Souvenir ému...
Il était dans la bibliothèque branlante de ma grande
sœur, un meuble qu'elle avait bricolé maladroitement de son peu d'expérience
manuelle. Elle l'avait verni pour lui donner un brillant et estomper ses
défauts. Pour moi, ces imperfections n'existaient pas, je ne voyais en lui que
les trésors précieux qu'il m'offrait, ces mille et une pages de nouveaux
univers. J'en avais soif depuis que je savais déchiffrer les entrelacs de
lettres. A 7, 8, 9 ans, j'essayais, je feuilletais, mais le déchiffrage était
encore laborieux. Toutefois, je ne désespérais pas, je savais que j'allais y
arriver.
Du haut de mes 10 ans, je réussis enfin à dompter les
mots, le livre était d'Alphonse Daudet, Le petit chose. Quel
drôle de titre, cela pouvait tout dire et rien à la fois, mais assez cependant
pour intriguer la lectrice en herbe que j'étais. Je commençai ma lecture au
pied du lit de ma sœur. Les pages passaient lentement mais sûrement ;
j étais fière d'avoir enfin pénétré dans cette bibliothèque, aussi heureuse
que Neil Armstrong le jour où il a posé son pied sur la Lune. J'ose avouer que
je ne comprenais pas tout, mais j'insistai. J'entrais dans un nouveau monde,
celui de la lecture, duquel je ne suis plus jamais sortie. J'ai gardé de ce
livre un souvenir ému.
Un quart de siècle plus tard, Le petit
chose a de nouveau croisé mon chemin. Les souvenirs d'enfant sont
souvent brouillons et déformés, mélange d'évènements rêvés et réels. Ceux de ce
livre ne correspondaient que peu à la réalité. D'un personnage que je pensais
malchanceux dans la vie et que je plaignais, je me rends compte que ce
n'était qu'un être teinté d'un profond égoïsme. Après une brève pointe de
déception de m'être trompée, ce livre est toutefois resté et restera le symbole
de mon entrée dans le monde si vaste et splendide de la lecture.