samedi 29 janvier 2011

Comment retrouver le temps perdu en écrivant pour la télé



Un de mes amis, scénariste de son état, m'a envoyé le texte qui suit. J'ai trouvé sa réflexion vraiment intéressante, alors je me suis dit que j'allais la partager. 
Martin W. 
PS : Il y a eu plusieurs commentaires passionnants à la suite de la publication de ce texte. N'oubliez pas de les lire. 
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Je viens de découvrir avec surprise et bonheur que Nina Companeez - scénariste que je respecte mais dont l’étoile et l’inspiration avaient quelque peu pâli, ces derniers temps - vient de frapper un grand coup pour son comeback à la télévision. Elle vient en effet d’adapter, pour France Télévisions 2, rien moins que 
A la recherche du Temps Perdu, 
de Marcel plugrandécrivainfrançaismortduvingtièmesiècle Proust. 
En deux téléfilms de 110 minutes ! 

Oui, oui, je sais : La Recherche compte 7 tomes, 1. 200 000 mots, 7. 200 000 caractères, soit cinquante romans d’Amélie Nothomb ou de Marc Lévy - lesquels ne sont adaptés au cinéma qu’à raison d'un roman à la fois. Rendre hommage à l’intégralité de l’œuvre proustienne en deux demi-soirées est donc une entreprise d’une audace folle, et Madame Companeez ne peut qu’en être louée. Et puis deux fois 90 ou 110 minutes c’est le format préféré du service public français et de ses spectateurs, qui plébiscitent toujours sans hésiter les fictions françaises de prestige inspirées par des écrivains français connus du monde entier.

Je sais, les mauvaises langues diront que l’entreprise n’est pas seulement vaniteuse (Luchino Visconti soi-même s’y est cassé les dents et des cinéastes plus que respectables tels Volker Schlöndorff , Raùl Ruiz et Chantal Ackerman ont eu la modestie de se limiter à un seul des romans du cycle) mais qu’en plus, elle est absurde. Car, pour les puristes pincés, La Recherche est un cycle romanesque d’une complexité et d’une richesse inégalées. A leurs yeux, il est tout simplement impossible de rendre justice à une oeuvre pareille, et de construire un film cohérent, signifiant, embrassant l’intégralité de l’histoire en un format si restreint. Et de citer  Harry Potter, dont les aventures comptent également 7 tomes (Mais oui ! 7 ! Comme La Recherche ! Vous imaginiez vraiment que J. K. Rowling était un auteur original ?). Ils soulignent qu'on a eu beau tourner un film par tome - et même deux pour le dernier - eh bien les fans ne sont toujours pas contents ! 

Seulement, cet argument est vraiment spécieux ; car enfin, il faut comparer ce qui est comparable. Dans le cas de Harry Potter, il s'agit d'une Anglaise adaptée par des Américains – autrement dit un auteur inconnu du public français, écrivant dans une langue sans style, exploité sans scrupule par des requins hollywoodiens qui n’hésitent jamais à tirer à la ligne pour faire de l’argent. Tandis que Proust et Nina Companeez, c’est quand même autre chose ! 

Certains persifleurs diront aigrement que la vie est courte. Et que deux cent vingt minutes, c’est tout de même long. (Bon, pas aussi long que de lire Proust, mais long quand même.) Et ils suggèreront perfidement que ces deux cent vingt minutes, on peut les mettre à profit en allant au cinéma voir des films d'art et d'essai ou en lisant un bon roman, voire le début de La Recherche (dont l’intégrale est en ligne en une seule page, cliquez ICI, c’est fou ce que permet l’internet, aujourd’hui…). 

Mais ne les écoutez pas. Une entreprise comme celle-ci mérite absolument que tous les spectateurs de France et de Navarre (enfin, ceux qui regardent encore F2) la dégustent d’un bout à l’autre. C’est une œuvre française, scénarisée par une cinéaste française, diffusée sur une chaîne française. La regarder est - n'ayons pas peur des mots - un devoir civique. 

Bon, faut que je vous l'avoue franchement, je suis allé, par curiosité, jeter un coup d’œil à la bande-annonce (vous l'apercevrez sûrement entre deux programmes, ces jours-ci) ; mais elle m'a un peu refroidi : j’y ai vu beaucoup de messieurs et de dames tout nus (vraiment beaucoup, pour une bande-annonce aussi courte), entendu des répliques incompréhensibles, aperçu des acteurs mal maquillés... Et j'ai cru que c'était un montage d'extraits de la Série Rose, les téléfilms "coquins" qui passaient sur je ne sais plus quelle chaîne dans les années 80. Mais il ne faut pas que ça vous dissuade de regarder, hein ? C’est sûrement très, très bien. Companeez-Proust, c'est un duo gagnant ! Et puis, la bande-annonce a certainement été ratée par la chaîne.   

Et puis, pareille entreprise force l’admiration. Parce que même en seulement deux fois 110 minutes et avec des acteurs mal maquillés, les costumes et les frais de coiffure ont dû coûter beaucoup d'argent, et c'est normal : la télévision de qualité, ça se paie ! Quand on pense que la BBC, par exemple, gâche sottement les deniers du contribuable britannique à rémunérer des scénaristes autochtones (donc, forcément, inconnus en France !) pour écrire - devinez quoi ? - des fictions originales ! Vous rendez-vous compte ? 

Heureusement, ça ne pourrait pas arriver ici. France 2 a très sagement investi en misant sur Nina Companeez et Proust, des valeurs sûres, de stature internationale. Enfin, surtout Nina Companeez. Parce que Proust, faut reconnaître qu’il a fait son temps. D'ailleurs, en tant que personne morale, il n’existe plus, son œuvre est passée dans le domaine public, à présent. Et heureusement, car ainsi, sa valeureuse scénariste pourra récolter les fruits de son travail sous forme de juteux droits d'auteurs. Et comment ne pas s'en réjouir ? Pensez ! Elle a pris Proust à bras-le-corps (malgré lui !), elle a nettoyé son pensum de toutes les longueurs inutiles – bref, elle a sué sang et eau pour permettre enfin au grand public de se faire pénétrer en profondeur par cette œuvre magistrale jusqu’ici réservée aux happy few. J'ignore ce que lui rapportera sa modeste adaptation, mais ce ne sera que justice.  

Et si j'ai tenu à écrire ce texte, moi qui ne m'exprime jamais publiquement, c'est parce que je tenais à remercier Madame Companeez. Depuis trois ans, je cherche vainement un scénario porteur à proposer à une chaîne. Et grâce à elle, je viens d'avoir une idée gé-niale ! Tenez-vous bien : je vais adapter La Bible en deux fois cent dix minutes. Oui ! Première époque : l’Ancien Testament ; Deuxième époque : le Nouveau ! Comment ? "Ca a déjà été fait" ? Mais pas du tout ! Ce paresseux de Cecil B. de Mille a eu beau s’y reprendre à deux fois (en 1923 et en 1956), eh bien, en trois heures, il n’a réussi à raconter que Les Dix Commandements ! Et John Huston, ce tâcheron, sa Bible (1966) qui dure trois heures elle aussi, ne va pas plus loin que la fin de la Genèse. Et ça se prend pour un cinéaste !

Vous allez voir ce que vous allez voir ! La Bible, c’est pas beaucoup plus long à nettoyer que Proust ! Et en plus, pour un scénariste, c'est la manne : on y trouve vraiment tout ! Un déluge de personnages incroyables, Sodome, Gomorrhe, de l’action, des effets spéciaux et - Un ? Non ! - deux Dieux : le Père, qu'on verra surtout dans la première partie, et le Fils dans la deuxième ! Et quand on connaît le nombre de lecteurs passés, présents et futurs dudit bouquin, vous imaginez les DVD ? Ils se vendront comme des petits pains !

Hier, j'ai enregistré le projet détaillé - les personnages, les décors, tout ! - à la SACD et déposé mon « pitch » à France 2 ! Et, pour mettre toutes les chances de mon côté, je l'ai aussi envoyé à TF1 et à M6 (Arte, c'était pas la peine, ils n’adaptent que des romans d’écrivains allemands, donc inconnus en France.) Pour une fois que j'ai une idée gagnante, je ne voulais pas que quelqu’un me la fauche ! Bon, Nina Companeez va sûrement se mordre les doigts en réalisant... que cette idée géniale lui a filé sous le nez. Mais après tout, elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même. C'est vrai : personne ne l'a obligée à perdre son temps avec Proust. 

Marcel Maillot