vendredi 29 juillet 2011

La machine infernale - par Marc's Twin



Je l’ai depuis quelques semaines. Il est gris, pas plus grand qu'un livre de poche, mais plus mince. Il ne m’appartient pas : le directeur du centre où je travaille l’a acheté pour les chercheurs mais presque tout le monde a déjà un iPad, alors c’est à moi qu’il l’a confié.

J’avais très envie d’en avoir un pour lire les centaines d’articles en PDF que je télécharge régulièrement. Evidemment, il faut les transformer au format de lecture de l’objet, sinon il n’est pas possible de les lire de manière satisfaisante, en augmentant la taille des caractères.

Je ne sais pas encore très bien m'en servir. Mais c'est comme tout, on apprend à l'usage. 

J’ai commencé par lire The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde de Robert-Louis Stevenson. Il était présent dans la mémoire, quand je l’ai reçu. Je n’avais jamais lu Jekyll & Hyde, figurez-vous, et encore moins en anglais. J’étais heureux de pouvoir le faire dans le bus et le métro c’est là que je lis le plus souvent, en ce moment, mais ce matin pour la première fois depuis longtemps, je me suis assis pour lire dans un fauteuil, un article qu’un ami m’a envoyé et que j’avais transféré dessus.

J’ai encore plus envie de lire depuis que je l’ai.

Je le transporte partout avec moi.

Il est en train de devenir un objet transitionnel, vous savez, comme la couverture de sécurité de Linus, le personnage de Peanuts.

Vous allez me dire : « Ce n’est pas bien grave. Il évite d’avoir à imprimer (et donc de consommer du papier). Il ne prend pas de place. Il peut contenir beaucoup de textes. C’est un objet utile.»

C’est vrai : je n’arrête pas de le remplir, mais le mot imprimé prend une place infinitésimale dans sa mémoire, et jusqu’ici je n’en ai pas rempli le dixième, alors que j’ai de quoi lire pour un an, au bas mot…

Mais c’est une machine infernale. Comme toujours, avec la technologie. Plus on en a, plus ça devient chronophage.

Quand je suis arrivé au Centre, à l’Université de Montréal, j’ai découvert la frénésie d’accéder à des milliers d’articles en ligne. Même si ce n’est pas vrai, j’ai eu le sentiment que j’avais la quasi-totalité du savoir à ma portée, au bout de mes doigts. Je me suis mis à télécharger des articles à tour de bras.

Et puis un des chercheurs m’a parlé de sites incroyables, sur lequel on peut trouver la version téléchargée (PDF, e-book) de milliers d’ouvrages. Ce sont en quelque sorte des banques de livres (le plus souvent scientifiques, mais pas toujours, il y a des centaines de romans aussi) mis en ligne par leurs lecteurs. Pas très rentable pour les éditeurs, mais tellement pratiques pour les vamplires (un vamplire, c’est un parasite qui suce la moelle des livres). Je me suis mis à télécharger à double tour de bras. Des romans, des livres de sciences humaines, les œuvres complètes de Shakespeare, celles d’Albert Camus que l’université de Chicoutimi a mises à disposition du public car au Québec, la plupart sont dans le domaine public. Bref, des dizaines de livres.

Et puis j’ai reçu l’objet. J’avais donc tous ces articles, tous ces livres, et je me suis mis à les préparer pour les transférer dedans. Avec un logiciel qui porte le joli nom de calibre. Il reconnaît les fichiers, permet de les renommer, de les transformer dans un format lisible par la machine…

Du coup, je suis retourné sur les sites de téléchargement de livres. J’ai cherché les romans de SF de mon enfance. J’en ai trouvé…. Un paquet ! Et j’ai passé ma matinée à télécharger, convertir, transférer, vérifier que ça marche, lire une page puis deux, puis me rappeler et télécharger d’autres livres, souvent disponibles dans le domaine public (C'est merveilleux, le domaine public, tout Arsène Lupin est dans le domaine public ! ) que j’avais envie de relire - en anglais cette fois-ci, puisque la plupart des romans que j’ai lus adolescents étaient traduits : les personnages de romans d'énigme - Sherlock Holmes, le Professeur Challenger, les enquêtes d’Hercule Poirot, Le Juge Ti, Lord Peter, Le Baron, Ellery Queen ; les auteurs de SF - Sheckley, Simak, Asimov, Bester, Sturgeon, Kuttner, Anderson….

Aaaaargh !!!!

C’est merveilleux.

J’ai le sentiment d'avoir sous la main la bibliothèque de mes quinze ans. 

Aaaaargh !!!!

C’est horrible.

Il va me falloir quinze ans pour relire tout ça !

Mar(c)t(w)in

Le livre de mon enfance - par S. (Ex. n°18)



Mes parents avaient fait construire une maison à la campagne, près de B*. Nous y avons emménagé au printemps 1975. A la rentrée suivante, j’entrais en CE2 dans la classe unique de l’école du village. Elle comptait 25 élèves. En CE2, nous étions 2. La salle de classe était petite, éclairée par de grandes fenêtres. Les pupitres, disposés par ordre de taille, les petits devant, les grands derrière,  occupaient presque tout l’espace. C’étaient de vieux pupitres en bois, au banc et plateau soudés, qu’on cirait à la fin de chaque année scolaire. Ils étaient pourvus d’un plan incliné, d’un trou pour l’encrier, d’une entaille pour les stylos et les crayons. Un poêle trônait au fonds de la classe, et juste à côté, dans un angle, l’armoire vitrée qui renfermait la bibliothèque de classe. D’où venaient les livres qu’on y trouvait ? Je l’ignore. 
Le maître animait la classe avec charisme et talent, passant d’une section à l’autre, expliquant une leçon aux élèves du cours élémentaire quand les cours moyens résolvaient un problème de mathématique ou s’échinaient sur un exercice de français. Lorsqu’un élève avait fini avant les autres, il pouvait aller prendre un livre dans l’armoire et s’y plonger le temps que ses camarades achèvent à leur tour l’exercice demandé. Il existait un cahier des prêts, tenu par un élève
Mon camarade de CE2 étant plus lent que moi, j’avais souvent l’occasion de me servir dans la bibliothèque. Je prenais les livres au hasard : l’armoire comprenait peu d’ouvrages et je dévorais tous les livres qui me tombaient sous la main. En une journée, deux au plus, j’avais terminé ma lecture.  Un matin, le maître d’école, étonné de ma rapidité, me soumit à un interrogatoire serré pour vérifier que je comprenais ce que je lisais. Après quelques mois d’école, j’entamai une seconde lecture des livres de l’armoire.
En septembre 1976, j’entrai en cours moyen. Nous étions 3 ou 4 élèves en CM1. C’est cette année-là, ou l’année suivante, que j’ai découvert « Monica et le prince ». J’ai tout de suite été conquise par l’héroïne, Monica, que j’admirais et que j’enviais : « Avec une élégance qui s’ignorait, elle portait le plus souvent, bien que ce ne fussent plus les mêmes que deux ans auparavant, une jupe verte et un corselet de velours noir sur un corsage blanc. Mais aujourd’hui, elle n’allait plus pieds nus. Il y avait pourtant, dans sa personne, quelque chose qui paraissait ne devoir jamais changer : une sensibilité prompte qui se reflétait dans ses yeux, dans ses traits, dans ses mouvements, et cette indépendance un peu sauvage, un peu farouche, qui attirait et inquiétait à la fois ; On avait l’impression que nul ne serait jamais assez fort pour la retenir tant qu’elle n’aurait pas d’elle-même décidé de s’incliner devant une volonté autre que la sienne. On sentait qu’elle ferait tout ce qu’elle voudrait, envers et contre tout, quelles que fussent les conséquences de sa passion pour la liberté.
Deux années dans un milieu différent de celui où s’étaient déroulées les premières années de sa vie n’avaient en rien entamé sa personnalité. »
Au fond, l’intrigue m’intéressait peu. J’étais fascinée par l’héroïne : elle savait si bien concilier des mouvements du cœur opposés en un savant mélange qui faisait toute la force de sa personnalité : l’élégance alliée à ce caractère farouche, une soif de liberté sans borne conjuguée au désir de soumission à l’homme qu’elle aimait, une volonté, une détermination constantes, qui la feraient triompher de toutes les épreuves. Enfin, malgré son ascension sociale, une fidélité sans faille à son milieu d’origine. Monica, c’était moi. J’étais encore une petite fille, mais comme elle, je savais qu’en grandissant j’allais triompher des obstacles qui se dresseraient sur ma route, et que je rencontrerais l’amour à l’issue d’une série d’épreuves.
La lecture de ce roman a-t-elle contribué à forger mon caractère, ou  m’a-t-elle révélé des désirs profondément enfouis ? 
J’ai relu ce livre bien plus tard. En 1992, j’étais étudiante lorsque mon maître, qui prenait sa retraite de l’Education nationale, a été décoré des palmes académiques. Comme de nombreux anciens élèves, j’ai assisté à la cérémonie qui se tenait dans la petite salle de l’école communale. A l’issue de celle-ci, comme j’exprimais le souhait de relire ce roman, monsieur B* me l’a prêté. En le relisant, j’ai retrouvé le plaisir de l’enfant, teinté de la nostalgie et de l’amusement de l’adulte. A présent, je discernais la grossièreté de l’intrigue, les caractères stéréotypés des personnages, la pauvreté du style : c’était du Barbara Cartland pour petite fille. Peu importe.
Plus tard, j’ai travaillé quelques années dans une bibliothèque spécialisée en littérature de jeunesse.  Un jour, dans une période professionnellement très difficile, j’ai dû participer à une réunion où je redoutais l’agressivité de certains collègues.  J’étais arrivée en avance, et j’ai emprunté, dans le fonds ancien de cette bibliothèque, deux petits romans que j’avais lus enfant : « Il court il court Frédéric » de Jacqueline Goudet, et surtout « Monica et le prince » de Jean Muray. Au début de la réunion, j’ai posé ces deux livres en évidence sur la table, devant mon dossier. Aucun collègue autour de la table ne pouvait comprendre l’importance de leur présence physique entre eux et moi. J’étais invulnérable, parce que j’étais seule à connaître leur puissance à ce moment précis. J’étais seule à savoir que ces livres, qui portaient en eux le souvenir tranquille et rassurant du maître, mettaient entre les autres et moi-même toute la distance qui me séparaient de mon enfance, et me protégeaient du présent comme un rempart indestructible.
Le soir même, après le coucher des enfants, je me suis replongée dans « Monica et le prince ». Et j’ai redécouvert ce petit roman avec le  même plaisir teinté de nostalgie que j’avais éprouvé 10 ans auparavant.

mardi 26 juillet 2011

Le livre de mon enfance - par Marie (Ex. n°18)




Il m'en reste la sensation d'être celle qui vit ce que vit l'héroïne (pour une narratrice qui se drogue, être l'héroïne est assez logique). 

J'ai dix ans et demi, je suis sur mon lit, c'est l'après-midi et je lis Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée. Je pense que c'est ma copine Babeth, qui est en quatrième qui m'a prêté ce livre.

J'ai le sentiment que je ne suis pas assez âgée pour lire ces pages, que je commets quelque chose d'interdit, mais je suis fascinée par ce récit.

Ma mère m'appelle, je la rejoins à la cuisine et je me sens coupable d'avoir fumé du haschich, d'avoir menti, de mettre en danger ma santé (c'est encore le début du livre, c'est pas aussi trash que la suite).

Je sais pourtant que j'étais seulement en train de lire, mais je me sens enfermée dans les pages, intégrée à la narration.

C'est la première fois que j'éprouve ça. J'en suis très mal à l'aise et en même temps heureuse de pouvoir vivre ces expériences sans m'exposer vraiment.

Ce qui m'en reste est simultanément très physique (je peux à nouveau me sentir dans le même état à trente ans d'écart) et très distancié puisque je sais maintenant que j'ai expérimenté quelque chose d'universel et essentiel pour tout lecteur.

Depuis maintes et maintes fois vécue, la puissance de cette lecture particulière me revient très distinctement.

Marie



dimanche 24 juillet 2011

Le livre de mon enfance, par Gilda F. - (Ex. n°18)



Je me souviens que je tournais en rond, à la fin de la maternelle, et que j'avais pigé que pour devenir grand(e) il fallait savoir lire, je croyais même que c'était l'unique différence en dehors de la taille qui était si lente à venir entre être adulte ou rester un enfant. Mais mes parents ne voulaient rien me dire parce qu'ils craignaient de m'embrouiller par rapport à l'école. Plus de 40 ans plus tard, j'ai encore pour cette raison à leur encontre un sentiment de trahison. Il faut dire que dans la série mal faire croyant bien faire, ils furent champions.

Dès lors à peine décoincée par la grâce du CP, je me suis jetée sur tout ce qui se lisait avec une sorte de fureur jamais apaisée. Les "Oui-oui" vite expédiés, c'était trop bébé, je suis passée aux Fantômette (c'est bien gentil, mais ...) et de là, à la production Enid Blytonienne.

Mon père travaillait dans une usine de voiture.
Enid ressemblait à un sigle d'entreprise italienne (en recherchant j'ai trouvé : Ente Nazionale Idrocarburi). Je croyais donc tout naturellement qu'Enid Blyton était une marque de fabrique comme Simca Chrysler.
Je n'étais pas capable d'analyser la chose mais je sentais que ces petits livres étaient pratiquement tous construits sur le même moule. Les autres textes qu'on croisait étaient les dictées. Ils semblaient conçus pour nous piéger et ce que j'en comprenais c'était qu'il ne fallait surtout pas les prendre comme des mots qui racontaient quelque chose sinon on tombait immanquablement dans le piège de la faute d'inattention qui entraînait des drames à la maison, le prétexte de leur engueulade quotidienne étant alors tout trouvé pour les parents qui se reprochaient l'un l'autre vertement cet échec éducatif (1).
Je fus donc en CE1 et CE2 persuadée, même si je commençais à aborder d'autres livres, que les textes étaient donc fabriqués, au sens de produits en petites usines, comme les bureaux de mon cousin italien Pino qui bossait dans les assurances, il y avait un peu des chefs pour mettre d'accord sur un thème et coordonner afin d'éviter les incohérences, et des équipes de gens qui travaillaient sur les mots eux-mêmes, ainsi que des superviseurs pour l'orthographe. 






Il fallait qu'ils tapent vite. Ils avaient des machines à écrire perfectionnées mais bruyantes. Il y avait des sortes de dictionnaires avec les personnages, leurs caractéristiques pour ne pas se tromper, c'est d'ailleurs pour ça, être certains de ne pas se tromper et passer le témoin au collègue d'écriture, qu'ils répétaient souvent un adjectif ou une expression auprès d'un prénom, par exemple "Le chef Pierre" dans Le clan des sept ou "La douce Annie" alors qu'elle était juste une pure nunuche à cause de qui les gars croient que les filles sont stupides, dans Le club des cinq. Ça m'agaçait déjà qu'il y ait des chefs et des nunuches en fait.

Vint le CM1 et une institutrice de ceux des enseignants qui marquent une enfance et souvent la suite d'une vie. Elle s'appelait, s'appelle toujours, Madame Banissi et mettait du cœur à l'ouvrage, avec une capacité remarquable à ne pas laisser tomber ceux qui avaient du mal, tout en offrant du grain à moudre aux assoiffés dont j'étais. Elle nous fit jouer (pour ceux qui voulaient) des scènes de pièces de théâtre en complément des poésies classiques qu'alors on récitait, nous poussait à faire des exposés qu'on préparait à la récré grâce à de grosses encyclopédies (j'ai encore le souvenir d'un Tout l'univers qui me fascinait). 






Et elle nous fit découvrir les souvenirs d'enfance de Pagnol, en plus que jouer de la célèbre trilogie du même la scène du Pitalugue, ce grand canot blanc, avec autorisation de prendre l'accent marseillais, ce qui fait que personne ne voulait jouer monsieur Brun qui ne l'avait pas. C'est en interprêtant le rôle de César d'une façon probablement épouvantable que j'ai appris grâce à elle que je n'aimais rien tant que faire marrer les autres, que c'était pour moi une bonne fonction.


Le texte qui m'avait marquée le plus était dans Le château de ma mère avec ce gardien du château fermé qui les terrifiait et sur lequel un jour ils étaient tombés. J'avais le cœur battant en traversant cette propriété, car bien sûr j'étais avec eux, je la traversais. 






Et puis dans La gloire de mon père, il se passa un truc bizarre : alors qu'a priori je détestais la chasse, c'était tuer des animaux qui ne vous avaient rien fait et puis j'avais vu Bambi à l'âge du CP et que les chasseurs étaient les méchants qui tuaient sa maman, voilà que j'étais avec Marcel à suivre avec plaisir son père, faire le rabatteur du mieux que je pouvais, et ivre de joie quand cet homme réussit le coup du roi.
Grâce à Pagnol qui m'avait passionnée avec ses bartavelles (2), j'ai compris que les livres étaient écrit par des gens qui y mettaient leur cœur, et pas seulement un savoir-faire destiné à coller de mauvaises notes en orthographe aux enfants et qu'en fait un travail d'équipe ça ne l'était pas si souvent.









J'ai dévoré "Le temps des secrets" que je relus par la suite à chaque matin de rentrée scolaire (pour le passage de son entrée au lycée, la première et si marquante journée) afin de me donner le courage de redémarrer.






De cette révélation d'entre 8 et 10 ans, date que j'ai conçu qu'écrire pourrait être un bon travail pour moi. Embryon de vocation que tua dans l'œuf un adulte de mon entourage (3) qui lors d'un repas de famille m'avait demandé ce que je voulais faire plus tard et que j'avais répondu écrire, ou plutôt écrire des livres et que lui avait alors rétorqué sur un ton d'évidence même  "Oui d'accord, mais comme travail ?" me faisant comprendre que ça n'était pas un métier. Mais déjà c'est une autre histoire ; dont je n'ai pas fini de me dépêtrer.

Mon livre d'enfance est donc La gloire de mon père de Marcel Pagnol et la révélation que pour moi il contenait. Les vrais livres pour les grands sont écrits par de vraies personnes et qui y mettent tout leur cœur et bien des sentiments. Et qui peuvent aussi servir à raconter "Quand j'étais petit ..." aux enfants.



(1) En ce temps là en France il suffisait d'avoir 5 fautes à une dictée pour atteindre 0 (c'était par faute commise 2 points ôtés sur 10 et au collège 4 points sur 20) et elles n'étaient pas préparées, ou seulement par l'apprentissage de règles d'orthographe dont on retrouvait l'application dans le texte de la semaine (ou pas).
(2) En revanche les tripatouillages d'insectes m'avaient laissée sur le quai dont j'avais estimé que c'était probablement un truc de garçons que les filles ne pouvaient pas comprendre. J'en conçus même à leur égard un début de mépris.
(3) Je ne sais plus qui, comme si j'avais préféré oublier pour éviter d'avoir à prendre un jour sur lui ma revanche. Je suppose un de mes oncles, un que j'admirais - sinon j'aurais remis sa parole en cause, questionné.


samedi 23 juillet 2011

Les livres de mon enfance - par Martine B.


Quand je repense aux lectures qui m’ont marquées dans l’enfance, il me vient non pas un mais trois livres à l’esprit, tous les trois choisis dans des bibliothèques familiales,  un peu avant que je devienne une lectrice assidue de la bibliothèque de mon quartier. Il est vrai que le choix n’était pas très large, néanmoins je ne crois pas les avoir  lus uniquement par défaut.

Lors de week-ends ou de vacances chez mes grands-parents, je dévorais Les Aventures de Nick Carter. J’admirais ce détective, c’était bien avant que je découvre Holmes  (et  autres..).  Je crois que la résolution d’énigmes m’a toujours passionnée, même si je lis un peu moins de polars maintenant. Sans aucun doute, le fait que ces histoires se passent aux Etats Unis y était pour beaucoup également. Je ne sais combien de fois je l’ai relu.



Pour les deux autres, je les avais chipés à ma mère. Je ne pense pas qu’elle aurait trouvé à redire à ma lecture d’Annapurna, Premier 8000, de Maurice Herzog. Je l’ai lu au moins deux fois lui aussi, fascinée par l’ampleur du défi, la gestion du danger, l’esprit d’équipe. Ce livre me correspond bien, j’aime toujours les challenges, et c’est encore mieux si ce n’est pas en solitaire.



Le dernier, je l’ai lu en cachette, à 11 ans. Celui-là, il me semble que je n’ai lu qu’une fois, et sans doute n’ai-je pas tout compris à l’époque, mais c’est peut-être celui qui m’a le plus marquée. J’y ai repensé au moment de l’annonce de la maladie d’une personne très proche il y a quelques années.   Et puis l’an dernier, j’ai un jour ressenti une sensation d’étouffement dans un lieu que je ne supportais plus, et j’ai lâché à une collègue : « J’ai l’impression que les murs rétrécissent ici, c’est L’écume des jours ! ». C’est là que j’ai décidé de partir vers de nouveaux horizons.



En écrivant ces lignes, je me rends compte que ces trois livres que je ne renierais pas aujourd’hui annonçaient déjà bon nombre de mes lectures d’adulte.

mercredi 20 juillet 2011

Le livre de mon enfance - par Younes (Ex. n°18)


Chère mémoire,
Tu vois l’enfant que j’étais ?

Il scrute un peu tes formes sans nom et il n’arrive pas à trouver ce qu’il cherche, le souvenir d’un livre. A cette époque, il n’en y avait pas beaucoup à la maison, il y avait des manuels scolaires que la fratrie se relayait au fil des années. Le père faisait de son mieux pour rattraper le train perdu, il fallait qu’il se souvienne de ce qu’il avait appris à l’école coranique du village avant de la quitter pour voler des pans entiers de l’enfance, vite devenir adulte et chercher à manger. C’était plus qu’une urgence, il était tenaillé par les procès qui se suivaient et on lui avait signifié que la Loi ne protégeait pas les ignorants. Son excellente mémoire n’avait pas failli,  il réussit à lire ces indigestes sentences inscrites pour l’éternité à l’aide du papier carbone et qui faisaient peur à toute la famille.
Le père conserva son écriture d’enfant. Ses vraies lectures, il les avait faites en prison à l’âge de soixante ans, juste après sa retraite.

Le père l’emmena un jour à la casse. Ils marchèrent longtemps et là, il lui dit devant un semblant de bouquiniste de ‘’La ferraille’’ de prendre les livres qui l’intéresseraient. Même si le père insistait, l’équation envie, désir et moyens aboutit à deux, le premier avait l’air rustique et portait le titre ‘’Al Khawirdj’’ qui échappait et de loin à la connaissance du père et du fils. Le deuxième était en français, car il fallait bien progresser dans la langue de l’élite, et traitait de mignons lapins aux prises avec un renard dans de belles illustrations.

La sœur aînée se souvint de la bd ! Apparemment, le maigre argent de poche y passait. Elle lui fit remarquer qu’il n’avait pas à se plaindre car il était le seul à en avoir. Mais la bd ne correspondait à ce qu’il lui demandait, elle devrait savoir que les Blek, Kiwi, Zembla, Rodéo etc. n’étaient pas des livres. La preuve, ils s’entassaient chez tous les ‘’Ma’line Azariâ’’, les vendeurs de cacahuètes et pois chiche grillés et lui,  il faisait partie de ceux qui lisaient des films à l’âge de la puberté, toujours pour être bon en français. De toutes les façons, il n’y avait rien d’autre pour nourrir l’imaginaire de ces gosses et leur soif d’apprendre. Ils n’avaient pas de quoi payer non plus. Elle lui dit qu’il y avait les romans arabes égyptiens qu’il dédaignait parce que c’étaient des trucs pour filles. Enfant, enfant, il insistait. Elle trouva qu’il râlait tout le temps et elle raccrocha.
Quel culot ! Il appelait de l’étranger, quand même !

Il y avait ces deux livres là, tout vieux, rabougris et écornés, qui n’avaient ni début ni fin. Ils doivent bien s’en souvenir, personne ne les lisait chez lui et tous insistaient pour que, lui, les lise. Le livre pour contes commençait à le 33ème page, culminait à la 675ème en plein climax et mourrait. Les contes ou nouvelles étaient évidemment en français, cela donnait l’air d’une punition. Le livre arabe, était tout autre chose, certainement pas une lecture pour enfants sages. Menu, de couleur rouge brique, il traitait d’ésotérisme avec tous ces voyageurs dans des contrées lointaines et désertes luttant contre l’indicible monde parallèle, djinns, démons et autres créatures des ténèbres.

Il cou rait et il savait qu’il ne pourrait jamais rattraper ses camarades fonçant tout droit chez le libraire près de l’école pour acheter le dernier numéro, un truc hebdo pour gamins. Mais la guerre arrêtait tout. Les maisons d’édition dans ce là-bas arabe qu’ils voyaient à la télé fermaient à cause des bombes et il ne leur restait plus que leurs manuels scolaires. ‘’Extrait’’, et l’intriguant ‘’Bi Tassarrouf’’ terminaient les textes à lire en classe.

Pendant longtemps, il garda ‘’Livre unique’’ que sa sœur aînée lui ramena ''min laqdim'' c’est à dire du marché de fripes. Ce serait bien pour le français, il avait aimé ces extraits de textes et les illustrations marron et blanc qui allaient avec. La France y était très belle.

lundi 18 juillet 2011

Le livre de mon enfance - par Zaouanne (Ex. n° 18)


Souvenir ému...


Il était dans la bibliothèque branlante de ma grande sœur, un meuble qu'elle avait bricolé maladroitement de son peu d'expérience manuelle. Elle l'avait verni pour lui donner un brillant et estomper ses défauts. Pour moi, ces imperfections n'existaient pas, je ne voyais en lui que les trésors précieux qu'il m'offrait, ces mille et une pages de nouveaux univers. J'en avais soif depuis que je savais déchiffrer les entrelacs de lettres. A 7, 8, 9 ans, j'essayais, je feuilletais, mais le déchiffrage était encore laborieux. Toutefois, je ne désespérais pas, je savais que j'allais y arriver.

Du haut de mes 10 ans, je réussis enfin à dompter les mots, le livre était d'Alphonse Daudet, Le petit chose. Quel drôle de titre, cela pouvait tout dire et rien à la fois, mais assez cependant pour intriguer la lectrice en herbe que j'étais. Je commençai ma lecture au pied du lit de ma sœur. Les pages passaient lentement mais sûrement ; j étais fière d'avoir enfin pénétré dans cette bibliothèque, aussi heureuse que Neil Armstrong le jour où il a posé son pied sur la Lune. J'ose avouer que je ne comprenais pas tout, mais j'insistai. J'entrais dans un nouveau monde, celui de la lecture, duquel je ne suis plus jamais sortie. J'ai gardé de ce livre un souvenir ému.



Un quart de siècle plus tard, Le petit chose a de nouveau croisé mon chemin. Les souvenirs d'enfant sont souvent brouillons et déformés, mélange d'évènements rêvés et réels. Ceux de ce livre ne correspondaient que peu à la réalité. D'un personnage que je pensais malchanceux dans la vie et que je plaignais, je me rends compte que ce n'était qu'un être teinté d'un profond égoïsme. Après une brève pointe de déception de m'être trompée, ce livre est toutefois resté et restera le symbole de mon entrée dans le monde si vaste et splendide de la lecture. 

samedi 16 juillet 2011

"Lulu, petit roi des forains" - par Sophie A. (Exercice n°18)

Lulu, petit roi des forains.... et pierre angulaire d'une bibliothèque


Le premier livre lu dans le silence et la solitude est « Lulu, petit roi des forains » de T. Trilby. Puis ensuite, il y a eu « Poil de carotte », « Rémi sans famille », « Un sac de billes », « Le tour de France par deux enfants ». En passant par la comtesse de Ségur, « Les contes du Chat Perché » et ceux de la Rue Mouffetard, pour finir, au seuil de l’adolescence, par « Vipère au poing ». Des livres que je relis souvent, des livres qui ont parlé de moi bien plus que mes parents l’ont fait. Des livres qui me délivrent une enfance perdue dans un monde d’adulte. 
Ces livres de mon enfance constituent le premier rayonnage de ma bibliothèque. En bas, tout en bas. Se sont superposés, comme des strates de sédiments, « Les mots » de Sartre , « Mémoire d’une jeune fille rangée » de Beauvoir, Zola et Flaubert à la même époque, puis sont venus Belleto, Echenoz, Duras, Jean-Philippe Toussaint, Annie Ernaux, Modiano, Jean-Paul Dubois, Ravalec, Benaquista, Winckler, Camus, Ian McInerney, Bukowsky, Fante, Fizgerald, Murakami, Anne Philippe et tant d’autres qu’il faudrait penser sérieusement à trouver un appartement avec un plafond plus haut. Une bibliothèque comme une vie qui se compte en milliers – millions ? – de mots lus, discutés, appréciés, soulignés, rayés. Elle n’aurait pas tenu sans ces livres d’enfance cette tour qui n’a rien à voir avec l’ivoire, mais plutôt l’or des heures, des journées, des mois et même des années de  lecture, dans un monde ailleurs. Une vie de lectrice qui ressemble curieusement à ma vie. Une bibliothèque comme un autoportrait. Sans ce premier livre marquant tout s’écroulerait pourtant.
Je ne parle pas des livres qui vous tombent sous la main chez le libraire ou qui sortent d'un papier cadeau, je parle des livres qu'il faut vivre pour pouvoir les comprendre, les aimer et ne pas les oublier. Lire pour pouvoir vivre, les livres d'enfance c'est exactement ça. « Lulu petit roi des forains »,  un enfant abandonné dans une grande fête foraine et qui s'en sortira.

vendredi 15 juillet 2011

"Cours vite, Alain !" - par S. (Exercice n°18)



« Cours vite Alain ». 

C’était un bel album carré, aux images douces et colorées.  Cours vite ! Page après page, Alain court à perdre haleine, toujours plus vite,  derrière ses frères et sœurs plus grands.  Et quand en nage il les rejoint, eux sont ailleurs, sur l’autre page, devant,  plus loin. Tant à faire, tant à voir ! Pas le temps. Alain, lui, ne voit rien. Il court, court et s'essouffle.  Mais il est encore petit ; il fatigue. Au sommet d’une colline, son lacet s'est défait,  il trébuche dans l’herbe. Il tombe. Il ne se relève pas.
Mais les grands s’impatientent, appellent, reviennent sur leurs pas ; « Lève-toi Alain ! ». Alain se tait. C’est bon d’être si petit, allongé au creux de l’herbe fraîche. Il ne se lève pas. Il ne se lèvera plus, ne courra plus derrière les grands. Il en a décidé ainsi, sans heurt ; sans cri. Avec un doux entêtement de chèvre, il pose son regard sur le monde. Il tient le ciel au bout des yeux. Les grands s’impatientent, ordonnent : « Lève toi ! ». Mais Alain ne bouge pas. Il regarde en silence la course lente des nuages. Les grands se moquent, s’étonnent. Rien n'y fait; Alors, l’un après l’autre ils se laissent tomber. Allongés dans l'herbe, ils regardent les nuages dans le ciel. Immobiles. Silencieux. Au sommet de la colline qui surplombe la ville, Alain n’a jamais été si heureux.
J’ai lu cet album à 10 ans. Je détestais déjà la course. J’aime savourer le temps qui passe. J’aime l’image du rêveur en marge du monde, qui ne se laisse happer ni par la foule, ni par le bruit. J’aime l’image du marcheur qui s’accorde une pause royale. J’aime un temps qui  ne se dévore pas mais s’étire, léger, flottant comme les nuages, un temps que l’on offre, où l’on s’offre, où rien n’a d’importance que le simple fait d’être là. J’aime un temps qui laisse belle la part du rêve, que l’on fait non pas sien, mais soi.
Alain, c’était peut-être moi.

S. 

jeudi 14 juillet 2011

Le livre qui a marqué mon enfance - par Adrienne (Exercice n°18)


Le mien commençait ainsi:
Tout était en l'air au château de Fleurville. Camille et Madeleine de Fleurville, Marguerite de Rosbourg et Sophie Fichini, leurs amies, allaient et venaient, montaient et descendaient l'escalier, couraient dans les corridors, sautaient, riaient, criaient, se poussaient. Les deux mamans, Mme de Fleurville et Mme de Rosbourg, souriaient à cette agitation, qu'elles ne partageaient pas, mais qu'elles ne cherchaient pas à calmer; elles étaient assises dans un salon qui donnait sur le chemin d'arrivée. De minute en minute, une des petites filles passait la tête à la porte et demandait: "Eh bien, arrivent-ils?
- Pas encore, chère petite, répondait une des mamans.
- Ah! tant mieux, nous n'avons pas encore fini."
Et elle repartait comme une flèche.
"Mes amies, ils n'arrivent pas encore; nous avons le temps de tout finir."
***
La lecture m'était interdite, mais un jour une ancienne collègue de ma mère m'a offert toute sa collection de la comtesse de Ségur, parue chez Hachette vers 1930. Cet incipit, que je connaissais par cœur jusqu'à la troisième page, tellement je l'avais lu et relu, est celui des Vacances.
Je me souviens que dès les premières lignes, j'ai été subjuguée: cette lecture avait pour moi tout du conte de fées sans en être un cependant. J'apprenais beaucoup de choses, et pas seulement du vocabulaire, comme le mot 'vaisseau' ou 'poltron' ou 'brodequins'. Ils ne m'étaient pas très utiles dans la vie courante mais ils m'enchantaient. En particulier, les ‘brodequins’ de mademoiselle Tourneboule.
Ce que j'apprenais surtout, c’est qu'il existait des maisons dans lesquelles il était permis de courir. De rire à haute voix. De sauter. Qu'il existait des mamans qui s'adressaient à leur fillette en l'appelant "chère petite". Que parents et enfants faisaient des activités amusantes ensemble. Ils allaient pêcher des écrevisses. Cueillir des fraises des bois. Construire des cabanes.
Et puis il y a cette merveilleuse histoire du naufrage et comme dans l'Avare de Molière, que je n'ai lu que beaucoup plus tard, bien sûr, toute une famille est à nouveau réunie, madame de Rosbourg et Marguerite retrouvent leur père, capitaine de vaisseau naufragé, et Sophie retrouve son cousin Paul qui a lui aussi été sauvé du naufrage et adopté par le capitaine.
Je ne me souviens plus si bien du long récit de leur séjour sur l'île (hahaha il faudra que je relise Les vacances pendant les vacances...) mais je me souviens que ce livre m'a enchantée et m'a apporté beaucoup d'émotions à chaque fois que je le relisais.
Je me souviens bien aussi de la fin, absolument digne d'un conte de fée, puisque l'auteur nous rassure en nous disant que chacun des enfants de l'histoire a trouvé l'époux qu'il lui fallait: Sophie épouse Jean, Marguerite épouse Paul et une petite sœur naît encore chez les de Rosbourg, juste à point pour devenir l'épouse de Jacques.
Et Léon le poltron? Il devient glorieux général de l'armée et se retire couvert de panache à l'âge de 40 ans.
Je me disais que 40 ans, c'était bien vieux... 

mon exemplaire date de 1930 et est illustré par A. Pécoud
***
C'est après la lecture de ce livre que j'ai pris du papier et un crayon pour me mettre à la rédaction de mon premier manuscrit. Je me suis assez vite rendu compte qu'écrire un livre, c'était un gros gros travail. D'autant plus que c'était moi aussi qui faisais les illustrations Description : Langue tirée
Son titre: Les vacances.
Et j'ai fait plus fort que Romain Gary: j'ai signé mon œuvre
Comtesse de Ségur née Rostopchine

lundi 11 juillet 2011

Le livre de mon enfance - par Julie (Ex. n° 18)


Le livre qui a marqué mon enfance est lié à l’instituteur qui me l’a fait découvrir, dans le Loiret du milieu des années 80. Je ne connais que son prénom, c’était un tout jeune remplaçant d’origine vietnamienne : Dang. Je suppose qu’il était arrivé avec ses parents à la fin des années 70, parmi les boat-people. C’était un excellent instituteur, qui savait nous captiver, nous apprendre des choses sans qu’on s’en rende compte, nous faire regarder le monde avec émerveillement (capacité facile à susciter chez des enfants de CE2, surtout qu’elle avait été bien préparée l’année d’avant par un autre excellent instituteur, oui, chantons les louanges des bons professeurs qui ont croisé notre route). Le moment que nous avons très vite attendu avec impatience, pour la majorité d’entre nous, était la toute fin de matinée, avant de partir manger à la cantine ou chez nous. Nous nous installions par terre sur des coussins (ou ma mémoire a-t-elle transformé en une image de bien-être physique un grand bonheur que nous éprouvions assis simplement à nos places habituelles ? C’est possible), Dang s’asseyait sur un coin de son bureau et ouvrait un livre dont il nous lisait un passage – était-ce un chapitre entier ? Je ne sais pas. Toujours est-il qu’il nous a initiés aux plaisirs de la lecture à haute voix et à celui de suivre un feuilleton. J’ai perdu mes camarades d’école de vue mais je pense bien que nous sommes plusieurs à les perpétuer à l’âge adulte. Dang terminait toujours en prenant un air mi-malicieux mi-mystérieux qui éveillait notre gourmandise pour la séance de lecture du lendemain, mâtinée de regret (c’était déjà fini !), et le frisson du suspense parcourait nos colonnes vertébrales. Pourtant, ça n’était pas un polar qu’il nous lisait. C’était bien mieux. Sacrées sorcières de Roald Dahl.


L’histoire (illustrée par Quentin Blake, Dang s’interrompait parfois pour nous montrer ses dessins nerveux et pleins de mouvement) commençait normalement. Un enfant prenait la parole, nous emmenait dans son quotidien, proche du nôtre. Et un jour il rencontrait une femme étrange qui essayait de l’attirer dans un piège – pas bête, l’enfant comprenait tout de suite à qui il avait affaire, alors que les adultes passaient totalement à côté. Je me souviens aussi que cet enfant avait une grand-mère exceptionnelle qui, elle, connaissait l’existence des sorcières – je crois même qu’elle savait les reconnaître. L’histoire se terminait bien, l’enfant à force de ruse et avec l’aide de sa grand-mère venait à bout des affreuses sorcières qui tenaient une convention dans sa ville.
Je suis surprise de voir que j’ai oublié bien des détails et des péripéties de l’intrigue, alors que le souvenir global en est si vif dans ma tête. J’ai encore nettement l’impression du temps suspendu alors que la belle voix claire de mon instituteur s’élève dans la classe silencieuse pour nous raconter l’histoire de cet enfant intrépide. Il nous invitait aussi (c’étaient les temps bénis de la rédaction, bien avant les disserts lycéennes, comme l’a remarqué MW) à inventer la suite de certains passages qu’il nous avait lus, avant de nous livrer ce que Roald Dahl lui-même avait imaginé. Qu’est-ce donc qui m’a tant marquée, pourquoi est-ce ce livre-là que j’ai choisi d’évoquer, alors que d’autres me sont restés en mémoire, de la même époque ou après ? D’abord, le talent de Dahl, certainement, et son humour extraordinaire, que j’ai retrouvé plus féroce encore dans ses nouvelles pour adultes il y a quelques mois. J’ai emprunté cette année-là à la bibliothèque tout ce que j’ai pu trouver de lui (toujours les Folio Junior illustrés par Quentin Blake), j’ai demandé à mes parents de m’acheter Sacrées sorcières pour avoir le plaisir de le relire moi-même, et j’ai le souvenir magique d’après-midi d’été passées assise sur la balançoire ou planquée entre deux arbustes dans le jardin à rire avec Les deux gredins ou Georges Bouillon, à pleurer à grosses larmes sur la fin du Bon Gros Géant, à m’émouvoir de l’injustice qui frappait Matilda. Mais aussi, la relation que Dang nous a permis d’établir avec la lecture ou dont en tout cas il nous a montré l’existence : une relation active, affective. On pouvait imaginer la suite des histoires, refaire la fin, reprendre les personnages et leur faire vivre d’autres aventures. On pouvait éclater de rire, sentir son cœur se serrer ou les larmes commencer à nous picoter les yeux, simplement parce qu’on lisait un livre qui nous parlait. On pouvait voir l’auteur de ces livres comme quelqu’un d’aussi proche de nous qu’admirable pour son imagination et son style. Un homme, comme nous, mais un homme qui nous tirait vers le haut, nous apprenait à réfléchir, à sentir plus et mieux, et donc à devenir plus humains. J’y pense encore.

Julie

lundi 4 juillet 2011

Deux petits poèmes - par Zag



Un nomade s'est arrêté un instant

Il avait soif, il a dit :

Bonjour ma mie, donne-moi à boire
Elle a partagé son gîte

Elle était seule, elle a dit :

Bonjour mon ami, donne-moi la main
Il l'a emmenée en voyages

Bonsoir ma Belle, tends-moi tes bras
Elle lui  abandonné ses nuits

Bonsoir mon Héros, montre-moi de quoi tu es capable
Il a enflammé son imagination

Bien dormi ma sœur ? Donne-moi une raison de rester
Elle lui a donné sa confiance

Bien dormi mon frère ? Apprends-moi ce que tu sais
Il a ouvert toutes les portes

A présent, mon amour, trouve-moi une raison de vivre
A présent mon amour, aide-moi à garder l'espoir
Ils ont fait des enfants.

Il s'est ennuyé                                Elle l'a perdu de vue
Il lui a rendu ses nuits                     Elle a cessé de rêver
Il s'est senti libéré                          Elle a varié d'intérêts
Leurs enfants sont libres, créatifs, droits et aimants.

Au revoir, ma mie, ma Belle, ma sœur, mon amour.
Je cherche un autre port, j'ai envie de nouveaux cieux et je repars le nez au vent.
Nos enfants sont grands.

Au revoir, mon ami, mon Héros, mon frère, mon amour
Je cherche un nouveau complice, j'ai envie d'autres frissons et je voyage en douce.
Nos enfants sont beaux.

Un nomade est rentré de voyage.



Il était seul, il a dit :

Bonjour ma mie, donne-moi la main
Elle l'a pris dans ses bras

Elle avait froid, elle a dit :

Bonjour mon ami, serre-moi bien fort
Il a rallumé le feu



samedi 2 juillet 2011

Le roman de Heidi - (Exercice n°18)


 "Le Roman de Heidi" album illustré des photos de la série diffusée sur A2, à l’époque.

Cité comme ça, on croirait à une boutade, à une plaisanterie. Même en l’écrivant là, à l’instant, je me demande comment j’ose le formuler ainsi. Or, c’est bien le livre de ma vie. Celui qui a entraîné les centaines ou les milliers d’autres à sa suite.

Un soir que nos parents nous avaient confiés, mon frère et moi, à de lointains cousins pour la nuit, la jeune fille de la maison m’a échangé ce livre (enfermé dans une bibliothèque vitrée à clef) contre l’arrêt de mes pleurs. J’avais déjà repéré ce livre, sur l’étagère du bas ; j’ai accepté immédiatement. J’avais 5-6 ans. Première nuit où j’ai lu un livre en entier. Je n’ai jamais pu me résoudre à le rendre. De toute façon, ils avaient oublié de me le demander. Et rien que de savoir qu’il allait de nouveau se retrouver enfermé, si je le rendais, me libérait de tous mes scrupules. Je m’en souviens précisément.

C’est devenu mon livre inséparable, mon compagnon de route. J’en lisais d’autres, mais dès que j’avais de la nostalgie ou du chagrin, j’attrapais ce livre. Il m’apaisait constamment. Posé à côté de mon lit, il était la promesse de la douceur de vivre, de la nature qui pourvoit à tous nos besoins, de la liberté, de la simplicité de la vie et de sa richesse aussi.

Tant d’années ont passé. Et pourtant, il est toujours avec moi, à portée de main. La honte, ce regard que j’imagine que les autres auraient s’ils savaient, me le fait tenir caché. Mais il est toujours avec moi, partout, tout le temps. Et il reste le premier objet auquel je pense, dans mes déménagements ; le premier que j’enveloppe, au milieu des draps, pour ne pas qu’il s’abîme.

Je ne le relis pas, préservant ainsi sa magie (peut-être serais-je déçue si je l’ouvrais aujourd’hui, je préfère ne pas tenter). Il se suffit à lui-même. Je sais que ses personnages n’ont pas bougé, ni son histoire, ni son paysage. Il est là et il m’accompagne, cela me convient amplement.

Je me demande sincèrement, parfois, ce que j’aurais été si je n’avais pas lu ce livre, si je n’avais pas pleuré, si je ne l’avais pas remarqué… Mon besoin vital d’aller dans les bois, dès que je peux m’échapper, de sentir l’air sur mon visage pour respirer à nouveau ; mon besoin inaliénable de me sentir sans lien, sans contrainte ; cette nécessité viscérale de ne manger que des produits naturels… non, je préfère ne pas y voir de lien, avec ce livre pour enfants, sans prétention. Personne, dans ma famille, n’est comme ça, personne ne se reconnaît dans moi. Et je ne saurai probablement jamais si ce livre m’a attirée parce qu’il entrait en résonance avec moi ou bien si je suis devenue lui, en quelque sorte.




(Note de MW : Ce texte m'a été envoyé sans signature.)