mardi 31 août 2010
Séance de rattrapage, 3 : "Je me souviens... que je voulais tout oublier..." - par Sundog
Je me souviens de la douleur dans tout mon corps, à chaque matin, à chaque réveil. Je me souviens que c'était la fin du monde dès que j'ouvrais les yeux. Je me rappelle aussi que l'enfer avait une dimension toute réelle, réaliste même je devrais dire. Je le touchais du doigt tous les jours, avec tout le corps même dans mon sommeil peu paisible. Je me souviens que le temps n'a jamais changé ma vision des choses, mais que la promiscuité tuait autant qu'elle sauvait mon corps. Mon esprit a toujours su se libérer de toutes les prisons qu'on lui proposait, parfois trop. Mais jamais des siennes. Je me souviens qu'il était l'heure de partir mais que j'ai décidé de rester au dernier moment. Je me souviens aussi qu'il y avait des géraniums en train de mourir au soleil sur le balcon. Le petit chat dans mes pattes. Le petit chien cherchait à jouer avec lui mais le petit chat l'ignorait faussement avec un dédain assez magnifique. Je me souviens des deux enfants de ma meilleure amie, qui s'insultaient avec une vulgarité dont j'ignorais même l'existence à leur âge. Je me souviens surtout de la passivité de mon amie. Je me souviens que j'ai pensé : "comment a-t-elle pu elle-même devenir ainsi ?". Et de ces autres enfants qui criaient tous les soirs, avec leurs parents exaspérés de l'autre côté du mur parce qu'ils refusaient de faire leurs devoirs. De l'entente entre mes sœurs jumelles qui excluait tout le reste du monde et qui continue de le faire. Je me souviens de la première fois que j'ai ressenti enfin la possibilité d'une solitude comme une indépendance sur le monde, chèrement gagnée. Mais je me souviens surtout qu'après ça j'ai vite déchanté. Mes illusions me faisaient du mal, au corps, chaque matin, chaque soir. A chaque réveil. Le cœur en vrille. Le cœur qui valsait. Pas tout à fait encore pour sa dernière danse, alors que c'est potentiellement, à chaque instant, sa dernière danse. Je me souviens que je l'aurais bien embrassée, fût une époque, cette dernière danse, ce dernier coup de tambour. Je me souviens que c'était la fin du monde aussi dans l'enseignement qu'on me donnait, et que les adeptes la souhaitaient, non pas par goût de destruction mais par soif de renouveau. Comme les premières fleurs (des roses) remises à ma mère pour son cancer du sein. J'aurais aimé ne pas avoir tellement peur de la perdre. Je me souviens à l'époque je croyais qu'on ne perdait jamais rien, enfin je ne le croyais pas, je l'expérimentais et là c'était fini. Comme le cinéma et le sucre. Je me souviens de la première fois où j'ai entendu le générique des X-Files, d'autant plus impressionnant que j'avais encore le droit de regarder cette série inconnue alors. Mes parents n'avaient pas encore découvert la violence à la télévision. Je me souviens du choc de l'accident. Ma tête qui a frappé la vitre et la douleur ensuite, sourde. Mes oreilles bourdonnaient. Du sang en coulait. Et aussi de ma bouche et de mon nez. Les pompiers m'ont dit : "un miraculé". Le médecin du SAMU m'a dit : "t'es un dur toi". Alors que non, un coup de vent et j'ai une hépatite. Je me souviens aussi des faux sourires. Des places de cinéma trop chères. Des lettres jetées à la poubelle. Celles qui ont été brûlées comme pour en exorciser les hypothétiques démons qui s'y trouvaient. Je me souviens que je voulais tuer le plus grand nombre de souvenirs. Comme à la guerre on tue des hommes et des femmes, et des enfants, ainsi que des chevaux et parfois des soldats pas que des civils. De la pêche à l'été jusqu'à ce livre de David Lynch qu'un homme au grand coeur a su m'offrir un jour. Tuer Tout. Et que j'ai lâchement quitté ensuite, cet homme au grand cœur comme je n'en ai plus vu depuis. Je me souviendrai toujours de ce qu'il a pu m'apporter, comme une renaissance après l'enfer de tous les jours. Mais on perd un peu chaque jour pour pouvoir, finalement, être affuté comme une lame, à l'intérieur. De plus en plus, normalement, si tout se passe bien, on ne devient pas des Rois et des Reines en un seul jour. Rome s'est construite en plusieurs. Pour quel résultat... Mystère ! Mais tout va bien se dérouler je pense à partir de maintenant. Normalement. Si, ça va aller, d'autant plus que je me souviens de l'escalade, de la piscine, de Paris aussi, comme c'était difficile de vivre au rythme des Parisiens, de ces gens qui regardaient cet enfant trisomique 21, parce qu'il criait après une femme au visage émacié qui tentait de le calmer, des hommes d'affaires pressés par l'air du temps, un téléphone sur l'oreille, des clochards à la gare qui m'ont demandé pourquoi j'avais des yeux si noirs... Et se réveiller et pleurer parce qu'on le fait et qu'il ne reste que ça à faire. Pleurer et pas pour de faux ! On a ouvert les yeux. Et on l'a fait, encore, on s'est réveillé alors qu'il ne fallait pas ! Pleurer parce que c'est la seule réponse à donner, à renvoyer au monde, qui, de toute façon, n'en mérite pas tant. Économisons nos larmes pour les gens qui en valent la peine, le monde n'est pas une personne intéressante tous les jours. C'est pas comme les civils et les chevaux. De toute façon, je me souviens surtout de ces siestes d'après-midi, pendant l'enfance, entre rêve et conscience, où le souvenir n'avait aucune importance, juste l'absence au monde. L'absence temporaire. Imparfaite car le corps encore là. Je me souviens qu'à l'adolescence je voulais tout oublier de mon ancienne vie. Mais en réalité, je luttais de toute mes forces envers le désir contraire, qui était de me souvenir, de me souvenir pour toujours et de la totalité du Tout, Avec Force, même de ma naissance. Plus spécifiquement, de ce qui avait eu lieu avant.
Remonter le Temps, voilà ce que je pourrais dire à l'adolescent dans le miroir : souviens toi si cela chante à tes oreilles. Et puis laisse.
Inscription à :
Articles (Atom)