Montréal, salon du livre, 20 et 21 novembre 2009.
Onze ans après le Livre Inter et notre première rencontre (je ne l'ai revu qu'une fois entre temps) je passe deux longs moments avec Daniel Pennac, invité d'honneur avec Tonino Benacquista du Salon du Livre de Montréal.
En me revoyant, Pennac me salue comme si nous étions deux vieux amis. Et en un sens, c'est vrai : il me raconte que sa compagne a lu à haute voix Le Choeur des femmes pendant qu'il traversait la France pour se rendre dans leur maison du Vercors (à moins que ce ne soit au retour ?) ; de mon côté, je lui dis combien Chagrin d'école, de même que Comme un roman sont des livres importants à mes yeux.
La première rencontre, le soir de la délibération du Livre Inter, dans les salons de Radio-France au milieu des 24 jurés, était une rencontre de sensibilités et d'intelligence réciproque. En dînant avec lui, hier soir, avec sa femme Mine et MPJ à la table où nous avaient invités notre diffuseur commun au Québec, Gallimard Ltée, j'ai senti une nouvelle fois tous les "atomes crochus" qui me l''avaient d'emblée rendu si familier, si fraternel.
Pennac est un type comme je les aime : cultivé et jamais hautain, grave sans jamais perdre son humour, respectueux et chaleureux. C'est un bonheur de parler avec lui et de l'écouter raconter des histoires. Il me décrit ainsi plusieurs idées de nouvelles qu'il n'a jamais eu le temps de mettre en oeuvre, désolé de la lenteur avec laquelle il écrit, précisant avec humilité que cette lenteur n'est même pas - hélas ! - gage de qualité. Je me dis que j'écrirais volontiers avec la même lenteur si j'étais assuré de produire des livres "d'aussi piètre qualité" que les siens.
Comme moi, il aime parler de ses livres en cours : contrairement à d'autres écrivains, il n'a pas le sentiment que le fait d'énoncer verbalement une idée va l'éventer ou la dilapider, mais que la narration parlée prépare l'écrit.
Parler avec Daniel Pennac, c'est entendre un récital d'histoires.
Et puis l'homme est plus que généreux. Ce midi, en tête à tête avec Jean-Paul Hirsch, "ange gardien" des écrivains (et bras droit de Paul Otchakovsky-Laurens) chez P.O.L., je lance que j'aimerais bien écrire un "petit livre" dans le genre de Comme un roman et Chagrin d'école.
Arrive Pennac, qui vient de passer une heure et demie à signer sans interruption (vingt minutes avant la séance, on tendait des rubans le long du stand pour canaliser les lecteurs déjà dans l'attente de son arrivée ; il est aussi aimé au Québec qu'en France). Immédiatement, je lui lui dis que j'aimerais écrire un livre qui ne soit ni un roman ni une réflexion théorique mais qui ressemble à ses deux ouvrages - et tandis que je peine à les définir il murmure :
" Un essai narratif."
" C'est ça..."
"Eh bien figure-toi que j'ai pensé à ça cette nuit, après t'avoir entendu parler de médecine hier soir au dîner. J'ai pensé : 'Il y a un livre que seul Martin pourrait écrire autour de la relation étrange que nous avons avec les médecins.' Tu le fais déjà dans tes romans, mais tu pourrais le faire aussi sous une autre forme. C'est ton domaine. C'est ton expérience. "
Et il poursuit en me confiant qu'à son avis, Comme un roman et Chagrin d'école, au fond, sont des livres qui parlent de la peur et de l'humiliation - la peur et l'humiliation de ceux qui se sentent "disqualifiés" par des discours dogmatiques.
La conversation me fait un bien fou. C'est une de ces conversations qui éclairent, libèrent, allègent l'esprit. D'un seul coup, mes complexes s'envolent : oui, j'ai suffisamment d'expérience pour écrire un "petit livre" comme ceux de Pennac. Et je me sens porté par son mouvement généreux, son désir de soulager, de déculpabiliser, de réhabiliter.
Mais ça n'a rien d'étonnnant, au fond : l'écriture de Pennac soigne.
Martin Winckler