Dans cette voiture, tout n'est que silence oppressant. Pourtant, le moteur tourne. Le vent siffle. Les essuie-glace semblent ponctuer en rythme la chanson que les enfants martèlent. Le silence n'étouffe que ses propres pensées. S'il faut croire qu'à l'instant de mourir, chacun voit défiler son passé alors elle doit être en train de mourir, là, dans cette voiture, son mari à ses côté, ses enfants à l'arrière. Tout virevolte dans sa tête, les années de bonheur comme celles d'ennui. Sauf que l'ennui la suffoque.
« Vous n'en avez pas marre de chanter toujours la même chanson ? Et si on mettait la radio ? - Oh ouiiii, papa. La radio ! La-ra-di-o ! »
Il cherche une fréquence. Il en trouve une et une chanson explose dans l'habitacle et dans son cœur.
« J'adore vivre depuis ce matin Au creux de cette nuit vaincue J'ai vu j'ai su que c'était foutu J'adore vivre depuis ce matin Depuis que je sais qui je suis Que je te quitte que c'est fini »
Partir. Tout abandonner. Vivre enfin. Être ce qu'elle est. Tout ce temps à réfléchir. Adorer vivre, oui. Ce lever chaque matin pour vivre une journée choisie, voulue, désirée. Ne plus subir. Ne plus voir dans le miroir ses sourires effacés, perdus.
« Je m'en vais Je m'en vais Je m'en vais »
Partir. Accepter de ne plus être ceux qu'ils étaient, avant, il y a longtemps, quand ils s'aimaient encore. Pouvoir enfin rire avec les enfants, librement, sans amertume.
« Je ne suis pas encore mort On ne s'est pas entretués Alors je selle ma monture Je repars à l'aventure »
Tout ne peut pas rester enseveli dans cette histoire. Tant de choses encore à vivre. Et retrouver l'espoir. Des projets. Le désir. Il n'est pas trop tard. On ne s'est pas entretués, non. Juste le silence, ce silence qui nous tue plus sûrement que les cris.
« Non n'insistons plus non Ça ne sert à rien Cette sale histoire nous a fait les poches Je te dis au revoir c'était bien. »
C'est vrai que ça devient moche, entre nous. Il suffirait peut-être de le dire. Mais pas là. Mais quand ? Jamais le bon moment. Et comment faire des reproches ? Qu'ai-je fait ces dernières années pour améliorer les choses. Rien. Mes poches sont vides de désir. Plus envie. Ni de lui, ni de rien. Plus qu'une tristesse étouffante. Rester. Restée pour les enfants. À quoi bon ? A quand remonte le dernier fou rire familial ? À jamais. Trop de frustrations, trop de rancœurs hurlent entre nous.
« Je m'en vais Je m'en vais Je m'en vais »
Oui, je m'en vais. Et je souris au bas-côté de la route. J'en pleurerais, de ce sourire, si je pouvais. Mais je sais si bien retenir mes larmes, ravaler mes peines. Faire face. Je regarde les arbres disparaître dans le lointain, la course des nuages, les rigoles de pluie parcourir la vitre. Je poursuis chaque goutte solitaire jusqu'à ce qu'elle ait rejoint une plus grosse rivière.
Ce soir, je m'en vais.