dimanche 20 novembre 2011

Si c'était à refaire... (Ex. N°21) par Sophie M.



Réfractaire au rasoir électrique, il prit dès lors l'habitude de ranger son rasoir mécanique dans le tiroir de son bureau qu'il fermait dorénavant consciencieusement à clé. Il ne l'aurait pas trouvée baignant dans ce jus rouge, un soir d'hiver si son rasoir n'avait pas été posé sur la tablette de la salle de bain . Il s'en était tellement voulu !.
Il s'était retrouvé, marchant pieds nus dans le sable frais et avait de nouveau rencontré cet amour. Le pire, c'est qu'il n'avait rien fait pour. Il était arrivé sur un plateau, un matin de septembre sur une plage de Normandie.
Un débarquement... oui, c'est exactement ça. Elle s'était approchée, avait plongé ses yeux bleus dans les siens, l'avait aimé. Comme la première fois. Et puis voilà, c'était reparti.
Ça vous fait rêver, n'est-ce pas ? Attendez la suite.

Son prénom commençait pas la lettre C.  C comme Chance, c'est ce qu'il s'était dit. Celle d'une vie, celle à laquelle peu de personnes n'ont droit.
Il a été raisonnable. Il a reçu cet amour avec bienveillance. Puisqu'il lui était à nouveau offert de bonne grâce apparemment, il se devait d'en faire bon usage. Ses bras s'ouvrirent, accueillirent le corps de cette femme si prompt à se donner. C'est bien ce qu'il fallait faire non ?
Il l'emmena chez lui, découvrit sa voix et l'odeur de sa peau et lui adressa les mots qu'il convient de prononcer en pareilles circonstances. Elle était douce. Son attitude seule promettait qu'elle saurait être conciliante, toujours.

Il lui passa l'anneau autour de son frêle annulaire gauche. Il venait de deviner l'imperceptible sourire qui était passé sur son visage après avoir prononcé le oui qui l'unissait à lui.
Il n'eût rien à regretter. Promesse tenue. Elle l'aima. Inconditionnellement, elle l'aima. Reconnaissant, il la gâta en retour. Il lui offrit des fleurs, l'emmena au restaurant de temps en temps, lui fit l'amour souvent.
Elle portait des robes, relevait ses cheveux en un chignon informe. Elle était en tout point désirable.

Ses amis le traitaient de veinard. Leur femme, à eux, avaient bien vite changé d'attitude une fois mariée. Elles s'étaient mises à exiger de l'attention, réclamer de l'indépendance et avoir tendance aux migraines le soir. Lui au moins n'avait pas été trompé sur la marchandise. Cela le faisait rire, modestement conscient de sa propre valeur. On n'attrape pas les mouches avec du vinaigre, voilà tout.
Il lui fit un premier fils que l'on appela comme le grand-père paternel. Vint ensuite une fille, qui reçu le prénom de son arrière-grand-mère paternelle. Il y tenait tant. Il la remercia en lui offrant un luxueux bracelet dont elle entoura aussitôt son frêle poignet.

Comme il l'avait prévu, elle fut une mère parfaite. Aimante, disponible, compréhensive. Lorsqu'il rentrait le soir, il trouvait ses deux chérubins en robe de chambre. « Bonsoir papa chéri ». Elle, jolie, comme toujours.
Il fut un homme comblé. Cette vie faite perfection le rendait efficace, son travail était meilleur que celui des autres. Avait-il un secret ? Le bonheur peut-être...
Il saisissait sa taille le soir, à pleines mains, l'attrapait pour la retourner. Son calme le rendait parfois brutal. Elle jouissait à chaque fois de toute façon...

Il lui fit deux autres fils en même temps. Elle lui laissa décider des prénoms, ça n'avait pas tant d'importance pour elle. Elle les allaitait en même temps, deux gros baigneurs pendus en permanence à ses seins qui se tarirent trop tôt. Il ne remarqua pas qu'un soir, elle donnait le biberon.
Une baby-sitter fut engagée le soir de leur dixième anniversaire de mariage. Elle se fit belle. Son cou, frêle, portait le collier de perles de leur premier anniversaire de mariage. Il fut touché par cette attention. « Bon anniversaire ma chérie », il lui tendit un paquet qu'elle ouvrit en remerciant. Un camai, celui de sa mère, à lui, décédée un an plus tôt. Était-ce une larme qu'il vit se former dans les yeux de femme visiblement émue ? Le champagne l'émécha un peu. Ce fut dans la voiture ce soir-là, qu'empressé, il lui démontra son indéfectible affection.

Elle lui demanda de s'arrêter sur le bord de la route. Elle avait envie de vomir. La délicate ne supportait pas l'alcool. Il patienta cinq bonnes minutes. Elle ne vomissait pas. Pliée en deux, les  escarpins dans la neige, elle ne parvenait à soulager ses nausées. Il lui demanda de remonter dans la voiture, il avait froid. Elle vomirait à la maison. Il fallait encore ramener la baby-sitter et il avait une réunion importante le lendemain matin. Elle s’exécuta, certainement un peu honteuse de s'être laissée enivrée comme une adolescente. Elle réussit à se retenir jusqu'à la maison.

Ce soir-là, pendant plus d'une heure, elle vomit sa vie entière dans les toilettes parfumées à la violette, sa fleur préférée.
Il l'appela plusieurs fois de la chambre. Elle arrivait, cinq minutes encore. Qu'est-ce qu'elle avait tant à vomir, se demandait-il ? La prochaine fois, il l'empêcherait de boire. Petite nature.

Il finit par l'entendre se brosser les dents. « Frotte bien ! », lança-t-il amusé.
Dans le miroir, le visage était gris, les lèvres vidées de leur sang. Les clavicules semblaient vouloir percer la peau fine.
« Allez viens, ma doucette ! Je vais te soigner moi ! »
Dans le miroir, les sourcils se fronçaient, les yeux inondés, la bouches tirée vers le bas, le menton tremblant.
« Je sais ce qui va te faire du bien chérie mais dépêche toi, je me lève tôt ! »
Dans le miroir, il n'y a plus qu'une image floue, de la bougie qui coule le long d'un bougeoir invisible. Une masse qui devient informe.
« Me force pas à venir te chercher petite coquine.... »
Dans le miroir, plus rien.
La fenêtre est ouverte, le froid a envahi la salle de bain.

Sophie M. 

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