dimanche 12 janvier 2014

Le métier d'écrivant, un feuilleton inédit (9) - Pseudo



Pourquoi avez-vous décidé de porter un pseudonyme ? Et pourquoi celui-là ?

Adolescent, je cachais que j'écrivais. Je pense que ça se savait quand même... Je m'étais déjà inventé un surnom, qui aujourd'hui me fait plutôt penser au patronyme d'un superhéros ou d'un personnage de manga : « Axis 2001 ». 

En 1983, l’année de mon installation dans un cabinet médical rural, je me suis mis à travailler dans une revue médicale, La revue Prescrire (voir épisode 6 et épisode 7), et à écrire des textes qui parlaient de mon métier de soignant. Le plus souvent, je les signais de mon nom. Je voulais écrire de la fiction depuis longtemps sans être tout à fait sûr que j'en étais digne. Alors j'ai continué à me cacher. 

Pendant longtemps je n'ai pas su exactement à quoi ça correspondait, et j’élaborais volontiers des explications psychanalytiques savantes expliquant ce recours à un pseudonyme. Mais si j’ai choisi "Winckler" en hommage au personnage-fétiche de Georges Perec dans La Vie mode d’emploi et W ou le souvenir d’enfance, c’est parce que, comme Asimov, Perec a été déterminant pour moi. Il a écrit des livres très personnels, dans des genres très différents mais c’était aussi quelqu’un de très déculpabilisant. Je n'ai jamais autant ri qu'en lisant Espèces d'espaces, où il montre qu'on peut écrire des livres lumineux simplement en ouvrant les yeux, en regardant autour de soi, et en laissant les associations libres guider la plume.



Quelques mois après avoir lu La Vie mode d’emploi, je tombe, dans un numéro de la revue L'Arc qui lui est entièrement consacré, sur un entretien dans lequel Perec déclare – je le cite de mémoire : "Je pensais que je ne pourrais jamais être écrivain parce que je préférais lire Agatha Christie plutôt que Roger Martin du Gard, et quand j'ai appris que Le Quatuor d'Alexandrie de Lawrence Durrell était inspiré par la théorie de la relativité, ça m'a foutu une pétoche pas possible." En lisant ça, j'ai eu envie de l'embrasser. Car moi aussi, j’avais lu surtout des auteurs « populaires », et j'étais persuadé que je n'avais pas le droit de devenir écrivain. 



Alors, aujourd'hui, je pense que le recours au pseudonyme était une façon de me placer sous la protection d'une figure tutélaire, d’un totem. Et lorsque j’ai publié ma première nouvelle dans Nouvelles Nouvelles, c’est sous le pseudonyme de Martin Winckler. Quand La Vacation a été publié, le pseudonyme s’est révélé une manière simple, et plutôt saine, de séparer mes deux activités. Je ne voulais pas même être photographié, de peur que les femmes venues le matin à l’hôpital ne me reconnaissent, le soir, dans le journal ou à une émission de télévision et prennent mon roman comme une description intrusive, une forme de voyeurisme de ce qu’elles avaient vécu quelques heures ou quelques jours auparavant. Je me sentais exhibitionniste, profiteur. Alors j'ai décidé de ne pas me montrer.

Dix ans plus tard, à la publication de La Maladie de Sachs, j’avais pris de la distance, je n’avais plus aussi peur, mais j'ai gardé le pseudo. Je ne voulais surtout pas qu’on vienne me consulter parce que j’écrivais des livres.  Et, tant que j'ai exercé en France, j'ai été heureux de recevoir des patients qui, pour la plupart, l’ignoraient tout-à-fait.

Vous avez été très marqué par l’œuvre de Georges Perec. L’avez-vous rencontré ?

Non. Il est mort en 1982. Je le lisais depuis 1978, je n’étais pas du tout sûr de moi et je venais d’oser enfin lui écrire quand j’ai appris son décès ! Mais il m’a permis de faire des rencontres très importantes. J’ai été tellement frappé par cette disparition que j’ai adhéré immédiatement à l’Association Georges Perec qui s’est créée un an plus tard, et je suis allé assister à plusieurs colloques organisés autour de son œuvre. A la fin des années 80 et au début des années 90, je me suis impliqué activement dans les activités de l’association. Pendant plusieurs années, un jeune chercheur allemand nommé Hans Hartje (aujourd’hui directeur du département de lettres à l'université de Pau) et moi-même avons compilé, mis en page et imprimé le bulletin de l’association. Ca n'a l'air de rien, mais tous les échanges que j'ai eus avec Hans, qui était plus jeune mais tout aussi fasciné que moi par Perec, ont été extrêmement enrichissants. Je n'étais ni parisien, ni de formation littéraire, et il m'a appris beaucoup. Il est l'auteur entre autres, avec Jacques Neefs  d'un magnifique ouvrage intitulé Perec Images. 



Au cours d’un colloque Perec, en 1987, j’ai rencontré deux écrivants-enseignants, qui m’ont beaucoup aidé. Le premier est Philippe Lejeune, qui était déjà, à l’époque, le meilleur spécialiste français de l’autobiographie. Il avait fait une présentation lumineuse sur W ou le souvenir d’enfance. Je suis allé lui parler et, comme c’est un homme charmant et extrêmement ouvert et accueillant, il m’a répondu avec chaleur et intérêt, et ça m’a fait beaucoup de bien. 

Quelques mois plus tard, j’ai lu dans Le Magazine Littéraire qu’il faisait une enquête sur le journal intime, et qu’il cherchait des témoignages. Je me sentais en confiance, alors j’ai écrit et j’ai fait partie des « diaristes » dont les réponses et expériences figurent dans Cher Cahier… , publié au Seuil en 1990. Entretemps, j’avais terminé un premier roman, La Vacation et il a été, avec Claude Pujade-Renaud et Daniel Zimmermann,  l’un des tout premiers à le lire et à me dire ce qu’il en pensait. 



Après la publication de mon premier roman, au cours d’un colloque sur le journal intime auquel j’étais allé assister, j’ai rencontré Anne Roche, professeur de littérature à Aix-en-Provence, qui elle aussi avait contribué à Cher Cahier… J'avais lu un de ses livres, La cause des oies, (co-écrit avec Geneviève Mouillaud) quand j'étais étudiant en médecine. Nous sommes devenus amis, elle a lu La Vacation et elle a été la première enseignante en France – et l’une des rares, encore aujourd’hui - à faire lire un de mes textes à des étudiants, et à m’inviter à venir leur en parler. 



En 1994, Anne a participé activement au colloque « Médecine et Littérature » que je co-dirigeais à Cerisy-la-Salle. En m'entendant lire les premiers extraits de ce qui allait devenir La Maladie de Sachs, elle m'a dit des choses tellement encourageantes que ça m'a beaucoup stimulé, alors même que le roman était loin de son achèvement. C'est elle aussi qui m'a proposé de co-diriger,  en 2002, le premier colloque sur les séries télévisées organisé à Cerisy. Comme celui de Philippe Lejeune, son soutien a beaucoup compté. 

Le totem est emprunté à Perec, Daniel Zimmermann et Claude Pujade-Renaud ont publié ma première nouvelle, m'ont servi de mentors et ont été les premiers à m'appeler "Martin" ; Philippe Lejeune et Anne Roche m'ont initié au monde universitaire et à la recherche en littérature ; ils m'ont aidé à comprendre ce que je faisais... Et cette année, Hans Hartje et ses collègues de Pau organisent un colloque consacré à mon travail. Autant dire que c'est un Journey in progress.  

Avec Paul Otchakovsky-Laurens (dont je reparlerai dans un prochain épisode) et le "groupe Grimaudi" dont j'ai parlé dans l'épisode 8, toutes ces personnes m'ont en quelque sorte aidé à assumer mon "nom de plume". Elles ont permis à "Martin Winckler" d'exister.

(...) 

-  Des questions ? 


(A suivre)