Françoise Dargent, journaliste au Figaro Littéraire, m'interroge longuement pour un article à venir. Elle m'envoie aujourd'hui un courriel pour me poser une question complémentaire :
Lors de notre longue conversation, j’ai omis de vous demander des précisions sur cette bonne ville de Tourmens, familière à vos lecteurs. Pouvez-vous m’en dire plus sur ce choix, le nom, la ville qui vous a inspiré, la ville fantasmée et pourquoi toujours elle ?
Je lui réponds :
"Tourmens c'est Tours/Le Mans, les villes où j'ai fait et terminé mes études, mais c'est aussi représentatif d'une certaine dichotomie en France : la ville bourgeoise, ensoleillée, avec une belle université, beaucoup d'argent (Tours) d'un côté, et la ville ouvrière, grise, isolée dans la région (l'hôpital du Mans est l'un des plus grands de la région Pays de la Loire mais n'a jamais obtenu d'être considéré comme un CHU) et méprisée par tout le monde (alors que le TGV s'y arrête, il est question qu'on lui fasse contourner la ville pour gagner... trois minutes sur la route de Brest, ce qui signerait la mort économique du Mans et qui, pour les gens qui vont travailler tous les jours à Paris, par exemple, représenterait le retour à l'époque où ils devaient se taper 4 heures de transport aller-retour, au lieu de deux)
Bref, Tourmens représente la France, il y a la rive droite bourgeoise et dominante, la rive gauche populaire et militante. C'est une vieille vision, utopique et idéaliste qui remonte à mes ébauches de roman dans les années 80. Je l'ai développée dans les romans policiers (Mort in Vitro, Camisoles) et surtout dans ma "Trilogie Twain" (dont le Figaro Magazine, d'ailleurs, a été le seul à rendre compte), en particulier dans la description de la médecine à deux vitesses des CHU hyperéquipés contre les hôpitaux de quartier pauvre que tout le monde veut faire disparaître.
L'intérêt d'avoir une ville imaginaire c'est qu'on peut y mettre en scène et y transposer toute une société sans avoir besoin de se caler sur l'histoire officielle et en réinventant les personnages à partir de figures réelles sans être enchaîné par/à la réalité. On peut régler leur compte à qui l'on veut, en sauver d'autres. Mais si ma vision est idéaliste et militante, mes militants ne posent pas de bombes. Dans la Trilogie, un mystérieux "Robin des Tours" REPARE les ascenseurs des HLM laissés à l'abandon par la municipalité pour en déloger les habitants. Et en permettant aux gens de se réinstaller dans les tours, il provoque plus de pagaille qu'en fomentant des attentats.
Bref, à Tourmens, je fais ce que je veux. Vous noterez, d'ailleurs, que le Tourmens de mes romans médicaux, sans histoire, n'est pas exactement le même que celui de mes romans policiers ou de SF (dont l'histoire politique et policière est plus mouvementée. Mais on peut représenter New York différemment selon qu'on filme une comédie musicale, une comédie romantique ou un film noir.
Sans vouloir établir la moindre comparaison de qualité, Faulkner avec son comté de Yoknapatawpha (dans la littérature) ou David E. Kelley (scénariste producteur de télévision de Ally McBeal et Boston Legal) n'ont pas procédé autrement : dans "Picket Fences", sa première série diffusée dans un désordre scandaleux sur TF1 il y a une dizaine d'années, Kelley fait survenir (et débattre de) toutes les turpitudes de l'Amérique dans une ville imaginaire qu'il nomme Rome, Wisconsin. (Puisque tous les chemins y mènent...)
Par conséquent, une ville nommée "Tourmens" et traversée par une rivière qui s'appelle la Tourmente, pour parler des conflits intimes ou sociaux, c'est parfait, je trouve."
Cela dit, je ne trouve pas "mieux" ou "moins bien" de parler d'une ville imaginaire que de parler d'une ville réelle. Quand James Joyce choisit de situer Ulysses à Dublin et quand David Simon situe ouvertement The Wire à Baltimore ou quand René Balcer, le showrunner et principal scénariste de Law & Order transpose des événements de toute l'Amérique à New York, ils produisent des chefs-d'oeuvre. Ce n'est pas le lieu (réel, imaginaire ou "mixte") qui compte, c'est, encore une fois, l'usage qu'on en fait pour parler de la dureté du monde. Un écrivain (je considère que les scénaristes de télévision sont des écrivains) a tous les droits.
En venant poster ce message ici, je me rends compte que Tourmens c'est une sorte d'abréviation/contraction de "Tout roman"
Oui, j'ai toujours pensé à ces 3 sens, sans l'avoir jamais dit je crois. Et dans cet ordre (très important),Tourmens, c'est pour moi :
RépondreSupprimer- le tourment
- Tours-Le Mans
- tout roman
Oui, tous les droits (d'auteur...)
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup.
Josiane Papazian
La première fois que j'ai lu ce nom, j'ai "entendu" tour+"mens",du latin mens,mentis, l'esprit!
RépondreSupprimerBon dimanche placé sous le signe de la pluie ! Pascal.
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