Après trois semaines de vacances en
bord de mer français, je rentrais à la capitale pour travailler. J'avais déposé
au passage Thomas et Zoé chez leur mère dont j'étais séparé.
Nous avions séjourné chez E., une
vieille amie qu'ils appréciaient.
Ces jours avaient été une trêve, un havre de paix.
Ma petite entreprise périclitait et
j'avais épuisé toutes les ressources possibles. Manquaient des clients. Il
était temps de reprendre le collier même s'il s'agissait d'une tentative
désespérée.
Je songeais à ce qui m'attendait
tout en ouvrant ma porte, convoquais nos rires, le souvenir des bons moments.
L'absence simultanée des enfants était rare, la solitude me surprenait.
Un sac de voyage, un autre à
provisions en bandoulière, celui de l'ordinateur ainsi qu'un baluchon
d'affaires des gosses en mains, j'avais marché jusqu'au salon, posé là tout
l'équipement. Puis j'avais repris sur la porte les clefs. La boîte aux lettres
collectionnait les factures. Peu d'espoir que les autres enveloppes contiennent des paiements. En revanche
un sourire : E. nous amusait d'une carte postale où elle évoquait notre séjour
comme si nous étions d'autres. « Je passe mes vacances avec de merveilleux
amis ».
Comme elle nous avait également
équipés de quelques spécialités locales, fromages odorants dont la voiture
peinerait à se remettre, je filais à la cuisine rallumer le réfrigérateur et
les y déposer.
C'est alors que je les ai vus :
dans le frigo trois autocollants qui n'y étaient pas en partant. J'en étais
certain, j'avais moi-même vidé, nettoyé, coupé l'alimentation électrique, et
soigneusement laissé ouvert. J'avais de plus été le dernier à quitter la maison
que personne d'autre n'avait de quoi ouvrir - ce qui n'était sans doute pas
très prudent, mais je vivais seul avec fils et fille, notre emménagement dans
ce quartier restait récent et les voisins inconnus -.
Trois autocollants concernant
Barcelone, ville où je n'étais jamais allé, ni non plus les enfants. Un écusson
du Barça, un de l'office du tourisme photo récente incluse mais aux couleurs
passées, et celui, publicitaire, du bar Els Quatre Gats, c/ Montsio qui en
vantait les bières et whiskies réputés.
J'ai pris la décision dans
l'instant sans rien vérifier d'autre dans la maison : les enfants ne rentreraient
pas avant deux semaines, les factures n'étaient plus à ça près, quelqu'un, mais
qui ?, avait voulu me faire passer un message. Était-ce un rendez-vous ?
Abandonnant la voiture à son odeur
restante, j'ai saisi mon sac, laissé l'ordinateur, tout travail attendrait,
gagné la gare et pris le premier train en partance vers cette ville.
Ce n'est qu'après le départ pour
plus d'une nuit de trajet que j'ai songé aux fromages, soigneusement stockés
dans le réfrigérateur fermé d'une maison à l'électricité coupée.