Cela fait des années que je rêvais d’aller au Japon, détonnant mélange d’ultra-modernité et du traditionnel le plus préservé. L’une des réactions les plus immédiates à mon arrivée à l’aéroport a été mon sentiment de frustration en tant qu’analphabète. Renforcée par le fait que le dépaysement est insolite : pas de désert infinis, de mendiants envahissants ou d’animaux étranges. Juste ces faciès si singuliers dans un décor somme toute pas si différent. Bien sûr, il fallait sortir de Tokyo pour mieux appréhender l’unicité nippone. Voir des femmes en kimono complet, fardées de blanc, leurs délicates petites pendeloques plantées dans un chignon savamment élaboré, côtoyer des policiers en uniforme et gants blancs pour faire la circulation, ou de tristes employés de bureau en costumes gris me saisissait car le voyage était finalement aussi temporel.
Ce voyage, c’était une sorte de pèlerinage au fond. Je voulais voir Hiroshima la martyre, les cerisiers en fleurs et leurs parterres de neige florale rose, contempler les toris rouges et noirs dont les pieds étaient baignés par la mer, aller me plonger dans une baignoire de boue chaude et rêvasser à la possibilité de peut-être devenir célèbre dans ce pays où les modes et les engouements sont si inattendus. J’avais envie de parcourir l’archipel dans ses moindres recoins. Partir à l’assaut du froid nordique d’Hokkaido jusqu’à la chaleur étouffante d’Okinawa dont la longévité des habitants a valu le statut de Crète asiatique.
J’aimais et m’abandonnais à cette insularité, tentant vainement de me fondre dans la population mais étant aussi distinct et évident qu’un gyrophare.
Me revenaient alors en mémoire ces prémices de cinéphilie qui m’avaient particulièrement attendri vis-à-vis du Japon. Ces films récents si subtils… C’est d’ailleurs la subtilité et la délicatesse qui semblent définir ce pays si insolite. J’aimais en regarder ses vieux. Derrière chaque visage ridé, dans chaque cheveu gris, je retrouvais un peu de Mme Koide, cette vieille femme née de l’imagination d’un Gallois, vivant recluse dans sa ferme mais qui avait été l’héroïne de La vallée des lucioles dans sa jeunesse, conservant son secret oublié des jeunes, roulé dans une affiche de cinéma que le temps avait épargnée.
C’est aussi en regardant les sobres yukatas des anciens. Je me disais qu’ils représentaient l’équivalent de nos bérets.
Ce qui allait peut-être me manquer le plus tangiblement allait être ce chant si particulier des cigales japonaises, sorte d’appel lancinant en quatre temps, plus varié que celui des nôtres. Je m’étonnais d’ailleurs de l’absence de babioles s’y référant dans toutes les boutiques à touristes, car je n’avais encore jamais entendu un tel chant ailleurs. J’en ferais la manifestation vocale d’Amaterasu.
Ainsi s’entendrait la voix du soleil levant…