Allez, de temps à autre, ça fait du bien d'écrire pour prendre un coup de sang.
Adélaïde V. m'envoie ce texte. Je le publie volontiers. C'est exactement le genre de texte que j'avais envie d'envoyer aux journaux, bien avant l'Internet, quand je lisais des conneries dans leurs rubriques livres, cinéma ou télé.
MW
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Ce
matin, je lisais ça sur Internet : « En réalité, si ce film plaît tant, c'est parce qu'il présente une
histoire aussi éloignée que possible de notre réalité concrète. Elle se passe
dans un univers parallèle : un monde qui n'existe pas. (…) Il y a certes une
crise, qui ressemble à la nôtre, mais elle est simplifiée, caricaturée,
sublimée. Il y a certes des classes (avec des très-très riches et des très-très
pauvres), mais ne cherchez pas de lutte les confrontant. » ou encore
« C'est une France à l'image de
Philippe, le tétraplégique du film : immobile, impuissante, vieillissante. Et
accrochée au rêve improbable qu'un jour, quelqu'un ou quelque chose viendra
sans brutalité la réveiller. » Pascal Riché
Alors,
allons-y, à l’instar de ces bien-pensants, analysons ce film qui serait une
métaphore de cette société française : à savoir la France paralysée
(représentée par François Cluzet en tétraplégique riche et fin lettré) versus
la France du renouveau (représentée par Omar Sy en jeune délinquant des
banlieues, issu de l’immigration)… J’arrête là, ça me saoule profondément, en
fait. J’ai l’impression d’être une tarée, quand je lis ces lignes : Comment ? Je n’ai pas immédiatement saisi cette interprétation
socialo-économico-politique pourtant si évidente de ce film ? De notre
pays (enfin, de la France) ?
Non,
je n’y ai vu qu’un film sur notre humanité. Point.
Alors,
pour ceux qui auraient raté (mais je crains que cela ne soit pas possible
actuellement - en France du moins) ou pas encore vu ce film, je donne ma
version de l’histoire, plus simple : Intouchables, c’est
l’histoire de deux hommes qui se redonnent mutuellement confiance en soi et
dignité. Et cela passe par le dialogue et le soin. Ce qui fait de nous des
êtres humains.
Si
je voulais me la jouer intello, je pourrais moi aussi me la raconter comme une
critique de cinéma, dire que tout le sujet du film est contenu dans le titre ; et y aller de mon explication : "Ces deux hommes, que rien ne pouvait toucher
jusqu’à présent – l’un physiquement, de par sa paralysie ; l’autre,
émotionnellement, de par le manque de dialogue – deviennent chacun « un
touchable » : le riche est de nouveau touché par l’amour, le jeune
touché par la (re)connaissance. And what else ? (pour reprendre mon maître
à penser Georges C.)"
Non,
je n’ai pas envie de ça, car moi aussi, à mon tour, j’ai été touchée. Ce qui
m’a émue, dans ce film, c’est la bienveillance qui s’en dégageait. Parce qu’il
en faut, de l’humanité, de la bienveillance, pour se lever la nuit et poser une
main sur un visage brûlant de fièvre (quand bien même il n’y a aucun rapport de
parenté entre ces deux personnages ; et si la rémunération n’apparaît pas
dans ce film, est-ce la raison pour laquelle il est comparé à un conte de
fées ?). Parce qu’il en faut, du « care », pour sortir de son
sommeil à 4 h du matin et sortir dans la nuit pour permettre au patient
qui étouffe de prendre l’air ; pour accompagner un homme (ou une femme)
dans des actes intimes et intimidants (ou « vider le cul » d’un
patient, comme dit Driss, dans le film, c’est plus parlant) sans pitié dans le
regard ni commisération dans les gestes…
Et
donc, à la fin, je vous le donne en mille, à force de soins, cet homme invalide
réalise un jour qu'il peut aimer à nouveau et être aimé.
Alors,
ça ne m’intéresse pas qu’on me gâche mon plaisir en me parlant de « monde
qui n’existe pas ».
Pour
une fois, ne pourrait-on tout simplement pas se réjouir de voir un film qui
raconte une belle histoire et qui fait du bien à ceux qui la regardent ?
Un film qui parle d’humanité, de bienveillance et d’amour/d’amitié, sans qu’on
ramène cela sur un plan purement critique ?
Et
si ce film connaît un tel succès, c’est peut-être parce qu’il est rempli de
bons sentiments (et je n’y vois rien de mal, rien de « mauvais »
contre l’intelligence en tout cas), mais sûrement aussi parce qu’on a - de tout
temps - été rassuré de savoir qu’entre humains, on pouvait toujours s’aider les
uns les autres, prendre soin les uns des autres. Ce film est un aller simple
vers le cœur, sans passer par le cerveau – et c’est bon.
Adélaïde