Dave a écrit :
La plupart de vos romans ont des aspects politiques (ou, plus généralement, comprennent des commentaires, sur la médecine, les rapports homme-femme, les rapports de domination, les rapports sociaux). Est-ce que vous vous dites, au moment de vous lancer: voilà, telle ou telle question est une question politique importante, et je voudrais l'aborder spécifiquement ? Ou est-ce que vous vous dites: je me lance dans mon histoire et, me connaissant, les observations politiques "remonteront" spontanément à la surface, au cours du récit? En gros, quelle est la part d'intentionnalité dans votre intervention politique?
La plupart de vos romans ont des aspects politiques (ou, plus généralement, comprennent des commentaires, sur la médecine, les rapports homme-femme, les rapports de domination, les rapports sociaux). Est-ce que vous vous dites, au moment de vous lancer: voilà, telle ou telle question est une question politique importante, et je voudrais l'aborder spécifiquement ? Ou est-ce que vous vous dites: je me lance dans mon histoire et, me connaissant, les observations politiques "remonteront" spontanément à la surface, au cours du récit? En gros, quelle est la part d'intentionnalité dans votre intervention politique?
Je commence toujours par l'histoire. J'ai
envie de raconter de bonnes histoires. J'ai entendu John Ford et Jean Gabin
faire la même réponse à des gens qui leur demandaient ce qu'il fallait pour
faire un bon film. Ils répondaient "Il faut trois choses : 1° une bonne
histoire, 2° une bonne histoire et 3° une bonne histoire".
J'ai des ambitions littéraires démesurées,
comme tout le monde, mais en pratique, j'essaie modestement de raconter des
histoires intéressantes - j'entends : surprenantes, imprévisibles par le
lecteur, marrantes, avec des rebondissements, etc. Bref : des histoires que je ne vais pas m'ennuyer à écrire, car j'aurais horreur de m'ennuyer à les lire !
Alors c'est la narration qui doit primer, pas le "message politique", qui est toujours encombrant si on essaie de construire l'histoire autour. Et je pense que ma manière de voir le monde conditionne le type d'histoire que j'ai envie d'écrire (comme ça conditionne le type de films ou de livres que je préfère lire ou voir).
Alors c'est la narration qui doit primer, pas le "message politique", qui est toujours encombrant si on essaie de construire l'histoire autour. Et je pense que ma manière de voir le monde conditionne le type d'histoire que j'ai envie d'écrire (comme ça conditionne le type de films ou de livres que je préfère lire ou voir).
Alors,
même si je peux me mettre dans la manière de penser d'un personnage que je
considère comme "négatif" (LeRiche ou Mathilde dans Les Trois Médecins, les médecins
crapuleux de mes polars ou la Djinn du début du Choeur des femmes) je ne peux pas vraiment défendre des idées
auxquelles je n'adhère pas. Je suis donc à peu près sûr que, sauf mauvaise
interprétation - et encore ! - mes "valeurs" (politiques,
personnelles, émotionnelles, sexuelles, que sais-je ?) vont se manifester et
"sortir" à l'écriture... Vu la manière dont mes livres sont reçus
depuis 20 ans, je suis à peu près sûr que c'est le cas : même La Vacation (où il est quand même dit
clairement que l'avortement est douloureux pour tout le monde) n'a pas été
repris comme flambeau par les anti-avortements... C'est donc que ma position à
ce sujet est très claire...
C'est d'ailleurs pour la même raison, je
crois, que lorsqu'on pose cette question aux scénaristes de films ou de séries
("Quel message vouliez-vous faire passer ?") ils ouvrent de grands
yeux. Ils ne veulent pas faire passer de message à priori. Ils veulent raconter
une bonne histoire. Et leurs valeurs vont inévitablement s'y trouver,
puisqu'ils l'écrivent, cette histoire !!!
Pour revenir à votre question, je ne
me pose pas vraiment la question du "politique" quand j'écris. Je
sais que sous une forme ou sous une autre, à l'occasion de telle ou telle
situation ou de telle ou telle scène, ça dira quelque chose de "politique".
Quand, dans Le Choeur des femmes, (j'ai déjà parlé de ça sur ce blog, désolé de
la répétition) Karma fait monter Djinn sur la table de gynéco pour lui montrer
ce que ça peut avoir de menaçant et d'humiliant, bien sûr, la plupart des
lectrices le savent, je ne leur apprend rien. Mais ça fout Djinn en colère et,
comme elle représente les femmes prises dans et par le machisme mais qui
souffrent d'être tiraillées entre ce machisme professionnel et leur féminité,
elle veut comprendre où il veut en venir... et Karma répond que faire écarter
les cuisses aux femmes, c'est pas du tout obligatoire. On peut les examiner,
leur poser un DIU, leur faire un frottis ou les faire accoucher sur le côté.
C'est un fait médical simple, mais c'est politique aussi, je pense.
Alors, bien sûr, ça a frappé beaucoup de
lecteurs/trices, cette scène (et ses prolongements plus tard, dans l'attitude
de Djinn avec Céline, sa "protégée", puis dans le texte/manifeste
militant qu'elle écrit un soir de colère) et c'est cette prise de conscience
qui m'a permis de faire passer l'idée que l'humiliation n'est pas indispensable
pour soigner. Et que si on peut examiner les femmes sans les humilier, on peut toujours soigner sans humilier. J'aurais
pu le dire en deux phrases, comme ici, mais est-ce que les lectrices l'auraient
"internalisé" de la même manière ? Je ne crois pas.
Cela dit, au moment de l'écriture j'ai eu envie
d'écrire la scène comme ça, sans me poser la question de savoir ce qu'elle
signifiait. Et pour tout vous dire, je ne l'analyse qu'aujourd'hui, en écrivant
ceci. Parce que fondamentalement, je voulais faire "une bonne scène",
et je crois que, narrativement parlant, ça l'était. Message ou pas message. Parce
que, des histoires de médecin chef qui oblige ses étudiant(e)s ou ses internes
à coucher avec lui, il y en a des flopées dans les hôpitaux français mais je ne
crois pas avoir jamais vu ou lu une scène dans laquelle un médecin-chef fait
monter un de ses internes sur une table de gynéco pour lui
montrer à quel point ça peut être humiliant d'obliger les patientes
à faire ça !
En un sens, c'est une scène qui parle à la fois du respect dans la relation de soin, et du respect dans la relation d'affection (ou d'amour), puisque la scène de la table se reproduit à la fin du roman, en écho à la première scène, en montrant le chemin parcouru par les deux personnages : Djinn va volontairement voir Karma en consultation mais, quand elle monte sur la table, ça ne se passe pas comme elle s'y attend.
En fait, en écrivant ça, je me rends compte à quel point je suis vieux-jeu : je n'ai pas abandonné l'idée des années 60 selon laquelle le sexe, c'est éminemment politique.
En fait, en écrivant ça, je me rends compte à quel point je suis vieux-jeu : je n'ai pas abandonné l'idée des années 60 selon laquelle le sexe, c'est éminemment politique.
Il y a des scènes de sexe ou des scènes
d'amour dans mes romans, mais elles ont toujours une fonction dans la
narration, ce n'est pas comme la plupart des scènes de sexe dans les films...
Dans Les Trois médecins, Bruno écrit
une nouvelle pornographique dans laquelle une visiteuse médicale va baiser un
grand patron dans son bureau. Il la fait lire au "comité de lecture"
de sa revue d'étudiants et ça fait des remous (on est à l'époque du féminisme
montant). Certains le trouvent sexiste, d'autres disent que c'est un texte
"à la Bataille" qui parle de l'aliénation d'une femme qui sert les
intérêts de l'industrie en vendant son corps pour tenir un médecin par la queue.
D'autres haussent les épaules : "Ouais, le Bruno, il a juste voulu nous en
foutre plein la vue..." Bref, le texte est discuté à l'intérieur du roman.
En fait, j'avais écrit la nouvelle bien
avant de me lancer dans l'écriture du roman, mais je ne l'avais jamais publiée.
Je ne voyais pas très bien quoi faire de cette nouvelle "toute nue".
Si je la publiais seule, c'était la description d'une séance de sexe entre une
quasi-prostituée et un type important dans son bureau. La chute résidait dans
le fait qu'à la fin, on comprenait que c'était une visiteuse médicale. C'était
une métaphore de la profession de VM, mais ça pouvait être ressenti comme
insultant par des femmes qui font cette profession pour gagner leur croûte, un
point c'est tout. Et le texte ne prouvait rien, sinon que je savais écrire des
textes pornographiques.
Mais quand j'ai eu l'idée de l'insérer à l'intérieur du
roman, dans un contexte particulier, ça devenait un texte qui permettait
plusieurs niveaux de lecture. Autrement dit, juste après le chapitre où la
nouvelle est retranscrite, son analyse par les personnages avait plusieurs
fonctions : idéologique (les manipulations du corps (!) médical par l'industrie
et l'aliénation des femmes qui sont utilisées par l'industrie à leur insu),
narrative (ça dit quelque chose sur Bruno-l'écrivain-en-herbe et sur ses
camarades), historique (ça rend compte du type de débat qu'on avait à l'époque,
avec une pointe d'ironie), esthétique (je voulais effectivement voir si – et
montrer que –je pouvais écrire un texte pornographique) et autocritique (je
soulignais qu'il était impossible de dire si j'avais écrit le texte avec une
intention politique ou simplement avec l'envie de me faire plaisir et de choquer
par la même occasion...).
À l'opposé, il y a des scènes toutes simples qui donnent lieu à de parfaits malentendus... Dans Mort in vitro, à un moment donné, il y a une fête à la préfecture de Tourmens. Charly Lhombre, l'un des deux personnages principaux, qui a été invité à la fête mais s'y rend un peu contraint et forcé car il a horreur des pince-fesses, ouvre une porte et se trouve face à une scène de partouze. Un présentateur de reality-shows et un gynécologue marron sont en train de s'envoyer en l'air sur un canapé dans des postures invraisemblables avec deux femmes, sous le regard du grand patron d'une multinationale du médicament qui les reluque, un scotch à la main, assis sagement dans un fauteuil empire.
Quand Charly voit ça, ça le fait marrer, il referme la porte sans bruit et il passe à autre chose (parce qu'il s'en fout).
Contrairement à la nouvelle de Bruno, qui occupe plusieurs pages des Trois médecins, la scène de partouze prend
dix lignes dans Mort in vitro, mais
quand une classe de lycée a lu ça, les élèves m'ont demandé pourquoi j'avais
mis une scène de "porno" dans un roman, alors que cette scène (de
leur point de vue) ne servait à rien. Et je leur ai expliqué que la scène (le
tableau, car c'est une sorte de scène "gelée") en question était une
métaphore : " Médecine et Médias forniquant ensemble sous les yeux de
l'Industrie et les ors de la République". Evidemment, ils n'avaient pas vu
ça, mais personne ne peut le leur reprocher, c'était un clin d'oeil ironique,
et une manière détournée de faire un political
statement sans avoir besoin de... m'étendre. (Haha.) Eux, et c'est bien
naturel, ils avaient tout bonnement vu une scène de sexe. Ca ne m'a pas gêné :
encore une fois, ça ne prend que dix lignes du texte, ça peut donc être oublié
très vite.
En revanche, un des premiers lecteurs du
manuscrit de Mort in vitro m'a appelé,
très en colère, en me disant "Je ne comprends pas pourquoi tu dis que les
partouzes, c'est vraiment que pour les riches et les pourris !!! C'est vraiment
un sale préjugé !!!"
Et ça, ça m'a fait beaucoup rire, parce que
lui non plus n'avait pas vu la métaphore. Il avait vu une sorte d'amalgame entre
le sexe de groupe et les puissants... alors que ce que les gens font de leur
sexualité, c'est leur affaire, à mon avis, et tant que personne ne brutalise ou
ne tue personne, je n'ai rien à en dire et pas de jugement à porter. Ce qui
m'intéressait dans ce "tableau", c'est l'incongruité du lieu et les
personnages qui le composent. Pas la sexualité de groupe !
Tout ça pour dire que l'intention politique
peut être là, sous une forme démonstrative ou légère, mais qu'on ne la voit pas
toujours pour ce qu'elle est.
Et pour finir : quand j'ai vraiment envie
d'aborder de front une question politique qui me paraît importante, j'écris un
texte politique, un manifeste, un pamphlet, pas une fiction. C'est cela la beauté de
l'écriture : on peut faire ce qu'on veut. La fiction, pour moi (et je ne parle que pour moi), sert à retravailler la confusion des sentiments éprouvés pendant les expériences de la vie. Mais ça n'est pas la seule forme possible. Depuis quelques années, je
me suis mis aussi à écrire des poèmes et des chansons (en anglais, beaucoup)
pour exprimer mes sentiments à l'occasion d'expériences très intimes.
Bref, je pourrais dire que ce qui me pousse vers un texte plutôt qu'un autre, c'est mon humeur, plutôt que le "sujet que j'ai envie de traiter". Quand je suis ému et triste, j'écris des poèmes. Quand je suis amoureux, j'écris des romans d'amour. Quand je suis perplexe, j'écris des romans d'énigme. Quand je suis d'humeur chevaleresque, j'écris un roman épique. Et quand je suis en pétard, j'écris un coup de gueule de douze pages, avec trois tonnes d'exemples, et je le poste sur mon site !!!
M.W.