J’ai tout de suite aimé ce livre.
Sur la couverture, un jeune garçon court à toutes jambes vers on ne
sait quelle destination. J’étais sensible à la course folle de
l’enfant.
Adulte, je suis encore touchée par la course du monde,
ce perpétuel mouvement qui pousse et porte loin de nous ceux que
l’on aime… Je participe de cet élan, et pourtant je n’aime pas
courir. Je n’aime pas les couloirs tracés sur les pistes des
stades, je n’aime pas les lignes droites. Je leur préfère les
chemins de traverse, les sentiers qui serpentent, flânent et
s’étirent en mille et un détours.
Le roman s’ouvre sur une scène de la
vie quotidienne : comme tous les jours, Frédéric se rend à
l’école . « Mais comme il est en avance, il fait le
détour par la place ». C’est ce détour, cette transgression
de la « ligne droite» conduisant à l’école, qui brise la
routine par la magie d’une rencontre. Délaissant le droit chemin,
Frédéric entrevoit l’image d’un monde où les règles, les
valeurs sont apparemment différentes.
A l’écart de la communauté
villageoise, sur le terrain communal se dresse une roulotte de
forains. Caché dans les buissons comme un voleur, Frédéric
espionne une fillette et son père. Le lendemain, à l’école, la
petite fille de la roulotte se montre froide et distante envers ses
camarades de classe. Déplacée dans un univers qui n’est pas le
sien, vivant en marge des enfants du village, adultes miniatures
remplis d’idées fausses et de préjugés, elle préfère la
solitude à la compagnie d’imbéciles.
Mais Frédéric ne s’y
trompe pas. La veille, il a observé la fillette et son père à
leur insu, il ne porte pas sur l’enfant le regard dur, souvent
cruel, des villageois. Il ne fantasme pas comme eux sur l’étranger.
Cette enfant lui ressemble, il le sait.
La fuite d’un hamster à l’école,
le danger, le sauvetage dans la rivière rapprochent ces deux êtres.
Un soir, Frédéric peut enfin pénétrer l’univers mystérieux des
gens du voyage. Sur une illustration colorée, on le voit faire
sauter des crêpes au-dessus d’un feu de camp, devant la roulotte.
A ses côtés, Sandrine tient le saladier contenant la pâte à
crêpes, sous le regard bienveillant du père. Longtemps, cette image
d’un bonheur abrité mais fragile m’a fait rêver.
J’aimais Frédéric et Sandrine et je
m’identifiais à eux sans peine. Enfant, j’étais sensible aux
notions de justice, de tolérance, de respect de la différence. J’ai
donc apprécié l’épilogue du « vol » du
porte-monnaie, où la fillette dénonce par son courage et sa
droiture la bêtise et les préjugés des gens dits « normaux ».
Car dans ce roman, deux mondes s’affrontent : le monde clos
des sédentaires englués dans leurs habitudes et leurs préjugés,
prisonniers d’un cadre de vie dont l’étroitesse borne souvent
celle du champ spirituel, et le monde infini de ceux qui voyagent,
briseurs de chaînes en quête de mouvement, d’espace et d’inconnu.
Au confluent de ces deux mondes, face aux adultes, deux êtres jeunes
brisent les cadres de vie, abolissent les frontières, réconcilient
l’homme avec l’homme.
Pour l’enfant que j’étais, ce fut
une belle leçon de vie.