Ma première rencontre avec de vrais écrivains s'est produite au milieu des années 80. J'ai acheté une revue intitulée Nouvelles Nouvelles et j'ai lu dans la présentation qu'on pouvait envoyer des nouvelles inédites. Qu'on n'avait pas besoin d'être un écrivain connu. Qu'ils (je ne savais pas de qui il s'agissait) publiaient des écrivains débutants. J'ai sauté sur l'occasion. J'ai retravaillé (pour la quinzième ? vingtième fois) une nouvelle que j'avais écrite au cours de mes études, et je la leur ai envoyée.
J'attendais une acceptation ou un refus, et j'ai reçu... une lettre de Claude Pujade-Renaud (la co-directrice de la revue) me disant qu'il fallait que je retravaille ma nouvelle. Je venais juste d'avoir le téléphone, et j'ai la phobie du téléphone. Je l'ai appelée et je lui ai demandé "Il faut que je retravaille quoi, exactement ?" Elle ne voulait pas me répondre, mais comme j'insistais elle m'a expliqué que deux ou trois pages au milieu de la nouvelle constituaient une digression qui nuisait à la lecture et qu'il valait mieux que je la retire et en fasse une autre nouvelle. J'ai soupiré de soulagement. Je pensais qu'elle allait me dire de tout réécrire ! J'ai procédé à l'amputation demandée (ça ne m'a pas fait mal, j'étais trop excité pour sentir la moindre douleur...), j'ai fait les sutures pour que rien ne se voie, et j'ai renvoyé le texte.
Spectacle Permanent a donc été ma première nouvelle de littérature publiée dans une revue de littérature. Les deux personnes qui avaient créé Nouvelles nouvelles, Claude Pujade-Renaud et Daniel Zimmermann, étaient tous deux écrivains, ils vivaient ensemble, ils avaient enseigné ensemble, ils écrivaient aussi beaucoup ensemble, se relisant et se critiquant, mais composant aussi ensemble certains de leurs livres.
Claude a publié en alternance des romans (La danse océane, Belle-Mère, Le sas de l'absence, Platon était malade, La nuit la neige, Le jardin forteresse, Le désert de la grâce) et des recueils de nouvelles (Vous êtes toute seule ? ; Un si joli petit livre ; La châtière) et bien d'autres, pour la plupart chez Actes Sud.
Daniel a écrit de nombreux romans, de La Garderie à l'Ultime maîtresse, en passant par un grand cycle intitulé "Les Banlieusards" ; il était nouvelliste lui aussi et a de plus écrit deux grandes biographies, d'Alexandre Dumas et de Jules Vallès.
Ensemble, ils ont publié des livres de pédagogie (en particulier sur le "langage silencieux" des élèves et des enseignants en classe), des livres pour enfants, des ouvrages autobiographiques (Les écritures mêlées, Duel) et un roman érotico-satirique sur le monde universitaire français, Septuor.
Bref, ils n'ont pas perdu leur temps. Tout ça, en découvrant des auteurs nouveaux avec leur revue, qui parut de 1985 à 1992 et reste à ce jour la plus grande revue exclusivement consacrée à la nouvelle en France au 20e siècle.
Daniel est mort en 2000 et il me manque beaucoup. Claude et lui ont été, d'emblée et très vite, mes "parrains" - et pour ainsi dire mes parents - en écriture. J'ai lu compulsivement ce qu'ils avaient écrit avant que je les rencontre, et tout ce qu'ils ont écrit ensuite (ou presque) et ils sont des figures récurrentes dans mes livres : on les voit apparaître sous les noms inversés de Danièle et Claude dans La Maladie de Sachs ; le personnage récurrent d'Angèle Pujade est bien sûr partiellement modelé en pensant à Claude et dans Le Choeur des femmes, le maître d'arts martiaux qui enseigna l'aïkido à Jean Atwood, Enzo, a pour moi le visage de Daniel, qui était lui aussi maîtres en arts martiaux.
De même que mon père incarne à mes yeux le "médecin modèle" (j'en parle abondamment dans Plumes d'Ange, qui est sa biographie et dans Les Trois Médecins à travers le personnage d'Abraham Sachs, le père de Bruno), Claude et Daniel incarne à mes yeux les "écrivains modèles" que j'ai eu la chance de rencontrer à l'âge adulte. Adolescent puis jeune homme, j'ai été fortement impressionné par Isaac Asimov et Georges Perec, mais je ne les ai jamais rencontrés. Claude et Daniel m'ont montré qu'écrire, c'était un métier, un mode de vie, une manière de diriger son existence.
Ils m'ont également invité à me joindre ) un groupe constitué par eux-mêmes et quatre autres écrivains : Alain Absire, Dominique Noguez, Michel Host et Jean Claude Bologne. J'étais le "jeune" du groupe et tous ensemble nous avons composé un roman collectif drôle et échevelé intitulé L'affaire Grimaudi - un roman d'énigme autour d'un écrivain insaisissable. Nos rencontres mensuelles étaient très importantes pour moi, comme on peut l'imaginer. Je me demandais parfois comment ces hommes et cette femme, qui avaient tous déjà une carrière d'écrivain solide, pouvaient trouver le moindre intérêt à ma compagnie. Mais cette pensée, je le sais, ne venait que de moi. J'étais plus jeune qu'eux, certes, mais manifestement, aucun d'eux n'avait oublié qu'il avait un jour, eu mon âge et mon inexpérience.
Quand j'étais encore médecin de campagne, un jour, Daniel me demande combien d'heures j'écris par jour. Je réponds en riant que je n'ai pas beaucoup le temps d'écrire, avec un cabinet médical, des enfants... Il me dit "Mais si tu veux être écrivain, il faut écrire dix heures par jour." J'ai évidemment éclaté de rire : j'en étais bien loin. Je pouvais tout juste taper quelques pages le soir quand je n'étais pas trop crevé (et si j'avais investi dans un ordinateur de bureau, je n'avais pas du tout les moyens à l'époque de m'offrir un ordinateur portable, car les quelques modèles existants valaient une fortune). Mais sa déclaration m'a ébranlé, quand même. Est-ce que je pourrais jamais être un "vrai" écrivain si je ne travaillais pas dix heures par jour ?
Au moment où il m'a dit ça (probablement quelques temps après la publication de mon premier roman, La Vacation, que Claude et lui ont lu bien entendu avant que je l'envoie à des éditeurs, et pour lequel ils m'ont donné de précieux conseils et de non moins précieux encouragements) j'étais encore médecin généraliste à temps plein, et loin de m'imaginer que quelques années plus tard (à partir de 1993) je serais généraliste à temps partiel et traducteur à temps plein, toujours aussi incapable d'écrire dix heures par jour.
Mais j'écrivais quand même. Entre deux commandes alimentaires (articles, traductions médicales ou de comic-books). De manière "semi-clandestine". Pendant cinq ans, j'ai écrit petit à petit un deuxième roman. A la fin, il faisait 500 pages bien serrées, trois fois le volume de La Vacation. Il s'est d'abord intitulé Les Relations. Puis La relation. Puis enfin, parce que ce dernier titre était déjà utilisé, La maladie de Sachs.
Je n'ai pas travaillé dix heures par jour quand je l'écrivais - enfin, peut être que si, à la fin... - mais à force d'après-midi ou de week-end volés à mes tâches mercenaires, le résultat était là.
Depuis qu'il a été publié, je ne traduis plus. Et j'écris parfois dix ou douze ou quinze heures par jour.
Les Trois Médecins a été écrit en quatre mois. Le temps que Dumas a pris pour publier Les Trois Mousquetaires en feuilleton dans un quotidien. Le Choeur des femmes (610 pages...) a été presque entièrement rédigé entre le 1er mars 2009 et le 15 mai 2009.
Est-ce qu'il faut écrire dix (ou quinze) heures par jour pour être écrivain ? Non, bien sûr. Il n'y a pas de règles. C'était vrai pour Daniel, pour des raisons qui lui étaient propres, ça n'est pas vrai pour tout le monde.
Mais en ce qui me concerne, je sais que je peux écrire quinze heures par jour. Et que c'est dans les moments de plus grande euphorie insomniaque que je travaille le mieux...
dimanche 30 août 2009
"Autorité"
Libé m'a demandé d'écrire "ma semaine" pour la publier dans le numéro de ce jour, 29 août 2009. Evidemment, le texte n'est accessible que dans la version papier, alors je ne sais pas de quoi il a l'air (ni s'ils y ont fait des ajustements ou des coupes). Bien que le papier paraisse le lendemain de la sortie officielle du Choeur des femmes je ne parle pas du bouquin dans le papier. J'aurais peut-être dû, mais j'ai toujours trouvé immodeste de parler de mes livres (comme s'il s'agissait de "hauts faits") quand on ne m'a pas posé de questions. C'est sans doute pour ça que je n'ai pas fait de blog littéraire jusqu'ici. Ce soir, j'avais à dîner mon neveu (le fils de mon frère) qui vient étudier à McGill, l'université anglophone de Montréal. Il a fait ses études en Angleterre et en Australie et m'expliquait qu'il avait suivi les cours de spécialistes mondiaux de certains sujets de relations internationales. Et que ces profs disaient aux étudiants : "Lisez tel ou tel de mes livres/articles."
Ca m'a rappelé que je dois assurer un enseignement pendant 15 semaines cet automne (à partir du 17 septembre) et aussi assurer un cours d'éthique de trois heures dans le cadre de l'enseignement de Daniel Weinstock, le directeur du CREUM où je suis chercheur actuellement.
Daniel m'a dit : "Si tu veux leur donner à lire des extraits de tes livres, n'hésite pas."
Et ce soir, je me suis dit qu'il fallait peut-être que j'admette, dans une certaine mesure, d'être devenu, que je le veuille ou non, une sorte de "spécialiste" de la relation de soins et de son éthique, au travers de mon travail d'écrivain. C'est étrange parce que je n'ai jamais vu mes romans comme un travail de recherche scientifique - plutôt comme un travail de composition artistique - mais d'un autre côté, il ne viendrait à personne l'idée de dire qu'une production artistique n'a pas de valeur pédagogique ou morale...
C'est drôle comme on est compartimenté, finalement. Mais en ce qui me concerne, cette pudeur à ne pas mettre mes textes en avant comme étant ceux d'un "expert", d'une "autorité" ne relève pas d'une sorte de fausse modestie, mais de la peur d'être perçu comme un usurpateur, quelqu'un qui est indigne de ce qu'il prétend être.
Je me demande d'où ça vient, mais ça vient de loin.
Longtemps, après même avoir été "reconnu" par le lectorat de la Maladie de Sachs, j'ai eu du mal à dire que j'étais écrivain.
En fait, je pense que pour pouvoir dire ce genre de chose, il ne faut pas que j'ai le sentiment d'être une "autorité", mais celui d'y être "autorisé". Et stricto sensu, l'autorisation ne peut venir que des lecteurs...
Ca m'a rappelé que je dois assurer un enseignement pendant 15 semaines cet automne (à partir du 17 septembre) et aussi assurer un cours d'éthique de trois heures dans le cadre de l'enseignement de Daniel Weinstock, le directeur du CREUM où je suis chercheur actuellement.
Daniel m'a dit : "Si tu veux leur donner à lire des extraits de tes livres, n'hésite pas."
Et ce soir, je me suis dit qu'il fallait peut-être que j'admette, dans une certaine mesure, d'être devenu, que je le veuille ou non, une sorte de "spécialiste" de la relation de soins et de son éthique, au travers de mon travail d'écrivain. C'est étrange parce que je n'ai jamais vu mes romans comme un travail de recherche scientifique - plutôt comme un travail de composition artistique - mais d'un autre côté, il ne viendrait à personne l'idée de dire qu'une production artistique n'a pas de valeur pédagogique ou morale...
C'est drôle comme on est compartimenté, finalement. Mais en ce qui me concerne, cette pudeur à ne pas mettre mes textes en avant comme étant ceux d'un "expert", d'une "autorité" ne relève pas d'une sorte de fausse modestie, mais de la peur d'être perçu comme un usurpateur, quelqu'un qui est indigne de ce qu'il prétend être.
Je me demande d'où ça vient, mais ça vient de loin.
Longtemps, après même avoir été "reconnu" par le lectorat de la Maladie de Sachs, j'ai eu du mal à dire que j'étais écrivain.
En fait, je pense que pour pouvoir dire ce genre de chose, il ne faut pas que j'ai le sentiment d'être une "autorité", mais celui d'y être "autorisé". Et stricto sensu, l'autorisation ne peut venir que des lecteurs...
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