parler de « train-train ». Quand j’écris pleinement un roman, je suis littéralement possédé, je ne pense qu’à ça et je ne veux penser qu’à ça, et je n’écris que ça et je ne veux pas écrire autre chose car tout autre sujet m’emmerde. Mais il peut m’arriver de ne pas entrer dans cet état avant d’avoir écrit la moitié du livre, ou au contraire, d’y entrer dès la quarantième page. Alors là encore, je n’ai pas de « règle ». Chaque livre est une aventure en soi.

·       Relisez-vous vos textes avant d’arriver à la fin ? Ou bien écrivez-vous l’ensemble d’abord pour ensuite revenir sur le texte?

Les deux. J’écris des romans qui sont compliqués (parce que polyphoniques, anti chronologiques, etc.) et souvent longs. Donc, j’ai besoin de me relire périodiquement pour me rappeler ce que j’ai écrit ! Quand je suis suffisamment avancé dans l’écriture du roman, j’ai aussi, en général, tout relu trois ou quatre fois depuis le début. Je termine, et ensuite je relis soigneusement pour régler le problème des incohérences de narration, ôter les échafaudages, etc. Je n’ai jamais complètement fini de relire. Mais une fois que le livre est terminé, ma relecture ne modifie que des détails (au plus, un paragraphe). Elle ne modifie pas la structure du livre, jamais. Les problèmes de structure je les ai toujours réglés au début, car ce n’est que lorsque j’ai la structure définitive que je peux avancer. Si je ne l’ai pas, je piétine. Et quand je piétine, je sais que ça veut dire : « Tu n’as pas ta trame."


·       Bon, mais… et le plaisir dans tout ça ?


Ah, le plaisir…
Bonne question, ça. Je me rends compte que dans mon « Comment j’ai gagné ma vie… » il n’est pas beaucoup question de plaisir. Sans doute parce que j’ai une relation bizarre au plaisir de l’écriture  - et au plaisir, tout court.

J’éprouve du plaisir quand je lis un livre qui me transporte. Et il ne fait aucun doute que je cherche à écrire des livres qui transportent, à reproduire (chez les autres) le genre d’ivresse que je peux ressentir en lisant. Cette ivresse-là, je ne la ressens pas souvent pendant que j’écris, et en tout cas pas avant d’avoir atteint un certain stade dans un texte ou un livre. Il y a quelques semaines, j’ai écrit un texte sur Montréal (pourquoi j’y vis, comment j’y suis arrivé) pour un prochain livre/magazine qui lui sera consacré au printemps prochain par les éditions Autrement. Il m’a fallu trois ou quatre réécritures successives pour mettre le doigt sur ce que je voulais vraiment dire, et pendant que je cherchais, je n’éprouvais pas de plaisir à écrire. J’écrivais, mais ça ne me faisait pas plaisir à proprement parler. Quand j’écris, la plupart du temps, je ne ressens rien de particulier. Je ne sens pas mon corps. Je suis concentré sur les mots qui s’alignent comme par miracle sur la page blanche virtuelle inscrite dans le noir de l’écran (merci la fonction « plein écran » des traitements de texte moderne !). Je ne ressens du plaisir que lorsque j’arrive à mettre en mots exactement ce que je cherche à dire. Et ça, le plus souvent, ça se passe à la fin des romans, au moment de la résolution des histoires, des conflits. Au moment où tout se dénoue. Je n’ai compris comment le faire que peu de temps avant (ce n’est pas planifié de longue date) et j’éprouve une grande excitation et un grand plaisir à le mettre en mots.

Cela dit, le plaisir, pour moi, c’est surtout après. Quand quelqu’un me dit ce qu’il/elle a ressenti en lisant telle ou telle phrase. Un message ou une lettre qui m’arrive de très loin écrit par quelqu’un qui s’est donné la peine de m’écrire pour me parler de sa lecture, ou de sa vie. Une personne qui s’arrête près de moi pour me dire comme ça, très vite, presque en s’excusant, que tel ou tel de mes textes l’a touchée.

Le plaisir c’est aussi quand le texte est devenu un livre. Quand je tiens le livre entre mes mains. Il est là. Il est beau. Je suis content. 






Merci à toutes et à tous ceux qui m'ont envoyé leurs questions... 
Mar(c)tin