Hier, à Radio-Canada, où j'étais de nouveau invité à m'exprimer sur la grippe A/H1N1 et la vaccination (je vous rassure tout de suite, je ne vous assommerai pas avec ça ici, je ne prononcerai même plus son nom, c'est juste pour resituer le contexte), la journaliste me demandait si m'exposer ainsi - à dire tout haut ce que d'autres pensent tout bas - ça ne demandait pas un certain "courage".
Je ne sais plus ce que j'ai répondu, je crois que j'ai répondu à côté, alors ça me donne l'occasion de revenir là-dessus.
Je ne crois pas être quelqu'un de particulièrement audacieux. Je traverse le plus souvent "dans les clous", je ne fais pas de sport extrême, je n'aime même pas les films d'horreur (j'ai horreur qu'on me fasse peur), et j'ai fermé les yeux pendant les trois quarts de Alien, ce qui fait bien rire mes enfants.
Je suis comme tout le monde, j'ai des crises d'angoisse de temps à autre, surtout quand je suis fatigué et/ou abattu mais je ne passe pas mon temps à me faire peur avec les catastrophes les plus invraisemblables. Et lorsque j'ai pris une assurance pour l'appartement que je venais de louer à Montréal, j'ai éclaté de rire, au téléphone, quand l'agente qui remplissait mon questionnaire m'a demandé si je voulais souscrire à l'option séisme. (Si, si, je vous jure...)
Je pense donc que je ne suis ni plus peureux ni plus brave qu'un autre, alors ça me surprend toujours qu'on me parle de mon "courage".
C'est tout relatif, le courage. Si j'avais été un journaliste algérien il y a quinze ou vingt ans, à l'époque où la moindre critique du pouvoir valait de se retrouver égorgé dans un coin sombre, alors oui, parler aurait été du courage.
Mais en France ou au Québec, en 2009, parler de la (je vous avais dit que je ne prononcerais plus son nom) à la radio ou à la télé, je ne vois pas bien quel courage cela demande.
Sinon qu'il est effectivement singulier de s'élever contre les discours dominants de toute nature. On peut craindre d'y laisser des plumes, d'être viré d'une radio ou d'une équipe d'enseignants de fac, par exemple.
La parade (quand c'est possible), c'est de dépendre le moins possible des autres. J'ai eu la chance de ne jamais dépendre d'un seul employeur, car j'ai toujours eu plusieurs boulots à la fois ; bien avant de gagner une indépendance supplémentaire grâce à mes livres.
Et avant ça, à peine arrivé en fac de médecine, j'ai farouchement revendiqué le droit de prendre la parole contre les gens ou les choses qui m'énervaient : le concours abject, le bizuthage, les profs sexistes, les étudiants soumis, les politiciens tordus (je sais, je sais, c'est un pléonasme...), les patrons autoritaires, et j'en passe.
(Maintenant que j'y pense, à l'adolescence, j'avais écrit des textes révoltés inspirés par le "J'accuse" de Zola... Donc, ça ne date pas de la fac...)
Ecrire ne me demandait (et ne me demande) aucun courage. Ecrire, c'était la manière la plus simple de canaliser la colère. C'était un exutoire, c'est devenu un outil. Et c'est l'écrit qui m'a, paradoxalement, donné une légitimité suffisante pour qu'on me demande, aujourd'hui, de parler.
Je sais que parler (et par "parler", je veux dire critiquer, dénoncer, prendre parti, bref : s'engager), c'est risqué. Surtout quand on ne fait pas, objectivement, partie de l'élite auto-proclamée à qui tout est permis...
Je sais aussi que ça n'est pas donné à tout le monde de prendre ce type de risque, et qu'il faut bénéficier de circonstances favorables. Mais je pense sincèrement que, parmi les "hors-élite", ceux à qui cette occasion est donnée se doivent de la saisir, pour eux et pour les autres.
Car la vie, c'est risqué. Et un écrivain "engagé" qui ne prend pas de risque, ce n'est pas un écrivain vivant.
(Post-scriptum, quelques heures plus tard)
J'ajouterai que prendre la parole en tant que médecin, pour remettre les pendules à l'heure, pour donner de la clarté à ce qui reste dans le flou, pour écarter les fantasmes et éviter les peurs inutiles, ça va de soi, à mes yeux. Un médecin détient un savoir, mais ce savoir ne lui appartient pas. Il a l'obligation morale de le partager. Et quand ce savoir lui permet de critiquer les discours "univoques" des institutions, politiques ou autres, son obligation morale n'en est que plus urgente.
Car celui qui connaît la vérité et se tait est, sinon un criminel, du moins complice de ceux qui veulent maintenir le silence.