vendredi 15 juillet 2011

"Cours vite, Alain !" - par S. (Exercice n°18)



« Cours vite Alain ». 

C’était un bel album carré, aux images douces et colorées.  Cours vite ! Page après page, Alain court à perdre haleine, toujours plus vite,  derrière ses frères et sœurs plus grands.  Et quand en nage il les rejoint, eux sont ailleurs, sur l’autre page, devant,  plus loin. Tant à faire, tant à voir ! Pas le temps. Alain, lui, ne voit rien. Il court, court et s'essouffle.  Mais il est encore petit ; il fatigue. Au sommet d’une colline, son lacet s'est défait,  il trébuche dans l’herbe. Il tombe. Il ne se relève pas.
Mais les grands s’impatientent, appellent, reviennent sur leurs pas ; « Lève-toi Alain ! ». Alain se tait. C’est bon d’être si petit, allongé au creux de l’herbe fraîche. Il ne se lève pas. Il ne se lèvera plus, ne courra plus derrière les grands. Il en a décidé ainsi, sans heurt ; sans cri. Avec un doux entêtement de chèvre, il pose son regard sur le monde. Il tient le ciel au bout des yeux. Les grands s’impatientent, ordonnent : « Lève toi ! ». Mais Alain ne bouge pas. Il regarde en silence la course lente des nuages. Les grands se moquent, s’étonnent. Rien n'y fait; Alors, l’un après l’autre ils se laissent tomber. Allongés dans l'herbe, ils regardent les nuages dans le ciel. Immobiles. Silencieux. Au sommet de la colline qui surplombe la ville, Alain n’a jamais été si heureux.
J’ai lu cet album à 10 ans. Je détestais déjà la course. J’aime savourer le temps qui passe. J’aime l’image du rêveur en marge du monde, qui ne se laisse happer ni par la foule, ni par le bruit. J’aime l’image du marcheur qui s’accorde une pause royale. J’aime un temps qui  ne se dévore pas mais s’étire, léger, flottant comme les nuages, un temps que l’on offre, où l’on s’offre, où rien n’a d’importance que le simple fait d’être là. J’aime un temps qui laisse belle la part du rêve, que l’on fait non pas sien, mais soi.
Alain, c’était peut-être moi.

S.