Katia
poussa la porte. Derrière
ses yeux, persistait encore le gris du ciel parisien. Et ça la
rendait plutôt heureuse. Depuis qu’elle avait quitté la France,
dix ans plus tôt, pour un pays ou il ne faisait jamais froid, elle
fuyait la chaleur qu’elle avait chérie pendant les étés de son
enfance. Ces vacances avaient été merveilleuses. Jusque-là, les
voyages en France l’avaient enserrée d’une ambivalence
paralysante.
Pourtant, elle reconnaissait parfaitement la ville dans
laquelle elle avait grandi. Les choses n’avaient pas changé,
l’épicerie du coin de la rue, la sonnerie de l’école d’à
côté à l’heure de la récré, le conservatoire où elle avait
étudié la danse classique tous les mercredis et tous les samedis,
la voix douce de sa maman le soir et la porte qu’elle claquait
toujours en en quittant l’appartement. Mais Katia s’était sentie
perdue dans ses rues. Elle avait reconnu la ligne des immeubles mais
le dessin ne lui était plus familier. La ville n’offrait plus ces
détails impalpables grâce auxquels elle s’était un jour sentie
« chez elle ».
Cependant,
ce voyage-là avait été différent. Cette année, Katia s’était
résolue à admettre que maintenant chez elle, c’était ailleurs.
Et elle avait adoré être à Paris. Elle n’attendait plus de la
ville le confort que l’on attend de sa maison. Elle avait posé sur
ses grandes avenues un regard différent. Un regard curieux. Un
regard impatient.
La
porte grinça.
Rien n’avait changé. Elle se félicita d’avoir rangé
l’appartement avant les vacances. Javier ne devait rentrer de son
week-end dans le nord que le lendemain et elle aurait détesté être
seule dans le désordre.
En respirant l’air chaud de l’appartement
vétuste, elle réalisa qu’il lui avait terriblement manqué.
L’éloignement l’avait décidée. Elle accepterait de vivre avec
lui même s’il n’était pas encore prêt à se marier.
Elle
s’assit
sur le fauteuil du salon et alluma la télé. Par réflexe. Pour ne
pas être seule. Publicité pour la lessive. Clip lascif d’Efrat
Gosh. Documentaire sur les familles monoparentales. Mouvement de
soutien à Gilad Shalit. Et soudain, Katia réalisa qu’au-dessus du
cadre noir de l’écran, trônait la statue Superman qui était
habituellement posée sur sa bibliothèque de Javier, au-dessus de sa
guitare électrique. Quand elle l’avait aperçue la première fois,
elle avait ri comme une enfant. Il l’avait trouvée belle. Et
souvent, il lui avait dit que c’est à cet instant-même qu’il
était tombé amoureux d’elle. Katia s’approcha. Elle se demanda
ce qui avait pu pousser Javier à poser l’homme ridicule en culotte
rouge sur cette télé d’un autre siècle ?
Dans l’obscurité
naissante de la fin de journée, sur le costume bleu et rouge de la
figurine, elle réalisa que quelque chose brillait. Elle cligna des
yeux. Au bout du bras musclé du super héros, dans sa petite main en
céramique, était déposée une bague de fiançailles.
Des
larmes se mirent à
couler le long de son cou. Elle se retourna. Javier était la. Elle
ne l’avait pas entendu entrer. Il avait deux bouteilles de lait à
la main. Il lui sourit. Il lui dit qu’il était persuadé qu’elle
n’arriverait que plus tard dans la soirée, qu’il était arrivé
plus tôt en pensant la surprendre, que dommage, c’était raté. Et
puis, il lui prit la main et en l’embrassant, il lui demanda si
elle accepterait de l’épouser.
Ananim