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Connaissez-vous
vos personnages ? Je veux dire, est-ce que vous vous inspirez toujours de
personnes que vous connaissez ou bien les créez-vous de toutes pieces ? Physiquement
les visualisez- vous ?
Ca dépend. Je
ne suis pas très bon pour décrire (les gens ou les choses) alors j’ai besoin de
modèles. Donc, je m’inspire souvent de personnes que je connais, mais ça ne se
voit pas nécessairement, car je ne les décris pas (ou alors, très vaguement). Mais
j’ai leur visage en tête, et c’est ça qui m’aide à écrire. Cela dit, une fois
qu’ils sont « mis en scène », ils cessent d’être les sosies des
personnes vivantes. D’ailleurs, d’un point de vue général, je n’aime pas l’idée
que mes amis se « reconnaissent » (à tort) dans mes personnages.
Alors de deux choses l’une : ou bien ils sont une caricature (comme le
redoutable Maire Esterhazy, petit homme caractériel et mégalomane dans la
Trilogie Twain) et tout le monde peut voir de qui il s’agit ; ou bien ce
sont des personnages composites et les reconnaissances sont souvent trompeuses.
Par exemple, on pense que Bruno Sachs ou Franz Karma, c’est moi, mais je les ai
imaginés avec le visage d’un de mes amis de fac, Olivier M. pour l’un, et le
visage de mon père pour l’autre. Donc, quand je les écris, je ne pense pas du
tout à moi. Ce que j’aime faire aussi, c’est suggérer que mes personnages
ressemblent à des comédiens que j’aime bien. Ainsi, Aline, la secrétaire de
l’Unité 77 dans le Chœur des femmes ressemble à
Abby Sciutto, la « lab tech » de la série NCIS. Avec dix ans
de plus…
Ensuite, s’il
s’agit de dire que je les « connais », non, pas vraiment. Ils ont
toujours quelque chose à m’apprendre. Dans mon esprit, mes personnages se
définissent par leur comportement, et non par une sorte de contenu
psychologique que j’aurais prédéfini.
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Choisissez-vous
d’écrire sur un thème en particulier ou les thèmes que vous abordez
s’imposent-ils comme des evidences ?
Je n’écris
jamais « par thèmes ». Je ne connais le thème de mes romans qu’une
fois qu’ils sont publiés et qu’on (les lecteurs, parfois quelques critiques) en
parle. De toute manière, je pense que j’ai des thèmes généraux
récurrents : les abus de pouvoirs liés à la médecine, les relations
amoureuses et familiales, le partage du savoir… Donc, les thèmes, ils sortent
toujours. Quand je me mets à écrire, c’est parce que j’ai une histoire à
raconter (d’abord) puis une forme pour la raconter (ça peut être assez long à
définir). Et là, je me mets au boulot, en sachant à peu près où je vais, mais
sans savoir toujours très bien par où je vais passer. Mais une fois que j’ai
mon histoire et ma forme, je ne me pose plus de questions, j’avance. En ce
moment, je n’avance pas sur mon prochain roman, parce que je ne sais pas
exactement quelle histoire je vais raconter ni sous quelle forme. Jusqu’ici
j’avais des histoires simples (et la forme me permettait de les rendre plus
complexes, plus étoffées) mais cette fois-ci, j’ai une histoire compliquée, et
j’aimerais que la forme soit en accord. Alors, je tâtonne.
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Comment
écrivez-vous ? Le matin ? Le soir ? En silence ? En musique ? Avec le bruit des
gens qui passent ?
J’ai toujours
écrit empêché, depuis que je suis gamin. Ma chambre était un hall de gare (il y
avait trois portes, tout le monde passait par chez moi pour traverser l’étage).
Et depuis que je suis adulte, j’ai passé le plus clair de mon temps à
travailler sur un bureau installé dans mes chambres successives, parfois (en
1993-94, en particulier) avec des bébés dans un lit juste derrière moi, ou sur
les genoux - et c’est parfois acrobatique, vu la propension qu’ils ont à foutre
leurs menottes couvertes de beurre et de confiture sur le clavier… Je peux
écrire en silence ou en musique (mais pas de la chanson, plutôt un trio de jazz,
Bill Evans de préférence). Je peux écrire avec des gens dans la pièce (à
condition qu’ils ne m’adressent pas la parole, le fait qu’ils parlent ne me
gêne pas). J’écris mieux le soir que le matin, sauf quand je suis dans un
roman, alors là j’écris jusqu’à pas d’heure et je me lève dès que je me
réveille et je suis capable de m’y remettre. Mais globalement je suis plutôt
quelqu’un du soir et de la nuit que du matin.
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Etiez-vous sur
depuis le départ que vous seriez ecrivain ? Ou avez-vous été saisi parfois du
doute de ne pas réussir a vous faire publier ?
Je sais que
j’ai eu très tôt envie d’écrire des livres et « être écrivain », pour
moi, c’était ça : aligner les bouquins. C’est ma rencontre avec les
écrivains américains de SF (Asimov, Sturgeon, Sheckley, Bester) qui m’a fait
comprendre que c’était un métier et qu’on pouvait gagner sa vie avec. En
France, il était plutôt sous-entendu qu’on ne pouvait être écrivain que si on
avait d’emblée un talent tellement impressionnant que toute la galaxie allait
le savoir. Comme personne ne me disait rien de tel, je pensais que je me
faisais des idées.
Avant d’être
publié pour la première fois, bien sûr, j’ai douté de la possibilité que ça
m’arrive. Après le premier livre, j’ai moins douté, mais je n’ai jamais pensé
qu’une publication était assurée ou que mes livres allaient toujours plaire. Le
dernier roman que j’ai écrit, Les
Invisibles, qui sortira en mai 2011, est différent des précédents. C’est un
roman policier, mais la narration est très particulière pour moi : il n’y
a qu’un seul narrateur, et c’est un homme. Ça ne m’était pas arrivé. Je me suis
demandé si les éditrices qui s’occupent de moi au Fleuve allaient aimer, et si
c’était intéressant. Je pensais que non, qu’elles me diraient : « Ca
ne nous plaît pas. » Et j’étais étonné qu’elles me disent le contraire.
Le doute ne disparaît jamais, je pense, sauf quand on est boursouflé d’une très
grande vanité.
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Ecrivez vous
des histoires pour plaire ? – Je veux dire, choisissez-vous les sujets de vos
romans en ayant dans la tête son « positionnement marketing » (l’expression
n’est pas belle pour parler de livres mais enfin…)
Je mentirais
en disant que je n’espère pas que mes livres vont se vendre, bien sûr, mais je
n’ai plus de complexe à ce sujet parce que je me souviens qu’on avait posé à
Howard Hawks (probablement le cinéaste américain que j’aime le plus) la
question de savoir s’il faisait des films artistiques ou commerciaux. Et il
avait répondu : « Je serais stupide de faire un film en ne voulant
pas que les spectateurs aillent le voir. Mais je pense que quand on fait un bon
film avec de bons acteurs et une équipe qui a du talent, ça se voit et ça
s’apprécie. » Enfin, à peu près. Je le cite de mémoire et je ne peux pas
vous dire où j’ai lu ça. Toujours est-il que Hawks (comme Ford, d’ailleurs)
s’était très vite affranchi des studios et produisait ses propres films. Alors
bien sûr, il voulait qu’ils aient du succès. Parce qu’il savait que le succès
commercial, pour lui, c’était la liberté. Mais s’il était indépendant, c’est
précisément parce qu’il voulait tourner les films qu’il voulait tourner, et non
être l’exécutant d’un studio qui lui aurait confié seulement les films desquels
ils espéraient de grosses recettes.
Donc, en ce
qui me concerne, bien sûr, j’espère que mes livres vont être très lus (et donc,
se vendre beaucoup). Mais je serais incapable de dire quel est leur
« positionnement marketing ». J’écris d’abord pour raconter une
histoire que je n’ai lue nulle part ailleurs (du moins, sous cette forme). Je
fabrique un objet-livre que j’ai envie de pouvoir lire avec plaisir. Et je fais
mon possible pour que ce livre plaise au lecteur que je sais être. Par
conséquent, j’écris pour ce lecteur-là (et ceux qui lui ressemblent). J’ai la
chance qu’il y en ait beaucoup dans ce genre.
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Quels conseils
donneriez-vous aux gens comme nous ? – a part écrire et lire.
Je suis comme
vous, donc je n’ai pas de conseils à donner autres que ceux-là : lire
beaucoup et écrire beaucoup et saisir toutes les occasions d’écrire, partout où
on peut. Une des participantes à ce blog, Elise D., m’a envoyé un texte l’an
dernier. C’était le premier texte qu’elle écrivait depuis de nombreuses années,
alors qu’elle avait beaucoup écrit pendant son adolescence. Et ça a déclenché
chez elle le désir de reprendre. Elle a mis un blog sur pied « Penser avant
d’ouvrir la bouche » et comme ça marchait bien, elle a proposé d’en faire
un livre à un éditeur de Montréal, qui en voyant le blog a dit oui. Et là, elle
bosse sur son bouquin (c’est un livre sur le végétarisme, pas un roman). Il y a
un an, elle n’aurait jamais imaginé qu’elle ferait ça. Et tout ce qu’elle a
fait c’est lire (beaucoup) et se remettre à écrire.
Par qui est-il bon de se faire relire ?
Je commence par les personnes à qui (à mon humble
avis) il n’est PAS BON DU TOUT de donner nos textes à lire tant qu’ils ne sont
pas terminés : les membres de sa famille (parents, frères, soeurs, cousins,
cousines, etc.) ; les amis proches ou intimes ; les collègues de
travail ; les gens dont on veut devenir l’ami ; les écrivains
professionnels ; les profs qu’on aime bien et qui sont des écrivains
frustrés…
Dans l’entourage proche, le conjoint est un cas à
part.
Personnellement, j’ai toujours donné mes textes à
lire à ma compagne, MPJ, et je m’en suis toujours félicité parce qu’elle est à
la fois une très bonne lectrice (si elle rit, si elle pleure, si elle tourne
les pages très vite, je sais que j’ai réussi à faire ce que je voulais) et
aussi parce qu’elle sait désigner, sans complaisance ni malice, les défauts que
j’ai laissés passer. Mais je pense que la relation qui nous lie est
exceptionnelle.
Alors je ne suis pas sûr qu’il soit de
règle que le compagnon ou la compagne d’un(e) écrivain(e) soit un bon lecteur
ou une bonne lectrice. Ça dépend vraiment de la personne et de la relation
qu’on a établie avec elle. Autrement dit : c'est indépendant du fait qu'on
écrit ou non.
Mais il faut une indépendance intellectuelle hors
du commun et une relation très sereine pour ne pas être tenté(e) de lire sans
arrêt dans les textes d’un écrivain une transposition de sa vie et ne pas en
être atteint(e) quand on est très proche de l’auteur (ou quand on se sent
proche de lui).
Les amis, en particulier, peuvent avoir des
réactions surprenantes. Lorsque j’ai écrit mon premier roman, une fois terminé,
je l’ai fait lire à un ami très proche, dont je pensais qu’il serait sensible à
ce que j’avais écrit. Sa réaction – très négative – m’a totalement surpris.
Comme quoi…
Je pense également qu’il est hautement risqué de
faire lire ce qu’on écrit à une personne avec qui on aimerait avoir une
relation intime, ou avec qui on ne sait pas exactement sur quel pied danser.
Bien sûr, lui donner à lire ce qu’on écrit peut avoir un effet extrêmement
positif (si c’est ressenti comme une sincérité) mais parfois aussi très négatif
(ça peut être ressenti comme une intrusion dans les sentiments de l’autre, ou
ça peut donner un levier à quelqu'un qui désire vous manipuler - et Dieu sait
qu'on ne sait jamais qui veut nous manipuler, et Dieu sait qu'on ne se fait
jamais manipuler aussi bien que par le biais de ce qu'on chérit le plus au
monde).
L’aptitude à commenter sereinement ce qu’un ou une
autre a écrit est proportionnelle au respect qu'on peut avoir pour l'écriture
et pour l'auteur(e), proportionnelle à l'honnêteté intellectuelle que l'on est
capable d'avoir, et inversement proportionnelle à la frustration propre qu’on
peut éprouver à (ne pas) écrire . C’est pour ça entre autres que je ne lis pas
les manuscrits et que je préfère ne pas en recevoir. Il faut que je sois
particulièrement détaché de mes propres préoccupations d’écrivain pour lire la
prose d’autrui sans m’énerver…
En ce moment,
je suis en train de lire un livre par obligation, et ce livre ne me plaît pas.
Je le trouve superficiel, je n’arrive pas à le saisir. Sans pour autant savoir
s’il s’agit du style, du contenu, des deux ou de ma propre frustration à ne pas
pouvoir écrire « à la hache » en ce moment. Alors, je me méfie de ma
lecture, je cherche les points positifs, j’essaie de voir ce que je ne vois
pas, car je suis sûr que c’est un très bon livre, mais je n’arrive pas à voir
en quoi, et ça m’embête, car ça voudrait dire alors que je ne suis pas un bon
lecteur…
Bon, mais tout
ça ne nous dit pas à qui faire lire…
Il est rare,
en France, de trouver des gens qui relisent de manière dépassionnée, technique,
intelligente et aidante. Le plus souvent, ceux qui existent (et n’ont pas d’ego
ou de désir rentré d’écrire) travaillent dans les maisons d’édition. Donc, les
meilleures personnes pour relire un manuscrit, pour en voir le potentiel et
pour aider l’écrivain à le (re)travailler, c’est un éditeur ou une éditrice.
Chevronné(e) de préférence.
Pour ma part,
j’ai eu la chance de pouvoir faire lire mon premier roman à trois personnes qui
avaient toutes les qualités requises, et qui n’étaient pas éditeurs/trices.
C’étaient trois écrivains, qui portaient sur mon travail un regard bienveillant
mais pas du tout complaisant. Ils (deux hommes et une femme) avaient leurs
propres préoccupations mais étaient aussi dotés d’une distance (et d’un humour)
qui leur ont permis de me lire le crayon à la main, sans se transformer en
profs castrateurs ni tomber dans la dithyrambe bêtasse.
Et ils m’ont
bien fait comprendre qu’ils préféraient ne pas me donner d’avis sur un travail
inachevé.
C’est pour ça
que je conseille toujours de finir un manuscrit avant de le donner à lire. On
ne peut rien dire d’un fragment. A la rigueur des trois premiers chapitres ou des
cinquante premières pages (mais qu’est-ce qu’on peut dire en dehors de : « J’aimerais
lire la suite » ou « Je me suis ennuyé » ?) mais pas de
quelques pages, à moins de tomber sur un(e) écrivant(e) dont les textes sont
impressionnants par leur ton, leur rythme, leur mouvement, même en quelques
pages. Et je dois dire, à ma grande joie, que ça m’est arrivé à plusieurs
reprises depuis que ce blog existe. Il y a parmi les participant(e)s à ce blog des
personnes dont les textes m’ont coupé le souffle. Mais c’est une opinion
purement personnelle, pas un jugement absolu, alors généralement, j’essaie de
ne pas être trop dithyrambique mais d’être encourageant, et surtout j’invite à ne pas m’envoyer de manuscrit, même si
je ne déteste pas lire de très bons textes de une à trois pages.
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Vous
imposez-vous un nombre de pages/chapitres à écrire par jour ?
Non, je ne
m’impose jamais rien. Parfois je sais que je dois rendre un texte à telle date,
alors c’est le délai qui m’impose de m’asseoir et d’écrire pour rendre mon
travail à l’heure. Mais je n’ai pas besoin de me dire « tant de pages
aujourd’hui ». Je me débrouille pour le faire à temps, avec des
ajustements si je suis en retard, mais le plus souvent minimes (un mois pour un
roman, quelques jours pour un article). La seule chose que je m’impose, c’est
de respecter les délais. Ça m’aide à travailler d’ailleurs : quand Paul me
dit que pour insérer un de mes livres correctement dans le planning de
publications, il faudrait qu’il l’ait à telle date, je me donne la date en
question pour finir. En sachant que si je ne le fais pas, eh bien le bouquin
paraîtra six mois plus tard, et voilà tout…
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Notez-vous les
anecdotes du quotidien pour les réutiliser ?
Non, pas
vraiment. Il m’arrive de transcrire des histoires du quotidien dans l’un de mes
journaux ; il m’arrive aussi de recourir à une anecdote du quotidien dans
un de mes livres, mais je ne note pas pour réutiliser. Ce que je note pour
réutiliser, ce sont plutôt des réflexions, des paroles, des listes de mots ou
de phrases qui me servent à organiser ce que j’ai pensé en lisant autre chose,
par exemple. Mais c’est le fait de noter qui est important en soi, pas la note
elle-même puisqu’il m’arrive souvent de ne même pas relire mes notes pour un
projet, et de les retrouver une fois le livre publié et de me dire « Ah,
c’est marrant, j’avais écrit ça… »
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Avez-vous besoin de ruptures de rythme pour avancer dans un roman ou au
contraire d'un certain train-train?
J’ai besoin, quand je n’avance pas (quand le projet n’a pas encore pris
forme dans ma tête), de faire autre chose pour ne pas y penser, et d’y revenir
ensuite. Quand je suis dedans, en général, j’ai envie de ne faire que ça. Je ne
sais pas si on peut parler de « train-train ». Quand j’écris
pleinement un roman, je suis littéralement possédé, je ne pense qu’à ça et je
ne veux penser qu’à ça, et je n’écris que ça et je ne veux pas écrire autre
chose car tout autre sujet m’emmerde. Mais il peut m’arriver de ne pas entrer
dans cet état avant d’avoir écrit la moitié du livre, ou au contraire, d’y
entrer dès la quarantième page. Alors là encore, je n’ai pas de
« règle ». Chaque livre est une aventure en soi.
·
Relisez-vous
vos textes avant d’arriver à la fin ? Ou bien écrivez-vous l’ensemble d’abord
pour ensuite revenir sur le texte?
Les deux.
J’écris des romans qui sont compliqués (parce que polyphoniques, anti
chronologiques, etc.) et souvent longs. Donc, j’ai besoin de me relire
périodiquement pour me rappeler ce que j’ai écrit ! Quand je suis
suffisamment avancé dans l’écriture du roman, j’ai aussi, en général, tout relu
trois ou quatre fois depuis le début. Je termine, et ensuite je relis
soigneusement pour régler le problème des incohérences de narration, ôter les
échafaudages, etc. Je n’ai jamais complètement fini de relire. Mais une fois
que le livre est terminé, ma relecture ne modifie que des détails (au plus, un
paragraphe). Elle ne modifie pas la structure du livre, jamais. Les problèmes
de structure je les ai toujours réglés au début, car ce n’est que lorsque j’ai
la structure définitive que je peux avancer. Si je ne l’ai pas, je piétine. Et
quand je piétine, je sais que ça veut dire : « Tu n’as pas ta
trame."
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Bon,
mais… et le plaisir dans tout ça ?
Ah, le plaisir…
Bonne question, ça.
Je me rends compte que dans mon « Comment j’ai gagné ma vie… » il
n’est pas beaucoup question de plaisir. Sans doute parce que j’ai une relation
bizarre au plaisir de l’écriture - et au
plaisir, tout court.
J’éprouve du plaisir
quand je lis un livre qui me transporte. Et il ne fait aucun doute que je
cherche à écrire des livres qui transportent, à reproduire (chez les autres) le
genre d’ivresse que je peux ressentir en lisant. Cette ivresse-là, je ne la
ressens pas souvent pendant que j’écris, et en tout cas pas avant d’avoir
atteint un certain stade dans un texte ou un livre. Il y a quelques semaines,
j’ai écrit un texte sur Montréal (pourquoi j’y vis, comment j’y suis arrivé)
pour un prochain livre/magazine qui lui sera consacré au printemps prochain par
les éditions Autrement. Il m’a fallu trois ou quatre réécritures successives
pour mettre le doigt sur ce que je voulais vraiment dire, et pendant que je
cherchais, je n’éprouvais pas de plaisir à écrire. J’écrivais, mais ça ne me
faisait pas plaisir à proprement
parler. Quand j’écris, la plupart du temps, je ne ressens rien de particulier.
Je ne sens pas mon corps. Je suis concentré sur les mots qui s’alignent comme
par miracle sur la page blanche virtuelle inscrite dans le noir de l’écran
(merci la fonction « plein écran » des traitements de texte moderne
!). Je ne ressens du plaisir que lorsque j’arrive à mettre en mots exactement
ce que je cherche à dire. Et ça, le plus souvent, ça se passe à la fin des
romans, au moment de la résolution des histoires, des conflits. Au moment où
tout se dénoue. Je n’ai compris comment le faire que peu de temps avant (ce
n’est pas planifié de longue date) et j’éprouve une grande excitation et un
grand plaisir à le mettre en mots.
Cela dit, le
plaisir, pour moi, c’est surtout après. Quand quelqu’un me dit ce qu’il/elle a
ressenti en lisant telle ou telle phrase. Un message ou une lettre qui m’arrive
de très loin écrit par quelqu’un qui s’est donné la peine de m’écrire pour me
parler de sa lecture, ou de sa vie. Une personne qui s’arrête près de moi pour
me dire comme ça, très vite, presque en s’excusant, que tel ou tel de mes textes
l’a touchée.
Le plaisir c’est
aussi quand le texte est devenu un livre. Quand je tiens le livre entre mes
mains. Il est là. Il est beau. Je suis content.
*
Merci à toutes et à tous ceux qui m'ont envoyé leurs questions...
Mar(c)tin