J'ai reçu ce matin, 12 novembre 2025, via P.O.L, le message suivant :
Je me permets de vous écrire au sujet du roman La Maladie de Sachs de Martin Winckler, publié chez vous.
Dans la dédicace du livre, figure le nom de Christian Koenig.
Or, Christian Koenig est l’homme qui a assassiné ma mère en 1992, un crime passionnel et prémédité, pour lequel il a été condamné par contumace. Il n’a jamais été retrouvé.
J’ai déjà contacté M. Winckler à ce sujet au siècle dernier, puis il y a plusieurs années, puis plus récemment via son site internet, toujours sans réponse à ce jour.
Je vous écris donc aujourd’hui avec la demande suivante :
que le nom de Christian Koenig soit retiré de la dédicace dans les prochaines réimpressions ou mentions publiques de l’ouvrage.
Cette démarche n’a rien d’agressif.
Elle répond simplement à un besoin de justice symbolique et de respect envers la mémoire de ma mère, ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants.
Je ne conteste pas la liberté de l’auteur, mais je ne peux plus accepter qu’un assassin soit honoré, même indirectement, dans un roman en 2025.
Je vous remercie sincèrement pour votre écoute et votre compréhension, et reste disponible pour échanger à ce sujet, bien entendu.
Bien à vous,
Jean-Christophe Gilbert
https://jcgilbert.fr
J'ai répondu à mon éditeur que j'allais écrire à Jean-Christophe Gilbert. Ce que j'ai fait, par le message ci-dessous :
Cher Monsieur
Jean-Paul Hirsch m'a transmis ce matin votre message, et je lui ai répondu immédiatement que j'allais vous écrire.
Avant toute chose, sachez que le nécessaire sera fait pour que les tirages à venir du roman ne mentionnent plus le nom de l'assassin de votre mère.
Cela étant dit, je voudrais préciser certaines choses, si vous le permettez.
Je me souviens parfaitement avoir échangé avec vous une fois, il y a très longtemps, à ce sujet. Je ne crois pas, cependant, comme vous l'écrivez sur votre blog, vous avoir répondu "que bof".
Ce n'est pas mon genre.
Je n'ai malheureusement pas pu retrouver notre échange car, au cours des 25 dernières années, les FAI que j'utilisais à l'époque (Compuserve, AOL) ont disparu, et mes messages avec eux. Je n'ai en revanche pas le souvenir d'avoir reçu d'autres messages de vous, peut-être pour cette raison. Si je les avais reçus, je vous aurais répondu immédiatement, comme je l'ai fait la première fois, comme je le fais aujourd'hui. Si ma mémoire me fait défaut, je le regrette vivement, et n'hésitez pas à me corriger en m'envoyant les échanges de l'époque si vous-même les avez conservés. (PS : la lettre que vous m'avez écrite et que vous postez sur votre blog ne m'est pas parvenue. Le site a 20 ans et je ne l'entretiens plus faute de temps ; or les liens pour m'écrire renvoient à une adresse qui n'existe plus.)
Je crois vous avoir répondu, la première fois, que la dédicace n'était pas en soi faite pour "honorer un assassin" mais pour laisser à ses enfants et ses petits-enfants (trois d'entre eux sont mes propres enfants), une trace de leur père et de leur grand-père tel qu'ils l'avaient connu - avant qu'il devienne un assassin et commette un acte horrible et impardonnable.
Cet acte impardonnable, ils ont toujours su qu'il l'avait commis, et ils ont porté cette vérité avec chagrin, honte et culpabilité. La dédicace, si maladroite qu'elle fût, avait pour seul but d'atténuer ces émotions. Ils n'y étaient pour rien. Mais comme vous le savez, la honte est un sentiment puissant. J'ai encore honte, moi aussi, de ce qu'il a fait, et je l'ai toujours dit, chaque fois qu'on m'a interpellé à ce sujet (c'est arrivé plusieurs fois depuis 25 ans).
Quand j'ai rédigé cette dédicace, cinq ans après ce crime, je n'imaginais que La Maladie aurait pareil succès. Pour tout vous dire, je pensais que mon deuxième roman passerait inaperçu, comme le premier. Et j'étais loin de penser que la famille de la victime en aurait connaissance. J'avais tort, et je le regrette vivement.
Le temps a passé, et ma perception de ce que j'avais fait et aurais dû faire a changé. Cela fait plusieurs années que je regrette cette dédicace, et je vous remercie de m'avoir écrit via mon éditeur pour m'amener à prendre une décision que j'aurais dû prendre plus tôt. Il m'est insupportable aujourd'hui de savoir qu'un auteur de violences contre les femmes est cité en dédicace du roman qui m'a fait connaître.
Je pense cependant que retirer son nom des tirages ultérieurs ne suffit pas. Je vais donc publier sur mon blog un article pour faire savoir aux lectrices et lecteurs du roman qui continuent à me suivre à quel point je regrette cette situation. (Je vous enverrai le lien quand il sera posté.)
Je tiens enfin à vous dire à quel point je suis et resterai désolé d'avoir, par cette dédicace, provoqué du chagrin et de la douleur parmi les membres de votre famille.
Très sincèrement,
Marc Zaffran/Martin Winckler
*****
Je dois ajouter que cette dédicace n'est pas seulement insultante pour JC Gilbert et toute la famille de la victime, mais aussi pour les trois autres dédicataires du livre, pour toutes ses lectrices et lecteurs, et pour toutes les personnes victimes de violences similaires.
Je ne peux pas l'effacer des ouvrages déjà imprimés, mais je tiens à exprimer ici mon regret sincère et mes remords, et présenter publiquement mes excuses pour avoir rédigé la dédicace ainsi.
Même si cela partait d'un "bon sentiment", j'ai eu tort de le faire.
MW/MZ