mardi 15 septembre 2009

Autoportrait en ogre

Hier, lundi 14 septembre, j'ai participé, en duplex, à une émission de France-Culture (diffusée le week-end du 19-20 septembre, je pense). La sélection  
France-Culture/Télérama était commentée et présentée au théâtre de l'Athénée. Je passais après la présentation du livre de Vincent Message (qui était dans la salle) et celle du livre de Marie NDiaye (qui avait été enregistrée, je crois).

J'ai été très impressionné par la lecture que Marie-Christine Barrault a faite des premières pages du Choeur des Femmes. Et cette lecture (qui a semblé beaucoup faire rire l'auditoire, il faut dire que M.-C. B. était vraiment excellente) m'a soudain fait prendre conscience que ce début, une description fantasmée de Karma par Jean Atwood, n'était rien d'autre qu'une sorte d'auto-portrait de l'auteur en ogre.

On m'a souvent - m'a-t-on dit - perçu comme un type agressif qui cherche à "bouffer" les autres et pendant longtemps je n'ai pas compris exactement pourquoi. Je me souviens que certains camarades de fac (ou des confrères, plus tard) me trouvaient intolérant, autoritaire, ayatollesque et je ne sais quoi d'autre. Et ça ne cessait de me stupéfier. Parce que moi, je n'avais pas du tout le sentiment d'être de taille à les bouffer.

Mais je sais pourquoi ils avaient ce sentiment (et pourquoi d'autres l'ont encore, parfois). Parce que je peux parler avec beaucoup d'énergie et de vivacité. Mais l'énergie avec laquelle je peux m'exprimer, verbalement, n'est pas sous-tendue par la haine ou le mépris, elle est, ni plus ni moins, proportionnelle à ma colère, à mon énervement, à mon sentiment de frustration du moment - souvent grands, quand il s'agit des sujets qui m'importent (les médecins maltraitants, les séries télé, la littérature...)

Après mes études (pendant lesquelles on m'a seriné que je "n'écoutais pas les autres") j'ai appris à me taire, ou à tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler, ou à reconnaître que j'étais de mauvaise foi.

Un jour - j'étais médecin de campagne - en me voyant surgir dans la salle d'attente où elle était assise, une patiente s'est exclamée "Oh, comme vous êtes impressionnant" (je n'étais pas barbu à l'époque). J'ai alors compris que la manière dont on me voyait n'avait rien de commun avec ce que je ressentais être à l'intérieur... (et qu'il devait en aller de même pour tout le monde). Ce sont des réflexions comme celle-là qui m'ont donné l'idée des portraits du médecin par ses patients dans la Maladie de Sachs.

J'ai aussi appris, grâce à la formation Balint (des groupes de parole où des médecins se racontent des histoires...) à être moins angoissé et moins culpabilisé par mon sentiment d'impuissance. A entendre la parole des patients autrement que comme une demande d'aide immédiate. A relativiser ce que je croyais être "la vérité" ou "des mensonges". A ne plus porter de jugement.

Alors, peu à peu, j'ai moins tonitrué. Moins souvent. Enfin, suffisamment souvent quand même pour avoir acquis parmi mes confrères la réputation d'être une « grande gueule », autrement dit : un emmerdeur. (On a aussi beaucoup dit, à une certaine époque, que j'étais un grand coureur de jupons, alors grande gueule + séducteur + pilosité au menton = Franz Karma en Barbe-Bleue et voilà comment on construit des personnages de fiction. Il suffit de se laisser porter par les images collectives. )

Cet apprentissage progressif de la distance entre conscience de soi et projection de soi ne m'a pas "calmé". Mes colères sont toujours là. Ainsi que les personnes (physiques ou morales) envers qui j'ai des raisons de rugir. Ce, d'autant plus que j'ai gagné, ces dix dernières années, un auditoire et une écoute que je n'avais pas auparavant.

Mais je ne me « vois » toujours pas en ogre.

Ca m'a donc fait sourire d'entendre ça, hier soir, à cinq mille kilomètres de distance, dans le studio que France-Culture avait réservé pour moi à Radio-Canada.

Je me demande ce que ma mère aurait dit.

Pourquoi ma mère ? Parce que c'est mon prochain personnage de fiction, pardi !
La mère de Barbe-Bleue.
C'est une idée rigolote, non ?

La dernière fois - par Elise Desaulniers

 J’ai  décidé qu’aujourd’hui, ce serait fini.
 
J’en ai assez de toute cette souffrance inutile. J’y pense depuis un moment. Je voudrais bien dire un bon moment, mais l’idée m’est venue il y a à peine deux mois. J’ai déjà entendu parler de quelques personnes qui l’avaient fait, qui avaient réussi, mais, je n’y avais pas trop porté attention. Elles devaient avoir leurs raisons, c’est compliqué ces histoires-là. Mais depuis deux mois, ça s’est bousculé dans ma tête. C’est devenu clair. Je devais le faire. Un jour, je dirai que pour moi aussi, c’est fini. Et ce jour, c’est aujourd’hui.
 
Hier, il fallait que j’en profite. C’était ma dernière journée. Je ne voulais pas être déçu de ma dernière fois; une dernière fois, je ne pense pas que ça se recommence. J’ai décidé de vider mon frigo; de me faire une grande bouffe, comme dans le film du même nom. Il me restait quelques légumes, une poitrine de poulet surgelée, des côtelettes de porc achetées en spécial et même une escalope de veau de lait. J’arrivais pas à me décider, j’ai décidé de tout  préparer. Tant pis pour la vaisselle et la cuisinière qu’il faudra nettoyer.
 
Ça été long, tout préparer. J’ai défait les emballages, rincé les assiettes de styrofoam -même pas sales à cause du truc au fond qui absorbe le sang-, puis je les ai mises au recyclage. Et puis j’ai tout coupé minutieusement, comme on le fait à la télé. J’ai bien huilé, attendu que ça frémisse, et j’ai commencé par faire cuire le veau que j’avais passé dans l’œuf et la chapelure comme ma mère me l’a appris. Quand ça commencé à cramer, je l’ai remplacé par le poulet que j’ai fait cuire avec des poivrons et une sauce « Souvenirs d’Indochine » du Président. Ça devrait être bon, c’est toujours bon, le Président. Ensuite par le porc, porc à rien
 
J’ai goûté le veau en premier. C’était le plus tendre. Après le croustillant, une viande rose, qui se coupe presque à la fourchette et qui fond dans la bouche. Ensuite, j’ai goûté au poulet. Ça aussi, c’était pas mal. Mais c’est le Président qu’on goûte, pas le poulet. Et puis le porc, tout sec, qui avait trop cuit, qui était de trop. Assez rapidement, sans trop y penser puisque je regardais des merdes sur Youtube, j’ai tout mangé. Pour une fois, sans culpabiliser, c’était la dernière fois. Je me suis allumé une cigarette, puis je suis allé me coucher. La vaisselle va attendre, mais je ne sais pas jusqu’à quand.
 
Je me suis réveillé au milieu de la nuit; en sueurs et avec un terrible mal de ventre.  Je n’ai pas pu vomir, je n’ai pas pu me rendormir. Quand je ne dors pas, j’angoisse. J’ai passé la nuit à angoisser. J’aurais préféré des cauchemars. J’ai tout repassé dans ma tête, tout ce que j’ai lu, tous les films que j’ai vus. J’ai pas changé d’idée. Ça suffit, ça ne peut pas continuer. Il faut que j’arrête cette souffrance. Il faut que je fasse ma part. C’est possible, je suis capable, d’autres l’ont fait avant moi.  Et puis c’est con, ça ne vaut pas la peine d’aller travailler dans cet état. Je m’étire, prends mon iPod Touch, envoie un mail au bureau pour dire que je suis malade.
 
Je ne pensais pas que ça finirait comme ça, mais c’est bien fini.
Je mets à jour mon status sur Facebook. : « est végétarien ».