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Je crois que mon « Rhaa, mais comment
il fait ? » le plus fréquent est un « Rhaaa mais comment il fait pour
que ça se lise aussi vite ? » - J'ai dû finir Les Trois médecins et le Chœur
des femmes en deux ou trois jours après les avoir eus en main, et pas faute
d'avoir essayé de les économiser/savourer. D'un point de vue purement
« technique », il est clair que la division en chapitres courts est
un appel au « Bon, allez, encore un petit dernier » « Bon, il
était trop court, celui-là, allez, un de plus ». Mais il est clair aussi
que ça suffit pas - alors, ya un truc ? Et, en tant qu'auteur, est-ce que
vous vous dites aussi « Bon allez, j'en écris encore un dernier avant
d'aller manger » ?
Je me suis posé la question à partir du
moment où les messages de lectrices (il y en a quelques-uns qui viennent de
lecteurs, mais les femmes lisent et écrivent plus que les hommes...) ont
utilisé le terme de page-turner pour
parler du CDF. Je ne savais pas que j'avais écrit un page-turner, mais en y réfléchissant, j'avais un signe
avant-coureur : j'avais envoyé le début à Paul Otchakovsky-Laurens (mon
éditeur, fondateur de POL) et il n'arrêtait pas de me réclamer la suite et a
fini de le lire sur son iPhone ce qui, quand on connaît la résolution de
l'engin, voulait dire quelque chose. Il aurait très bien pu attendre d'avoir tout et de l'imprimer, mais il était impatient de connaître la fin. Aussi impatient que moi...
Et à force de recevoir des "J'ai lu
votre livre en deux jours j'arrivais pas à m'arrêter", je me suis gratté
la tête en pensant : "Bon, c'est vrai que quand je l'ai écrit, je ne
quittais pas mon fauteuil et mon iMac tout neuf (celui que j'ai au bureau, ce
n'est pas vraiment mon iMac, il restera là quand je ne serai plus chercheur au
CREUM, mais pour le moment y'a que moi qui m'en sert, et c'est mon premier Mac,
ce qui n'est pas rien mais je vais pas digresser, j'en parlerai une autre fois)
et mon excitation à l'écriture (moi aussi, je voulais savoir la suite) a dû
"passer" à la lecture, sous une forme ou une autre."
Seulement ça, c'est juste de la pensée
magique, c'est pas une explication. Je pense que l'explication réside ailleurs,
dans des choses visibles et lisibles, mais que j'ai faites intuitivement, et qui opèrent parce
que le sujet s'y prêtait. Bien sûr, la taille des chapitres compte. Mais quand
je regarde la Maladie de Sachs ou La Vacation, les chapitres sont très
courts aussi, souvent plus courts que dans le CDF.
Il y a deux autres choses dans ce livre-ci
: d'abord, une narration moins fragmentée par les points de vue : dans le CDF
c'est en gros toujours Jean/Djinn qui raconte, même si parfois quelqu'un
d'autre prend la parole. Et c'est son récit qui sert de fil conducteur.
Ensuite, je me souviens avoir terminé beaucoup de chapitres sur une interrogation,
une surprise, une mise en suspens. Par exemple, Jean et Karma se clashent et
puis, de manière inattendue, Karma s'éclipse, ou l'envoie faire autre chose que
ce qu'elle attend, et elle se retrouve avec ses critiques, ses questions, ses
incertitudes... et donc contrainte à aller de l'avant pour reprendre pied/et ou
comprendre ce qui s'est passé. Je pense que la frustration ressentie et
exprimée par Jean à la fin de ces chapitres contribue à donner envie de savoir
ce qui lui arrive ensuite. Enfin, c'est comme ça que je le ressens.
Cela étant, je ne suis pas sûr que ça soit
"reproductible" à volonté. Quand j'écrivais le CDF, j'étais impatient
de connaître la suite de leur histoire (je la découvrais en même temps qu'eux),
et mon souci était surtout de ne pas être ennuyeux avec des descriptions de
consultations, mes conceptions sur la gynécologie ou la relation de soin, etc.
Donc, j'essayais de mettre tout ça en scène dans les situations (ou sous les
formes) les plus variées et dynamiques possibles. Mais alors que dans La maladie de Sachs il n'y a pas
vraiment d'action centrale (c'est une chronique...) ici, il y avait une
interrogation : "Qu'est-ce que ça va donner, cette cohabitation entre deux
personnages si différents ?" Et aussi "Bon, on se doute bien que Jean
va changer, mais comment, pourquoi ? Et Karma, est-ce qu'il est aussi lisse
qu'il en a l'air ? Et Aline, et René/e, qu'est-ce qu'ils viennent foutre là
?"
Ne pas donner toutes les réponses tout de
suite, laisser les lecteurs/trices dans un flou suffisant pour qu'ils/elles
puissent supposer, deviner, imaginer, s'amuser sans risquer de décrocher... C'est
coton, parce qu'on ne sait pas si ça marchera ou pas.
Je ne dirai pas que j'ai utilisé une
recette particulière, là encore je l'ai fait de manière intuitive et
certainement en m'inspirant de tous les page-turners
que j'ai lus sans jamais les analyser, mais en les "sentant"
suffisamment pour savoir si ce que j'écrivais, à la relecture, me donnait envie de tourner la page ou non.
Je pense que dans ce domaine comme dans
d'autres, Less is more. Moins on en
dit (ou plus on le dit de manière à intriguer le lecteur sans le mettre
complètement dans le brouillard), mieux c'est.
Finalement, je pense que c'est ce genre de
méthode (plus professionnelle que la mienne...) qui a contribué à ce que tant
de spectateurs suivent une série comme Lost
avec avidité. (Ou the X-Files, il
y a dix ans.) Quand on laisse les choses en suspens, ça incite le public à
suivre. Mais si en plus on lui sème des indices bizarres... là, on l'excite
suffisamment pour qu'il veuille connaître la suite vite ! L'essentiel, c'est de donner des réponses au fur et à
mesure. Ça veut dire qu'il faut les avoir, les réponses ! Donc, qu'il faut les
avoir imaginées au préalable, les avoir testées et ensuite tout mettre en
place. (Souvent, j'écris sans réfléchir, comme ça vient et puis, à la
relecture, il me faut "ajuster"... J'y reviendrai.)
Alors pour reprendre le cas du Choeur des femmes (mais ce que je vais
dire là est valable pour tous mes autres romans), j'ai essayé de maintenir
l'attention (la tension) en ne laissant jamais Jean souffler. En ne me laissant
jamais souffler. En changeant de rythme, aussi souvent que possible.
Mais alors que La Maladie de Sachs et Les
Trois médecins changeaient de point de vue narratif à chaque chapitre ou
presque, dans Le Choeur des femmes,
j'essayais de bousculer Jean (et la lectrice) à chaque chapitre en changeant de
ton, de lieu, de situation. Pas de manière totalement arbitraire, mais en me
laissant guider par une certaine logique intérieure à la narration : Jean et
Karma bossent dans un centre de planification, qui lui même est lié à un centre
d'IVG, et à une maternité, etc., alors je leur ai fait explorer les différents
lieux de leurs actions, d'une manière plausible par rapport au déroulement de
la journée d'un duo de médecins.
(Le découpage préalable est important aussi
pour rythmer le livre : si je sais que je veux conduire l'action sur huit
jours, je répartis ce que je veux dire au fil des huit journées, en prévoyant
que tel jour il se passera telle chose importante. Du coup, j'ai des repères sur
le chemin. Je fais toujours ça quand j'écris un livre : je choisis une trame,
le plus souvent temporelle, et j'inscris mon histoire (mes histoires) dans
cette trame. De sorte que les histoires, selon leur chronologie, influent en
retour sur le rythme. Et en écrivant de manière "modulaire" (par
chapitres courts auto-suffisants, ou par "histoires à suivre" courant
sur plusieurs chapitres), je peux changer l'ordre des chapitres à volonté ou
presque, ce qui permet de jouer sur le rythme également.
Si vous regardez la table des matières de
mes romans, vous verrez que la trame est comme une "portée" verticale
: les chapitres sont répartis au sein de différents "mouvements" (les
parties)
Chaque moment correspond à un décor, chaque décor secréte sa ou ses situations,
chaque situation ses personnages, chaque personnage son récit propre. Le plus
souvent, je fais ça intuitivement : je saisis la première chose qui me vient à
l'esprit et je vois où ça me mène... et souvent ça me mène à des endroits, des
personnages ou des situations que je n'avais pas anticipés, et qui me viennent
par association d'idées. Le cerveau n'est pas un lieu de découvertes aléatoires
: il entretient des connexions solides, et ces connexions sont comme un réseau
de routes sur lesquels ont peut se laisser pousser...
Et, en toute bonne logique, si ces routes
paraissent excitantes à l'écrivant(e), il
y a de bonnes chances que certains lecteurs aient le même sentiment. Au pire, on court le risque de n'intéresser que les gens qui ont le même sens du suspense ou de l'attente que nous. Mais n'est-ce pas pour ces lectrices/teurs là qu'on écrit ?
Cela étant, je suis quand même surpris
qu'on me dise que mes romans se lisent vite, parce que j'écris "long"
– et je réécris beaucoup. Et parfois, ce que j'avais décidé de dire en trois
phrases prend six pages.
Dans Le
Choeur des femmes, je voulais expliquer en trois lignes comment fonctionne
un DIU au cuivre en contraception d'urgence et comme j'avais pas envie de
m'emmerder (et d'emmerder les lecteurs) à faire une description technique, je
me suis laissé aller à une métaphore délirante où les spermatozoïdes se
transformaient en spermatocyclistes du Tour de France à l'assaut du col du
Tourmalutérus.
Bon, l'inverse est vrai aussi : dans La Maladie de Sachs, j'avais écrit un
long monologue de Pauline expliquant en long en large et en travers à Bruno
pourquoi son non-désir d'enfant ne tenait pas debout, et à la relecture, j'ai
trouvé ça vraiment lourd et emmerdant. Alors, je l'ai supprimé et j'ai
transformé ça en une conversation de quinze ou vingt répliques à l'issue de
laquelle elle lui met le nez sur ses contradictions, et ça marchait beaucoup
mieux.
Enfin, dans le sentiment de rapidité intervient aussi ce qu'on appelle
"la langue" (ou "le style"), bref, la façon d'ordonner
les mots, de les tisser, si on veut, dans la phrases, et de tricoter les
phrases entre elles, à sa manière propre.
Je ne suis pas très fort en descriptions
"factuelles", je préfère écrire des dialogues et, c'est toujours plus
rapide à lire, sauf quand chaque réplique fait six lignes et ne fait pas
avancer l'action. J'ai appris en regardant les séries télévisées que chaque
réplique doit contenir une information utile. Les répliques qui n'apportent
rien nuisent au rythme. C'est vrai aussi en consultation : si je fais
"Mmhhh" au lieu de parler, c'est parce que mon interlocuteur/trice
sait ainsi que je l'écoute, mais n'est pas obligé de s'interrompre. Par
conséquent, un lecteur va plus vite quand l'écrivain ne se regarde pas
écrire... Enfin, je crois.
Reste que tout ça n'est qu'une
approximation, pas une suite de recettes (on ne peut pas écrire contre soi-même, donc tout ce que je dis ici n'est certainement pas utilisable par tout le monde) et, si tant est que
mon analyse soit juste, et que les éléments qui font du Choeur des femmes ou de The
Da Vinci Code ou de Millenium des page-turners (quitte à faire des comparaisons, autant viser haut... ;-) ) soient précisément identifiables, rien ne
garantit que si ça marche une fois, ça marchera la fois suivante, et encore
moins à chaque fois.
Enfin, ça n'empêche pas d'essayer.
M.W.
PS : Est-ce que je me dis "Encore un avant d'aller dîner ?" Non. Si j'ai vraiment envie de connaître la suite (et si je sais qu'elle m'attend en haut de la page suivante), je ne dîne pas...
PS : Est-ce que je me dis "Encore un avant d'aller dîner ?" Non. Si j'ai vraiment envie de connaître la suite (et si je sais qu'elle m'attend en haut de la page suivante), je ne dîne pas...