Ce texte est la suite (et la fin) de "Les filles comme moi" et "Les femmes qui n'ont pas été aimées depuis longtemps", publiés il y a quelques semaines. Merci encore une fois à Mathilde de me les avoir confiés. MW
2 novembre 2013
Je suis cette personne sur cette
terre qui ne t'admire plus. Personne pour toi. Une personne.
Je suis cette femme qui t'a
attendu quelques mois. Et qui ne t'attend plus.
Je suis cette femme qui prend le
temps de la déconvenue. Une chance donnée à cet aveugle qui se pense au-delà de
la vision commune. Il explique, il prône l'amour, le revendique.
Il n'a pas peur des mots.
J'ai eu le choix dès la
rencontre. Te croire ou savoir que le sentiment prend le temps de naître.
J'ai préféré la faiblesse. Parce
qu'être faible, c'est renoncer à la lucidité dévastatrice. Idéalisme forcené
intimement lié à cette perspicacité incontournable.
Tu ne me sais pas. Tu ne m'as
voulue que pour mon regard. Celui que je porterais sur toi si tu me disais les
mots qu'il fallait. Tu aimes que l'on t'aime.
Tu aimes que l'on t'aime. J'ai
compris tout de suite. Je n'ai pas voulu m'entendre me le crier. Parce que cela
aurait signifié renoncer d'avance. Tout de suite. Ne pas donner de chance à
l'improbable rencontre. Alors, j'ai fait semblant.
Semblant de te croire, semblant
de t'aimer, de te penser bon, autre...
Des perches tendues vers ton
humanité. Mon insistance n'était que cela. Tu m'as crue, je me suis crue
dépendante de toi. Seulement de ton humanité. Plus difficile était de
reconnaître que je m'étais trompé. Trompée. Tu es trop haut, l'écrivain. Trop
haut pour voir, pour me voir.
Mes messages comme des
invitations à descendre un peu, pas tant que ça. J'étais tout proche de toi. Tu
as préféré me penser bien au-dessous. Alors, j'ai attendu, continué de rêver
alors que tes mots ne me berçaient d'aucune espérance. Entre tes lignes
bienveillantes, suintaient ta hauteur, le lien contrefait.
Je me heurtais à mes vaines
tentatives de te montrer que je n'étais pas dupe. Tu n'as pas voulu voir. Tu
n'as pas voulu me voir.
Et aujourd'hui, la preuve donnée
par ton silence.
Tu écris, me dis-tu.
Personne ne peut croire qu'écrire
soit le seul obstacle à la pensée pour un être loin.
Qui es-tu auteur ? Hauteur
que tu ériges de toute sa légitimité. Tu écris.
Qu'est-ce que tu écris
l'écrivain ?
L'amour, l'humanité ?
Encore ?
Pour que l'on te dise, encore,
quel humaniste tu es ?
Je suis cette personne avec
laquelle tu n'as pas été bon. Je suis personne. Tu revendiques ce terme. Tu
assènes, mauvaise foi, m'impose l'exigence de l'écrivain.
Tu me prends pour l'idiote qui ne
sait rien, qui ne sait pas encore.
Humiliant.
Le seul mot qui convienne.
Tu ne lis pas ce que je t'écris.
Juste me convaincre. Le plus important pour toi. Convaincre de ta bonne foi.
Ton refus d'affronter mes mots me
blesse. Tu écris comme si tu ne les avais pas lus.
Tu les as trop bien compris.
Seulement, tu écris.
Quand tu auras fini d'écrire, tu
iras dire, lire.
Pour que l'on te dise que tu es
bon. Tu y tiens tant à cet adjectif.
Tu fais de ton mieux. Tu fais de
ton mieux mais pas le meilleur.
Avec cette personne que je suis.
Cette personne que tu as
embrassée dans le cou chaque fois que tu lui as écrit, dis-lui maintenant que
tu ne veux plus le faire. Le silence de ceux qui n'ont pas les mots, pas le
ventre.
Pour ne pas voir dans ce miroir
que je te tends ce qui te fait si banalement humain.
Tu ne veux blesser personne.
Alors, tu fais le sourd puis l'aveugle et ensuite le muet.
L'humanité, l'écrivain. Est-ce
ceci ?
Imposer le silence à l'être qui
t'attend, qui attend. Qui n'attend plus.
La personne qui existe par-delà
tes mots. Plus résistante que tu ne le crois.
Tu ne me seras jamais
indispensable. Tu n'auras pas voulu me connaître.
Je me risque à la hardiesse
d'aller jusqu'au bout. Désarmée, juste assez acerbe pour te dire les mots qui
ne sont pas des poses d'écrivain. Mes mots me servent à ma vérité, à approcher
absolument l'autre. Non pas à le séduire pour qu'il m'aime.
Tu voulais que je t'aime sans
faire de bruit, les bras ballants, bouche bée.
J'aurais aimé que tu m'aimes en
retour. Simplement.
De temps en temps.
Peu importe comment.
Mais vraiment.
Mais vraiment.
Je ne suis pas cette idiote.
Cette idiote qui n'existe que
dans ton regard. Par son regard.
D'écrivain.
Je t'invitais seulement à me
rencontrer. Quelques pas que nous aurions osés l'un vers l'autre.
Pour voir.
J'ai amorcé la marche, tu as fait
mine d'avancer.
Tu me dois de savoir qui je suis.
Contre toi, je lutte une dernière fois.
Contre cette tendresse offerte
puis confisquée.
Je te la rends, l'écrivain.
Je pars écrire.
J'espère ne pas devenir sourde,
aveugle et muette d'être lue.
Je penserai à toi pour ne pas
offrir à d'intègres âmes la crème apaisante dont tu les enduits pour qu'ils
t'aiment.
Je penserai à toi quand il
s'agira de résister au chant des sirènes.
Pour écrire ma vérité, celle que
je suis capable d'accomplir.
Je suis peut-être cette seule
personne qui te le dit. Cela fera de moi une indigne, une mauvaise joueuse ou
pire, une malade aliéné par sa fièvre. Mais cela ne me fait plus peur face à la
complaisance.
La fièvre, je me la garde,
j'aurais aimé te l'offrir.
Ici ou là... j'ai aimé cette
expression de toi.
Un jour ou l'autre aussi...
pourquoi pas ?
Peut-être...
Si j'ai envie...
Tu verras bien...
J'écris. Me dis-tu comme
l'argument incontournable.
Petite idiote, me dis-tu ainsi.
C'est incroyable et pourtant c'est ce que je te demande de croire.
Tu écris. Noble tâche.
Je t'écris. J'aime prendre ce
temps de t'écrire pour ainsi espérer que la personne que je suis, personne,
puisse percer l'épaisse enveloppe de ta bonté. Je prends ce temps de t'écrire
pour enfin écrire à d'autres. Pour enfin écrire.
Je ne suis que cette personne sur
cette terre qu'il te sera facile d'oublier, si ce n'est déjà fait. Tu en as
tant d'autres. Écrire sert à cela. Tu le sais.
Je t'écris parce que j'aurais
aimé que tu ouvres tes yeux sur les miens. Tu aurais vu qu'ils n'étaient pas
seulement bleus. Aujourd'hui, il pleut. Comme souvent. Le gris passe, envahit
l'azur.
Le gris d'une existence parsemée
de dos qui se tournent. Tu n'y es pour rien. Tu n'es qu'une personne de plus à
croire encore me sourire alors que je vois déjà les talons se tourner.
Je te rends la liberté dont une
petite personne peut te priver.
Ici ou là... un jour ou
l'autre...
Je serai là. Quelque part dans le
brouhaha de ta vie d'écrivain si bien remplie.
J'aurais fait ce court passage
que l'on nomme éclair. Féroce atterrissage sur cette terre desséchée. L'aridité
de tes mots avant même que tu n'aies pu poser tes lèvres sur ce cou.
Ma fierté, je la revendique
ainsi. Offrant, en me retirant, ce que j'avais envie d'offrir.
Mes mots, ma peau.
Je suis cette personne qui dit au
revoir.
Cette personne qui dit dommage
plutôt que la hargne.
Je suis cette personne sur cette
terre qui apprendra davantage à donner son désarroi qu'à se taire pour le
masquer. Ma fierté c'est dire. Ainsi revendiquée, assumée, elle est pour toi
l'écrivain voyageur.
Parce que je ne veux pas m'être
trompé tout à fait, je t'offre ma dignité.
Ici ou là...
un jour...
Peut-être...
Peu importe...
Nous vivons sur cette même terre.
J'aime croire que chacun apprend
autant que l'autre. Je suis cette personne que tu as croisée sur cette terre.
Tu écris.
Tu n'auras pas su qui j'étais.
Mathilde
Mathilde
bravo !
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