Je ne vais pas vous parler des débats politiques et/ou éthiques autour de l'aide médicale à mourir. Je l'ai fait en détail dans la blogue-soeur de celle-ci, L'Ecole des soignantes. (Voici l'article : "L'assistance médicale à mourir EST un soin.")
Aujourd'hui je vais juste parler de terminologie. Des mots qu'on emploie et de ceux qu'on pourrait choisir (il me semble) employer à leur place.
Et donc le mot d'aujourd'hui est "euthanasie".
Etymologiquement, ça vient du grec et ça signifie "bonne (eu) mort (thanatos)"
Quand on le dit, ça sonne furieusement à mes oreilles comme "état nazi" et je ne suis pas sûr d'être le seul à entendre ça, de manière plus ou moins subliminale. Entendu comme ça, ça fait peur. Et il y a de quoi.
Que désigne le mot "euthanasie" ?
Eh bien, aujourd'hui en France, le mot désigne ce que les militantes de l'aide médicale à mourir (et l'immense majorité de la population française, d'après les sondages) réclament à corps et à cri : la possibilité de mettre fin à ses jours de manière 1° volontaire et délibérée, bref, choisie 2° assistée médicalement.
Le problème, c'est que ce mot ne désigne pas la même chose pour tout le monde. Il désigne aussi les assassinats commis par les médecins nazis, les mises à mort décidées par ou avec et commises par des médecins sur des personnes vulnérables (nouveaux-nés souffrant de troubles neurologiques graves, personnes handicapées, personnes dans un coma profond) de manière clandestine dans tous les pays développés, les actes de compassion demandées par le propriétaire d'un animal malade à des vétérinaires...
J'ai mis tout ça dans le même paragraphe pour montrer que la confusion (volontaire, inconsciente, culturelle) associée à ce mot est inévitablement problématique. On ne peut pas désigner toutes ces situations par le même vocable.
Les actes des médecins nazis étaient des assassinats d'état.
Les actes clandestins des médecins sont (au moins) des abus de pouvoir ; au pire, des assassinats.*
Les actes pratiqués par les vétérinaires sur des animaux malades sont (le plus souvent, c'est à dire quand ils ne sont pas contraints par leurs propriétaires mais par la souffrance et l'état des animaux concernés) des actes de compassion.
Le mot "euthanasie", avec sa polysémie, noie le poisson. Qui n'avait rien demandé. Il masque totalement que dans le débat actuel, la question est avant tout celle de la liberté de mourir quand et comment on le décide et le choisit.
Aucune des trois situations ci-dessus ne répond à cette définition.
Le problème du mot "dignité"
Encore un mot source de confusion. Beaucoup de militants de la liberté de mourir parlent de "mourir dans la dignité". Le sens du mot "dignité" varie singulièrement selon qu'on est médecin, malade ou proche d'un malade... ou politicien.
Je prétends et j'affirme ici que personne n'a la capacité ou le droit de dire/de décider/de définir ce qui est digne ou non pour moi.
Il y a des choses que je trouve "indignes" en ce qui me concerne, et que d'autres tolèreraient très bien, et inversement. La dignité dans la maladie, la souffrance ou la mort, ça ne se décrète pas, ça se ressent. La seule personne qui peut définir la dignité, c'est celle que ce mot désigne.
Pourquoi utilise-t-on le terme de "dignité", alors ? Parce que certaines comportements et situations infligées aux personnes en fin de vie nous semblent honteuses - c'est à dire : humiliantes, brutales, sadiques, irrespectueuses. Bref : insupportables. Sont-elles, de plus, indignes ? Si la personne qui les subit le dit, certainement.
Mais ces situations ont toutes un point commun (voir plus haut) : elles sont imposées et décidées par quelqu'un d'autre que la personne concernée.
Ce que nous ressentons comme "indigne" est toujours le produit du mépris, de la force ou de l'abandon. La seule manière de vivre "dignement", c'est de vivre en étant respectée, dans ses choix, son corps, ses valeurs.
Pour ne pas se sentir "indigne", il faut par conséquent que les autres nous respectent. "Mourir dans la dignité", ça devrait donc être entendu comme "mourir en étant respectée " -- dans mon corps, mes valeurs - et dans mon choix de quand et comment je veux mourir.
Qu'est-ce qu'une "bonne" mort ?
Bien malin celui qui nous le dira. En ce qui me concerne, il n'y a pas de "bonne" mort. Ne peut être "bon" ou "mauvais" (et là encore c'est subjectif) que ce qui la précède. On peut agir sur ça, mais une fois qu'on est morte...
Chacune de nous a sa propre définition de la "bonne mort". La mienne, c'est de mourir "rassasié d'ans", comme on dit dans la Bible, c'est à dire le plus tard possible, après avoir souffert le moins possible et en ayant le sentiment que j'ai moins contribué aux malheurs du monde qu'à le rendre meilleur pour les personnes qui m'entourent. Je ne suis pas assuré que ça se passera comme ça...
Et cette définition est entièrement conditionnée par ma vie passée et présente : je suis en bonne santé, je n'ai pas (pour le moment) de maladie grave ou terminale, j'ai un toit, je mange à ma faim, je gagne ma vie etc.
Il est évident que la définition de la "bonne mort" varie selon chacune et chacun d'entre nous. Mais s'il s'agit de mourir dans une dignité que nous allons définir pour nous-même, le mot "euthanasie" ne convient pas. Il est trop confus, trop chargé. Il ne dit pas ce que véhicule l'expression "aide/assistance médicale à mourir".
A savoir, encore une fois, qu'il s'agit d'une mort décidée en toute liberté : celle de la personne qui la demande (de vive voix ou dans ses directives anticipées) ; pas celle de sa famille, et encore moins celle des médecins.
Il s'agit d'une procédure médicale : la personne qui veut mourir ne veut pas se pendre, se noyer, se défenestrer, se tirer des chevrotines dans la bouche ou avaler de la mort aux rats.
Elle désire mourir sans souffrance et sans faire souffrir son entourage, grâce à des méthodes contrôlées et dont les effets sont connus. La pharmacopée n'en manque pas.
Le rôle médical est là, et seulement là : lui procurer (et, éventuellement, administrer si la personne ne peut ou ne veut le faire elle-même) les médicaments qui lui permettent de mettre fin à sa vie 1° sans souffrir et 2° au moment qu'elle aura choisi.
(Oui, oui, j'en entends dire "Mais un médecin c'est pas fait pour tuer"... Et encore une fois ces personnes-là ne voient pas l'essentiel, à savoir qu'il s'agit d'une décision prise par la personne soignée, et non par les médecins. Et qu'elles ont toute latitude pour se démettre, comme pour n'importe quel soin.
On ne demandera pas aux professionnelles opposées à l'aide médicale à mourir de la pratiquer, tout comme on ne force pas des personnes opposées à l'IVG de les pratiquer. Elles le feraient mal.
On leur demande seulement de nous foutre la paix et de ne pas entraver la liberté des personnes qui la demandent et des soignantes qui sont prêtes à les aider !!!!)
Tout ça est simple, il me semble. A dire, à définir, à comprendre et à réglementer. Et à celles et ceux qui commencent à émettre des objections, je répondrai simplement : Suisse, Luxembourg, Belgique, Pays-Bas, Canada, Colombie, Oregon... Ces états ont légiféré/réglementé. Pour certains, depuis trente ans. Et leur société ne s'est pas engouffrée dans le chaos. Alors, encore une fois, qu'on arrête d'emmerder le monde avec des objections qui ne tiennent pas debout.
Bannissons le mot "euthanasie" du vocabulaire et donc du débat.
Parlons désormais d' "aide/assistance médicale à mourir".
Car cela permettra de mieux voir l'enjeu central :
Dans une société qui se dit démocratique et dont la devise est "Liberté, Egalité, Fraternité", les citoyennes doivent pouvoir décider de mourir librement et selon leurs propres termes, avec l'aide des professionnelles de santé qui sont prêtes à les accompagner.
Je ne sais pas si la société française et ses élues de tous genres sont prêtes à voter une loi qui irait dans ce sens, mais appelons au moins les choses par leur nom.
Ce sera plus clair pour tout le monde.
Martin Winckler
Lectures suggérées :
La mort choisie, par François Damas
En souvenir d'André, par Martin Winckler
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* Personnellement, je pense qu'une euthanasie pratiquée par un médecin sans l'avis de la personne concernée, avec ou sans la demande de l'entourage, est toujours un abus de pouvoir ET un assassinat. Mais je suis prêt à en débattre si vous avez des arguments contraires...
En 2007, ma mère a été hospitalisée. Sous morphine depuis un moment, ses reins avaient lâché, elle souffrait horriblement. On l'a placée en coma artificiel (je ne sais pas si c'est le terme exacte ) en me prévenant qu'on ne la réveillerait pas. Lorsque j'étais à ses côtés et que je voyais la poche de perfusion presque vide, je voyais sur le tableau de surveillance son cœur s'emballer, je suppose qu'elle souffrait car dès la nouvelle poche, elle se calmait. Au bout de trois jours, son médecin m'a convoquée, il m'a fait le bilan de la situation irrémédiable et a fait cette remarque : "il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps". J'ai compris. Je lui ai répondu : "je ne veux pas qu'elle souffre". Elle est morte dans la soirée. J'ai toujours pensé qu'il avait tâté le terrain et que l'on s'était compris à demi-mots, qu'ils avaient effectivement fait qu'elle ne souffre plus. Quand, il n'y a plus aucun espoir et que la personne est inconsciente et souffre malgré tout, je pense mais ça n'engage que moi qu'abréger ses souffrances est la chose à faire.
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