Au commencement de l’écriture (2)
Est-ce que vous écriviez de la poésie quand vous étiez adolescent ?
Très peu. Je voulais avant tout raconter des histoires. Mais je ne
détestais pas écrire des chansons, ou des textes en alexandrins parce que
j’aimais leur rythme. Le travail simultané des mots, du rythme et du sens me
ravissait, comme dans La Légende des Siècles
ou dans Cyrano de Bergerac, qui
me transportent constamment, tant je trouve ça brillant. Je suis accro aux jeux
de mots, aux calembours, aux homophonies, aux allitérations, aux associations
libre…
J’écoutais aussi beaucoup de chanteurs français – Brassens, Brel, Ferré,
Nougaro, Barbara et, plus tard, les Québecois qu’on entendait en France – Félix
Leclerc, Robert Charlebois, Gilles Vigneault. J’avais appris du Verlaine et du
Rimbaud à l’école primaire, mais la plupart des poètes que je peux citer sont
des auteurs-compositeurs-interprètes. Et je ne me contente pas de les citer, je
les chante – quand mon entourage ne proteste pas. Je chante juste, mais fort. Ces
dernières année, je me suis mis à écrire des poèmes en anglais. Ça a m’a pris
peu à peu quand j’ai commencé à être invité en Amérique du Nord – au Québec,
mais aussi au Canada anglophone et aux Etats-Unis.
Je me suis remis à lire
beaucoup en anglais, et à le parler, et toutes les expressions que j’avais engrammées
dans mon cerveau quand j’étais adolescent à Bloomington – et même avant, quand
je lisais des comic-books, de la science-fiction – tout ça m’est revenu et je
me suis surpris à écrire des poèmes en anglais. J’ai traversé des périodes
difficiles sur le plan moral, entre 2003 et 2008 et les seuls textes qui
parvenaient à me consoler étaient ces poèmes. Et je continue à en écrire, de
temps à autre, mais ce qui est étrange c’est qu’ils me viennent en dehors de
moments d’écriture, à proprement parler. Ils me viennent dans la rue. C’est de
la poésie orale, ça commence par un mot, une phrase, qui est comme le fil qui
dépasse d’une pelote de laine, et je le déroule dans ma tête, puis je vais
l’écrire, et voilà. Mais je ne peux pas dire que j’écris de la poésie.
Il
serait plus juste de dire que, de temps à autre, j’écris un ou deux poèmes,
parce que c’est la forme appropriée pour exprimer ce que je veux dire, à ce
moment-là. Et c’est essentiellement un travail d’écriture à usage personnel,
réflexif, ou alors destiné à une personne en particulier. Les quelques poèmes
que j’ai écrits ne sont pas destinés à être publiés.
A quel âge avez-vous commencé à tenir un journal ? Vous rappelez-vous
pourquoi ? Est-ce que vous en tenez encore un ?
J’ai commencé à tenir un journal à l’âge de quinze ans, en même temps
que je recopiais au propre les premières nouvelles que j’avais écrites. Le
journal a commencé parce la première fille dont j’étais tombé amoureux m’avait
fait comprendre que quinze jours de flirt, ça lui avait suffi. Mais je pense
que ce n’était qu’un prétexte. Je me serais mis à tenir un journal de toute
manière. J’ai tenu des journaux sur un rythme irrégulier pendant quelques
années et je m’y suis mis plus assidûment en 1977, pendant mes études de
médecine à partir du moment où je suis devenu étudiant hospitalier et où j’ai
été confronté à des patients.
Après ça, j’ai tenu un journal dans des cahiers
jusqu’en 1995 puis à la fois sur papier et sur ordinateur. Je n’ai plus
d’activité de diariste depuis quelques années, car je pense qu’une bonne partie
de mon énergie (et des choses que j’ai à dire) s’est orientée vers la rédaction
de billets en ligne, sur l’un ou l’autre de mes sites internet, et dans les
courriels nombreux que je continue à écrire. Dès l’adolescence, j’ai eu des
correspondants réguliers. Mon journal me permettait d’avoir une correspondance
quotidienne avec un « moi » imaginaire (ou futur, car il m’arrive de
le relire). Aujourd’hui, j’ai des dizaines de correspondants, alors j’ai sans
doute moins besoin de tenir un journal.
A quoi servait-il, ce journal ? A-t-il occupé une place dans votre
accès à l’écriture ?
C’était le lieu où je pouvais lancer mes coups de gueule, m’exprimer
quand je n’avais personne à qui parler. C’était un lieu de réflexion,
d’expérimentation aussi. Je dressais des listes, je faisais des bilans,
j’esquissais des projets. Je vidais mon sac. Quelle place est-ce que mon
journal a occupée dans mon accès à l’écriture ? Je dirais que, sous ses
différentes formes – car il en a pris plusieurs au fil des années – il
m’apparaît aujourd’hui similaire à la pratique quotidienne d’un instrument,
mais sous une forme libre, ludique. Il faut se rappeler que le système scolaire
français, dans les années soixante et soixante-dix, exigeait des élèves un gros
effort d’écriture.
A l’école et au lycée, j’écrivais beaucoup - il fallait tout
rédiger : les dissertations, les compositions d’histoire et de géographie,
les devoirs de philo – mais contraint et forcé. Chez moi, j’écrivais pour le
plaisir. Comme un musicien obligé de travailler une pièce classique au
conservatoire et qui se détend chez lui en improvisant du rock ou du jazz. Bien
sûr, la pratique personnelle facilitait la pratique scolaire : plus on
écrit, plus il est facile d’écrire même ce qu’on n’a pas envie d’écrire, mais
je ne m’en rendais pas compte. Cela dit, mon journal a pris une très grande
importance bien plus tard, parce qu’il m’a permis de retrouver la trace
d’événements que je n’aurais pas pu me remémorer ou dater précisément.
La mémoire
est un processus trompeur, on télescope souvent des événements ou des paroles.
Quand il en existe une transcription – même imparfaite – c’est précieux. Comme
mon journal n’est destiné qu’à moi, et m’a longtemps servi de lieu d’expression
« libre », je n’avais pas de raison de travestir mes sentiments. Les
faits peuvent avoir été embellis ou noircis, mais les sentiments sont ceux que
j’ai éprouvés à l’époque. La colère, en particulier. C’est souvent la colère ou
l’indignation qui me faisaient écrire dans mon journal. Aujourd’hui, ce sont
elles qui me poussent à m’exprimer en ligne, sur mon site internet
professionnel ou sur mon blog littéraire. J’ai d’ailleurs repris sur ce blog un
texte de mon journal : le corps d'un homme.
(A suivre...)