« Comment
un médecin devient-il écrivain ? »
« Pourquoi
portez-vous un pseudonyme ? »
« Comment
avez-vous publié votre premier roman ? »
« Comment
vous est venue l’idée de La Maladie de
Sachs ? Du Chœur des
femmes ? »
« Est-ce
qu’il vous arrive d’être jaloux des autres auteurs ? »
« Pourquoi
écrivez-vous ? »
Depuis
1998, au fil des rencontres – dans les librairies et les bibliothèques, par
lettre ou par courriel, sur mes sites internet ou ma page Facebook – lectrices
et lecteurs m'ont posé beaucoup de questions.
Un
jour, j'ai eu envie de rassembler les brassées de questions et de réponses, et
d'en faire des bouquets. Et un bouquin.
Mentir s’apprend.
Ecrire aussi.
Jean
Guenot
Pour moi, écrire
c’est simplement penser avec mes doigts.
Isaac Asimov
Une
journaliste : « Que feriez-vous
si vous n’aviez plus qu’un an à vivre ? »
Isaac
Asimov : « Je taperais plus vite. »
Accueil
Bienvenue et merci de vous joindre à moi aujourd’hui.
Mon nom est Marc Zaffran.
Je suis né en Algérie, en 1955.
J’ai exercé la médecine générale en France entre 1983 et 2008. J’écris
depuis le début de l’adolescence et, depuis 1989, je publie des livres –
romans, essais, nouvelles, contes – sous le pseudonyme de Martin Winckler. Mes romans
les plus connus sont La Maladie de Sachs
et Le Chœur des femmes.
Depuis 2009, je vis à Montréal, Québec.
Lorsque je rencontre des lecteurs, la conversation tourne souvent autour
des questions de santé. C’est assez naturel, étant donné ma profession et les
thèmes abordés par bon nombre de mes livres. Mais aujourd’hui, je vais vous parler
de mon métier d’écrivant. Et, pour
cela, j’ai rassemblé ici les questions posées au fil des années par des
lectrices et des lecteurs, proches ou étrangers, en tête à tête ou par écrit.. Les
questions qu’on m’a souvent posées, mais aussi celles qui m’ont fait dire : « Ah, je n’avais
pas pensé à ça. »
J’aime les questions. Elles font appel à ma mémoire, elles agitent mes
émotions, elles stimulent mon imagination. J’aime aussi donner des réponses et,
je vous le dis tout de suite, je suis très
bavard.
On commence quand vous voulez.
Précision
Pourquoi « écrivant
» et pas « écrivain » ?
Depuis toujours, le
mot « écrivain » me met mal à l’aise, pour ne pas dire qu’il
m’irrite. J’ai mis longtemps à comprendre que c’est parce qu’il est pétri de
connotations culturelles aussi anciennes – et chargées – qu’un portrait de
Louis XIV. Un écrivain, c’est un
descendant symbolique de Madame de Sévigné. Le mot anglais, writer, ne résonne pas de la même
manière. Un writer, c’est quelqu’un dont
le métier est d’écrire, un point c’est tout.
Dans mon univers mental, writer est
penché sur sa machine à écrire ; écrivain
disserte de sa vision du monde dans un salon privé ou sur un plateau de
télévision. Writer a une famille et
des traites à payer ; écrivain a
des relations et on le fait chevalier des arts et lettres. Writer raconte des histoires pour gagner sa vie ; écrivain compose une œuvre qui le fera
passer à la postérité.
Je sais
pertinemment que la plupart des écrivains français d’aujourd’hui ne se reconnaissent
pas dans cette image caricaturale mais, encore une fois, il s’agit de
représentations subjectives, non d’une description de la réalité. Seulement, ces
représentations ne sont pas sorties du néant : tels qu’on les évoquait dans
les notices biographiques des Lagarde et
Michard, mais aussi dans beaucoup d’émissions de télévision des années
soixante, les écrivains écrivent parce qu’ils sont « inspirés », et
vénèrent par-dessus tout la langue qu’ils tracent à la plume. S’ils ne sont pas
nés dans l’aristocratie, ils aspirent à la rejoindre – tout comme Swann aspire à entrer au Jockey-Club. Pour les consacrer, on publie des articles
dithyrambiques (écrits par des écrivains), on leur décerne des prix (remis par
des écrivains), on les élit et on les enterre au Panthéon et à l’Académie
Française (parmi des écrivains). Bref, les écrivains ne font pas partie du
commun des mortels. Quant aux pisseurs de copie – publiés ou non – qui n’ont
pas été ainsi dûment estampillés, ce ne sont pas de vrais écrivains.
Autrement dit, ce qui
me gêne, dans le mot « écrivain », c’est toute sa charge d’élitisme, et le rapport de classe.
Ce que j’aime, en
revanche, dans le mot anglais writer,
c’est qu’il désigne un métier, une
pratique, un travail : Anne Frank et Franz Kafka sont des writers parce qu’ils ont passé la partie la plus signifiante de
leur vie à écrire, non parce qu’on les a valorisés après leur disparition.
Mais j’écris en
français, j’avais envie de me définir dans ma langue. Alors, depuis quelques
années, je dis que je suis écrivant. J’aime
ce mot parce qu’il est descriptif, sonne bizarre et n’a pas de statut.
Autant dire qu’il a
mauvais genre. Et ça me convient très
bien.
Lectures (1)
Avant d’écrire, on lit. Que lisiez-vous enfant et à l’adolescence.
Quelle importance les livres ont-ils eue pour vous ?
Puis à des auteurs qui ne s’adressaient pas vraiment aux jeunes lecteurs mais qu’on leur faisait lire : Jules Verne, Herbert George Wells. Simultanément, je me suis mis à lire de la littérature dite « policière » ou « d’énigme » : Sherlock Holmes, Arsène Lupin, Hercule Poirot.
Ma mère était abonnée à Mystère Magazine et Hitchock Magazine, que je lui piquais dans sa table de nuit. Quand j’appréciais beaucoup un auteur, je recherchais ses autres textes. Et puis j’ai découvert les anthologies de littérature de genre, qui étaient nombreuses dans les années cinquante, et qu’on trouvait encore à la fin des années soixante. Quand une anthologie contenait une ou des nouvelles d’auteurs que j’avais apprécié, je la lisais et ça me faisait découvrir d’autres auteurs. J’ai encore chez moi une des premières anthologies que j’aie possédées : Les chefs-d’œuvre du crime, de Bergier et Sternberg, publié par Marabout. en 1966. C’est un recueil extraordinaire, qui regroupait quarante nouvelles d’auteurs pour la plupart anglo-saxons, mais aussi des textes d’auteurs francophones : Apollinaire, Octave Mirbeau, Maurice Leblanc, Jean Ray, Maurice Renard, Marcel Schwob, Stanislas-André Steeman…
Le livre commençait par une grande préface sur les personnages de la littérature criminelle et d’aventures et se poursuivait par une liste chronologique des grands romans du genre depuis le 18e siècle. Les nouvelles étaient regroupées par thème - crime parfait, crime presque parfait, humour, enquêteurs de génie, etc. - et précédées d’une courte présentation de l’auteur.
C’était un authentique travail de « passeur », qui m’a familiarisé avec des dizaines d’auteurs. Pendant toute mon adolescence, j’ai lu beaucoup de romans policiers, anglophones et francophones - Christie, Doyle, Charteris, Leblanc, Simenon, Steeman, Japrisot - et beaucoup de science-fiction, essentiellement américaine.
Et j’ai lu autant de recueils de nouvelles que de romans. Ce qui explique que j’ai d’abord eu envie d’écrire des nouvelles : un roman me paraissait bien au-delà de mes capacités. De plus, je lisais aussi beaucoup de bandes dessinées, et en particulier les histoires courtes en deux à six planches publiées dans les magazines de l’époque - Spirou, Tintin, Pilote - et je regardais des séries télévisées américaines, dont chaque épisode, à l’époque, était une histoire complète
et des feuilletons français comme Rocambole et Les Habits Noirs qui, eux, étaient « à suivre ».
Autant dire que pendant mon enfance, j’avais devant moi tout l’éventail accessible des récits, depuis les nouvelles ultra-courtes de l’Américain Fredric Brown jusqu’aux romans-fleuves de Dumas et de Jules Verne – Les Trois Mousquetaires, Michel Strogoff et Les Indes Noires restent pour moi des grands moments de lecture. Quant à L’écume des Jours et aux Vernon Sullivan, à mes yeux c’étaient des romans américains. D’ailleurs, Vian avait traduit certains des romans de science-fiction les plus marquants des années cinquante, en particulier Van Vogt.
Je peux donc dire que je lisais essentiellement de la littérature « populaire ». Et je m’en portais très bien. Je voudrais ajouter ici que c’est la littérature populaire qui m’a fait comprendre très tôt qu’écrire est un métier. Les auteurs américains laissaient clairement entendre qu’ils appartenaient à une « famille » d’écrivants qui se lisaient mutuellement et qui travaillaient souvent ensemble. Ils parlaient d’argent, des aléas de publication et disaient : « J’ai vendu une nouvelle. On m’a refusé un roman. » Et je découvrais qu’ils venaient de milieux très divers, que beaucoup avaient une formation scientifique ou technique, que certains avaient commencé très tard – toutes choses très encourageantes aux yeux d’un garçon pour qui l’éventualité de publier avait tout du rêve impossible. L’autre chose que j’ai apprise de ces auteurs est qu’ils puisaient leurs idées autour d’eux. Dans la présentation de ses nouvelles en recueil, Isaac Asimov expliquait que le sujet de telle histoire lui était venu au cours d’une conversation avec un de ses amis, ou à la suite d’une lecture, voire même d’un pari – ce qui démystifiait complètement toute notion d’« inspiration » : tout était bon à raconter, tout était bon à écrire, et écrire pouvait à la fois être très sérieux et très ludique. C’est toujours grâce à la SF que j’ai pour la première fois « écrit sous contrainte », grâce à la revue Fiction.
Elle avait publié le début d’une nouvelle que le britannique Keith Laumer avait rédigé et avait envoyé à plusieurs collègues. C’était l’histoire d’un homme qui, dans un futur éloigné, se rend dans une clinique d’euthanasie et demande à en finir. Il s’allonge sur la table, on lui fait une injection mortelle, et il meurt. Il fallait écrire la suite. J’ai lu les histoires des autres auteurs, et j’ai aussi écrit ma propre suite. Le défi était trop beau pour ne pas le relever ! La SF n’était pas seulement un genre, c’était aussi un milieu vivant, dans lequel – en Amérique, du moins – les auteurss se connaissaient, rencontraient leurs lecteurs dans les « conventions », les festivals, échangeaient des idées, écrivaient en duo, partageaient des personnages. Le monde du roman policier était lui aussi très animé, très vivant, et on sentait qu’il y avait peu de barrières entre les auteurs eux-mêmes, mais aussi entre auteurs et lecteurs. Ça m’a incité, pendant l’année que j’ai passée en Amérique à l’adolescence, à écrire à Isaac Asimov pour lui dire tout le bien que j’avais pensé de son dernier roman en date… et lui envoyer un texte de mon cru (j'avais peur de rien...) Et il m’a répondu ! Avoir affaire à des auteurs vivants, c’était enthousiasmant !
Aujourd’hui 18 décembre 2013, j’ai reçu deux messages. L’un venait
d’une lectrice du Chœur des femmes
âgée de 16 ans. Elle a lu le roman quand elle en avait douze ! Inutile de
dire que je lui ai répondu tout de suite. Le second message venait d’une
enseignante qui travaille dans un lycée français aux Etats-Unis. Elle m’avait
demandé si j’étais prêt à venir parler à ses élèves. J’avais répondu que j’en
serais ravi. Aujourd’hui, elle m’a demandé si, dans l’hypothèse où les élèves
étudieraient La Maladie de Sachs, je
serais d’accord pour que le roman soit sur la liste de leurs bouquins pour le
bac. « Je ne sais pas si vous considèreriez
cela comme un honneur, ou comme le début d'une fossilisation prématurée de
votre œuvre » ajoutait-elle. Je lui ai répondu que j’avais beaucoup râlé quand
j’étais au lycée contre les classiques poussiéreux qu’on nous infligeait, alors
je suis heureux qu’on fasse lire un de mes bouquins tant que je suis vivant et
que je peux répondre aux questions des jeunes lecteurs !
Ravie de cette initiative ! Vivement la suite :-)
RépondreSupprimerUne série d’articles dont je vais dorénavant attendre chaque feuilleton avec impatience, comme une bonne série TV ;-)
RépondreSupprimerJ’aime quand on parle de l’écriture comme d’une chose ni « grave » ni réservée à quelques élus touchés par la grâce de l’inspiration.
Le complexe de n’avoir lu ni Proust ni Stendhal, je connais ça aussi, mais depuis quelque temps, je me dis que tout arrive à qui sait attendre. J’ai lu le premier tome de la recherche avec plaisir l’an dernier (à 30 ans passés également), mais j’ai calé sur le second... pour l’instant.
Je pense en effet que de n’avoir pas fait d’étude de lettres est une chance. En ce qui me concerne, je m’y suis égaré une année, mais j’ai vite compris que ce ne serait pas là que j’apprendrais à écrire un livre – il faut excuser la naïveté de l’adolescent qui a cru cela.
Bravo et merci.
Les études de lettres servent à apprendre à comprendre un texte écrit par d'autres, en déceler les ficelles, les étais, le propos. Pas à écrire, il n'a jamais été question de cela. Jean-Basile, je suis écrivain et j'ai fait des études de lettres ; je pense que c'est une chance parce que ça m'a évité de réinventer l'eau tiède souvent et que c'est déjà énorme. La légende de l'autodidacte qui fait mieux sans avoir appris, je n'y crois pas parce que tout simplement il apprend seul ce qu'il aurait appris en amphi.
RépondreSupprimerEt sinon pour Marc Zaffran, je suis ravie de vous lire et de constater en notant vos lectures de formation, une fois de plus, que nous avons perdu en vous un grand écrivain de SF, je ne sais pas si je dois le regretter ou non ...^^
J'adore ta precision de écrivant!
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