mercredi 7 octobre 2009

"Tu réponds à tout le monde ?"

Mardi 6 octobre, au Réservoir, avenue Duluth sur Saint-Laurent, les membres de Gallimard Ltée présentaient quelques-uns des livres qu'ils diffusent  et qui venaient d'être publiés au Québec. Je faisais partie des écrivains invités à venir parler de leur bouquin. Pendant mon bavardage (on a toujours du mal à m'arrêter, quand je commence), je mentionne qu'ayant mis mon adresse courriel dans Le Choeur des femmes  (comme je le fais pour tous mes livres, sauf oubli), j'ai eu le bonheur de recevoir deux à trois messages de lecteurs/trices (surtout /trices) par jour depuis le jour de sa publication en France.

C'est évidemment très gratifiant quand on a envie de savoir si son livre est apprécié, sans vouloir pour autant aller traîner dans les librairies pour vérifier qu'il y est bien mis en pile (et que les piles sont toujours hautes, et ne baissent pas - si elles restent hautes, c'est parce que les libraires les maintiennent dans cet état, et donc que le livre se vend ; si elles baissent, c'est parce que les libraires n'en commande pas d'autres pour remplacer ceux qui se sont vendus trop lentement).

Lorsque je mentionne l'apparition quotidienne de messages de lectrices/teurs dans ma boîte courriel, José Lareau, la dynamique et pétillante "ange gardien" des écrivains chez Gallimard Ltée me demande "Tu réponds à tout le monde ?"

Oui, je réponds à tout le monde. Heureusement pour moi, il n'y en a que trois par jour, alors je peux répondre. Mais même s'il y en avait plus, je ferais mon possible pour répondre, comme je l'ai fait lorsque j'étais à France Inter, comme je l'ai fait pendant les six années où j'ai répondu aux messages concernant la contraception.

Pourquoi est-ce que je réponds à tout le monde ? Pourquoi est-ce que je prends autant de temps pour mettre ne serait-ce que trois lignes de réponse à des messages de lecteurs inconnus (et parfois anonymes, car certain(e)s ne donnent pas leur prénom et leur adresse courriel est ambiguë...) ?


"Pourquoi je réponds ? Voyons voir..."
(Image de l'ogre se grattant la tête d'un air perplexe.)

Parce que ça me fait plaisir de recevoir une lettre de lecteur/trice content(e).

Parce que j'ai envie de lui signifier que j'ai reçu le message - j'ai toujours peur qu'on ne reçoive pas les miens alors je tiens à les rassurer sur ce point. Alors, pendant que j'y suis...

Parce que quand on me dit qu'on aime un de mes livres, en personne, je remercie. Alors, je trouve naturel de remercier ceux qui me le disent par écrit.

Parce que souvent, le message n'est pas seulement une appréciation du bouquin, mais une évocation de ce qui, dans l'histoire ou l'expérience de celui/celle qui m'a lu, a fait écho à cette lecture. Il me parle de soi, d'un parent, d'une expérience professionnelle. Parfois, le message me retrace en vingt ou trente lignes, toute une existence. Plus rarement, c'est un texte de plusieurs pages.
Et c'est toujours passionnant.
Souvent (sinon presque à chaque fois) l'auteur du message me dit "ne pas attendre de réponse" ou "s'excuser d'écrire une lettre de "fan"" ou encore de me "prendre mon temps" ou d' "encombrer ma boîte à courriels". Et à ce moment-là, bien sûr, j'ai en plus l'envie vigoureuse de lui montrer qu'il n'en est rien. Ce n'est pas une perte de temps, ce n'est pas une intrusion (si je voulais "qu'on me laisse tranquille", je ne mettrais pas mon adresse électronique dans les livres, sur les sites internet, les blogs...) ce n'est pas importun, ce n'est pas ridicule, ce n'est pas immature ou infantile d'écrire à un écrivain.

Avant l'internet et le courriel, j'ai beaucoup écrit à "mes" écrivains et j'ai beaucoup souffert que certains ne me répondent pas, sans savoir exactement si leur silence était dû à la perte de ma lettre dans une pyramide de courrier équivalente à celle que doit ranger Gaston dans les bureaux du journal Spirou, ou bien à l'indifférence, au manque de temps, ou encore (et c'était pire) au fait que ce que j'avais écrit avec tant de soin et d'enthousiasme n'avait à leurs yeux aucun intérêt.

Je me souviens de ma joie absolue les jours où, après avoir écrit des lettres enthousiastes aux éditions Marvel pour leur dire mon admiration à l'égard du dessinateur John Buscema, j'ai reçu une lettre et, en "No-Prize", un fascicule de The Mighty Thor et un autre de The Silver Surfer. 

Je me souviens de ma fierté (je la ressens encore) le jour où j'ai reçu une lettre d'Isaac Asimov en réponse à une lettre écrite après avoir dévoré et adoré son roman The Gods Themselves. 

Je me souviens de la rage avec laquelle j'ai écrit à la rédaction du journal Pilote, au retour de mon année en Amérique, après avoir lu les 52 numéros de l'année écoulée (que Mick, mon frère, m'avait soigneusement mis de côté), pour leur dire à quel point je trouvais que le journal avait perdu de son mordant et de sa qualité. Et je me souviens de ma stupéfaction absolue, et de mon sentiment d'humilité en recevant une réponse signée... René Goscinny, regrettant que mes jugements soient aussi sévères mais espérant que je continuerais à lire Pilote et que je changerais d'avis dans un proche avenir...

Je me souviens aussi du bonheur que j'ai ressenti quand, après avoir envoyé Plumes d'Ange à Claude Nougaro en lui remerciant de m'avoir soufflé, par son récit-poème, le titre de mon livre et son épigraphe, j'ai reçu de lui une lettre manuscrite très émouvante (il y mentionnait son père et sa mère) ornée d'un timbre à l'effigie de... Léo Ferré.

Alors, oui, je réponds à ceux et celles qui m'ont écrit. Pour leur dire, même si je dis peu, que leur message m'est arrivé, qu'il m'a fait plaisir, et que j'espère leur procurer, en retour, un peu du plaisir que j'ai éprouvé moi-même en les lisant.

Vous comprenez, ce n'est pas de l'altruisme ou de la grandeur d'âme ou de la politesse. Et je ne crois pas que ce soit pour les inciter à voter pour moi aux prochaines élections, ni pour les convaincre d'acheter mon prochain livre (Car voyez, je réponds aussi aux (quelques) personnes qui m'écrivent pour me signifier leur désaccord ou leur mauvaise humeur). 

Si je réponds, c'est parce que ça me fait plaisir.