lundi 7 septembre 2009

Proximité/autobiographie et tout ça

(Attention ! Si vous n'avez pas lu Le Choeur des femmes et si vous avez l'intention de le lire, ne lisez pas la fin de ce texte à partir de l'avertissement suivant  !!!)

ATTENTION SPOILER !!!
ATTENTION SPOILER !!!
ATTENTION SPOILER* !!!
(Un spoiler ("gâcheur", en anglais) c'est une information qui dévoile un élément de surprise dans la narration d'un roman, un film ou une série ; c'est en quelque sorte donner le nom de l'assassin longtemps avant la fin).

Vanessa, lectrice de Sachs et du Choeur des femmes, me demande si j'ai "mis quelque chose de moi-même" dans Sachs et Karma, et ajoute "Karma, c'est l'anagramme de Marc, non ?"

Oui, et Franz Karma est l'anagramme de Marc/k Zaf(f)ran. A un ami, qui a lui aussi lu le livre, je précisais que dans une certaine mesure, Karma c'est le médecin que je serais peut-être devenu si je n'avais pas été écrivain. Mais dans la "configuration" de son travail, beaucoup plus qu'à moi, Karma ressemble à mon père, Ange : son cabinet médical était dans la maison, ma mère était plus ou moins sa secrétaire et il avait "un service à lui" à l'hôpital de Pithiviers, dont la section "Médecine 1" était sous sa responsabilité. Il allait y faire ses visites le dimanche, il était toujours disponible et je sais que s'il était extrêmement respectueux avec les infirmières et les aide-soignantes du service, qui l'adoraient (il soignait d'ailleurs beaucoup d'entre elles), il leur parlait souvent de manière plus amicale que formelle, les nommant par leur prénom et leur demandant des nouvelles de leur famille, de leurs enfants. Karma est une version "contemporaine" d'Ange, que j'ai modelé à son image et à la mienne. Ange avait des conceptions du soin qui ont indiscutablement influé sur les miennes, et que je vois "engrammées" dans mon comportement mais il ne les "conceptualisait" pas. Le mot "éthique" lui était étranger, il ne parlait que de morale (c'est la même chose, bien sûr, mais ce n'était pas la mode, ça faisait partie de sa déontologie). Le discours de Karma est donc plutôt le mien.

Une autre lectrice, qui a également été une des patientes du centre où j'ai travaillé, il y a plusieurs années, m'a dit qu'elle reconnaissait dans le comportement de Karma certaines de mes attitudes, en particulier celle de faire asseoir les femmes pour parler avec elles, et de ne jamais me "précipiter" sur elles, voire de ne pas les examiner si ça n'est pas nécessaire à une décision (et c'est souvent inutile, en gynécologie courante) ; et aussi un détail comme le "petit coussin qu'on glisse sous la nuque" lorsque la patiente s'allonge sur la table d'examen.

En revanche, s'il m'est arrivé régulièrement d'examiner les femmes autrement que dans la position gynécologique "classique" - mais, comme le dit le livre, pas du tout obligatoire - je n'ai pas pu le faire de manière systématique, faute de matériel (une table assez large) qui fût approprié.

Mais j'espère que la lecture du livre donnera des idées à certains confrères et consoeurs : "Au 21e siècle, les femmes ne devraient plus être contraintes à écarter les jambes pour être soignées." 

Ce qui me fait penser à la difficulté d'écrire un livre à la fois révolté, qui dise les choses crûment, sans détour, sans chichi, et qui malgré tout reste respectueux et délicat. Parler de la sexualité, de manière directe ou indirecte, sans le faire de manière vulgaire, aguicheuse ou voyeuse, c'est toujours épineux. Parler de l'intimité physique, également. Certes, j'ai fait très attention, chaque fois que j'écrivais la moindre phrase, pour être sûr que le contexte s'y prêtait (et par exemple qu'on ne m'attribuerait pas à moi les pensées machistes ou violentes d'un personnage que je fais parler) mais on n'est jamais sûr de l'effet que l'on produit sur le lecteur ou la lectrice. Ce n'est pas une question de pudeur (je suis pudique, mais par désir de me protéger, pas par pudibonderie) mais de délicatesse et surtout, je tenais à ce qu'il soit bien clair que dans ce roman, même s'il est question du corps des femmes, c'est de leurs sentiments et de leur vie qu'il est question, pas de leur anatomie ou de leur physiologie sexuelle.

POur le moment, les échos qu'on me donne du livre sont positifs personne ne m'a encore écrit pour me dire avoir été choqué(e) par ce que j'y écris. Mais les lecteurs/trices mécontent(e)s écrivent moins que celles ou ceux qui aiment un livre, et peut-être certain(e)s de mes correspondant(e)s ont ils omis les réserves qu'ils/elles pourraient avoir à l'égard de certains passages.

Les seules réserves que j'aie lues jusqu'à présent concernent les "péripéties qui ressemblent à celles d'un livre de SF" (Marianne) et la fin "grotesque" (Les Inrocks) - réserves atténuées par la notion que la fin, même si elle est grotesque, est dans le ton du livre.

Plus je m'éloigne dans le temps de l'écriture de ce livre, plus je suis convaincu que les péripéties du troisième tiers et la fin mélodramatique (je sais qu'elle l'est, je voulais qu'elle le soit...) sont celles qui convenaient parce que depuis le début, j'avais quelque chose de cet ordre en tête.


(Attention ! Si vous n'avez pas lu Le Choeur des femmes et si vous avez l'intention de le lire, ne lisez pas ce qui suit !!!)

ATTENTION SPOILER !!!
ATTENTION SPOILER !!!
ATTENTION SPOILER* !!!

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Donc, en relisant le livre, je me suis rendu compte qu'au tout début du roman, page 39, on découvre l'identité - ou plutôt le genre - de Jean, au moment où Karma la désigne comme étant une femme pour la première fois (il l'appelle "Mademoiselle"). Un peu plus tard, page 72, il lui dit que son prénom, "Jean" puisqu'il s'agit du prénom anglais et non français doit se prononcer Djinn. Autrement dit, à deux reprises, il lui restitue son identité sexuelle, renouant en quelque sorte avec le secret commun qui les lie (sans qu'ils le sachent encore) depuis 30 ans, et annonçant la scène de révélation/reconnaissance/retrouvailles de la fin.

Or, quand j'ai écrit ces deux scènes, p 39 et p 72, j'ignorais encore complètement quels seraient les secrets respectifs des deux personnages et ce qui finirait par les lier l'un à l'autre. Je ne l'ai mis en place (conçu, imaginé, concocté, construit, écrit) que bien plus tard, alors que j'en étais à la moitié du livre...

Il y a quelque chose d'assez vertigineux dans le fait de découvrir qu'on porte préalablement en soi, de manière informe (inconsciente, subliminale, tout ce que vous voulez) le sens final que l'on veut donner à son travail...

Ca me fait frissonner rien que d'en parler.