mardi 16 août 2011

Le livre de mon enfance - par S. (Ex. n°18)



J’ai tout de suite aimé ce livre. Sur la couverture, un jeune garçon court à toutes jambes vers on ne sait quelle destination. J’étais sensible à la course folle de l’enfant. 

Adulte, je suis encore touchée par la course du monde, ce perpétuel mouvement qui pousse et porte loin de nous ceux que l’on aime… Je participe de cet élan, et pourtant je n’aime pas courir. Je n’aime pas les couloirs tracés sur les pistes des stades, je n’aime pas les lignes droites. Je leur préfère les chemins de traverse, les sentiers qui serpentent, flânent et s’étirent en mille et un détours.


Le roman s’ouvre sur une scène de la vie quotidienne : comme tous les jours, Frédéric se rend à l’école . « Mais comme il est en avance, il fait le détour par la place ». C’est ce détour, cette transgression de la « ligne droite» conduisant à l’école, qui brise la routine par la magie d’une rencontre. Délaissant le droit chemin, Frédéric entrevoit l’image d’un monde où les règles, les valeurs sont apparemment différentes. 

A l’écart de la communauté villageoise, sur le terrain communal se dresse une roulotte de forains. Caché dans les buissons comme un voleur, Frédéric espionne une fillette et son père. Le lendemain, à l’école, la petite fille de la roulotte se montre froide et distante envers ses camarades de classe. Déplacée dans un univers qui n’est pas le sien, vivant en marge des enfants du village, adultes miniatures remplis d’idées fausses et de préjugés, elle préfère la solitude à la compagnie d’imbéciles. 

Mais Frédéric ne s’y trompe pas. La veille, il a observé la fillette et son père à leur insu, il ne porte pas sur l’enfant le regard dur, souvent cruel, des villageois. Il ne fantasme pas comme eux sur l’étranger. Cette enfant lui ressemble, il le sait.
La fuite d’un hamster à l’école, le danger, le sauvetage dans la rivière rapprochent ces deux êtres. Un soir, Frédéric peut enfin pénétrer l’univers mystérieux des gens du voyage. Sur une illustration colorée, on le voit faire sauter des crêpes au-dessus d’un feu de camp, devant la roulotte. 

A ses côtés, Sandrine tient le saladier contenant la pâte à crêpes, sous le regard bienveillant du père. Longtemps, cette image d’un bonheur abrité mais fragile m’a fait rêver.

J’aimais Frédéric et Sandrine et je m’identifiais à eux sans peine. Enfant, j’étais sensible aux notions de justice, de tolérance, de respect de la différence. J’ai donc apprécié l’épilogue du « vol » du porte-monnaie, où la fillette dénonce par son courage et sa droiture la bêtise et les préjugés des gens dits « normaux ». 

Car dans ce roman, deux mondes s’affrontent : le monde clos des sédentaires englués dans leurs habitudes et leurs préjugés, prisonniers d’un cadre de vie dont l’étroitesse borne souvent celle du champ spirituel, et le monde infini de ceux qui voyagent, briseurs de chaînes en quête de mouvement, d’espace et d’inconnu. Au confluent de ces deux mondes, face aux adultes, deux êtres jeunes brisent les cadres de vie, abolissent les frontières, réconcilient l’homme avec l’homme. 

Pour l’enfant que j’étais, ce fut une belle leçon de vie.