Ce n'était rien qu'un stérilet
Mais il a préservé mon corps,
Et dans mon ventre il flotte encore,
Etendard de ma liberté.
Georgette Brassens - Chanson pour les soignant.e.s
Ce midi, 17 juillet, sur les ondes de France Inter, au cours d'une émission sur la maltraitance médicale, une gynécologue française (je ne me rappelle pas son nom, mais c'était quelqu'un d'important, sûrement) aurait déclaré à mon sujet que j'étais un "planqué" qui "n'avait fait que des frottis et posé des stérilets" pendant toute sa carrière.
Cette déclaration publique (que je n'ai pas entendue, mais qu'on m'a rapportée via les réseaux sociaux) m'a touché en plein coeur.
J'ai d'abord pensé me défendre en disant "Non, non, j'ai pas volé l'orange, je me suis contenté d'écouter les patientes..." Mais je vois à quel point ça serait pire : dire que je me suis souvent contenté d'écouter, ce serait reconnaître que je n'ai rien fait. Rien de rien. Car écouter, ce n'est pas un acte digne d'un médecin voué à la santé des femmes...
Bref, ce serait admettre que je n'ai été, pendant toute ma carrière, qu'un abominable paresseux qui se tournait les pouces...
Mais l'heure est venue. Je ne peux plus refuser de reconnaître mes fautes. Il est temps pour moi de faire face au jugement suprême.
Car cette gynécologue (dont je ne me rappelle pas le nom mais de grande qualité, sûrement) a raison. Ses paroles ne sont pas de la diffamation mais la plus stricte vérité.
Au fond de ma planque à Montréal, dans cette cabane sombre et humide où je pensais être à l'abri, je me sens aujourd'hui si mortifié que j'ai décidé de me confesser, une fois pour toutes, en espérant que mes fautes me seront pardonnées. A moitié, au moins, puisque c'est ça le tarif.
Alors voilà.
Mea Culpa. J'avoue !
Pendant toute ma carrière, j'ai fait des frottis. Alors même que je n'étais pas obligé de les faire, puisque c'était une tache (pardon, une tâche) sacrée réservée aux gynécologues et que je n'étais qu'un misérable généraliste de campagne et de centre de planification (j'ai des frissons rien qu'en l'écrivant).
J'en ai fait à toutes les femmes qui me le demandaient. Mais (crime supplémentaire) je n'en ai pas fait assez : je n'en ai pas fait tous les ans, ou deux fois par an comme certains gynécologues (très respectables, sûrement) le faisaient systématiquement aux adolescentes. Je n'en ai fait qu'à partir de 21, voire parfois 25 ans. Et seulement une fois tous les trois ans. Ce n'était pas seulement impardonnable (car je suivais en cela les recommandations britanniques et canadiennes, et non celles de notre Sainte-Mère l'Eglise Gynécologique de France) mais aussi une manifestation de paresse. Je n'étais pas encore planqué, mais je m'y préparais activement, en ne faisant pas déshabiller systématiquement les femmes qui se présentaient devant moi.
Pire encore : je ne faisais pas de frottis (ni la gueule) aux femmes (de toutes confessions) qui préféraient ne pas se déshabiller devant un homme ; je confiais ce soin à l'une des rares internes-femmes qui commettaient l'erreur de pénétrer dans l'antichambre de l'enfer qu'était notre centre. Non content de commettre ces péchés, j'y entraînais des âmes innocentes.
Et ce n'est pas tout.
Mea Culpa. J'avoue !
Pendant toute ma carrière, j'ai posé des stérilets. Beaucoup de stérilets. A beaucoup de femmes. De tous les âges et de toutes les origines. Pour tout dire, j'en ai posé à presque toutes les femmes qui me l'ont demandé ! (Oui, car presque toutes les femmes peuvent se faire poser ce dispositif diabolique !)
J'en ai posé (Dieu me pardonne !) à des femmes sans enfant, qui avaient parfois 14 ou 15 ans et qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas prendre la pilule.
Et non seulement j'ai posé des stérilets aux femmes sans enfant, mais je leur ai dit qu'elles n'avaient pas besoin de revenir tous les quatre matins vérifier que tout allait bien. Que si elles se sentaient bien, c'est que tout allait bien. Bref, qu'elles n'avaient pas besoin de moi ! Quelle infâmie que de laisser entendre à des âmes sans défense qu'elles n'ont pas besoin de médecin !!!
Quelle hérésie ! Combien d'innocentes ai-je ainsi condamnées à la salpingite fulgurante, à la grossesse extra-utérine, à la perforation mortelle ? Je ne le sais. Je le saurai seulement le jour du jugement dernier, je pense.
Et s'il n'y avait que ça !
Mea Culpa. J'avoue !
J'ai retiré des stérilets posés par d'autres médecins.
A des femmes qui disaient qu'on leur avait imposé un Mirena (hormonal) alors qu'elles auraient voulu un stérilet au cuivre, et qu'elles ne le supportaient pas -- et je les ai crues !
J'ai aussi (God Almighty !!!) posé des implants. Et retiré des implants posés par d'autres médecins (qui parfois condescendaient à en poser un à des femmes qui insistaient, en leur précisant que si elles voulaient le faire retirer, il fallait qu'elles se débrouillent). Et je les retirais dès que les femmes le demandaient ! Je faisais des "retraits de confort" !!!
Quel misérable j'ai été d'être aussi anti-confraternel !!!
Mais il y a pire. Bien pire.
Mea Culpa. J'avoue !
Pendant près de deux décennies, j'ai pratiqué des avortements.
Certaines années, deux fois par semaine. Entre trois et cinq par vacation. J'en faisais même l'été, pour remplacer des confrères absents. J'ai pratiqué plus d'avortements que je n'ai posé de stérilets. Et parfois, en plus de ce geste innommable, quelques semaines plus tard je posais un stérilet ou un implant aux femmes que j'avais avortées !
A leur demande !
Pendant toute ma carrière j'ai reçu des femmes qui demandaient un avortement, et je ne les ai pas jugées. Je ne leur ai même pas suggéré qu'elles étaient de pauvres âmes égarées. Je n'ai pas fait peser sur elles la perspective de souffrir toute leur vie de remords, de culpabilité et de syndrome post-traumatique. Je ne leur ai pas dit qu'elles le regretteraient. Je ne leur ai pas dit qu'elles resteraient stériles.
Pendant toute ma carrière criminelle (car plus personne ne pourrait la qualifier de médicale...), j'ai fait de mon mieux pour aider les femmes qui le désiraient à se faire ligaturer les trompes. A renier leur fertilité sacrée. A rejeter leur destin de mère.
Plus grave encore : je leur ai délivré par tous les moyens - les livres, les journaux, la radio, la télé et surtout grâce à l' ultime émanation satanique, l'internet - des informations pour leur permettre de parvenir à leurs fins.
Et tout ça, sans être gynécologue. Sans avoir été adoubé par la Sainte Confrérie.
Le pire, dans tout ça, le pire du pire de l'horreur, c'est que je ne regrette rien.
Parce que bon, si j'étais membre de la Sainte Eglise Catholique et Médicale, je pourrais à la rigueur me dire que je vais rôtir dans les flammes éternelles de l'Enfer. Manque de pot, je suis né dans une famille juive (qui n'avait pas d'enfer, même dans sa bibliothèque) et je suis athée.
Alors, je m'en tape.
(Damn ! On ne peut même pas me rayer du tableau de l'Ordre des médecins français : je ne paie plus ma cotisation depuis belle lurette...)
Et par-dessus le marché, je vais vous dire, Madame la Gynécologue (dont j'ai oublié le nom mais peu importe, vous savez qui vous êtes), non seulement je ne regrette rien de tout ça, mais j'en suis fier.
Même si je n'avais pas commis tous ces crimes, même si je n'avais fait que "poser des stérilets", j'en serais fier.
Fier d'avoir posé des stérilets aux femmes de tous les âges qui le demandaient et à qui des "professionnels" (plus titrés et donc plus honorables que moi, certainement) l'avaient refusé.
J'en suis fier, aujourd'hui comme hier.
Et je vous emmerde.
Martin Winckler, alias Marc Zaffran
(Citoyen, écrivant et néanmoins médecin)