Ces jours-ci, Babelio me signale qu'une personne a laissé un commentaire au sujet d'un de mes livres, Les Brutes en blanc.
Voici ledit commentaire :
"Ce documentaire date un peu mais il reste terriblement d'actualité malgré tout.
Je suis (et j'ai toujours été) gênée par le coté démago de Winckler, mais je suis malgré tout convaincue que son analyse est fouillée et réaliste !
Je suis admirative de la toute dernière partie dans laquelle il expose clairement ce qu'il faut faire si on a subi de la maltraitance médicale.
Je pense que c'est un livre à lire !"
J'ai été frappé par le paradoxe qui consistait pour cette lectrice, en quatre phrases, à dire du bien de mon livre et de son contenu et, en même temps, via un commentaire subjectif fait "en passant", à me (dis)qualifier en m'affublant d'un "côté démago".
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Ce n'est pas la première fois qu'on me taxe (ou l'un de mes livres) de "démago" ou "démagogique".
Une nouvelle fois j'ai décidé d'écrire à la lectrice qui avait laissé le commentaire sur Babelio pour lui demander de préciser sa pensée.
Merci pour ce commentaire. Pourriez-vous cependant préciser ce que vous entendez par "le côté démago de Winckler" ? Depuis le temps qu'on me dit que mes livres sont "démago", personne n'est en mesure de définir le mot et ce qu'il sous-entend, exactement. Peut-être le pourrez-vous ? Dans cette attente, merci d'avoir pris le temps de me lire.
La réponse n'a pas tardé. Le lendemain, la lectrice répondait :
Bonjour. J'avoue que je ne m'attendais pas à me confronter directement à vous, même si ça ne change rien à ce que je ressens fondamentalement?
J'ai cherché la définition de démagogue avant d'écrire mon commentaire, pour être sûre que c'était bien le bon mot?
Sur le site de linternaute (https://www.linternaute), il est écrit que « Une personne ou un propos démagogue fait preuve de démagogie [sic], c'est-à-dire une stratégie politique visant à flatter l'ego et les émotions d'un groupe de personnes, dans les buts de gagner leur approbation et de renforcer sa propre popularité ».
Ce qui me met mal à l'aise quand je lis vos livres (en plus de celui-ci, j'ai lu « La maladie de Sachs » et « Le Choeur des Femmes »), c'est le sentiment que vous faîtes votre éloge d'un bout à l'autre, que vous avez besoin de plaire au lecteur. Ce que je traduis, peut-être à tort, par une attitude démagogue.
Ça n'enlève rien à l'intérêt de vos livres, mais je suis gênée par la forme.
Avec tout mon respect
J'ai répondu à mon tour :
Votre perception est parfaitement respectable. Je regrette que cette perception ("J'ai besoin de plaire au lecteur".) vous détourne du contenu des livres et de leur objectif. Sachez que ce n'est pas la perception de l'immense majorité des lectrices. Merci de m'avoir répondu.
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A présent, je suis encore plus perplexe. Elle a cité la définition du mot "démagogue" à laquelle je pensais aussi (et que j'avais prise en référence il y a presque quinze ans), mais au lieu de préciser en quoi elle trouve que je suis "démago", elle déclare que même si "mes livres ont de l'intérêt" et que "Les Brutes en blanc est d'actualité et sa description réaliste", elle pense que je "fais mon propre éloge" et que je veux "plaire au lecteur"...
On est donc passé de "Vous flattez l'égo et les émotions d'un groupe de personnes" à "Vous flattez votre propre égo".
Son "Vous faites votre propre éloge", je ne le comprends pas bien non plus. Si je racontais ma propre vie, encore ! J'aimerais bien, mais je suis loin d'avoir vécu tout ce que vivent mes personnages, hélas... Si cette lectrice prend mes romans pour de l'autofiction, désolé, ça n'en est pas. D'ailleurs, je n'écris jamais en voiture.
Par ailleurs, je regrette mais j'ai pas encore rencontré d'écrivant(e) qui cherchait à déplaire aux lectrices... Par principe, j'écris d'abord pour me faire plaisir, en espérant que ça fera plaisir aux autres, et quand ça leur plaît, ça me fait encore plus plaisir. En cela, je crois, je suis un auteur tout à fait conventionnel.
Allons, loin de moi l'idée de jeter la pierre à cette lectrice de Babelio. Je suis sincère : j'apprécie qu'elle ait pris le temps de me répondre.
Et à vrai dire, je lui suis reconnaissant de me donner cette occasion d'écrire ce que je pense de ce terme/reproche récurrent de "démago".
D'un point de vue général, il est toujours plus simple de dénigrer/disqualifier une autrice ou un auteur en disant qu'iel "a plagié" (Marie Darrieussecq a écrit à ce sujet un excellent livre, Rapport de police) ou qu'iel est "démago" ou "manichéen" que de parler du fond du problème - c'est à dire, du contenu des livres et de leur signification.
La (dis)qualification n'a que des avantages : elle évite d'avoir à argumenter, elle se contente d'accuser, de libeller, de médire et, somme toute, de salir.
La (dis)qualification ne dit rien, elle cherche à noyer le poisson. Enfin, l'autrice ou l'auteur. Et elle masque complètement l'absence d'arguments de la personne qui l'énonce.
Mais quand un terme particulier ("démago") revient régulièrement dans la bouche de certain(e)s, la moindre des choses consiste à l'entendre, voire à le recevoir et, pourquoi pas, à l'accepter, et l'embrasser.
Alors, voilà, je le dis haut et fort : je suis démago et je le revendique !
Si écrire beaucoup (romans, essais, pamphlets, manuels pratiques...) et sur des sujets variés (et pas forcément "intellectuels") est démagogique, alors oui, je suis démago. Et je m'en félicite : je gagne ma vie grâce à ça. Il y a des métiers moins honorables. D'autant que personne n'est obligé de me lire, ni même de payer pour me lire (les bibliothèques sont faites pour ça).
Si prendre la défense de la médecine générale (La Maladie de Sachs), de l'aide médicale à mourir (En souvenir d'André) et d'une formation soignante centrée sur la bienveillance et le soutien des personnes soignées (Les Trois médecins, L'Ecole des soignantes) est démagogique, alors oui, je suis démago. Et je n'ai pas honte de l'être : ce sont les valeurs auxquelles je crois. Mais en tant que discours politique c'est pas très efficace : je n'ai encore été élu nulle part. Ni été coopté pour être conseiller d'un ministre de la santé.
Si écrire ce que je pense, crois et dénonce (en particulier : qu'une grande partie du corps médical maltraite la population - à commencer par les femmes) est un propos démagogique, alors oui, je suis démago. Et je ne m'en cache pas : je le dis et je le pense depuis... cinquante ans, au bas mot. (On peut donc à juste titre me reprocher d'être monomane.)
Si donner aux femmes une information de santé utile et pratique (Contraceptions mode d'emploi, Tout ce que vous vouliez savoir sur les règles, C'est mon corps) est démagogique, alors oui, je suis démago. Et je ne le regrette pas : en trente ans, je n'ai pas reçu une seule lettre (ou entendu une seule déclaration) de lectrice me disant que l'un de mes textes lui avait pourri la vie.
Si employer le féminin générique ou l'écriture inclusive, ou parler de soignantes, d'écrivantes et de lectrices pour désigner des groupes majoritairement féminins est démagogique, alors oui, je suis démago. Et je persiste et signe. Et si ça en défrise certains (surtout des hommes), ça me fait bien marrer.
A moins.... à moins que le problème ne soit là, justement.
"Le Winckler, il arrête pas de caresser les femmes dans le sens du poil. Forcément, y'en a qui tombent dans le panneau. Ca leur fait plaisir. Mais son féminisme à la petite semaine, c'est que de la démagogie ! Ce qu'il veut, au fond, c'est les séduire, le salaud !!! "
Bon sang, mais c'est bien sûr !!!
Un homme, médecin, écrivant, qui prend fait et cause pour les femmes (sans oublier les personnes LGBTQI A+, les personnes handicapées, les personnes racisées, migrantes et immigrées et toutes les personnes soumises à l'arbitraire médical, en général...)
un type qui hypnotise de ses paroles, écrits et fictions doucereuses toutes ces personnes fragiles, naïves et innocentes, faciles à manipuler et qui ne savent pas faire la différence entre une information fiable, un discours critique et une manoeuvre de séduction,
ce type ne peut juste pas être sincère. Il a certainement de (sales) idées derrière la tête.
Et donc, un (sale) type pareil, c'est sûrement un démago. Là !
Marc Zaffran/Martin Winckler