lundi 18 mai 2015

Le métier d'écrivant (32) - La part de soi

La fin de semaine passée, je me trouvais à Knowlton, aux Printemps meurtriers, rencontres autour du roman policier créées par Johanne Seymour. C'était la quatrième édition. J'ai eu l'honneur d'y être invité la première année pour Les Invisibles, puis je me suis joint au noyau d'écrivains qui voulaient soutenir l'entreprise et j'y retourne chaque printemps.

C'est toujours un plaisir, car lorsqu'ils se réunissent, les auteurs de polar - autrefois, en France, on disait de rom-pol, de "littérature criminelle" ou "de mystère" -, n'ont pas tout à fait le même état d'esprit que les auteurs de littérature générale. Le ("mauvais") genre de leurs livres y est pour beaucoup, mais je pense que c'est d'abord leur personnalité qui fait la différence - c'est elle qui leur a fait choisir ce "mauvais" genre, après tout. Où qu'ils soient, quand on les rassemble, c'est toujours la même décontraction, la même bonne humeur bon enfant, la même chaleur, la même amitié. Il faut dire que beaucoup se connaissent depuis très longtemps - et que leurs lecteurs les suivent souvent de près.

Cette année, comme les années précédentes, les activités proposées au public étaient principalement des "Classes de maître" (ateliers animés par un écrivain) et des "Rendez-vous coupables", rencontres avec un trio d'auteurs autour d'un thème imposé.
(Voir le programme ici.)

J'ai assisté à plusieurs de ces rendez-vous. Le dernier m'a particulièrement réconforté. Il rassemblait Jean-Jacques Pelletier, Richard Ste-Marie et Martin Michaud autour d'une question simple, celle de la "part de soi" que chacun met dans ses personnages, les emprunts à l'autobiographie, aux proches, aux situations vécues. La causerie était d'autant plus intéressante qu'elle était animée par Richard Migneault, lecteur parmi les lecteurs, anthologiste émérite et connaisseur intime des écrits des trois invités.



De g à d : Richard Migneault, Richard Ste-Marie, Jean-Jacques Pelletier, Martin Michaud. (c) Photo : Guy Raymond.

C'était réconfortant parce que tous trois parlaient avec beaucoup de simplicité, de finesse et de bon sens de ce qu'ils considèrent tous (et je pense que personne n'aurait contesté ça dans la salle) comme un travail. Jean-Jacques Pelletier nous a confié comment, dans son dernier roman, il a transposé la maladie de sa compagne en l'attribuant à la compagne du personnage principal ; Richard Ste-Marie a expliqué avec beaucoup de bonhomie sa surprise en découvrant que le thème de ses deux premiers livres était le même et que son plaisir d'écrire était de "voler des phrases et raconter des menteries" ; Martin Michaud nous a décrit les processus successifs d'accumulation, de condensation puis de rédaction de ses livres. Tous étaient d'accord pour dire qu'ils éprouvent en écrivant le plaisir de l'artisan (JJP), qu'on écrit avec ce qu'on est (RSM) et que "Non, les personnages ne font pas ce qu'ils veulent, c'est toi le patron !" (MM).

C'était réconfortant et rafraîchissant de les entendre. Ils exprimaient, sans chichi ni fausse modestie, des choses que je ressens depuis longtemps sans avoir pu mettre des mots dessus. Et ils ont énoncé une chose assez simple, mais qu'on n'en finira probablement jamais de répéter : tout texte de fiction est, peu ou prou, pétri d'éléments personnels. Du texte d'autofiction comme fils de Serge Doubrovsky au roman de science-fiction le plus échevelé tel que Ubik de Philip K. Dick, il y a toujours une part de soi dans ce qu'on écrit. La question n'est donc pas (il me semble) : "Est-ce que ce texte est autobiographique ?" mais "Dans quelle mesure puise-t-il dans l'expérience sensible de l'auteur ?"



Dans l'oeil du lecteur - surtout s'il est à la recherche d'éléments croustillants à rapporter à une personne réelle - un roman "réaliste" (contemporain) semblera plus "autobiographique" qu'un roman policier. Mais c'est une illusion d'optique. Je relisais hier soir des chapitres de Touche pas à mes deux seins, mon premier roman d'énigme. Il est bourré d'éléments (et de personnages) de ma vie. Mais je n'ai jamais enquêté sur un crime, je n'ai pas été l'ami intime d'un juge d'instruction ou d'un jeune anarchiste - même pendant mes jeunes années - et si j'ai connu des jumelles, je n'ai pas eu avec elles les relations décrites dans le récit. Pas même de loin. Pourtant, c'est un roman qui dit des choses très personnelles, très intime, de manière transposée mais sincère. Et il y a quelque chose de réconfortant dans le fait qu'on ne me demande jamais s'il s'agit d'un roman "autobiographique", mais qu'on me dise qu'on a eu du plaisir à le lire. L'essentiel, n'est-ce pas qu'un roman se tienne, pour le lecteur, sans qu'il sache quoi que ce soit de l'auteur ?



Ecrire c'est raconter des histoires (les "menteries" de Richard) pour dire la vérité. La vérité de soi au milieu d'une perception (une parmi d'autres, dirait Martin) de la réalité du monde. Et tout ça, avec joie et excitation, en jouant des mots, des phrases, des personnages, des lieux, des intrigues comme avec les briques de ces jeux de construction que nous aimions (nous rappelait Jean-Jacques) quand nous étions enfants.




Merci, les amis.