L’Amnésie est un vaste pays, ses
habitants s’appellent les Amnésiques. Ses frontières sont évidemment
incertaines. Il est bordé par le fleuve Mémoire, mais ce fleuve est instable,
ses méandres serpentent tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, et parfois son lit
est complètement à sec. L’Amnésie est un vaste pays. Un jour, quelqu’un y va,
il ne revient pas, ou bien il revient et il ne sait pas qu’il y est allé.
Athènes, rue Mnisikleous. Le nom me dit
quelque chose, mais je ne me souviens pas de quoi. Cela appartient à une autre
ère, une autre strate géologique. Je me souviens de toi, sans doute, et de
certains moments, certains jours. Je ne me rappelle plus de moi-même, qui
j’étais. J’ai perdu la clef. Je ne suis pas sûre qu’il y en ait jamais existé
une.
Amnésie. En langue des oiseaux, et en
sabir franco-grec, « âme – nisi » = l’île de l’âme.
Où est le lieu des accents
circonflexes ? Où est le lieu des voix qui se sont tues ? Où est le
lieu des rencontres qui n’ont pas eu lieu ?
La nuit ramène son lot habituel de
dérives. « Les pensées de la nuit,
toujours plus brillantes, plus impersonnelles, plus douloureuses. Constamment
douleur et joie infinies, et en même temps le calme. » (Maurice
Blanchot, L’Attente l’Oubli).
Je vais plonger dans le fleuve de
mémoire, repêcher des objets non identifiables, aborder de l’autre côté, au
rivage de l’Amnésie. Ne cherche pas à me poursuivre, car je t’ai déjà oublié.
L’Amnésie est un vaste pays. Un jour,
quelqu’un y va et il ne revient pas, ou bien il revient et il ne sait pas qu’il
y est allé. Un jour, une nuit. Demain est un autre jour.
Elizabeth L.C.
avril 2004, revu mars 2011