A Virginie D.
Pour moi - et je parle ici seulement pour moi - écrire n'est
pas un "don" ou une capacité particulière. Plutôt un trait
de personnalité, dont je ne peux pas plus me défaire que de la couleur de mes yeux.
Une vilaine habitude égoïste, comme le fait de plonger dans un
film ou un livre. Au fond, quand j'écris, je plonge de la même manière. Dans une
histoire de mon cru qui emprunte à la fois à mon expérience sensible, à mon
imaginaire et à ce que j'ai appris (en lisant, en écoutant, en regardant). Mais
c'est la même plongée.
Pendant longtemps, j'ai vécu l'écriture comme une manière secrète de surmonter un handicap – mon incapacité à dire, ma difficulté à me lier aux
autres. Ecrire, à l'adolescence, c'était un peu m'échiner à apprendre des tours
de passe-passe pour me les faire à moi-même, debout devant un miroir. Personne
ne regardait. Je n'osais pas faire mes tours en public. Quand je m'y aventurais (quand je donnais à lire ce que j'avais
écrit), je déclenchais au mieux un sourire complaisant, au pire un regard
méprisant. " C'est quoi, ça ?"
Alors même que je ne les livrais qu'à des yeux choisis, on recevait
mes démonstrations (les cahiers pleins d'histoires que je donnais en offrande) comme
des gestes tantôt incongrus, tantôt pitoyables, tantôt vaniteux.
Pour qui me prenais-je donc avec mes pâles imitations ?
Un jour, une personne ou deux (je ne te remercierai jamais assez, Raphaël...) ont ouvert de grands yeux bienveillants
devant un petit truc que j'avais mis au point tout seul, juste pour voir si ça pouvait marcher. Et là, j'ai
découvert avec stupéfaction que ces regards ressemblaient à ceux que je
portais sur mes modèles. Je me suis senti à la fois ravi et
embarrassé. Est-ce que mon petit truc de rien du tout le justifiait, le méritait
?
Il m'a fallu longtemps pour me départir de mon sentiment
d'indignité, me convaincre que mes petits travaux de plume avaient un intérêt.
Aujourd'hui, je sais que l'écriture n'était pas (n'est jamais, pour personne) une activité solitaire un peu suspecte. J'arrive même à la qualifier d'activité artistique – même si j'ai toujours beaucoup de mal à penser que mes textes sont de la même nature que l'interprétation d'un
morceau de Gershwin par Bill Evans, une planche de Gotlib ou de Sienkiewicz ou le travail stupéfiant de la troupe de danseurs que j'ai vue il y a quelques mois répéter sans musique et dont les figures, frôlements et respirations
m'ont laissé vibrant d'émotion.
Quand j'écris, j'ai encore et toujours l'impression d'être l'adolescent
qui a passé des années à essayer de comprendre et de reproduire les tours de
magie (les livres) qu'il admirait puis d'inventer les siens. Je n'ai pas
de mérite : j'aime ça. C'est seulement un petit tour de mon cru. Face aux géants du genre, je ne ferai jamais le poids.
Oui, je sais, un livre ça a "du contenu", ce n'est
pas seulement une illusion. Oui. Et justement. Les grands livres vous restent longtemps au fond de la rétine. Les miens, qui dit qu'ils ne sont pas seulement un feu de paille ?
Alors, chaque fois que je termine un livre, un texte, un message,
j'ai envie de présenter des excuses. Pour avoir pris du temps, sollicité de
l'attention, mobilisé de la réflexion (dans le meilleur des cas) - et de remercier celles et ceux qui me les ont accordés. Et aujourd'hui encore je ne pense pas qu'écrire est un
"don". Je veux dire "une qualité exceptionnelle suscitant
l'admiration". D'un trait de personnalité, j'ai eu la chance de
pouvoir faire un mode d'expression, un outil, un métier. Ca m'a pris du temps, car c'est du boulot.
J'ai travaillé. Sans avoir conscience que chaque fois que j'écrivais quelque chose, j'apprenais quelque chose : une manière nouvelle de mettre un mot après l'autre, de raconter sans tout dire d'un coup, d'embobiner le lecteur (la lectrice…) avec mes jeux de mains (jeux de vilain), de lui en mettre plein la vue en faisant disparaître une tour Eiffel dans un chapeau ou jaillir un éléphant sous le piano.
J'ai travaillé. Sans avoir conscience que chaque fois que j'écrivais quelque chose, j'apprenais quelque chose : une manière nouvelle de mettre un mot après l'autre, de raconter sans tout dire d'un coup, d'embobiner le lecteur (la lectrice…) avec mes jeux de mains (jeux de vilain), de lui en mettre plein la vue en faisant disparaître une tour Eiffel dans un chapeau ou jaillir un éléphant sous le piano.
Mettre le tour au point (écrire le livre) c'est ce qu'il y a
de plus long, de plus difficile, mais une fois le numéro lancé sur la scène
et le lecteur, la lectrice installés dans leurs fauteuils, les jeux sont faits.
Qu'on me suive ou non jusqu'au bout, ce n'est plus moi qui tire les ficelles, le
livre existe seul.
Moi, je suis déjà de retour au sous-sol. J'essaie de ne pas
penser à celles et ceux qui sont, ou ne sont pas venu(e)s regarder le nouveau
spectacle ; j'essaie de ne pas guetter le son des applaudissments, de ne pas souffrir du silence ; j'essaie de
ne pas me demander si je pourrai installer le prochain bouquin/numéro sur les mêmes planches, lever
le même rideau, abuser du même éclairage. S'ils ne trouveront pas ça un peu trop
répétitif, à la fin.
J'évite de me demander combien de temps ça durera.
J'évite de me demander combien de temps ça durera.
Je ne pense plus au livre – je ne peux plus rien y changer –
alors, je m'échine à en préparer un autre.
En espérant produire encore quelques étincelles dans ces yeux bienveillants. Et histoire de me prouver que je n'ai pas dit mon dernier mot. Que
j'ai encore de nouveaux tours à imaginer, des histoires à raconter.
Mar(c)tin