Monsieur le Maire, Cher Monsieur, Cher,
Je vous remercie d'avoir pris le temps de me répondre que, oui, nous nous étions sans doute connus, puisque tu y a bien vécu, au Louvrassou. Je te remercie aussi de ne pas m'avoir dit que tu ne te souvenais pas de moi, ou si ?
Je ne sais si je pourrais me faire pardonner mon intrusion en vous expliquant ce qui m'y a poussée (mais vous pouviez envoyer, d'un clic, mon courriel dans le vide).
Un exercice d'écriture (oui, je m'y essaie dans mon oisiveté conquise, mon lent retour à un semblant de vie.. je n'ai pas ta force et ta vocation.. ne ricanez pas, vous n'avez d'ailleurs, ça m'a fait un choc en voyant votre photo à côté de vos dernières oeuvres – une belle, une qui me déçoit – ta barbe douce, qui devenait bouclée quand tu voulais séduire, et où se réfugiaient tes remarques, mais une moustache qui vous donne un petit air de Georges) un exercice donc consistait à écrire à une ancienne connaissance, perdue de vue depuis au moins vingt ans – délai que nous pulvérisons, cher – et je ne sais, ne veux savoir, pourquoi notre groupe, ou votre groupe avec moi en lisière, m'est venu à l'esprit, et puisque bien entendu votre nom, désolée, était le plus facile à retenir.. c'est lui que j'ai cherché sur Google, heureuse pour vous de découvrir cet article, et cette photo à côté d'une intelligente femme aux cheveux gris et sourire chaleureux, une amie ?
Je ne sais si je vais publier cette lettre qui, malgré mes efforts, veut absolument s'évader en tous sens et dire sans ordre ce qui n'intéresse que moi. Je ne sais si je vais te l'envoyer, qu'en ferais-tu ? Je crains que, même si vous n'avez pas oublié ma maigre maladresse parmi tous les visages, les silhouettes, rencontrées depuis ces, combien, quarante ans, ou un peu plus, nous n'ayons plus de rencontre possible, sauf à tâtonner et je ne pense pas que vous désiriez prendre ce soin (et j'ai un peu trop peur pour le désirer, ou ne l'ai pas eu réellement)
Mais il m'est doux, après ma longue plongée dans un monde de travail gris, soigneusement encombrant, absorbant, abêtissant où se perdait toute une part de moi, cette longue mort affairée, de retrouver le souvenir, que je ne crois pas tout à fait rêvé, des veillées, de marches sous les arbres dans la nuit, des vaisselles en commun, de l'atelier sous bâche dans la neige, et de mes efforts entêtés et infructueux, soigneusement maladroits dans la crainte d'un espoir, dans le calme, la chaleur du poêle, et vous à côté, travaillant, de votre chien aussi – il doit être mort – en arrêt devant on ne sais quoi sur la neige, roux dans un rayon de soleil, et puis...
Ah ! cher, excuse moi, je ne vous ennuierai pas, voici que - absurdement ? - ces lignes ont renvoyé ces souvenirs dans un passé délicieusement indifférent.