Je lui écrivais des
lettres longues et documentées, de ma plus belle/mauvaise écriture.
Nous attendions
toutes les deux nos missives avec excitation. Amitié, sous le signe de la
connaissance littéraire.
Son style nourri
de classicisme, sa vie parisienne très culturelle, m'ouvraient des
perspectives, inédites depuis le fin fond de ma campagne.
Je crois que mon
élocution brute et sauvage, mes références autodidactes et pétries de l'amitié
des bars, des bals de jeunes où tout le monde boit, avaient l'heur de lui
plaire. Par contraste sans doute.
Et pourtant nous
nous étions rencontrées sur un point commun : notre amour de l'écriture, notre
bac littéraire (A4 à ce moment-là).
Nous étions partis
depuis une semaine ou deux d'Annecy, après une première nuit tous ensemble sous
les tentes et une baignade dans le lac pour vérifier que nous savions tous
nager. Le bus nous avaient fait passer sous le tunnel du Montblanc au lever du
soleil et je ne dormais pas, bercée par Logical Song de Supertramp que
diffusait la radio (non non, pas de walkman ni de mp3 à cette époque !). Je
voulais profiter de chaque seconde de ce voyage, de ce camp d'adolescent
itinérant en Italie, et le sommeil était accessoire.
Excitation. Elan
de vie.
Le voyage était un
peu lent, empêtré dans des km de bus (pas climatisé, vous pensez bien !), des
problèmes de personnes entre les animateurs, un vol d'argent, un accident et un
rapatriement sanitaire, l'oubli d'une fille sur une aire d'autoroute, la nuit
en haut du Stromboli, sans aucune organisation, des mauvais choix. Je me
sentais souvent plus mûre que les animateurs. Et Christine aussi.
Je venais de
quitter mon amoureux, lui promettant d'écrire. Ce que je faisais tous les
jours, en bus, sur la plage, le jour, la nuit. Passant pour une hurluberlue ou
je ne sais quoi d'autre, mais je m'en moquais.
A Naples, après
plusieurs jours d'attente à cause d'une grève, des nuits à dormir dans une
décharge, nous avons pris le bateau pour Messine. Le ciel était superbe,
d'orage et de lumières derrière les nuages. 90% des personnes vomissaient.
J'étais sur le pont, bras écartés. Je faisais partie des éléments.
Je me souviens de
notre arrivée sur l'île de Lipari. Du débarquement du bateau, des sacs à
porter, du peu d'aide reçue de la part du groupe. Aucun esprit d'équipe. Que
des individualités et des jeunes très jeunes (15 à 17 ans mais peu de 17).
Christine et moi
avons démarré notre amitié aussi parce que nous avions 17 ans ½ et que nous
étions plus responsables que les autres.
Discussions sans
fin. Tentatives d'approches des garçons du coin.
Peu de nourriture
parce que peu d'argent : pain, pastèques, pêches, fromage, pizzas parfois.
Beaucoup de gelati payées de nos poches et qui nous maintenaient en-dessous de
la sensation de faim. Nous vivions d'autre chose. Des rencontres avec les
autochtones, de la mer, du soleil, des nuits à la belle étoile et des paysages
gravés dans mon esprit. Sable noir volcanique. Plage de pierre ponce.
J'avais dans mon
sac L'oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar. Que l'on dirait peu apte à se lire
écrasé sous le soleil de l'Italie du sud, mais qui s'adapte partout en fait.
Longtemps je l'ai
relu une fois par an. En l'honneur de notre amitié épistolaire qui a duré plus
de 10 ans.