dimanche 12 décembre 2010

Rattrapage : Débuts de Romans par Marcel cuivre (Ex. n°15)

1/ Lorsqu’il décida de rejoindre son pays, c’était avant tout pour se soustraire au connard des villes, beaucoup plus constant et moins naturel dans sa connerie que le connard des champs. Pour tout dire, il ne supportait plus les instruits. Ceux qui savent et ont pour principale activité de vous le faire savoir. En fait, aucune raison, aucun sentiment ne le retenait plus à Paris. Lassé de Pigalle, sans blé ni turf, blasé et tricard, il tentait de tirer un trait sur trente ans de poisse. Car poissard il l’était. Toutes les poupées qu’il avait mises sur le trottoir ou dans son lit ne lui avaient rapporté qu’ennuis et mal de tête. Il avait voulu être un caïd, il n’était qu’un demi-sel. Et migraineux. Les bars de Montmartre, il en avait bu jusqu’à plu soif,  les lits défoncés dans des chambres cafardeuses avaient fini par le faire débander et la pluie poisseuse comme elle ne l’est qu’à Paris lui imbibait jusqu’à la cervelle. Rien de grave. Simplement à sa bourse personnelle, les rêves n’étaient plus cotés depuis quelques temps déjà.
Le tortillard se trainait. Le paysage l’avait vite lassé. Il s’était plongé dans un recueil de mots croisés. Deux horizontal : gratte-ciel. Le chauffeur venait de mettre un grand coup de volant pour éviter un chat pas même noir. Trois horizontal : Sac de farine. En sept lettres. Avec la chance qu’il n’avait pas, il y aurait bien un contrôleur. Bah il lui fourguerait un ticket de métro. Ici ils ne feraient pas la différence. Quatre horizontal : Peuvent être de sexe différent mais ne se voient pas. Parfois il se demandait ou ils allaient chercher tout ça. Il n’avait jamais pu en finir un. Il n’était qu’un baltringue. Peut-être, mais ils allaient voir ce qu’ils allaient voir les paysans.

2/ Dans mon village, autant qu’il m’en souvienne, nous naquîmes au temps des bien-pensants et je ne saurais dire comment  nous passâmes à l’époque du politiquement correct. Bien sûr, on continua de brider les esprits chagrins. Ceux que la bien pensance cataloguait rebelles devinrent ringards et  passéistes. L’obsolescence et le désuet ont des charmes que l’affairé ignore. Nous voulions nous séparer de nos chaînes, ils en profitèrent pour s’en prendre à nos racines, à les peindre de couleurs nauséabondes afin de les discréditer. Et nous avec.
Nos pères et mères communs nous firent frères à douze ans d’intervalle et jamais nous ne partageâmes les maux de l’enfance ni l’arrogance adolescente. Dés que nous fûmes en âge de comprendre l’absence de sens ici bas, nous nous débarrassâmes des scories familiales qui rendent souvent pathétiques les relations entre frères. Sans éclat mais sans heurts nous nous retrouvions de loin en loin,  nos vies ne semblant ni en pâtir, ni s’en trouver éclairées outrageusement. Nous noyâmes quelques illusions depuis longtemps perdues dans notre amour commun du jus de la treille. Si les mots avaient gardé un peu de sens, j’écrirais que chacun respectait suffisamment l’autre pour ne pas le vouloir différent. Il faut dire qu’il n’y avait nulle valeur ajoutée dans notre ciel quotidien : nous vivions seuls.
En faisant ses poches j’ai trouvé un ticket de cinéma et une photo de gratte-ciel. Sur la table de la cuisine, une plaquette de beurre, un litre de lait un sac de farine ouvert et sur le carrelage un livre de Jacques Salomé « Homme et femme, ensemble sans se voir ». Ils lui ont éclaté la tête sur la pierre de l’évier. La police politique, c’était signé.

3/  Elle l’aime bien son appartement. Ca ne lui déplait pas de vivre seul dans son vingt quatrième étage. Elle va souvent au cinoche. Elle en collectionne même les tickets. Elle aime cuisiner, surtout la pâtisserie. Elle a toujours en réserve trois paquets de farine et autant de sucre. Ce soir elle a fait une tarte aux pommes Jacques Prévert. Celle qu’aimait tellement Patrick qu’il a fini par la manger sans plus la voir, elle, sa pâtissière. Faut dire qu’elle aussi l’oubliait parfois lorsqu’elle petit déjeunait en face de lui. Match nul ; complètement nul. Il s’était séparé sur ce score. Non ce n’est pas d’être seule qui la travaille c’est autre chose. Elle n’a pas corrigé ses copies. Et  elle la connaît trop bien l’histoire : Il ne faut pas laisser traîner des copies non corrigées. Rien n’est plus dangereux. Elles semblent dormir mais n’hésiteront pas à venir se poser au creux de l’oreiller. Encre noir sur nuit blanche. La copie non corrigée ne geint pas mais elle s’insinue entre les draps. Elle ronronne au rythme du tic-tac du réveil. Une fois réveillé il est trop tard.Mais il y a pire : la copie à moitié corrigée, la plus vicieuse. Elle ne permet pas un décompte clair de ce qu’il reste à souffrir, ni du temps inhérent à cette présence qui n’est pas encore une douleur (vous êtes jeune) mais le deviendra, la cinquantaine passée. Celle là est sacrifiée ; il faudra reprendre soin d’elle du début. Elle est la réalité de votre lâcheté, vous auriez du la corriger, pour son bien et le votre, vous le savez, mais vous avez baissé les bras au milieu, et il faudra tout reprendre à zéro. La copie non corrigée ne disparaît jamais. Elle est là et l’instinct grégaire la fait vivre en groupe, car la copie non corrigée ne supporte pas la solitude. Et celle du dessus qui s’offre au regard n’est pas la pire ; les autres, celles du dessous, encore camouflées, qu’est-ce qu’elles réservent ? Le pire c’est sûr.  La copie non corrigée est comme un rhumatisme qu’on traite inlassablement à l’encre de mercurochrome sans que jamais il ne disparaisse. Et pour cause c’est votre corps qui la réclame, corps des certifiés ou des agrégés, peu importe, il génère de la copie. Elle le sait : Tu peux te faire un sang d’encre rouge : tu seras toujours seule face à tes copies !