dimanche 20 novembre 2011

Le livre de mon enfance (Exercice d'écriture n°18) et tous les autres exercices Par C.D.



Le livre de mon enfance, c’est Jean-Christophe.
J’avais 11 ou 12 ans quand je prenais chaque tome, montais dans ma chambre et m’allongeais sur mon lit. Je m’évadais de l’ennui d’une vie triste et morne entre mon père et sa nouvelle femme. Grâce à Jean-Christophe, je suis devenue spécialiste de littérature française du début du XXème siècle puis écrivain.

Non. Ca ne s’est pas passé comme ça. Je dois recommencer pour rétablir la vérité parce que je me dois d’être honnête. Pas de fiction sur ce blog.

J’avais 11 ou 12 ans quand je prenais chaque tome de Jean-Christophe, montais dans ma chambre et m’allongeais sur mon lit. Entre le troisième et le quatrième volume, avalés en deux jours, la femme qui couchait avec mon père, celle qui a eu un enfant de mon père, m’a regardée ironiquement : ce n’est pas comme ça qu’on lit un livre, tu fais semblant.

J’ai arrêté de lire, je suis devenue une élève médiocre, adolescente boudeuse, mi-pute mi-rebelle. Et je n’ai aucun souvenir de Jean-Christophe, absolument aucun.

Alors que j’étais promise à un bel avenir, petite fille rieuse et gaie, curieuse de tout, douée pour le bonheur et surtout pour l’écriture, me voilà aujourd’hui écrivant sur le blog d’un quasi inconnu, à propos d’un livre que je n’ai jamais achevé, libérée d’un boulot usant par la divine surprise de deux jours de grève. Et c’est de sa faute, tout est de sa faute à elle.
Mais Pennac m’a vengée, et m’a donné une bonne raison de quitter mon père.

Depuis, j’erre dans les librairies, cherchant désespérément le livre qui va changer ma vie, grosse de jalousie et d’envie. J’erre dans les articles du blog, refusant de faire du vieux avec du neuf, revenant sans jamais vraiment la quitter vers ma douleur, cherchant à me convaincre que quand je serai plus vieille je me vengerai, moi à qui anything happened, et surtout pas la moindre envie de reprendre contact. She’s out of the past, eh bien qu’elle y reste, et avec elle ma douleur, et ma frustration, et ma jalousie. Ah non, les mots ne se bousculent pas pour dire merci, ils jaillissent en flots ininterrompus pour crier une haine monstrueuse, tels les spermatozoïdes conquérants de leur copulation, dans une extase continuelle de ma propre flagellation, pleurant au souvenir de la petite fille rieuse que j’ai été, rageant quand je lis l’écrivain raté que je suis (zut je n’arrive pas à placer population, m’emmerde Winckler). 980 signes ne me seront jamais suffisants pour l’enterrer vivante sous les huées de la population (ouf !) : la vie est trop brève pour réaliser un tel dessein. Mais chaque nuit vient me hanter le crime parfait : je scierais les pieds de sa bibliothèque minable qui n’aligne que des livres publiés avant 1970, je placerais sur trois étagères différentes, juste sur le rebord, en équilibre, La Première épouse, Les lauriers du lac de Constance, et La place, j’ouvrirais les fenêtres pour que s’engouffre un vent mauvais qui déséquilibrera son échafaudage stérile et ainsi elle mourra écrasée par les livres d’avant le drame déséquilibrés par les livres de la douleur de ma mère, ces livres qui m’ont réconciliée avec le plaisir de la lecture. Et ma mère.

Non, je dois recommencer pour rétablir la vérité. J’ai revu ma belle-mère pendant les vacances de la Toussaint et à table, au moment de me servir, elle me dit : prend davantage de carottes, ça rend aimable. Alors je me suis souvenue (zut, c’est moins élégant que « je me souviens » mais il faut bien que je respecte la concordance des temps) que le jour où elle m’a surprise en flagrant délit d’un plaisir solitaire, j’ai pris le masque de la mal-aimable. Jean-Christophe, je suis vraiment désolée de t’avoir abandonné ce jour-là. Mais ce n’est qu’un contretemps.

Peut-on résumer une vie et les conséquences d’une brève rencontre (dix ans quand même) par cette phrase névrotique : tu fais semblant ? Tout est de sa faute, moi je n’y suis pour rien. C’est pas vrai que je fais semblant de lire, et d’écrire. Non, c’est pas vrai. Et pis d’abord j’suis pas mal-aimable, j’suis toujours gaie, et drôle, et souriante.  Mais pas poète. Tant pis pour le Haïku. Quant à la description de mon désir d’écrire, je le réserve pour d’autres jours de grève.


C.D. 

1 commentaire:

  1. Reprenez Jean-Christophe. Lisez son histoire, jusqu'à la fin, couchée sur votre lit, parce qu'il n'y a pas de meilleur endroit pour lire (à mon avis, en tout cas). Reprenez du plaisir à lire et à vivre.

    Et ne soyez pas aimable si vous n'en avez pas envie.

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