lundi 2 novembre 2009

Je me souviens (8) - par Laura

Je me souviens des derniers lacets de la route qui précédaient la vision du village où nous venions vous voir. L’excitation, la joie, malgré souvent le brouillard, le vent et le froid qui saisissait à la descente de la voiture. Le clocher apparaissait, il restait encore quelques virages, le ruisseau à truites, le cimetière où désormais vous êtes à demeure et enfin l’entrée dans ce village circulaire où un silence empreint de gravité précédait notre arrêt.

Je me souviens de la fenêtre ouverte sur l’arrivée des hirondelles, la chaleur baignant la chambre et moi, accoudée, les regardant parader, et cette sensation de bonheur éphémère qui planait.

Je me souviens du sentier caillouteux bordé de gros rochers granitiques à cupules, qui me conduisait jusqu’à ma forêt de Brocéliande. Là, adossée à un pin écorcé à maints endroits, je sortais le livre de l’oubli.

Je me souviens de ces hommes, mes oncles, que je trouvais si grands dans mon regard d’enfant. Aujourd’hui, dans le fils je vois le père disparu et mes repères vacillent. Devant la tombe ouverte ils semblent moins grands et j’ai un peu froid.

Je me souviens de la longue silhouette noire me chantant « dis quand reviendras-tu… » et je me souviens aussi de ce jour où tu es partie et que je l’ai su avant que ta mort ne me soit annoncée.

Je me souviens de l’odeur de cuir qui régnait dans la boutique de cordonnier où nous passions ces après- midi de conversation muette, et le choc du marteau sur les petites pointes.

Je me souviens des premiers lacets de la route qui m’arrachaient au village où vous restiez. Agenouillée sur la banquette arrière, mes yeux s’accrochaient le plus longtemps possible aux toits de lauze qui me reliaient à vous. Les larmes que j’avais vues couler sur votre visage à notre départ achevaient leur chemin sur le mien.


Laura

Pourquoi écrire ? par Martine B.


Souvent, à ceux qui me demandent : « Pourquoi écrire, quand les journées sont déjà trop courtes pour tout y caser? Pourquoi écrire, il y en a tant qui le font mieux, à quoi bon balbutier dans ton coin ? », j’ai envie de donner des réponses idiotes, « Parce qu’on m’a offert un ordinateur, parce qu’en ces temps de crise, un passe-temps gratuit, ce n’est pas négligeable, parce que c’est moins barbant que le ménage, parce que je suis incapable de jouer d’un instrument de musique, parce que j’ai trop mal aux genoux pour faire du sport. » Puis je me ravise.
Pourtant on pourrait s’insurger, car en effet, pour toute autre activité que l’écriture, il n’est nul besoin de se justifier et l’amateurisme est de mise. Peu importent les maladresses si on y trouve du plaisir, si on s épanouit dans diverses pratiques, c’est fait pour ça, non ? Je me suis longtemps demandé pourquoi l’écriture subissait un traitement différent, et l’autre jour, en voyant mon fils partir à son cours de guitare, j’ai eu comme un déclic.
Pour toutes les autres activités, on peut s’inscrire dans un club ou une association, certaines sont même souvent démarrées dans le cadre scolaire. Or en France, il y a encore trop peu d’ateliers d’écriture.
Si j’étais ministre de l’éducation nationale, à l’aube d’une réforme des lycées, voilà quelque chose qui figurerait tout en haut de ma liste de priorités. Et pas seulement en cours de français, en langues également, pour jouer avec des sonorités différentes. Je ne mets pas en cause les enseignants, qui ont déjà peine à ‘boucler le programme’.Mais le comble, c’est que l’épreuve de français au bac propose un exercice d’invention, or il est apparemment risqué de s’y hasarder. Pourtant c’est le sujet que les élèves semblent plébisciter.  Donc on ne les y entraîne pas ! Cherchez l’erreur.
Je rêve de sessions d’écriture comme cela se pratique dans les pays anglo-saxons, je pense entre autres au travail d’Asimov auprès des étudiants américains, mais il y aurait tant d’autres exemples… J’ai un temps fréquenté un atelier (initié par François Bon dans un quartier déshérité de ma ville), y participaient également des personnes un peu différentes, qui ne se posaient pas la question de la légitimité de l’écriture, mais agissaient, tout simplement, et certains  nous ont ébloui par la profondeur et la créativité de leurs textes.
Le jour où l’écriture sera perçue comme une activité parmi d’autres, on se posera moins de questions  et ce sera tant mieux!