Un sein nu, une courbe presque parfaite et sur le sommet, un téton frémissant sur lequel je glisse ma langue. J’écris pour baiser. De la pulpe des doigts qui effleure une peau nue, d’un souffle dans la nuque, et d’une bouche qui atterrit sur une partie charnue… le désir traverse mon être avant de se poser sur le papier. Source et fin ultime, le désir trace mes mots, les ramasse, les ressasse, les vide et les recrée avant de les coucher sur le papier. Je recherche le désir de l’autre, celui de me lire, de partager ; ne serait-ce que pendant une fraction de seconde, cette sensation qui m’habite en permanence.
J’ai un rapport charnel avec ce qui m’entoure, j’ai besoin de matière nobles, quand j’écris sur un ordinateur, je me touche sans arrêt le visage, je passe les doigts sur ma bouche, je caresse le bois de ma table… j’ai besoin de sentir pour écrire. Je suis incessamment connectée avec ce qui m’entoure, je voudrais m’y fondre, y fusionner, traverser la résistance physique des choses, non pour les posséder, mais pour être. Si j’écris, si je sais que je suis lu, si la personne qui est face aux mots que j’ai tracés est saisie par une émotion, ne serait-ce qu’un fragment infime de ce que j’ai voulu esquisser, alors je la pénètre, je rentre dans son être et la connexion, la fusion est établie. J’ai besoin de cette connexion, de partager cette intensité.
Parce que je suis un être d’une violence extrême. Mes sentiments, mes sensations sont exacerbées et tentent de s’échapper par chaque centimètre de ma peau, jusqu’ici, je les retiens. Parfois elles s’évadent, et je gémis, je souffle, je ris et je subis le regard étonné, agacé, amusé de ceux qui m’entoure. Mais je rencontre rarement la compréhension. Ce combat incessant et violent qui traverse mon être ne peut trouver son expression par le biais d’une parole orale. Parce qu’il touche à ce qu’il y a de plus intime, à ce qui se susurre à l’oreille sur le ton de la confidence, à ce qui se murmure avec un air malicieux, à ce qui ne se partage qu’avec une personne… L’écriture crée un espace ouvert et protecteur. La parole orale est une parole sociale. La société m’a assigné une place sur laquelle je tiens difficilement, mais je joue le jeu parce qu’il m’amuse aussi à sa façon. Parce que je ne peux pas désirer si je n’ai pas d’obstacle dans l’obtention de mon désir. Elle me malmène en créant chez moi suffisamment de frustration et d’attraction pour que cela se transforme en sublimation.
Ce que je recherche, c’est le partage d’une émotion, pas quelque chose de beau et de socialement valorisé, mais un sentiment qui n’est ni bon, ni mauvais, qui est tout simplement sans chercher à savoir quelle place il occupe sur la grande échelle du Bien. L’écrit permet de créer instantanément cette relation d’intimité, ce chuchotement plaisant qui amène à la confidence. La personne qui lit s’épanche et se raconte, elle ressent le désir de lire parce que cela fait écho chez elle à tout un tas de sensations, sentiments, réflexions… et nos deux désirs se rencontrent dans ce partage silencieux, cette connexion invisible qui nous unit dans une proximité qui serait presque insupportable si elle n’était pas virtuelle.
J’écris parce que je ne peux pas parler.
Clara Rimbaud