dimanche 24 juillet 2011

Le livre de mon enfance, par Gilda F. - (Ex. n°18)



Je me souviens que je tournais en rond, à la fin de la maternelle, et que j'avais pigé que pour devenir grand(e) il fallait savoir lire, je croyais même que c'était l'unique différence en dehors de la taille qui était si lente à venir entre être adulte ou rester un enfant. Mais mes parents ne voulaient rien me dire parce qu'ils craignaient de m'embrouiller par rapport à l'école. Plus de 40 ans plus tard, j'ai encore pour cette raison à leur encontre un sentiment de trahison. Il faut dire que dans la série mal faire croyant bien faire, ils furent champions.

Dès lors à peine décoincée par la grâce du CP, je me suis jetée sur tout ce qui se lisait avec une sorte de fureur jamais apaisée. Les "Oui-oui" vite expédiés, c'était trop bébé, je suis passée aux Fantômette (c'est bien gentil, mais ...) et de là, à la production Enid Blytonienne.

Mon père travaillait dans une usine de voiture.
Enid ressemblait à un sigle d'entreprise italienne (en recherchant j'ai trouvé : Ente Nazionale Idrocarburi). Je croyais donc tout naturellement qu'Enid Blyton était une marque de fabrique comme Simca Chrysler.
Je n'étais pas capable d'analyser la chose mais je sentais que ces petits livres étaient pratiquement tous construits sur le même moule. Les autres textes qu'on croisait étaient les dictées. Ils semblaient conçus pour nous piéger et ce que j'en comprenais c'était qu'il ne fallait surtout pas les prendre comme des mots qui racontaient quelque chose sinon on tombait immanquablement dans le piège de la faute d'inattention qui entraînait des drames à la maison, le prétexte de leur engueulade quotidienne étant alors tout trouvé pour les parents qui se reprochaient l'un l'autre vertement cet échec éducatif (1).
Je fus donc en CE1 et CE2 persuadée, même si je commençais à aborder d'autres livres, que les textes étaient donc fabriqués, au sens de produits en petites usines, comme les bureaux de mon cousin italien Pino qui bossait dans les assurances, il y avait un peu des chefs pour mettre d'accord sur un thème et coordonner afin d'éviter les incohérences, et des équipes de gens qui travaillaient sur les mots eux-mêmes, ainsi que des superviseurs pour l'orthographe. 






Il fallait qu'ils tapent vite. Ils avaient des machines à écrire perfectionnées mais bruyantes. Il y avait des sortes de dictionnaires avec les personnages, leurs caractéristiques pour ne pas se tromper, c'est d'ailleurs pour ça, être certains de ne pas se tromper et passer le témoin au collègue d'écriture, qu'ils répétaient souvent un adjectif ou une expression auprès d'un prénom, par exemple "Le chef Pierre" dans Le clan des sept ou "La douce Annie" alors qu'elle était juste une pure nunuche à cause de qui les gars croient que les filles sont stupides, dans Le club des cinq. Ça m'agaçait déjà qu'il y ait des chefs et des nunuches en fait.

Vint le CM1 et une institutrice de ceux des enseignants qui marquent une enfance et souvent la suite d'une vie. Elle s'appelait, s'appelle toujours, Madame Banissi et mettait du cœur à l'ouvrage, avec une capacité remarquable à ne pas laisser tomber ceux qui avaient du mal, tout en offrant du grain à moudre aux assoiffés dont j'étais. Elle nous fit jouer (pour ceux qui voulaient) des scènes de pièces de théâtre en complément des poésies classiques qu'alors on récitait, nous poussait à faire des exposés qu'on préparait à la récré grâce à de grosses encyclopédies (j'ai encore le souvenir d'un Tout l'univers qui me fascinait). 






Et elle nous fit découvrir les souvenirs d'enfance de Pagnol, en plus que jouer de la célèbre trilogie du même la scène du Pitalugue, ce grand canot blanc, avec autorisation de prendre l'accent marseillais, ce qui fait que personne ne voulait jouer monsieur Brun qui ne l'avait pas. C'est en interprêtant le rôle de César d'une façon probablement épouvantable que j'ai appris grâce à elle que je n'aimais rien tant que faire marrer les autres, que c'était pour moi une bonne fonction.


Le texte qui m'avait marquée le plus était dans Le château de ma mère avec ce gardien du château fermé qui les terrifiait et sur lequel un jour ils étaient tombés. J'avais le cœur battant en traversant cette propriété, car bien sûr j'étais avec eux, je la traversais. 






Et puis dans La gloire de mon père, il se passa un truc bizarre : alors qu'a priori je détestais la chasse, c'était tuer des animaux qui ne vous avaient rien fait et puis j'avais vu Bambi à l'âge du CP et que les chasseurs étaient les méchants qui tuaient sa maman, voilà que j'étais avec Marcel à suivre avec plaisir son père, faire le rabatteur du mieux que je pouvais, et ivre de joie quand cet homme réussit le coup du roi.
Grâce à Pagnol qui m'avait passionnée avec ses bartavelles (2), j'ai compris que les livres étaient écrit par des gens qui y mettaient leur cœur, et pas seulement un savoir-faire destiné à coller de mauvaises notes en orthographe aux enfants et qu'en fait un travail d'équipe ça ne l'était pas si souvent.









J'ai dévoré "Le temps des secrets" que je relus par la suite à chaque matin de rentrée scolaire (pour le passage de son entrée au lycée, la première et si marquante journée) afin de me donner le courage de redémarrer.






De cette révélation d'entre 8 et 10 ans, date que j'ai conçu qu'écrire pourrait être un bon travail pour moi. Embryon de vocation que tua dans l'œuf un adulte de mon entourage (3) qui lors d'un repas de famille m'avait demandé ce que je voulais faire plus tard et que j'avais répondu écrire, ou plutôt écrire des livres et que lui avait alors rétorqué sur un ton d'évidence même  "Oui d'accord, mais comme travail ?" me faisant comprendre que ça n'était pas un métier. Mais déjà c'est une autre histoire ; dont je n'ai pas fini de me dépêtrer.

Mon livre d'enfance est donc La gloire de mon père de Marcel Pagnol et la révélation que pour moi il contenait. Les vrais livres pour les grands sont écrits par de vraies personnes et qui y mettent tout leur cœur et bien des sentiments. Et qui peuvent aussi servir à raconter "Quand j'étais petit ..." aux enfants.



(1) En ce temps là en France il suffisait d'avoir 5 fautes à une dictée pour atteindre 0 (c'était par faute commise 2 points ôtés sur 10 et au collège 4 points sur 20) et elles n'étaient pas préparées, ou seulement par l'apprentissage de règles d'orthographe dont on retrouvait l'application dans le texte de la semaine (ou pas).
(2) En revanche les tripatouillages d'insectes m'avaient laissée sur le quai dont j'avais estimé que c'était probablement un truc de garçons que les filles ne pouvaient pas comprendre. J'en conçus même à leur égard un début de mépris.
(3) Je ne sais plus qui, comme si j'avais préféré oublier pour éviter d'avoir à prendre un jour sur lui ma revanche. Je suppose un de mes oncles, un que j'admirais - sinon j'aurais remis sa parole en cause, questionné.