Les Histoires de Franz est le deuxième volet d’une suite romanesque inaugurée en 2016 par Abraham et fils (qui sera repris à l'automne 2017 par Folio)
Dans ce premier volet, le Docteur Farkas,
médecin rapatrié, et son fils Franz, âgé d’une dizaine d’années, arrivaient en
1963 à Tilliers, petite ville de la Beauce, et emménageaient dans une maison
ancienne. Ils se liaient à Claire et Luciane, une jeune veuve et sa fille, et
élucidaient ensemble l’énigme entourant deux familles juives cachées dans la maison
en 1942.
Le deuxième volet - qui peut être lu sans avoir lu le premier - suit la famille Farkas entre
1965 et 1970. Abraham est devenu médecin responsable de la maternité à
l’hôpital local de Tilliers ; Claire et deux de ses amies militent au
Planning familial naissant ; Luciane a dix-huit ans et cherche à
s’émanciper ; Franz tient un journal, écrit des nouvelles, entretient une
correspondance nourrie avec un interlocuteur mystérieux, rencontre au lycée des
enseignants hors du commun et se lie à deux adolescents qui, comme lui,
viennent de loin. Au fil de leurs engagements, les Farkas croiseront des
fantômes – les disparus de la guerre d’Algérie, les laissés-pour-compte de
l’empire colonial français – et feront de leur mieux pour les sortir de
l’oubli.
Roman polyphonique, Les Histoires de Franz évoque la France des années soixante à
travers d’autres voix que celles des livres d’Histoire.
Le troisième volet s’intitulera Franz en Amérique.
***
Les Histoires de Franz,
Quatrième de couverture :
NB : La couverture ci-contre n'est pas définitive : il faut encore qu'on ajoute un "Les" au titre. :-)
Les Histoires de Franz,
Quatrième de couverture :
NB : La couverture ci-contre n'est pas définitive : il faut encore qu'on ajoute un "Les" au titre. :-)
Tilliers, petite ville de France, à la fin
des années soixante.
Dans la famille Farkas, Claire (la mère)
soutient et transmet, Luciane (la fille) se révolte et s’émancipe ; Abraham (le
père) écoute et soigne ; Franz (le fils)
observe et (s’)écrit.
Ensemble et séparément, ils vivent et
racontent les séquelles de la guerre d’Algérie et les conséquences de mai 68 ; la
cause des femmes et les silences des hommes ; l’acné juvénile et les cicatrices
du colonialisme ; les mélodies des Beatles et les maladies d’amour.
***
Extrait 1
Les murs ont des oreilles
(Perspective narrative)
C’est vrai, j’ai une très
bonne mémoire mais, à la vérité, je ne fais aucun effort : chaque fibre de ma
carcasse se souvient. Je ne suis pas
juste une maison bourgeoise ou la
« maison-du-Docteur-Farkas-et-de-sa-famille », mais une gigantesque boite
à souvenirs. Chaque événement qui se déroule entre mes murs s’imprime dans
l’usure des tapis, le reflet des miroirs, le jeu des parquets et des tiroirs,
les bosses sur les casseroles, la rouille qui teinte goutte à goutte l’émail du
lavabo dans la petite salle d’eau.
Et j’imagine qu’il en va de
même dans toutes les maisons, tous les appartements, qu’ils soient riches ou
pauvres, neufs ou délabrés.
On ne peut pas être habitée ainsi
sans s’imprégner de la vie qui passe.
Je parie qu’un jour, un
écrivain tentera de fixer tout ça dans un livre - il y représentera, mettons,
un immeuble dont la façade aura été enlevée et décrira toutes les pièces du
devant, les habitants, leurs chats, leurs buffets, leurs horloges, leurs
bouilloires.
En attendant, tout ce qui se
passe ici, tout ce qui passe par ici, je le conserve soigneusement par-devers
moi, car telle est ma nature. Je ne vois pas au-delà de mes murs, mais
j’entends les voix résonner tout autour : dans la rue du Crocus (ou des
Crocus, tout dépend par quel bout on la prend), dans la rue Aliénor-d’Héraby,
dans la cour du presbytère tout au bout de l’îlot, mais aussi de l’autre côté
du mur de la maison voisine.
Je vois, j’entends, je
retiens, je contiens, j’accumule les histoires. Celles qui se déroulent et
celles qu’on raconte, qu’on répète, qu’on invente, qu’on chuchote et qu’on
écrit ici. Qu’on murmure sur le pas de la porte ou au téléphone. Qu’on lit dans
les journaux ou qu’on entend sortir d’un haut-parleur.
Je n’ai pas toujours su que je
contenais tout ça. Je n’en ai pas toujours eu conscience. Longtemps, je me suis
tenue dans un demi-sommeil. Je sentais les vies se dérouler, se heurter, se
défaire sans savoir que j’en faisais partie, que j’en étais le théâtre. C’est
l’arrivée d’Abraham et de Franz qui m’a réveillée, révélée à moi-même.
Brusquement, j’ai compris que
les ombres qui défilaient dans les couloirs étaient des êtres de chair et de
sang, que les sons qu’ils produisaient étaient des émotions, que leurs entrées
et leurs sorties étaient de la vie.
La vie d’Abraham, de Franz, de
Claire et de Luciane a fait vibrer l’écho des vies passées. Alors, je n’ai plus
seulement vu et entendu, je me suis mise à regarder et à écouter. À tout garder
en moi, vivant.
Et un jour, je me suis rendu
compte que je pouvais aussi parler - enfin, si l’on peut dire - et que Franz
m’entendait. Car il écoutait, lui aussi. Il écoute tout. Quand il avait neuf ou
dix ans, il s’allongeait sur le sol de la chambre de son père pour l’entendre
parler avec ses patients par un petit soupirail. Il en a entendu de belles.
Petit à petit, on s’est mis à « bavarder »,
tous les deux. Enfin, si l’on peut dire. Il ne sait pas que je l’écoute parler
tout haut quand il est seul, ou la nuit quand il est éveillé et murmure au fond
de son lit ; il ne sait pas non plus que je lis par-dessus son épaule quand il
lit et quand il écrit ; il ne sait pas, enfin, que je lui souffle des choses à
l’oreille.
Je ne perds pas une miette de
ce qu’il dit ou fait. De mon côté, quand j’agite un indice, une idée, une
intuition sous son nez, il l’aperçoit. Parfois. Et parfois, il s’accroche et les
suit jusqu’au bout. Au fil des années, ça a produit quelques résultats
intéressants…
Mais le plus clair de mon
temps, je le passe à emmagasiner tout ce qui résonne ici.
Et le moins qu’on puisse dire,
c’est que ça n’arrête pas.
Il y a les sons de tout le
monde :
La sonnerie du téléphone et le
toc-toc du marteau en forme de dauphin à la porte d’entrée.
Les portes qui s’ouvrent et qui
se ferment, qui claquent et qui tapent, qui chuintent et qui grincent.
La voix de la radio annonçant
les nouvelles au milieu des tintements de vaisselle et de casseroles, dans la
cuisine pendant que le ragoût frémit.
Les conversations dans le
cabinet d’Abraham, qui montent le long du conduit d’aération et bruissent à
travers le soupirail de la chambre, avant d’aller se perdre au deuxième étage.
Le bruit de l’aspirateur
quelque part dans la maison.
Un volet qui bat.
Les borborygmes dans les
conduites et le goutte à goutte dans le grenier, derrière le ballon du
chauffage.
Le générique d’une émission à
la télévision, dans le salon.
Et les sons de chacun :
Les Mmmhh d’Abraham écoutant ses patients et ses Respirez fort quand il les ausculte.
Le cliquetis de la machine à
écrire de Claire et sa voix quand elle répond au téléphone.
Le crachotement du saphir
quand Luciane écoute une énième fois Barbara sur son Teppaz blanc et ses larmes
quand elle chante avec elle.
Et, dans la chambre de Franz,
le froissement des pages et ses hoquets de rire quand il lit Les Dingodossiers ou La Rubrique à Brac.
Et puis les déplacements dans
le labyrinthe des couloirs - les corps des habitants et ceux des invités, de
l’entrée au bureau, à la cuisine, au salon, au jardin, et leur ascension vers
les chambres pour aller y chercher un objet oublié, se réfugier pour lire ou
écrire ou pleurer, ou aller se détendre, s’étendre, s’étreindre.
Je vois les corps, et les
jardins secrets. Ces cachettes que personne ne voit et n’explore, sauf le
premier intéressé.
*
Prenez le secrétaire de Franz.
C’est un meuble droit et étroit, haut d’un mètre cinquante environ, portant à
sa partie supérieure deux étagères vitrées, à sa partie inférieure trois autres
étagères cachées par une porte doublée d’un abattant qui sert de plan de
travail. Franz a fait ses devoirs dessus de la fin de ses classes de primaire à
ses premières années du lycée. À la fin de la cinquième, ses parents lui ont
acheté un vrai bureau, et le secrétaire est devenu son coffre à trésors. Il
range en haut ses livres les plus précieux et cache, en bas, derrière la porte
fermée à clé, des cahiers, des carnets, des lettres et des dessins, des textes,
des opuscules et des magazines.
Je connais tous les papiers
secrets qu’il garde dans son saint des saints, car je l’ai vu les écrire ou les
feuilleter, les cacher ou les sortir pour les lire en cachette la nuit, sous
ses couvertures.
Sur les premières pages d’un
de ses cahiers, on peut lire la liste suivante :
Histoire(S)
Livre
d’histoire
Histoires
de famille
« Tu
connais l’histoire de Toto à vélo ? »
Histoires
d’amitiés
Histoires
d’amour
Histoires
de cul
« Dans
quelle histoire es-tu donc encore allé te fourrer ? »
Histoires
drôles
Histoires
à pleurer
« Pour
faire un bon film, il faut trois choses : une bonne histoire, une bonne
histoire et une bonne histoire. » (John Ford)
Histoire
de l’art
Histoire
de l’humanité
Une vie
sans histoires
« Ne
fais pas donc d’histoires ! »
Histoires
de temps
Histoires
d’argent
Une
histoire de fou !
« Laisse-la
donc raconter son histoire ! »
C’est de
l’Histoire Ancienne
Histoire
moderne
Pour la
petite histoire
La
grande Histoire
L’Histoire
avec sa grande hache
Le sens
de l’Histoire
En faire
toute une histoire
L’histoire
d’un instant
« Tu
me soûles, avec tes histoires ! »
Histoire
d’un combat
Histoire
sainte
Histoires
sans paroles
Préhistoire
« Et
voilà comment on écrit l’histoire, Môssieur ! »
Une sale
histoire
Une
histoire bien embrouillée
Ma
propre histoire
Histoires
mystérieuses
« Oh,
là, la ! C’est une longue histoire… »
Histoires
à ne pas dormir la nuit
Histoires
extraordinaires
Les gens
heureux n’ont pas d’histoire
Une
belle histoire
Une
histoire à dormir debout
Et cela,
mes amis, c’est une autre histoire…
Ces cahiers m’émeuvent. J’ai
le sentiment qu’ils font partie de moi.
J’ai aussi un faible pour le
tout petit classeur à couverture cartonnée dans lequel il inscrit, inscrira, sur
des fiches bristol à petits carreaux, ses accomplissements, ses idées, ses
projets.
Textes
plus ou moins achevés :
-
La partie de billes
-
La voix dans le soupirail
-
Le couloir de nulle part
-
Les pas dans le grenier
-
Un banc au clair de lune
-
La fille du temps
-
Le bébé dans l’ascenseur
Textes
en cours d’écriture :
-
La Patrouille de l’aube
-
Dans la Colonie Educative
-
La lèpre
-
L’ennemi
Projets esquissés
:
-
La mère fantôme
-
La sylphide dans la colonne
*
Entre mes murs, je vois et
j’entends toutes les histoires en même temps, depuis et dans longtemps.
Je les sens aussi, dans les
corps de ceux qui vivent et ont vécu ici.
Parfois, silhouettes et
saisons se superposent : Franz lit seul au printemps dans le grand fauteuil de
sa chambre tandis qu’au même endroit, l’hiver d’une autre année, des amoureux
transis et heureux se serrent l’un contre l’autre sur un sofa élimé ; Abraham
s’approche de Claire penchée sur son clavier et pose tendrement les mains sur
ses épaules tandis que dans la même pièce, quarante ans plus tard, un autre
couple se déchire ; Luciane danse et chante à tue-tête dans le jardin comme
Julie Andrews dans La Mélodie du bonheur
tandis que derrière elle, dans l’ombre, une silhouette enterre quelque chose au
pied du bosquet.
Qui est cette ombre,
demandez-vous ? Quand se trouve-t-elle
dans le jardin ? Plus tôt ? Plus tard ? Attendez, que je réfléchisse… Ma
mémoire est très précise, mais les époques se mélangent un peu. Tous les souvenirs
ne me reviennent pas dans l’ordre. Je ne rajeunis pas, vous savez…
Mais vous me laissez le temps
de retrouver mes esprits, je vais remettre le doigt dessus.
D’ailleurs, mon récit ne fait
que commencer, et il ne faut jamais commencer en révélant le pot-aux-roses, la
clé de l’énigme, le fin mot de l’histoire.
Ce ne serait pas du jeu.
***
Extrait 2 (publié par la revue en ligne "Secousse")
Lisez ici "La Ventriloque".
Les Histoires de Franz sera disponible en librairie fin Août 2017
Lisez ici "La Ventriloque".
Les Histoires de Franz sera disponible en librairie fin Août 2017