samedi 18 décembre 2021

Quand les écrivains sont-ils "bons" ? - par Marc Zaffran/Martin Winckler


L'autre jour, je parlais avec une éditrice qui me demandait quelles sont les caractéristiques d'un "bon médecin" et d'un "bon écrivain". 

Je lui ai répondu que le mot "bon" me posait problème. Car si je répondais de but en blanc à cette question, ça voudrait dire que je sais (ce) qui est "bon" et (ce) qui est "mauvais", alors que je sais seulement ce que j'aime et ce que je n'aime pas. 

Comme l'écrivait Roland Barthes "J'aime, je n'aime pas, ça veut seulement dire : Mon corps n'est pas le même que le vôtre." (dans Roland Barthes par Roland Barthes - Seuil, coll. "Ecrivains de toujours")

Cela dit, on me demande aussi souvent quels sont les liens (les ressemblances) entre le soin et l'écriture. Et parce que je connais un peu l'une et l'autre, il me semble qu'il y a surtout des différences concrètes considérables. 

Je m'explique. 

Le soin, ça consiste à faire en sorte qu'une personne aille mieux après vous avoir vu ; ça se fait à deux, par définition. C'est un processus interactif, coopératif, entre deux personnes, parfois plus. Ce n'est pas quelque chose qu'on décide de faire seul.e : il faut que la soignante soit sollicitée par la personne soignée, un membre de la famille ou par les circonstances (en cas d'accident, par exemple). 

On n'impose pas le soin, on le propose et la personne l'accepte ou non. Et c'est elle, en principe, qui y met fin. Pas toujours : le refus de soin est malheureusement fréquent ; tous les jours, des personnes se voient refuser des soins pour des raisons plus lamentables les unes que les autres. Et si je conçois que des soignantes harassées et submergées ne puissent pas soigner tout le monde, je ne comprends pas que certains "professionnels" choisissent sciemment de ne pas soigner - voire de maltraiter des personnes qui ne leur plaisent pas. 

Si l'on veut être sûr.e de soigner, on ne peut pas se passer de ce que les personnes qu'on soigne ont à dire, avant, pendant et après les soins. Ce sont elles, et elles seulement, qui disent si, et comment, elles ont été soignées, et si ces soins les ont soulagées. Toute autre perspective est paternaliste. 

On ne peut pas soigner "juste quand on en a envie" ou "quand ça nous arrange". Dans une certaine mesure, la soignante est au service de la personne soignée, même si elle n'est pas à sa disposition en permanence. La demande de soins porte en elle-même une obligation de moyens. Elle a l'obligation (légale, morale) de mette en oeuvre tout ce qu'elle sait pour délivrer les soins appropriés aux personnes qui les demandent. 

Quand on soigne, les gestes de soins, la relation et l'interaction soignante-soignée se déroulent simultanément. On peut dire, dans une certaine mesure, que tant qu'il y a une relation, les soins se prolongent. Parfois même lorsque la relation n'est plus : je me souviens d'avoir entendu des personnes que mon père avait soignées me dire à quel point, longtemps après sa mort, il était encore présent. 

Bref, les repères et obligations éthiques de la soignante sont présentes à chaque moment du soin parce que précisément, il s'agit d'une relation directe, vivante, qui peut persister après la disparition (ou plus simplement l'éloignement) de la relation, mais qui ne dure pas indéfiniment. 

Ecrire est une activité très différente. On écrit souvent seul. On peut éventuellement travailler avec d'autres écrivantes, mais pas, par définition, avec les personnes qui nous liront. Car, quand on écrit un texte, on ne sait jamais à l'avance, à une poignée d'exceptions près (le compagnon ou la compagne, l'éditrice ou l'éditeur, l'équipe éditoriale, quelques ami.e.s proches), qui le lira. 

Une écrivante n'a pas de relation directe avec ses lectrices. Si relation il y a, elle ne s'établit pas entre la lectrice et l'écrivante, mais entre la lectrice et un ou des textes. Les rencontres, toujours possibles, sont le plus souvent très courtes. Même s'il est aussi possible d'échanger par courrier/l avec l'écrivante, ça reste une relation à distance, qui n'a rien d'obligatoire dans sa réciprocité. Et l'ascendant (?) d'un.e écrivant.e sur les lectrices n'a rien à voir avec celui d'un.e soignant.e sur des personnes qui demandent des soins parce qu'elles souffrent. 

Contrairement au soin - dont on peut vérifier l'efficacité ou les insuffisances en même temps qu'on le délivre, en posant la question à la personne concernée - il n'est pas possible d'apprécier les effets de l'écriture pendant qu'on écrit. Il y a aussi de grandes différences dans la manière dont le soin et l'écrit sont reçus. La personne soignée peut interrompre un geste de soin en disant : "Vous me faites mal" et l'amener à changer de procédure. La lectrice peut cesser de lire un texte mais ne peut pas conduire l'écrivante à le changer. (Il arrive que des auteurs ou autrices récrivent un livre longtemps après sa publication, pour une édition nouvelle, mais en dehors des livres scientifiques ou factuels, ce n'est pas fréquent.) 

Une fois que le texte est public, ses effets dépendent exclusivement des perceptions qu'en ont les lectrices. Et ces effets peuvent être ressentis longtemps après, bien au-delà de a durée de vie de l'autrice ou des premières lectrices : il se vend plusieurs dizaines de milliers d'exemplaires de L'Ecume des jours ou des Aventures de Sherlock Holmes chaque année... L'empreinte d'un livre est plus durable que celle de n'importe quelle soignante.

Une soignante ne touche qu'une personne à la fois. Une écrivante peut en toucher un très grand nombre. S'il s'agit d'une centaine de personnes, c'est déjà énorme. Au-delà, ça devient difficile à appréhender, d'autant que toutes les lectrices ne s'expriment pas. Les effets d'un texte sont aussi nombreux que ses lectrices. Sans doute beaucoup plus que les effets d'un soin. 

Dernière différence, qui n'est pas négligeable : on demande des soins parce qu'on cherche un soulagement ; on lit parce qu'on cherche plutôt du plaisir, au sens large. 

Malgré toutes ces différences, s'il existe des ressemblances entre l'une et l'autre, c'est à mon sens dans la posture éthique des personnes qui les pratiquent. Il me semble en effet que les écrivantes ont, comme les soignantes, des obligations : je ne pense pas que, sous prétexte d'être "des artistes", les écrivantes peuvent se contenter d'écrire ce qu'elles veulent en disant : "C'est de l'art, je suis libre de faire ce que je veux." 

Ici, je ne parle pas des situations, des pays dans lesquels des artistes s'opposent au pouvoir et parfois y perdent la vie ou la liberté. S'opposer à un pouvoir oppresseur n'est d'ailleurs pas l'apanage des artistes. Et ce n'est pas leur situation/statut d'artiste qui compte, mais la position qu'iels prennent face au pouvoir. En cela, une artiste qui s'oppose à un pouvoir n'est pas plus "admirable" qu'une opposante qui n'est pas artiste. Elle est simplement (parfois) un peu plus audible. 

L'écrivante qui a la chance (et le privilège) d'être lu.e dans un pays où les artistes ne sont pas harcelées ou muselées (en tout cas, pas systématiquement) a des responsabilités envers les lectrices. Car ce qu'elle écrit a un poids. Et plus elle est lue, plus ce poids est grand. 

Cela lui impose (ou devrait lui imposer) d'user de son influence à bon escient. Et par "bon" j'entends "avoir des effets bénéfiques pour le plus grand nombre". Des effets qui contribuent à réduire la souffrance collective, et contribuent à plus de justice. 

J'ai pris conscience de ça quand j'ai été chroniqueur à France Inter en 2002-2003. Des auditeurs et auditrices m'écrivaient, parfois fâché.es par ce que j'avais raconté à l'antenne, en me disant "Vous avez un pouvoir". Au début, je ne comprenais pas. Je me voyais seulement comme un chroniqueur parmi d'autres, une voix individuelle qui racontait de petites histoires,  mais je n'avait pas le sentiment d'avoir le moindre "pouvoir". Au fil de l'année, j'ai compris que ce qui comptait n'était pas le "pouvoir" matériel, mais l'influence - au sens où aujourd'hui on parle d' "influenceurs" sur les réseaux sociaux. J'étais, à ma toute petite échelle, une voix qui avait un poids et les auditrices me le signifiaient tous les jours par courriel (ou en appelant le standard). Parce que j'ai pris conscience de cela,  j'en ai usé... et la rédaction de France Inter a fini par me trouver lourd. 😊

Si elles aiment nos textes, les personnes qui nous lisent nous accordent non seulement de la confiance, mais aussi du crédit. Elles reçoivent nos idées, et ces idées les influencent plus ou moins. (Certes, elles peuvent aussi y réagir de manière très négative et nous le faire savoir - comme les réseaux sociaux le permettent - via des messages courroucés.) 

La réflexion éthique de l'écrivant.e devrait découler de cette possible influence : si ce que j'écris à un poids, alors je suis responsable de ce que j'écris. Je ne peux pas demander aux lectrices de ne pas tenir compte de ce qu'elles ont lu. (Je peux cesser d'écrire, ça ne fait pas disparaître ce qui est public a déjà été lu...). Je peux seulement être conscient de ce qui guide mon texte. 

Et je sais que les mots peuvent faire du mal ou faire du bien. 

L'éthique de l'écrivante se décline au fond comme l'éthique de la soignante : chaque écrivante se demande peu ou prou : "Mes textes sont-ils "bons" parce que je suis une personne "bonne"  (éthique de la vertu), parce que je suis les "bonnes règles d'écriture" (éthique déontologique) ou parce que mes mots ont des effets bénéfiques sur les personnes qui les lisent (éthique conséquentialiste)" ? 

J'ai opté pour la troisième réponse. 

Je ne peux pas anticiper les réactions des lectrices à mes textes, mais je peux certainement toujours me demander si mes mots leur feront du bien. 

Et pour en revenir à ce qui a motivé cette réflexion, je ne sais pas ce que sont un "bon médecin" et un "bon écrivain". 

Ce qui m'importe, au fond, c'est le bien que font les soignantes, le bien que font les écrivantes.  

Et le souci de l'autre que je sens dans leurs gestes, que je lis dans leurs mots. 

Mar(c)tin 

 



jeudi 23 septembre 2021

Le vaccin, le masque, la conduite automobile et le grille-pains - par Martin Winckler (Dr Marc Zaffran)


Hier, je discutais avec ma fille aînée qui me demandait : "Que répondrais-tu à une personne qui ne veut pas se faire vacciner en arguant que c'est sa liberté et qu'elle fait ce qu'elle veut de son corps".  Un de ses frères m'avait posé récemment la même question. 

Je lui ai répondu brièvement mais ça m'a donné envie de détailler ma réponse ici, au cas où vous auriez affaire à des personnes qui tiennent le même discours (et qui n'ont pas de raison médicale de ne pas se faire vacciner). 

*****


D'abord un avertissement : ce texte est destiné aux personnes qui acceptent :  

- que la Covid-19 est une maladie infectieuse 

- que les masques diminuent la propagation du virus, lequel est transmis par la respiration. 

- que la maladie peut être prévenue par la vaccination

- que les vaccins existants sont efficaces (même s'ils ne le sont pas à 100% et même s'ils ont des effets indésirables, ce qui est le cas de TOUS les vaccins) 

- que la vaccination est moins dangereuse que le virus. 

Si vous doutez le moindrement de ce qui précède, ne lisez pas ce texte, il risque de vous faire tousser.  

*****

La liberté des individus est inaliénable, et c'est parce que je tiens à cette valeur que je défends (par exemple) la liberté absolue des femmes de faire ce qu'elles veulent de leur corps et de ce qui s'y passe (une grossesse, par exemple), mais aussi la liberté absolue de tout individu de mettre fin à ses jours de la manière la moins violente possible, avec l'aide de soignantes compétentes. 

De même, je refuse d'imposer une vaccination à qui que ce soit. Si une personne redoute de se faire vacciner, c'est son droit de refuser, comme de refuser n'importe quel traitement. 

MAIS. Ma liberté, comme dit le proverbe, s'arrête où commence celle des autres. 

Etre favorable à la liberté d'avorter, ça n'autorise pas à imposer l'avortement à toutes les femmes. De même, refuser d'avorter, ça n'autorise pas à le refuser aux autres. 

Etre favorable à l'aide médicale à mourir, ça ne veut pas dire imposer à toute personne de plus de 75 ans de mourir. (Par exemple). Refuser d'y recourir, ça n'autorise pas à le refuser aux autres. 

C'est simple : ma liberté d'accepter ou refuser quelque chose ne m'autorise pas à l'interdire aux autres. 

Par extension, ma liberté est incompatible avec la mise en danger des autres. Quand je me vaccine (en prenant le risque, limité mais non nul, de subir un effet indésirable du vaccin) je ne mets pas les autres en danger. Ca ne concerne que moi. (Tout comme quand je décide d'escalader une paroi à mains nues ou de traverser l'Atlantique à la nage...)  

Etre libre de faire ce qu'on veut de son corps, ça n'est pas être libre de faire ce qu'on veut avec le corps ou la santé d'autrui. Et il me semble qu'on peut trouver une analogie très simple dans la conduite en voiture.

Quand nous montons dans une voiture, on attend de nous (en dehors d'avoir appris et obtenu son permis), de respecter le code de la route (limitations de vitesse, feux de signalisation, conduite à droite en Europe, etc.) et de ne pas adopter de comportement dangereux. Il y a trois comportements dangereux qui me semblent assez clairs : boire de l'alcool avant de prendre le volant ; refuser d'attacher sa ceinture et ne pas demander (voire interdire) aux autres passagers de le faire ; conduire en dépassant la vitesse limite. 

Chacun est libre de ses actes mais conduire après avoir bu (même si on est seul au volant) ou conduire sans ceinture ou en dépassant la vitesse limite exposent à deux types de conséquences : la moins grave est de se faire verbaliser ou retirer son permis. La plus grave, c'est de provoquer un accident qui tue ou blesse grièvement le conducteur, ses passagères, les personnes extérieures au véhicule. C'est moins facilement (voire jamais) réparable et les conséquences financières sont lourdes pour tout le monde (le responsable et ses victimes). Le problème c'est qu'on ne sait jamais si on aura un accident et quelle en sera la gravité. 

On sait en revanche que la mortalité et la gravité des accidents de la route a considérablement baissé quand on a limité la vitesse, imposé la ceinture et sanctionné l'alcool au volant. Mieux vaut prévenir que guérir. 

Ne pas se vacciner contre la covid/ne pas porter de masque est similaire à la conduite automobile dangereuse. Vous avez beau penser que vous pouvez tout contrôler, c'est faux. Il y a trop d'impondérables. Vous ne pouvez pas être sûre que vous ne serez pas infectée et/ou, si vous l'êtes, de ne pas être malade et surtout de ne pas rendre quelqu'un d'autre malade. Autrement dit : ne pas vous vacciner, c'est vous exposer, comme quand vous prenez le volant sans respecter les règles de sécurité, à provoquer un accident, peut être mortel  pour vous et pour des personnes qui, elles, les avaient respectées. (Ou qui ne conduisaient même pas...) 

Dans ce cas, l'exercice de votre liberté aura pour conséquence que vous serez pénalisées, physiquement (si vous êtes blessé vous même), sur le plan légal (vous avez enfreint la loi), et probablement sur le plan financier. Votre liberté peut coûter cher aux autres et, si c'est le cas, elle vous coûtera cher à vous aussi. 

Vous ne voulez pas vous vacciner et/ou porter un masque (conduire sans dépasser la vitesse et mettre votre ceinture) quand on demande de le faire pour la sécurité de toutes ? C'est votre droit. Mais attendez-vous à en assumer les conséquences - autrement dit : à ne pas être autorisée à mettre les autres en danger : vous ne pourrez pas aller au cinéma, vous n'entrerez pas dans un restaurant, vous ne circulerez pas dans un lieu public fermé. 

Notez bien que si vous êtes contaminée et tombez malade, on vous soignera quand même, tout comme on soigne les chauffards ivres qui ont provoqué la mort de personnes qui avaient, elles, respecté les règles. Il me semble donc que la pénalité d'une non-vaccination (être relativement exclu.e de la vie publique) n'est pas un prix très lourd à payer.. 

Ca me semble donc simple : si vous êtes capable de comprendre les limites, contraintes, régulations et conséquences de la conduite automobile (ou de ne pas traverser quand le feu est vert pour les voitures, ou de ne pas jeter de l'essence sur votre bar-b-cue, ou de ne pas jeter une cigarette dans un sous-bois, ou ne ne pas faire griller votre pain pendant que vous êtes dans la baignoire), vous êtes capable de comprendre celles de la vaccination contre la Covid-19. 

A moins que vous ne vouliez vraiment jouer à l'imbécile. 

Car, je le répète, votre liberté d'agir est absolue. Si vous avez envie de vous faire griller du pain ou de vous sécher les cheveux dans la baignoire, c'est votre droit le plus strict. Mais faites le dans votre baignoire et ne demandez à personne de vous y rejoindre. 

Martin Winckler 

PS : Quant au pass-covid, on vous demande bien d'avoir le permis de conduire pour prendre le volant, non ? On vous demande bien votre carte de sécu à l'entrée de l'hôpital ? On vous demande bien votre passeport avant de prendre l'avion et de justifier de vos vaccinations contre la fièvre jaune quand vous allez dans un pays où elle est endémique ? Alors où est le problème ? 


dimanche 22 août 2021

Je me souviens de mes débuts sur l'internet - par Marc Zaffran & Martin Winckler


Je me souviens de Compuserve et d'AOL, qui étaient les deux premiers (et longtemps les seuls ? Les principaux ?) fournisseurs d'accès internet (FAI) disponibles en France. J'ai eu ma première adresse Compuserve pendant l'été 95 (année où j'ai commencé à tenir mon journal sur mon ordinateur, et non plus dans des cahiers). J'étais l'un des premiers dans mon entourage à avoir une adresse électronique, avec mon frère, qui bossait dans une ONG (ou peut être déjà à l'OMS). 

Plus tard, je me suis aussi abonné à AOL. 

(Je me souviens que c'est mon frère qui m'a initié à Word en m'envoyant une copie de Word 3 (!!!) sur une disquette 5,25. A l'époque, les logiciels étaient moins bien protégés.) 

*

Je me souviens qu'il fallait installer une carte modem dans son ordinateur. Et que quand on se connectait, ça bloquait la ligne téléphonique. (Le fax aussi, d'ailleurs. Vous vous souvenez des fax ?) 

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Je me souviens que les anglophones parlaient de "The Internet" (littéralement, "l'Inter-réseaux") et que les francophones insistaient pour dire "Internet" (sans article et avec une majuscule) comme s'il s'agissait d'une entité. J'ai toujours pour ma part écrit "l'internet" comme "le téléphone" ou "la télévision". 

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Je me souviens qu'on installait Compuserve ou AOL avec (d'abord) une disquette ou (plus tard) un CD


qu'on trouvait inséré dans des revues qui ont aujourd'hui presque toutes disparu. Les disquettes et CD contenaient aussi tout un tas de petits programmes en shareware... 
Charger le programme et l'installer prenait des plombes, mais on avait l'habitude de patienter et de faire autre chose pendant ce temps (mais pas sur l'ordi, car ça occupait la mémoire vive...) 

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Compuserve et AOL n'étaient pas seulement des FAI mais des communautés. Je me souviens des "mailing lists", qui étaient des forums par courriel. J'ai adhéré à la "Law & Order Mailing List" en 1995 ou 96. Je m'y suis fait deux amies. L'une d'elles, Randee Dawn, était une écrivante débutante vivant à Brooklyn. Elle écrivait de la fanfiction et m'a fait découvrir plusieurs séries tournées sur la côte Est, comme Homicide, puis Oz, qui a précédé et annoncé The Wire. 
Randee est aujourd'hui écrivante professionnelle - journaliste, nouvelliste et romancière. 

L'autre amie, Debbie White, était une enseignante de l'Illinois. Elle m'a enregistré et envoyé tous les

épisodes de Law & Order et de ses spin-offs enregistrés sur VHS (en demi-vitesse, huit épisodes par cassette) entre 1996 et 2005. Je recevais un paquet tous les six mois, et les cassettes étaient si solidement emballées dans du papier journal (elle ne voulait pas qu'elles risquent de se casser) qu'il me fallait dix minutes pour l'ouvrir, même avec un couteau à pain ou un cutter. Je lui remboursais les cassette et l'affranchissement et, en échange, je lui envoyais mes articles dans des livres et revues illustrées consacrées aux séries. 

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Je me souviens de l'époque où le WWW n'était pas très facile d'accès et où il fallait beaucoup de temps pour charger des images. Mon PC fonctionnait sous MS-DOS. Je n'ai adopté Windows 95 qu'en... 1998 ! 

Pour apprendre et me mettre à jour sur le DOS j'achetais les MS-DOS Facile, des manuels Marabout épatants rédigés par un auteur qui signait "Virga". Aujourd'hui (21 août 2021), en googlant son nom, je trouve cette biographie sur le site de la librairie Eyrolles : 

"Voici quinze ans qu'il deguste, chaque jour, les joies de l'informatique. Docteur en medecine, criminologue, acupuncteur, journaliste, redacteur en chef de revues medicales et informatiques, directeur de collection, auteur de plusieurs dizaines d'ouvrages, Virga a publie de nombreux titres chez Marabout, dont plusieurs ont depasse les 250 000 exemplaires." 

et que son vrai nom est Ghéorghiï Vladimirovitch Grigorieff !!! 

Euhlamondieu ! Mon auteur préféré des années 90 était docteur en médecine, acupuncteur et journaliste, et je ne le savais pas !!! S'il croise cette page, qu'il sache que je ma gratitude est grande !!! Son Aide-Mémoire de PCTools m'a sauvé la vie en 1996... ! (Si vous le connaissez, faites passer ! 

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Je me souviens qu'au début des années 2000, je voyageais beaucoup. Avant de prendre le train, je passais vingt bonnes minutes à feuilleter les revues d'informatique du kiosque à journaux de la gare. 

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Je me souviens qu'à l'époque du WWW public naissant (il y avait peu de sites commerciaux), j'ai découvert avec joie des sites consacrés aux séries que je regardais quand j'étais gamin : The Twilight Zone, The Man From U.N.C.L.E, Mission : Impossible... Et que leurs animateurs (bénévoles, bien entendu) répondaient à toutes les questions qu'on leur posait. Certains m'ont même envoyé des épisodes introuvables à une époque où les éditions VHS étaient, au mieux, partielles. C'était bien avant le DVD et Netflix... 
Je me souviens avoir pensé : "C'est merveilleux, tous ces gens qui partagent ce qu'ils savent, ce qu'ils connaissent et ce qu'ils aiment..." 
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Je me souviens qu'au milieu des années 90, je travaillais comme traducteur pour des maisons d'édition et des revues médicales appartenant à des groupes de presse qui occupaient parfois un immeuble entier en région parisienne. On m'envoyait les textes à traduire par fax (je vous dis pas la quantité de papier photographique que ça consommait). Je leur envoyais ma traduction sur une disquette par Chronopost. Quand j'ai eu une adresse électronique, je leur ai proposé d'échanger nos fichiers attachés à des courriel. 

On m'a répondu "Ah mais on n'y connaît rien... Il y a quelqu'un qui a un modem sur son PC, quelque part dans l'immeuble, mais personne ne sait s'en servir." 

A la même époque, j'échangeais déjà courriels et fichiers avec des institutions et des personnes en Angleterre, au Canada, en Israël, au Japon... 

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Je me souviens qu'au début du 21e siècle, les "intellectuels" français déclaraient que l'internet, c'était le grand Satan et qu'on n'y trouvait que du "grand n'importe quoi". Et puis, c'était américain. Donc, techniquement, c'était nul. Le Minitel, ça, c'était de la technologie de pointe !!! 



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Je me souviens d'un débat dans un salon du livre au début des années 2000 (à Bron, je crois). 

Un trio d' "intellectuels" (j'ai oublié leur nom) débattait sur scène autour d'une question que je trouvais stupide : "Est-ce que le courrier électronique va faire disparaître la conversation et la correspondance écrite ?" J'y assistais avec Philippe Lejeune, avec qui je correspondais depuis la fin des années quatre-vingts, d'abord par lettre, puis par téléphone, puis aussi par courriel. Il avait trouvé la question stupide, lui aussi. On n'avait pas cessé de s'écrire ou de "converser" depuis qu'on avait l'internet. On le faisait encore plus : ça allait vite, on pouvait s'écrire n'importe quand, sans les contraintes matérielles du courrier papier et sans les contraintes/conventions horaires du téléphone. Au bout d'un moment, fatigué de les écouter dire n'importe quoi, il a levé la main et demandé : "Parmi vous, qui a une adresse électronique ?" Aucun des trois "intellectuels" n'en avait une. Trait bien français : ils dissertaient sur une pratique qu'ils ne connaissaient pas. 
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Je me souviens qu'en 1999 ou 2000, quand j'écrivais Contraceptions mode d'emploi, j'avais pour "bible" l'ouvrage hyperpointu et hyperpratique d'un professeur de médecine britannique nommé John Guillebaud. J'ai trouvé son adresse courriel sur le site d'un des hôpitaux où il travaillait et je lui ai écrit pour lui poser des questions. Il m'a répondu dans la journée. 

Sans lui et sans toute l'information que j'ai trouvée sur les sites de l'OMS, des ONG et des facultés de médecine anglophones et québecoises, je n'aurais jamais pu écrire le livre. 

                                                                                   


                       *


Je me souviens qu'en 2002-2003, lorsque France Inter m'a confié Odyssée, une chronique scientifique que
je tenais chaque matin de la semaine à 7.50, j'ai commencé par donner mon adresse électronique (Martin.Winckler@radiofrance.fr ou qqch comme ça) à l'antenne, afin que les auditrices et auditeurs m'envoient les questions scientifiques auxquelles iels voulaient que je réponde. 

Une heure plus tard, la responsable du service informatique m'a appelé, affolée, en me disant : "Faut pas faire ça !" 
J'ai demandé pourquoi. 

"Parce qu' "ils" vont comprendre que toutes les adresses sont faites sur le même modèle et "ils" vont se mettre à écrire à tous les journalistes !" 
Et moi : "Mais à quoi servent les adresses électroniques, alors ? Si le public ne peut pas écrire aux journalistes..." 

Elle a répondu, sans rire : "Elles servent aux journalistes à correspondre entre eux, pas à ce que le public leur écrive !!!"  

Je me souviens qu'à la même époque, tous les journalistes des pays anglophones indiquaient leur adresse électronique sous leur nom, dans les journaux papier...

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Je me souviens des messages d'internautes (rares au début, mais de plus en plus nombreux pendant mon année sur la chaîne) qui m'envoyaient des suggestions de chroniques, des corrections ou des questions et qui, lorsque je répondais, m'adressaient un message stupéfait disant : "C'est bien vous qui m'avez répondu ? Pas un robot ? D'habitude, quand on écrit, personne ne répond !!!" 

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Je me souviens que chaque chroniqueur avait une page sur le site de Radio France et que sur la mienne, j'étais le seul qui affichait l'intégralité du texte que j'avais lu sur les ondes, enrichi de liens divers et variés. Au bout d'un an, il y en avait deux cents. Quand la chronique a été annulée un peu brutalement (toute l'histoire est ICI), la page et le texte des deux cents chroniques ont été effacés du jour au lendemain. 
Quelques jours plus tard un internaute m'a envoyé l'intégralité des textes, qu'il avait copiés-collés à l'écran et assemblés dans un fichier word. Elle est toujours disponible sur mon site, si ça vous intéresse

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Je me souviens que quelques jours plus tard encore, un internaute webmestre, Vincent Berville (qui avait apprécié mes chroniques consacrées aux logiciels libres) m'a écrit pour me dire : "Vous devriez continuer sur un site internet personnel." 
J'ai répondu que c'était une très bonne idée, mais que je manquais de temps. (C'était moins simple que d'ouvrir un blog, comme aujourd'hui.) 
Il m'a demandé : "Comment vous le verriez, votre site ?" 
J'ai répondu : "Comme un petit journal". 
Dix jours plus tard, il m'a écrit : "Votre site est prêt." C'était le Winckler's Webzine, qui a eu 18 ans ce mois-ci. Et dont Vincent Berville est toujours webmestre. 




                                                                                   *
Je me souviens de ma joie, en 2004 lorsque, grâce à des annuaires en ligne, j'ai retrouvé les coordonnées des anciens camarades de faculté de médecine à qui je voulais envoyer Les Trois Médecins

                                                                                   *

Je me souviens des deux étudiants/jeunes professionnels, lecteurs de mes articles dans Génération Séries, qui à partir de 2005, m'ont proposé de m'envoyer les séries qu'ils téléchargeaient. Régulièrement, je recevais une pile de CD bourrés d'épisodes de Battlestar Galactica, House, Without a Trace, Cold Case et, bien sûr, Law & Order. 
(Je sais, c'était pas bien de le télécharger. Mais c'était il y a longtemps. Ils ne le font plus. Maintenant, on a tout en ligne...) 

                                              

                                                                                   *
                                                                                
Je me souviens de l'époque où je "tchatchais" beaucoup sur Yahoo Messenger. (Mais jamais sur MSN.) 

                                                                                   *

Je me souviens d'une époque où on avait ni Wikipédia ni Google et où j'accumulais les dictionnaires, les


encyclopédies et les guides de langue, de technologie, d'argot et de cinéma/télé. J'en ai même commis un avec mes camarades Christophe Petit, Alain Carrazé, Jacques Baudou et Jean-Jacques Schléret. Parmi les collaborateurs figuraient Randee Dawn et un grand historien américain de la télévision américaine, Robert J. Thompson, que j'avais contacté... par courriel. Aujourd'hui, plus personne ne consulte ce genre de livre, qui sont devenus obsolètes. Mais je suis très heureux d'avoir pu en écrire. 


                                                                                    *
Je me souviens avoir renoncé à écrire des livres sur les séries quand j'ai réalisé deux choses. D'abord, que ce genre de livres n'intéressaient un public que lorsque la série était à l'antenne. Ensuite que ce qu'on pouvait y écrire était désormais accessible en ligne avec trois mots dans un moteur de recherche. 

                                                                                    *

Je me souviens que, sur le Winckler's Webzine, en 2003, le premier article posté était la dernière chronique composée pour France Inter ; comme j'en avais été banni un peu brutalement, elle n'avait jamais été lue à l'antenne. 
Elle s'intitulait : "Quand on a accès au savoir, que faut-il en faire ?" et j'y donnais une réponse très personnelle. 

Dix-huit ans plus tard, je n'ai pas changé d'avis. 

Mar(c)tin 

vendredi 16 juillet 2021

Merci à celles

Merci à celle qui, pour la première fois, me donna un baiser.

Merci à celle qui, pour la première fois, me donna le sentiment que mon corps n'était pas laid. 

Merci à celle qui, pour la première fois, me parla en égale. 

Merci à celle qui, pour la première fois, me dit qu'elle n'avait pas peur de moi. 

Merci à celle qui, un soir au théâtre, murmura C'était toi.

Merci à celle qui me proposa un soir de la suivre dans la grange, et que je n'ai pas osé rejoindre. Merci à elle de ne pas m'avoir fait la gueule le lendemain.

Merci à celle qui me choisit comme amant alors que je n'avais jamais encore été l'amant de personne.

Merci à celle qui, pour me faire comprendre que je lui plaisais, me déclara au bout de cinq minutes qu'elle prenait la pilule.

Merci à celle qui m'invita un soir d'été dans sa chambre d'Université et m'accueillit en disant : « Je t'attendais depuis trois ans. »

Merci à celle avec qui j'ai vu L'empire des sens et qui, la nuit suivante, m'aida à m'en remettre. 

Merci à celle qui fit route avec moi dans le brouillard et tenta de me faire comprendre que me marier à vingt-deux ans était une erreur.

Merci à celle qui m'a tant aimé alors que je venais de me marier, et qui m'aimait encore, trente ans et trois enfants plus tard. 

Merci à celle qui m'a soutenu sans condition quand j'ai décidé de changer de chemin. 

Merci à celle qui m'a maintenu la tête hors de l'eau pendant toutes les années où je me noyais. 

Merci à celle qui m'a prouvé que je pouvais aimer une femme éloignée. 

Merci à celle qui, depuis plusieurs années, est pour moi amante, partenaire, écoutante attentive et meilleure amie et pour qui je le suis, chaque jour, comme si ça ne faisait que commencer. 

lundi 28 juin 2021

"Bon, mais qu'est-ce que vous faites depuis que vous n'exercez plus la médecine ?"


En 2008, j'étais médecin vacataire au centre d'orthogénie du CH du Mans. J'assurais une consultation (officiellement) de contraception et (en réalité) de santé des femmes, une ou deux fois par semaine. Car les femmes qui consultent pour une contraception ont souvent bien d'autres questions à poser qu'un simple "renouvellement de pilule". Il m'arrivait aussi, bien que je ne sois plus vacataire au centre d'IVG, d'y remplacer des médecins absents ou en vacances. A la fin de l'année, j'ai démissionné, et j'ai fait ma dernière vacation fin décembre 2008. 

En février 2009, j'ai pris l'avion pour le Québec, où j'étais accueilli comme chercheur invité au Centre de recherches en éthique de l'Université de Montréal. Ma famille (six personnes en tout) m'a suivi quelques mois plus tard. Mon épouse-d'alors et moi nous sommes séparés en 2013 mais aucun membre de la famille passée n'est retourné en France. Aujourd'hui, les six personnes qui ont fait le voyage sont citoyennes ou résidentes permanentes du Canada. 

Je suis citoyen canadien depuis 2019. 

Initialement, j'avais envisagé de demander une équivalence de mon diplôme pour exercer la médecine au Québec. J'aurais probablement pu le faire, mais ça s'est révélé compliqué, long, et plus coûteux en temps et en argent que ça ne le valait : je ne voulais pas me remettre à exercer à temps plein, de toute manière.  

"Bon, mais alors, qu'est-ce que vous faites là-bas ?" 

C'est simple. Je me suis remarié avec l'héritière de la famille canadienne qui possède le monopole du sirop d'érable et je regarde Netflix toute la journée sur mon canapé en mangeant des bonbons l'hiver, des glaces l'été.  

(...) 

Euh, non, pas vraiment. Pas du tout, même. Mais c'est souvent ce que j'ai envie de répondre. Comme si le fait de cesser d'exercer la médecine était synonyme de "ne plus travailler" ou "ne plus rien faire". 

Ce qui est intéressant, c'est que les personnes qui me posent la question me voient avant tout comme un médecin. Alors que si je suis "connu", c'est surtout parce que je suis un écrivain publié-qui-se-trouve-être-médecin. 

Car, entre 1993 et 2008, j'ai eu une activité médicale à temps partiel et une activité d'écriture à temps plein. J'ai été (successivement mais aussi simultanément) traducteur de livres de médecine, de romans, d'essais littéraires et de comic-books, journaliste, critique de télévision, chroniqueur de radio, romancier, essayiste, nouvelliste, blogueur santé, confectionneur de pièces radiophoniques, préfacier, anthologiste....

J'ai même collaboré pendant plusieurs années au Journal de Spirou. (Et j'ai eu droit à mon portrait en couverture. Si, si, je vous assure...) 


Et malgré ça, je suis encore et toujours médecin. (Oui, même avec ma photo en couverture de Spirou. 

Je ne le suis pas moins qu'avant de quitter ma pratique à temps partiel. 

L'exercice d'un médecin, ça comprend interactions/consultations avec les personnes soignées + gestes de soin courants + prescriptions + formation continue + partage des connaissance + beaucoup de paperasse. Beaucoup plus de paperasse et de formalités administratives aujourd'hui qu'il y a dix ans, d'ailleurs. 

Ne plus exercer c'est essentiellement ne plus prescrire. C'est faire beaucoup moins de gestes techniques (mais j'en fais encore pour mon entourage). C'est surtout ne plus avoir à remplir de la paperasse. (Sauf pour demander le versement de sa retraite...) 

Le fait de ne pas/plus exercer ne m'enlève pas mon diplôme, ma formation, mon expérience, mon savoir-faire, mes convictions. Et je conserve trois activités importantes : la consultation (je continue à répondre à des questions et à conseiller) ; la formation continue... qui ne cesse que lorsqu'on n'est plus capable d'apprendre quoi que ce soit, parce qu'on n'en a plus les moyens physiques ou intellectuels, ou parce qu'on est trop fatigué... et le partage des connaissances. (J'ai commencé à en faire quand j'étais externe, avec une personne hospitalisée dans le service de psychiatrie où j'étais étudiant. Si ça vous intéresse, je raconte ça en préambule de C'est mon corps...

"Quoi, vous consultez ? Mais quand ? Comment ?" 

En ligne, virtuellement, depuis bien avant la pandémie. J'ai commencé à le faire en 2003, quand des internautes tombaient sur les articles de mon site internet, cliquaient sur l'adresse courriel et me posaient des questions. Et oui, c'est de la consultation. Gratuite (si j'avais fait payer toutes les réponses que j'ai données, je serais probablement très riche...), essentiellement informative (je ne prescris et ne vends rien, pas même mes livres, il m'arrive même de les distribuer pour rien...), mais c'en est. 

Et puis, j'ai continué à me former. Entre 2012 et 2015, j'ai suivi les cours et décroché une maîtrise des Programmes de bioéthique de l'Université de Montréal. Ca m'a permis d'écrire un livre sur l'éthique du soin ET sur Dr House... 

Soigner (car si j'ai voulu être médecin, c'est pour soigner, pas pour avoir un titre de docteur), c'est avant tout transmettre du savoir et éclairer les autres sur leur situation. 

Les tout premiers gestes d'une soignante sont l'accueil, l'écoute, la réassurance, le soutien, l'analyse du problème avec la personne soignée, l'éclaircissement ou les hypothèses, les propositions. 

Les gestes proprement "médicaux" - examiner, prescrire, éventuellement donner des soins avec ses mains - sont toujours secondaires et la conséquence des premiers.

Les premières questions que pose une personne qui souffre à une professionnelle de santé sont en effet : "Qu'est-ce que j'ai/qu'est-ce qui m'arrive ?", "Est-ce que je suis malade/est-ce que c'est grave ?" et "Que dois-je faire pour aller mieux ?" 

J'ai toujours conçu mon activité de soignant comme double : d'une part la clinique, d'autre part le partage - via l'écriture, l'enseignement (quand c'est possible), les conférences (quand on m'y invite). 

Dans certaines cultures, les professionnelles de santé trouvent naturel d'écrire des livres (ou, depuis vingt ans, de concevoir des sites) contenant des informations à l'intention du public. C'est le cas depuis longtemps dans les pays anglophones. Ca ne l'était pas en France en 2001 quand j'ai publié la première édition de Contraceptions mode d'emploi

Heureusement, depuis, ça s'est beaucoup développé. Il y a même (et c'est heureux) des livres sur la santé des femmes écrits par des femmes qui ne sont pas médecins. Car il n'est pas indispensable d'être médecin pour partager le savoir. (D'ailleurs, je me demande si en France, il n'est pas préférable de ne pas être médecin pour le partager... Mais bon, ça c'est moi.) 

Et cette activité de partage du savoir, je l'ai poursuivie au Québec. C'est une des vertus des méthodes de communication actuelle : on n'a pas besoin de vivre dans une capitale pour publier des livres. (Notez que ça, je le sais depuis longtemps, car je n'ai jamais vécu à Paris et tous mes livres ont été écrits en province ou hors de France...) 

J'écris depuis la fin des années 60, professionnellement (en revue) depuis le début des années 80 et en volume depuis la fin des années 80. Quitter la France ne m'a pas empêché de poursuivre cette activité-là non plus. 

Je ne publie pas plus depuis que je vis au Canada (16 titres entre 2009 et 2020, contre plus de 30 entre
1998 et 2008 !), mais j'y ai publié plusieurs de mes livres les plus connus et les plus lus (Le Choeur des femmes, En souvenir d'André, Les Brutes en Blanc, L'Ecole des soignantes, C'est mon corps). 

Et je ne compte pas le nombre d'articles et contributions à des revues, de chroniques radiophoniques, de billets de blog (sur celui-ci et sur sa jumelle, "L'école des soignant.e.s"), de préfaces et de postfaces... 

Et puis, je me suis diversifié dans mes activités de transmission et de partage. Je n'avais jamais pu enseigner en France, sinon occasionnellement (et toujours face à beaucoup de méfiance et/ou d'hostilité de la part des institutions médicales). Depuis que je vis au Canada, j'ai assuré de nombreuses charges d'enseignement dans plusieurs universités et facultés de médecine (Montréal, McGill, Ottawa) ; j'ai donné des cours de création littéraire. J'ai été invité à donner d'innombrables conférences et séminaires. Et j'allais oublier : des ateliers d'écriture, en présenciel et en ligne. 

J'ai même écrit un projet de série télé. Je ne suis pas sûr qu'elle verra jamais le jour mais c'était un travail épatant, et la maison de production qui me l'a commandé me l'a payé rubis sur l'ongle. Alors je n'ai pas à me plaindre.

C'est fou ce qu'on peut faire, en restant chez soi, quand on a l'internet. Si vous prenez seulement les visioconférences, j'en ai fait beaucoup plus en 2020 - comme tout le monde - mais il m'arrivait souvent d'en faire déjà parce que je ne pouvais pas me trouver physiquement en France à tel ou tel congrès auquel j'étais invité. 

De manière un peu paradoxale, j'ai le sentiment de travailler autant depuis que j'ai émigré, mais aussi de travailler mieux. Quand je vivais en France, je me déplaçais beaucoup parce que je répondais volontiers à presque toutes les invitations (en tout cas, à beaucoup). Depuis que je n'y vis plus, je dois faire le tri. Et les invitations doivent aussi tenir compte de la distance. 

Et la distance géographique s'est enrichie de la distance culturelle. On voit les choses autrement quand on vit loin, quand on n'a pas le nez dans une culture, une vie politique, sociale et économique. Quand on ne tombe pas toujours sur les mêmes visages lorsque l'écran de télé s'éclaire, sur les mêmes voix quand on branche la radio. 

J'ai eu de la chance. Celle d'être devenu un auteur publié et dont les livres ont des lectrices.
J'aurais pu en rester aux romans. J'ai choisi de mettre à profit le succès de La Maladie de Sachs pour écrire des livres pratiques et des livres critiques sur la relation de soin en France. 

C'est sans doute cela qui m'a permis d'être invité à m'exprimer en tant que médecin et pas seulement en tant qu'écrivain/médecin. C'est aussi sans doute pour cette raison qu'on me voit surtout comme un médecin... alors qu'écrire est depuis toujours mon premier métier et, depuis vingt-cinq ans, celui auquel je consacre le plus de temps. Y compris quand j'écris "pour parler de médecine". 


Fondamentalement, la différence entre un.e auteur.ice de littérature générale et ma pomme, c'est que quand il ou elle publie un roman, on le/la fait parler d'écriture ou de style ou de l'histoire qu'elle raconte (en particulier si c'est une autofiction...) alors que quand je publie un roman (même si ce n'est pas un roman médical) on me fait (surtout) parler de relation de soin... Mais à part ça... 

C'est sans doute paradoxal, mais seulement de loin. Mes deux métiers sont intimement liés, depuis toujours. Ecrire et soigner ont beaucoup en commun. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit d'entendre et de partager des histoires, du savoir, des idées, des valeurs, des aspirations. 

Pour faire en sorte que d'autres personnes que nous se sentent moins seules, aient moins mal ou aillent mieux, après qu'on les a écoutées, ou après qu'elles nous ont lu. 

Marc Zaffran/Martin Winckler 




 





jeudi 25 mars 2021

Pour en finir avec le mot "euthanasie"

Je ne vais pas vous parler des débats politiques et/ou éthiques autour de l'aide médicale à mourir. Je l'ai fait en détail dans la blogue-soeur de celle-ci, L'Ecole des soignantes. (Voici l'article : "L'assistance médicale à mourir EST un soin.") 

Aujourd'hui je vais juste parler de terminologie. Des mots qu'on emploie et de ceux qu'on pourrait choisir (il me semble) employer à leur place. 

Et donc le mot d'aujourd'hui est "euthanasie". 

Etymologiquement, ça vient du grec et ça signifie "bonne (eu) mort (thanatos)" 

Quand on le dit, ça sonne furieusement à mes oreilles comme "état nazi" et je ne suis pas sûr d'être le seul à entendre ça, de manière plus ou moins subliminale. Entendu comme ça, ça fait peur. Et il y a de quoi. 

Que désigne le mot  "euthanasie" ? 

Eh bien, aujourd'hui en France, le mot désigne ce que les militantes de l'aide médicale à mourir (et l'immense majorité de la population française, d'après les sondages) réclament à corps et à cri : la possibilité de mettre fin à ses jours de manière 1° volontaire et délibérée, bref, choisie 2° assistée médicalement. 

Le problème, c'est que ce mot ne désigne pas la même chose pour tout le monde. Il désigne aussi les assassinats commis par les médecins nazis, les mises à mort décidées par ou avec et commises par des médecins sur des personnes vulnérables (nouveaux-nés souffrant de troubles neurologiques graves, personnes handicapées, personnes dans un coma profond) de manière clandestine dans tous les pays développés, les actes de compassion demandées par le propriétaire d'un animal malade à des vétérinaires... 

J'ai mis tout ça dans le même paragraphe pour montrer que la confusion (volontaire, inconsciente, culturelle) associée à ce mot est inévitablement problématique. On ne peut pas désigner toutes ces situations par le même vocable. 

Les actes des médecins nazis étaient des assassinats d'état. 

Les actes clandestins des médecins sont (au moins) des abus de pouvoir ; au pire, des assassinats.*

Les actes pratiqués par les vétérinaires sur des animaux malades sont (le plus souvent, c'est à dire quand ils ne sont pas contraints par leurs propriétaires mais par la souffrance et l'état des animaux concernés) des actes de compassion.  

Le mot "euthanasie", avec sa polysémie, noie le poisson. Qui n'avait rien demandé. Il masque totalement que dans le débat actuel, la question est avant tout celle de la liberté de mourir quand et comment on le décide et le choisit

Aucune des trois situations ci-dessus ne répond à cette définition. 


Le problème du mot "dignité" 

Encore un mot source de confusion. Beaucoup de militants de la liberté de mourir parlent de "mourir dans la dignité". Le sens du mot "dignité" varie singulièrement selon qu'on est médecin, malade ou proche d'un malade... ou politicien. 

Je prétends et j'affirme ici que personne n'a la capacité ou le droit de dire/de décider/de définir ce qui est digne ou non pour moi

Il y a des choses que je trouve "indignes" en ce qui me concerne, et que d'autres tolèreraient très bien, et inversement. La dignité dans la maladie, la souffrance ou la mort, ça ne se décrète pas, ça se ressent. La seule personne qui peut définir la dignité, c'est celle que ce mot désigne. 

Pourquoi utilise-t-on le terme de "dignité", alors ? Parce que certaines comportements et situations infligées aux personnes en fin de vie nous semblent honteuses - c'est à dire : humiliantes, brutales, sadiques, irrespectueuses. Bref : insupportables. Sont-elles, de plus, indignes ? Si la personne qui les subit le dit, certainement. 

Mais ces situations ont toutes un point commun (voir plus haut) : elles sont imposées et décidées par quelqu'un d'autre que la personne concernée

Ce que nous ressentons comme "indigne" est  toujours le produit du mépris, de la force ou de l'abandon. La seule manière de vivre "dignement", c'est de vivre en étant respectée, dans ses choix, son corps, ses valeurs. 

Pour ne pas se sentir "indigne", il faut par conséquent que les autres nous respectent. "Mourir dans la dignité", ça devrait donc être entendu comme "mourir en étant respectée " -- dans mon corps, mes valeurs - et dans mon choix de quand et comment je veux mourir

Qu'est-ce qu'une "bonne" mort ? 

Bien malin celui qui nous le dira. En ce qui me concerne, il n'y a pas de "bonne" mort. Ne peut être "bon" ou "mauvais" (et là encore c'est subjectif) que ce qui la précède. On peut agir sur ça, mais une fois qu'on est morte... 

Chacune de nous a sa propre définition de la "bonne mort". La mienne, c'est de mourir "rassasié d'ans", comme on dit dans la Bible, c'est à dire le plus tard possible, après avoir souffert le moins possible et en ayant le sentiment que j'ai moins contribué aux malheurs du monde qu'à le rendre meilleur pour les personnes qui m'entourent. Je ne suis pas assuré que ça se passera comme ça... 

Et cette définition est entièrement conditionnée par ma vie passée et présente : je suis en bonne santé, je n'ai pas (pour le moment) de maladie grave ou terminale, j'ai un toit, je mange à ma faim, je gagne ma vie etc. 

Il est évident que la définition de la "bonne mort" varie selon chacune et chacun d'entre nous. Mais s'il s'agit de mourir dans une dignité que nous allons définir pour nous-même, le mot "euthanasie" ne convient pas. Il est trop confus, trop chargé. Il ne dit pas ce que véhicule l'expression "aide/assistance médicale à mourir". 

A savoir, encore une fois, qu'il s'agit d'une mort décidée en toute liberté : celle de la personne qui la demande (de vive voix ou dans ses directives anticipées) ; pas celle de sa famille, et encore moins  celle des médecins. 

Il s'agit d'une procédure médicale : la personne qui veut mourir ne veut pas se pendre, se noyer, se défenestrer, se tirer des chevrotines dans la bouche ou avaler de la mort aux rats. 

Elle désire mourir sans souffrance et sans faire souffrir son entourage, grâce à des méthodes contrôlées et dont les effets sont connus. La pharmacopée n'en manque pas. 

Le rôle médical est là, et seulement là : lui procurer (et, éventuellement, administrer si la personne ne peut ou ne veut le faire elle-même) les médicaments qui lui permettent de mettre fin à sa vie 1° sans souffrir et 2° au moment qu'elle aura choisi. 

(Oui, oui, j'en entends dire "Mais un médecin c'est pas fait pour tuer"... Et encore une fois ces personnes-là ne voient pas l'essentiel, à savoir qu'il s'agit d'une décision prise par la personne soignée, et non par les médecins. Et qu'elles ont toute latitude pour se démettre, comme pour n'importe quel soin. 

On ne demandera pas aux professionnelles opposées à l'aide médicale à mourir de la pratiquer, tout comme on ne force pas des personnes opposées à l'IVG de les pratiquer. Elles le feraient mal. 

On leur demande seulement de nous foutre la paix et de ne pas entraver la liberté des personnes qui la demandent et des soignantes qui sont prêtes à les aider !!!!) 

Tout ça est simple, il me semble. A dire, à définir, à comprendre et à réglementer. Et à celles et ceux qui commencent à émettre des objections, je répondrai simplement : Suisse, Luxembourg, Belgique, Pays-Bas, Canada, Colombie, Oregon... Ces états ont légiféré/réglementé. Pour certains, depuis trente ans. Et leur société ne s'est pas engouffrée dans le chaos. Alors, encore une fois, qu'on arrête d'emmerder le monde avec des objections qui ne tiennent pas debout. 


Bannissons le mot "euthanasie" du vocabulaire et donc du débat. 

Parlons désormais d' "aide/assistance médicale à mourir". 

Car cela permettra de mieux voir l'enjeu central : 

Dans une société qui se dit démocratique et dont la devise est "Liberté, Egalité, Fraternité", les citoyennes doivent pouvoir décider de mourir librement et selon leurs propres termes, avec l'aide des professionnelles de santé qui sont prêtes à les accompagner. 

Je ne sais pas si la société française et ses élues de tous genres sont prêtes à voter une loi qui irait dans ce sens, mais appelons au moins les choses par leur nom. 

Ce sera plus clair pour tout le monde. 

Martin Winckler



Lectures suggérées : 

La mort choisie, par François Damas 

En souvenir d'André, par Martin Winckler


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 * Personnellement, je pense qu'une euthanasie pratiquée par un médecin sans l'avis de la personne concernée, avec ou sans la demande de l'entourage, est toujours un abus de pouvoir ET un assassinat. Mais je suis prêt à en débattre si vous avez des arguments contraires... 

lundi 11 janvier 2021

J'ai appris le monde dans des textes écrits (et/ou recommandés) par des femmes - 2e partie.

Lire la première partie de ce texte 


Rappel : 

Je suis une lectrice. (Je rappelle qu'ici, j'utilise le féminin générique.) 

Au cours de ma vie, j'ai lu beaucoup de livres écrits par des femmes. Des livres et des femmes de tous les genres. Je suis un une "lectrice transgenres (littéraires)" -- intertextuelle et intersectionnelle. 

Je les énumère ici dans l'ordre approximatif de mes lectures. 

Il y a ici des livres connus de beaucoup, et d'autres que j'ai le sentiment d'être seul à connaître (ou de me rappeler). Je les mentionne de mémoire,. Il y en a certainement eu beaucoup d'autres. Mais si je me souviens de ces autrices spontanément, c'est parce que leurs livres ici mentionnés m'ont marqué, il y a plus de cinquante ans ou la semaine dernière, par leur contenu ou leur écriture ou les deux.

Ces livres m'ont appris à lire, à imaginer, à écrire, à sentir et à penser. Et ça continue. 

MW 

NB : Je renvoie vers la page wikipédia (ou équivalente) de chaque autrice en français, sauf quand elle n'existe pas - auquel cas je renvoie à la page dans sa langue natale. 
Les couvertures choisies en illustration sont celles des éditions que j'ai lues. 

***

A l'époque où je me suis installé à la campagne et écrivais mon premier roman, La Vacation, et alors que je traînais dans ma librairie préférée de l'époque (Plurielles, au Mans), je suis tombé sur un livre de Marie Didier, Contre-Visite. 

Le texte de la quatrième de couverture était exécrable. La bande rouge annonçant à grand bruit "Un médecin parle !" ne l'était pas moins. Je l'ai vaguement feuilleté et reposé. Quelques jours plus tard, j'entends sur France-Culture que l'émission du matin (Culture-Matin, alors animée par Jean Lebrun) allait recevoir Marie Didier. Il en parlait avec chaleur, donnait envie de la lire et de l'entendre, et proposait à une auditrice ou un auditeur de venir bavarder avec elle. Il suffisait d'écrire une lettre de motivation. 

Intrigué, j'ai écrit et, contre toute attente, on m'a invité. Je me suis précipité pour acheter et lire le livre et j'ai découvert qu'il valait bien mieux que sa bande rouge et son résumé de dos (lequel, je l'ai appris plus tard, n'avait pas été écrit par elle). C'est le journal, sensible et passionnant, d'une gynécologue vivant à Toulouse. Elle y parle des femmes qu'elle soigne mais aussi de sa vie de femme, de son corps de femme, et de tout ce que les médecins n'écoutent et ne disent pas. (C'était son premier livre, elle en a écrit beaucoup d'autres.) 

J'ai passé une matinée passionnante, moins à cause de l'émission (où Jean Lebrun voulait surtout parler du livre et du métier de médecin) que parce qu'ensuite, je suis allé prendre un café aux Ondes avec Marie Didier et l'amie qui l'accompagnait. 

Elle était la première femme-médecin de langue française que je lisais. Et son livre m'a non seulement fortement marqué, mais accompagné pendant toute l'écriture de mon roman, et longtemps après. Le texte de quatrième de couverture, rédigé par quelqu'un de chez Gallimard, m'avait dissuadé de la lire. J'ai résolu que si jamais j'avais un jour la chance d'être publié, je rédigerais toujours mes quatrièmes de couverture. 


Juste après avoir lu mon premier roman, une amie m'a conseillé de lire Hôpital Silence de Nicole Malinconi. Assistante sociale, militante de l'IVG, très influencée par Marguerite Duras, cette autrice belge a publié de nombreux livres, souvent brefs et toujours d'une grande poésie. 

Comme pour La Ventriloque de Claude Pujade-Renaud, dont j'ai parlé dans la première partie de ce texte, j'ai été très marqué par le livre de Nicole Malinconi (et par L'Attente,  lu plus tard) et je me suis félicité de ne pas l'avoir lu avant d'écrire mon roman. Je n'en aurais pas eu le courage, je ne m'en serais pas senti le droit. 





Quand j'étais adolescent, j'aurais été bien en mal de dire ce qu'était un viol. Ce n'était pas un mot qu'on prononçait, même pendant les journaux télévisés. On utilisait des métaphores, la pire étant "un sort pire que la mort" ; il m'a fallu longtemps pour comprendre que cette métaphore ne voulait pas du tout dire la même chose selon qu'on était un homme ou une femme, et qu'on avait ou non été violée. 


Avant mes premières rencontres sexuelles, à 18 ans passés, je n'imaginais pas qu'on pouvait contraindre quelqu'un à ce que j'appelais encore à l'époque "faire l'amour" (je n'utilise plus cette expression depuis longtemps en dehors de ma vie privée). C'était bien avant le SIDA, à une époque où la principale crainte  était encore une grossesse non désirée. J'évoluais dans une ville universitaire, où beaucoup de femmes de mon âge venaient de milieux favorisés, prenaient la pilule et n'hésitaient pas à inviter un garçon à passer la nuit avec elles si elles en avaient envie. 

Pour le jeune homme que j'étais, qui n'osait jamais faire le premier pas et s'étonnait qu'une femme puisse avoir du désir pour lui, l'idée de forcer quelqu'un à passer la nuit avec moi était impensable ; et ma naïveté, immense. 

Au milieu des années 70, à Tours, Nancy - la libraire de la Librairie Franco-Anglaise dont j'ai parlé dans le texte précédent - avait composé un rayon de littérature féministe en français et en anglais. C'est sur ses étagères que j'ai un jour découvert Le Viol (Against Our Will : Men, Women, and Rape)  de Susan Brownmiller. Ce n'est pas un roman, mais une analyse critique de la place occupée par le viol dans la société. C'est dans ce livre que j'ai lu la première critique féministe soulignant le sexisme de Freud et de la théorie psychanalytique. 

Que dire ? Sinon que ce livre m'a ouvert les yeux sur des violences que je n'imaginais pas et m'a profondément bouleversé. Même s'il n'est pas exempt de critiques (il n'aborde pas les viols subis par les femmes afro-américaines ou appartenant à d'autres minorités), cela reste un livre-phare du féminisme nord-américain. On doit à Brownmiller d'avoir montré sans équivoque que le viol n'est pas une activité sexuelle, mais un acte de violence et de domination, et que sa représentation dans la littérature et les arts a longtemps été destinée à maintenir les femmes dans la peur et la soumission.  

Il va sans dire que cette lecture a profondément changé mon regard sur la sexualité - et sur mes propres attitudes, avant même que je remette en question celles des hommes qui m'entouraient. 

Il n'en a pas fallu beaucoup plus pour que je prenne conscience qu'un viol n'est pas nécessairement un acte imposé par la force physique mais aussi par les paroles, par l'attitude ou, simplement, par le statut de la personne qui le commet. 

Car la culture du viol (même si le terme n'existait pas encore) était omniprésente, dans la faculté de médecine où je croyais apprendre à soigner. 

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C'est aussi pendant mes études que, parmi bien d'autres lectures, j'ai découvert les ouvrages de Barbara Ehrenreich et Deirdre English

Witches, Midwives, and Nurses: A History of Women Healers (1972)


ainsi que Complaints and Disorders: The Sexual Politics of Sickness (1973) (qui n'a pas été traduit, je crois) 



et For Her Own Good: Two Centuries of the Experts' Advice to Women (1978). 


Je ne sais plus s'ils m'avaient été conseillés par des amies américaines (camarades de lycée de 1973, entrées à l'université depuis, et avec qui je continuais à correspondre) ou par ma libraire préférée, mais il est certain qu'avec la lecture du livre de Brownmiller, ceux de Ehrenreich et English ont eu une influence profonde sur la manière dont j'ai vécu ma formation. 

Ces lectures m'ont fait prendre conscience de ce que, lorsque des médecins imposent sans explication un examen gynécologique à une femme qu'on n'a pas prévenue et à qui on n'a pas demandé son accord, il s'agit, purement et simplement, d'un viol. 
Elles m'ont aussi sensibilisé au fait que la médecine n'a jamais vraiment considéré les femmes autrement que comme "un champ de pouvoir", et non une population avec des besoins spécifiques, et qui devraient recevoir des soins qui remplissent leurs besoins. 
Il m'est apparu très tôt dans mes études que les femmes étaient instrumentalisées... et que les étudiant.e.s en médecine l'étaient aussi, aux fins de contrôler les femmes et leur santé. 
J'avais déjà des intuitions, renforcées par ce que me disaient mes camarades féministes et les femmes soignées elles-mêmes, mais les livres de Ehrenreich et English m'ont apporté beaucoup d'arguments théoriques et historiques pour alimenter ma réflexion. 


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Pendant cette même période (les années 70), je suis passé à côté de The Women's Room (Toilettes pour femmes) de Marylin French, alors que plusieurs amies - qui savaient que j'écrivais de la fiction et m'avaient vu lire Le Carnet d'Or - m'en avaient parlé. Mais je me suis souvenu de ce qu'elles m'en avaient dit, bien plus tard. 

Marylin French est également l'autrice de l'imposant From Eve to Dawn, A History of Women in the World (quatre volumes ! non traduit en français à ce jour). Je l'ai dévoré pendant que j'écrivais L'Ecole des soignantes et le poème qui court dans tout le livre ("Je suis celles") lui doit beaucoup. 





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Comme beaucoup de lectrices au début des années 80 j'ai lu L'Amant de Marguerite Duras mais il m'a moins ému qu'un autre texte (autobiographique) paru la même année, et intitulé La Place (Gallimard, 1984)


Ledit texte venait à point nommé. Récit rétrospectif de la vie du père de l'autrice, c'est aussi celui d'une vie dans une société profondément inégalitaire, dans laquelle on doit "parler comme il faut" et "rester à sa place". Il m'a d'autant plus touché que mon propre père était mort quelques mois plus tôt. La manière à la fois simple et précise, documentée mais jamais distante, dont Annie Ernaux reconstitue la vie de ses parents (elle fera de même avec sa mère dans Une femme) m'a montré la voie : le jour où j'ai écrit Plumes d'Ange, je m'en suis souvenu. 



Quinze ans plus tard, un autre livre d'Annie Ernaux m'a beaucoup touché : L'Evénement (2000). C'est le récit de son avortement, en 1963, à une époque où la pilule existait à peine, et où l'IVG était encore un délit passible des tribunaux. Un beau livre encore une fois, sensible et précis, qui rappelle une époque où les femmes qui ne voulaient pas de leur grossesse devaient le payer cher - pour certaines, de leur vie. Si je ne me trompe, elle l'a composé en s'appuyant sur son journal de l'époque et ne l'a pas caché, ce qui m'a beaucoup réconforté. 

Pour avoir tenu un journal, pendant plus de 40 ans, je tiens à rappeler que tenir un journal c'est de l'écriture. Une écriture à part entière, qui peut se suffire à elle-même ; qui peut aussi établir les fondations de textes plus construits, de fiction ou non ; qui peut également servir de "carrière" pour des textes expérimentaux - et bien d'autres formes. Ce n'est pas "de l'écriture au rabais" comme on l'a longtemps prétendu, et depuis une trentaine d'années, des universitaires comme Philippe Lejeune ont montré toute la valeur (et toutes les dimensions) de l'écriture journalière.  

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Quand on entreprend - comme je l'ai fait ici - de retourner sur "les livres de sa vie", on se rend compte qu'il y a eu des périodes où l'on a moins lu... ou peut être moins de livres marquants. Pendant la dernière décennie du 20e siècle, j'ai moins lu, et écrit beaucoup plus. En tant que journaliste (à Que Choisir Santé première version), comme traducteur (plusieurs livres chez P.O.L, des romans policiers et de SF, mais aussi une ribambelle d'articles et de livres de médecine) et comme rédacteur de textes de vulgarisation. 

A partir de 1998 et de la publication de la Maladie de Sachs, je me suis mis à beaucoup voyager, en France et en dehors. Et j'ai lu beaucoup plus. 

Au début des années 2000, à la faveur des traductions de Sachs, j'ai fait beaucoup de voyages à l'étranger. (Ce qui m'a permis de dépasser ma phobie de l'avion...)  J'ai découvert que dans tous les aéroports du monde, il y avait de grandes librairies, toutes ou presque riches d'un rayon fourni de livres en anglais récents, du roman policier au best-seller de self-help en passant par des livres d'histoire et de vulgarisation scientifique. J'ai acheté beaucoup de livres à la librairie de l'aéroport de Montréal, en particulier. (Elle a malheureusement disparu depuis.) 

Parmi ces livres, les ouvrages de sciences humaines (Anthropologie, Psychologie cognitive, Archéologie, Histoire des peuples) étaient nombreux. 

Ce qui était frappant, c'est le nombre de livres, leur diversité et leur accessibilité, sans commune mesure avec ce qu'on trouvait dans les "Relais H" des aéroports français. 

C'est grâce à ces librairies que je me suis peu à peu initié à l'anthropologie et à la psychologie évolutionniste. J'ai lu beaucoup d'ouvrages depuis vingt ans, mais peu m'ont marqué comme les trois que je cite ici. 


Anatomy of Love (1992) (Traduction : Histoire naturelle de l'amour) par Helen Fisher. C'est une description des pratiques de "mating" (accouplement) dans le monde entier. Fisher est anthropologue et spécialiste des comportements, elle puise dans des travaux nombreux, menés depuis près de 100 ans (à l'époque) aussi bien dans des sociétés industrialisées que parmi des populations premières encore protégées. Son livre décrit les comportements et rituels amoureux, depuis le "courtship" (l'approche amoureuse) jusqu'aux séparations, en passant par les négociations autour du sexe, les rituels de la grossesse, la naissance et les structures familiales. 

C'est un livre éclairant, qui montre que les comportements amoureux ont des passages obligés communs dans toutes les cultures, et dérivent probablement de comportements très anciens, développés par l'évolution au fil de plusieurs centaines de millions d'années de développement de l'humanité, avant l'avénement de l'agriculture. (Il y a 8-10 000 ans). Ce qui m'a beaucoup frappé, c'est la manière dont Fisher décrit des notions d'anthropologie, de sociologie, d'histoire des populations d'une manière limpide, accessible à des lectrices n'ayant aucune notion préalable en la matière (ce qui était mon cas). Elle s'appuie aussi sur des connaissances biologiques solides et ne s'aventure jamais à affirmer ce qui ne peut pas l'être. Je ne peux pas préjuger de la qualité de la traduction, mais quand on veut comprendre les bases biologiques et anthropologiques des relations amoureuses, c'est à mon avis un livre tout à fait indispensable. Par la suite, elle a consacré plusieurs livres au désir et à l'attraction, en particulier Why We Love et Why Him ? Why Her ? tout  aussi passionnants, dans lesquels elle établit une typologie des liens amoureux fondée sur la biologie et les connaissances en psychologie cognitive. 


Leda Cosmides est l'une des fondatrices d'une discipline scientifique récente, la psychologie évolutionniste. Ses principes sont simples : les humains sont des êtres vivants dont le corps et le cerveau a évolué au fil des millénaires pour s'adapter à leur environnement. De même que la station debout ou le pouce opposable, nos comportements sont le produit de cette évolution. La psychologie évolutionniste étudie ces comportements pour tenter d'en comprendre les mécanismes cérébraux (neurologiques, humoraux)  - à partir de l'éthologie (étude du comportement animal, des primates en particulier), de l'anthropologie, de la neuropsychologie et des sciences cognitives. 

L'ouvrage fondateur co-signé par Cosmides et John Tooby s'intitule The Adapted Mind and the generation of culture. (Le cerveau adapté et la genèse de la culture...) Il n'a pas été traduit mais vous trouverez des ouvrages en français sur la page wikipédia de la psychologie évolutionniste

 

Mother Nature, l'ouvrage monumental de Sarah Blaffer Hrdy (1998 - En français : Les Instincts maternels, traduction tronquée parue aux Ed. Payot) est probablement LE livre qui m'a le plus marqué au cours de ces vingt dernières années. Au fil de mes lectures de psychologie évolutionniste, je le voyais mentionné et cité sans arrêt, et j'ai fini par le chercher pour le lire. Ce n'était pas facile : il est paru en 1998 et n'a pas été réédité depuis, on le trouve en édition usagée sur les sites de libraires d'occasion. 

C'est un livre très important, tant dans le domaine de l'anthropologie, de la médecine, de la sociologie que pour le féminisme. Ecrit par une primatologue, c'est une somme biologique et historique de ce qu'est "l'être mère". En partant des rôles sexués observables dans tout le monde vivant, Hrdy passe aux primates, puis aux humains, et montre qu'être mère (la nature de la maternité), c'est pas de la tarte. C'est une lutte quotidienne, permanente, contre les prédateurs, les partenaires potentiels et la progéniture. Chez les personnes humaines, c'est en plus une lutte contre le corps social. Y compris (et pas moins violemment) quand les femmes ne veulent pas être mères... 

Ce livre fascinant, passionnant comme un roman historique (et c'en est un) m'a sans aucun doute conduit à repenser tout ce que je croyais avoir compris de la santé des femmes. Il m'a certainement amené à concevoir et à décrire ce que je nomme "la charge physiologique" dans C'est mon corps (L'Iconoclaste, 2020). Le poids d'être mère, ça commence par le poids d'être femme -- un poids qui existe pour l'immense majorité des femmes, même quand elles décident de ne (ou ne peuvent) pas être mère. 


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Pendant l'année que j'ai passée aux Etats Unis (1972-1973) et lorsque j'y suis retourné en 1976, j'ai rencontré beaucoup de femmes de tous âges qui m'ont sensibilisé aux inégalités entre femmes et hommes. Comme j'avais envie de comprendre, je me suis procuré des livres. L'un d'eux, Sisterhood is Powerfulest depuis devenu un classique. 

C'est une anthologie d'articles critiques et militants, assemblés et écrits par des femmes, portant sur tous les aspects des luttes féministes - de la santé sexuelle aux minorités ethniques, en passant par le monde du travail et l'éducation. Une section entière est consacrée à des poèmes. C'est un manifeste, passionnant et stimulant. L'étudiant en médecine, puis le soignant que je suis devenu lui doivent beaucoup. A noter que The Oxford English Dictionary attribue à l'anthologiste du recueil, Robin Morgan, la première utilisation du terme Herstory, forme féministe de "History" (Histoire). 





J'avais beaucoup entendu parler de Gloria Steinem mais n'avais jamais lu ses textes quand, en 1985, une amie américaine me recommanda la lecture de Outrageous Acts and Everyday Rebellions (Actions scandaleuses et rébellions quotidiennes, Éditions du Portrait, 2018). C'est un recueil, publié au début des années 80 (et réédité depuis) de ses textes de journalisme et de ses essais féministes. Je vous le recommande vivement, car elle y souligne de manière limpide des comportements et des situations que nous avons tendance à ne pas voir... Et nous prouve que, lorsqu'il s'agit de contester le statu quo, il n'y a pas de manière "futile" de résister.  Chaque "Non" compte. 





En 2005 ou 2006, Stéphanie Nicot et Alexandra Augst-Mérelle m'ont demandé de préfacer leur livre Changer de sexe - Identités transsexuelles. Leur proposition m'a surpris - même si j'étais solidaire des personnes transgenres, j'étais très ignorant sur ce qu'elles vivaient, à l'époque - mais je l'ai reçue comme une marque de confiance. Leur livre présentait la situation sociale, sanitaire, politique et légale des personnes transgenres dans la France du début du 21e siècle - et je suis fier d'avoir soutenu et modestement contribué à cette publication militante. Même si les choses ont (un peu) changé, elle garde toute son actualité. 



A peu près à la même époque, j'ai été invité par un enseignant français à donner quelques conférences/cours/séminaires à Colby College, à Waterville (Maine). Là, j'ai rencontré une enseignante de littérature nommée Jennifer Finney Boylan, autrice de plusieurs livres dont l'extraordinaire She's Not There - A Life in Two Genders. C'est le récit de sa transition, le versant personnel, intime de ce que décrit le livre précédent, même s'il concerne une femme transgenre américaine et non française. Il n'a, malheureusement, pas été traduit à ce jour. 




En 2007, j'ai co-écrit et publié un livre malheureusement passé relativement inaperçu, Les Droits du patient (Fleurus) Je n'aurais pas pu le faire sans une juriste qui signait du pseudonyme de Salomé Viviana. Je ne peux pas en dire plus sur elle sans risquer de compromettre son pseudonymat, mais je tenais à faire figurer ce livre ici, car sans elle, il n'existerait pas. Depuis, de nombreux sites et associations se sont mis à diffuser des informations sur les droits des patient.es, mais en 2007, c'était nouveau...  Je sais qu'il a rendu service à un certain nombre de personnes à l'époque, j'aurais aimé qu'il soit réédité et mis à jour, mais le sort ne l'a pas voulu, et je le regrette vivement. J'ai énormément appris (et modifié ma façon de penser) en travaillant avec Salomé Viviana. 








La même année, j'ai eu l'occasion de me rendre à l'Université de Columbia (New York City) et d'y suivre un séminaire organisé par le Dr Rita Charon dans le cadre de l'enseignement de Narrative Medicine. Les principes de la médecine narrative sont simples et m'ont touché immédiatement : ils suggèrent que le récit des personnes soignées est, en soi, un texte de littérature qui mérite non seulement une écoute attentive, mais aussi une analyse commune, collective - visant à le comprendre. Cette analyse a non seulement l'intérêt de nourrir la réflexion des soignantes, mais aussi de valoriser et d'éclairer l'histoire personnelle des personnes soignées. 






Depuis 2012, je regarde assidûment une série de la BBC intitulée Call the Midwife (SOS Sage-femme).  C'est une série historique, médicale, féministe et militante, et je n'en rate aucun épisode (je me jette sur les "Christmas Specials" dès qu'ils sont diffusés, en général le jour de Noël... 
La série a été créée par une femme, Heidi Thomas, la plupart de ses épisodes sont écrits par des femmes, et elle s'inspire des mémoires d'une sage-femme londonienne, Jennifer Worth
Entre deux saisons, j'ai lu les trois volumes et comme ils ne sont pas traduits, je recommande aux non-anglophones la série, disponible en DVD et Blu-Ray. 


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J'ai toujours aimé les comédies romantiques, le mélodrame et la science-fiction, et j'ai un faible pour les histoires de voyage dans le temps. Quand un roman mêle tous ces genres, je suis bon public. Parmi tous ceux que j'ai lus, un titre se détache parmi tous les autres, c'est The Time Traveler's Wife d'Audrey Niffenegger (Traduction française : Le Temps n'est rien, Ed. Lafon). 



C'est un roman d'amour, un roman de science-fiction, et c'est aussi une construction narrative époustouflante, qui nous fait voyager le long de la vie des deux protagonistes (un homme qui se déplace spontanément dans le temps, la femme amoureuse de lui et qu'il aime) de manière aussi surprenante et (en apparence) arbitraire que les déplacements temporels du personnage masculin. C'est un texte magnifique qui me bouleverse et me fait pâlir de jalousie chaque fois que je le relis... Je lève mon chapeau et je m'incline bien bas devant la maîtrise de l'autrice. 

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Je suis fasciné depuis toujours par la langue anglaise, et par sa cohabitation parfois complexe avec le français. L'une des autrices qui m'ont le plus éclairé sur le sujet est la linguiste Henriette Walter, grâce à son épatant ouvrage Honni soit qui mal y pense. Il raconte l'histoire parallèle des deux langues, et montre que tous les préjugés sur "l'invasion linguistique" du français par l'anglais n'ont aucun sens. Les deux langues se sont toujours enrichies mutuellement à mesure qu'elles évoluaient. 





Plus récemment, j'ai été ravi par la lecture de Le français est à nous de Maria Candéa et Laélia Véron. Il abat bien des préjugés et des idées reçues et démontre la dimension politique et éthique d'une histoire du parler, de l'écriture, de l'orthographe et des codes de langage. 



Le travail des deux autrices se poursuit dans un podcast épatant, Parler comme jamais, que je vous recommande chaleureusement. C'est instructif, drôle, stimulant et surprenant. 

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La seconde guerre mondiale fait partie de l'histoire de mon enfance : même si je suis né dix ans après l'armistice, j'ai grandi en regardant des films de guerre - qui étaient presque aussi nombreux que les westerns, à l'époque où mon frère et moi traversions la place de la mairie pour aller au cinéma. Et parmi tous les films de guerre que j'ai vus, Casablanca est probablement celui que j'aime le plus régulièrement revoir. Je ne vais pas vous le décrire (vous le connaissez probablement aussi bien que moi, sinon, je vous invite à aller le voir...) mais si vous aimez ce film, je vous recommande vivement la lecture de 
Round Up the Usual Suspects : The Making of "Casablanca"par Aljean Harmetz





C'est tout à la fois un  livre d'histoire, un livre sur la résistance et la propagande, un livre sur les réfugiés européens à Hollywood, un livre sur la manière dont on fait un film et dont on installe des légendes. 

Bref, un bouquin formidable. Qui, lui aussi, mériterait d'être traduit. 
Aljean Harmetz, qui fut correspondante du New York Times à Hollywood de 1978 à 1990, est également l'autrice de deux autres livres remarquables consacrés à des films classiques : 
The  Making of the Wizard of Oz (1977) 
et 
On the Road to Tara : The Making of Gone With the Wind (1996) 

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Tout récemment, en préparation d'un projet de roman qui se déroulerait à Paris pendant l'Occupation, j'ai lu plusieurs livres passionnants parmi lesquels Americans in Paris : Life and Death under Nazi Occupation de Charles Glass. 

Sur la même période, la britannique Anne Sebba a publié un livre intitulé Les Parisiennes, entièrement consacré aux femmes pendant l'Occupation (édité en France par Vuibert). Elle y montre que la Résistance n'aurait pas eu lieu si les femmes n'en avaient pas été des ouvrières aussi actives qu'elles restent méconnues.  



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Le dernier livre dont je voudrais parler, j'en ai terminé la lecture ces jours-ci, pendant la première semaine de 2021. C'est une fois encore un livre d'histoire(s). Il s'intitule The Story of Jane





"Jane", c'est le nom de code que s'étaient donné les femmes du réseau informel qui organisa des avortements clandestins à Chicago entre 1968 et 1973 (date de la décriminalisation de l'avortement aux Etats-Unis). Le livre est l'histoire orale de ce réseau, rassemblée par l'une de ses participantes auprès de ses camarades. Il a été publié pour la première fois en 1995 et réédité l'an dernier. 

A l'heure où les législateurs français refusent aux sages-femmes l'autorisation de pratiquer des IVG par aspiration, ce livre nous raconte qu'il y a cinquante ans, des femmes militantes et bénévoles ont appris à pratiquer des IVG sans danger en se passant des médecins. 

Ce n'est donc pas seulement un document historique remarquable, c'est aussi un modèle de lutte et d'émancipation et une leçon pour tous ceux qui voudraient laisser croire que les femmes ne sont pas capables d'assumer elles-mêmes la prise en charge des gestes les plus essentiels à leur liberté.  

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Epilogue : A l'issue de cette deuxième partie, je suis heureux de constater que non seulement des livres écrits par des femmes m'ont accompagné tout au long de ma vie jusqu'ici, mais qu'ils sont de plus en plus nombreux à paraître et à exercer une influence sur les lectrices. Je n'ai cité dans les deux articles précédents que les livres qui me semblent les plus éloignés dans le temps ou les moins susceptibles d'être connus de lectrices éventuelles.

Mais il y est d'autres, parus récemment, qu'il me semble important de citer en guise de post-scriptum. Ces livres-là n'ont pas besoin d'être présentés. Ils sont disponibles et ils sont déjà très lus. Je les cite ci-dessous, dans l'ordre alphabétique de leurs autrices, parce qu'ils sont importants à mes yeux de lectrice d'aujourd'hui. 

Valérie Auslander et SoSkuld, Omerta à l'hôpital 
Mona Chollet, Beauté Fatale 
Mélanie Déchalotte, Le livre noir de la gynécologie
Camille Froidevaux-Metterie, Le corps des femmes 
Pauline Harmange, Moi les hommes je les déteste
Marie-Hélène Lahaye, Accouchement - Les femmes méritent mieux 
Mathilde Larrère et Aude Lorriaux, Des intrus en politique 
Aude Mermilliod, Il fallait que je vous le dise 
Coline Pierré, Poétique réjouissante du lubrifiant et Eloge des fins heureuses
Valérie Rey-Robert, Une culture du viol à la française
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Il y a un peu plus de trois ans, le 2 janvier 2018, Paul Otchakovsky-Laurens, l'homme qui publia mon premier roman, La Vacation et m'encouragea (entre autres) à écrire Le Choeur des femmes, mourait dans un accident de voiture. 

Grâce à son livre Marie-GalanteEmmelene Landon nous permet de le retrouver vivant, et je la remercie profondément. 




Montréal, 12 janvier 2021.