Un beau jour d’Octobre
2010, je me suis dit que les vacances avaient assez duré. Le farniente dans
l’Océan indien, c’est divin au début, puis c’est comme tout, on s’en lasse.
Alors j’ai refait mes valises afin de continuer le périple initiatique offert par mes parents avant mon entrée à
l’université de New Delhi.
Je décidai de faire
route vers le vieux continent, plus particulièrement vers la Francie, pays
d’origine de ma grand-mère maternelle. Toute mon enfance avait été bercée par
les descriptions qu’elle me faisait de cet endroit où il faisait bon vivre, où
les hommes et les femmes s’exprimaient en toute liberté et se savaient écoutés.
Où ils étaient heureux de se rendre au travail pour ensuite profiter de leur
temps libre car les subventions de l’Etat,
tant dans le domaine de la culture que dans celui du sport, leur permettaient à
tous de s’épanouir. Et puis je me souviens qu’elle me racontait les produits succulents
que l’on trouvait là-bas et qui lui permettaient de cuisiner des plats à se
damner. J’étais impatient de visiter ce petit bout de terre auquel j’étais déjà
attaché, bien que ne l’ayant jamais visité.
En débarquant à
l’aéroport, je fus surpris par la mine sombre et l’impatience des touristes qui
m’entouraient. Bon, me dis-je, cela n’est rien, à moi la grande ville et ses
plaisirs ! Là-bas, c’est sûr, je vais rencontrer des gens heureux de vivre. Je me voyais déjà déguster
un cocktail à la terrasse d’un de ces cafés dont m’avait parlé ma grand-mère en
observant la foule qui se dirigeait vers les magasins chics (car les habitants
de ce pays bénéficiaient d’un pouvoir d’achat non négligeable), entamer la
conversation avec des demoiselles raffinées et délurées à la fois, ou avec des
jeunes gens habillés comme des gravures de mode.
Le chauffeur de
taxi qui me prit en charge ne fut pas des plus aimables. Je ne comprenais pas
pourquoi il m’avait dévisagé de la sorte, ni pourquoi il refusait de répondre à
mes questions. Enfin si, j’ai une petite idée en ce qui concerne son mutisme,
vu qu’il était incapable d’aligner trois mots d’anglais. Ce qui m’étonna
d’ailleurs car ma grand-mère m’avait semblée si fière du système scolaire de
son pays, qui offrait la même éducation à tous les enfants quelle que soit leur
origine sociale.
Plus nous
approchions du centre de la Grande
Ville, plus la circulation était dense, ce qui fit maugréer mon chauffeur (appelons-le Hubert, si vous n’y
voyez pas d’inconvénient). Je compris bientôt ce qui causait cet embarras. Une
foule impressionnante bloquait une artère principale, et cela ne semblait pas
être un fait habituel à en juger les mimiques d’Hubert qui laissaient
transparaître une exaspération certaine. J’observai la masse des passants qui
avançait tranquillement au son d’une musique rythmée et m’aperçus qu’ils étaient
regroupés derrière des banderoles de couleurs différentes, où le rouge et
l’orange dominaient. Ils scandaient des slogans à l’unisson et je regrettai de
ne pas mieux parler la langue de grand-mère afin d’en comprendre le sens. Je
reconnus vaguement le mot « retraite », mais que venait donc faire
« Bettancourt » là-dedans ?
Hubert s’énervait
de plus en plus, marmonnant les mots de « fonctionnaires » et de
« fainéants ». Ceux-là j’en connaissais le sens, ce que je ne
comprenais pas en revanche c’était l’animosité d’Hubert à l’égard de cette
foule plutôt bon enfant. Je décidai de régler ma course et de continuer à pied.
Je fus happée par
les manifestants (c’est comme cela qu’on les appelle). Une grande brune aux
yeux verts qui avait compris que je venais de débarquer, c’est le cas de le
dire, me sourit puis elle entama la conversation. Elle m’expliqua dans un
anglais sans faille que les travailleurs de ce pays n’en pouvaient plus,
surtout ceux qui occupaient des emplois pénibles depuis leur plus jeune âge car
on allait les obliger à continuer deux années de plus. Mais je croyais qu’ici
les gens étaient heureux de travailler rétorquai-je. Alors elle m’expliqua que
ce n’était plus vrai, que l’on consommait trop de médicaments dans ce pays et
que c’était lié à un mal-être profond, lié aux conditions de travail qui se
détérioraient, au pouvoir d’achat qui baissait, aux promesses non tenues par le
gouvernement. Elle me dit que des rassemblements de ce genre, il y en avait de
plus en plus souvent mais qu’elle n’avait guère espoir de voir changer les
choses avant de nombreux mois encore.
J’étais à la fois
abasourdi par tout ce que j’avais vu et entendu et heureux d’être là, pendu aux
lèvres de Mélanie. J’étais en train de succomber à son sourire.
Je savais que
j’allais prolonger mon séjour.