Bientôt huit heures. Dans le métro,
Claire somnole, se laisse bercer au fil des stations par les douces réminiscences
de leur première nuit. Secret partagé dans la chambre protectrice, au creux des
draps bruissants ; tendre séisme de leurs désirs enfin conjugués au
présent du réel…
Saint Jacques. Une femme toute
emmitouflée serrant sous un bras un porte-documents, monte et se pose à côté
d’elle. C’est vrai qu’il fait froid, Claire ne s’en était pas vraiment aperçue,
absorbée qu’elle est par son bonheur. Tout à l’heure, elle dormait dans les
bras de son amour, dont le parfum ambré rôde encore sur sa peau, dont la voix
chaude résonne en elle. Boulevard Saint Germain, il a dit simplement
« j’ai envie de dormir avec toi ». Elle a répondu « moi aussi ».
Instant magique. Enlacés et tremblants, ils ont vogué jusqu’à l’hôtel…
Denfert. Bientôt elle descendra, se
mêlera à tous ces inconnus qui ne savent et ne sauront jamais rien d’elle. Il
lui semble qu’elle pourrait les aimer tous aujourd’hui, tant son cœur est
heureux.
Raspail, plus qu’une station pour
se retrouver à l’air libre et marcher, rythmer d’un pas décidé cette joie
qu’elle voudrait crier, chanter, partager… Au creux de cette nuit merveilleuse,
il a murmuré : « il me semble que je t’aime depuis toujours » ;
« moi aussi, depuis toujours » a-t-elle dit dans un souffle…
Mais pourquoi le métro
s’arrête-t-il entre deux stations ? Sur les visages aux paupières encore gonflées
de nuit, se lit d’abord la surprise, puis les bouches se pincent sous l’effet
d’une exaspération qui va bientôt jaillir en guirlandes de mots saccadés… Sa
voisine soupire : « Je n’étais déjà pas en avance… les élèves vont
devoir m’attendre dans la cour »… « Vous êtes
professeur ? » demande Claire. « Non, insti… ». Elle
n’achève pas : un choc violent projette les passagers les uns contre les autres,
on crie, on proteste mais, lorsque le wagon semble amorcer une descente, un murmure
incrédule circule parmi les voyageurs. Une femme enceinte pleure en soutenant
son ventre ; un jeune homme tente vainement de la rassurer :
« c’est juste une impression, ce n’est pas possible qu’un métro change comme
ça de direction et, d’ailleurs, en dessous des tunnels, on se retrouverait dans
l’eau, vous voyez bien que ce n’est pas le cas ! » Pourtant, la
descente s’accélère et des gouttes puis des traits continus apparaissent
bientôt sur les vitres. La future mère hurle et la panique s’empare des
passagers, puis une violente secousse suivie d’une sonnerie assourdissant
semble indiquer la fin du voyage…
Silence. Immobilité. Le sol du
wagon est jonché de divers objets : magazines, livres, sacs. Claire se
penche et ramasse un gant qui s’est échoué contre ses pieds ; un gant
d’homme, tout imprégné d’une senteur ambrée. L’institutrice berce son
porte-documents, tandis que son regard inquiet scrute le paysage dévasté. « C’est
la première fois que je vois une chose pareille, pourtant je prends le métro
depuis mon plus jeune âge» dit-elle. « Moi aussi, depuis toujours »
répond Claire en glissant machinalement sa main dans le gant de cuir orphelin…
Un peu de lumière filtre à travers
le rideau. Claire sourit en se rappelant son rêve étrange et quelque peu
surréaliste… Auprès d’elle sommeille encore l’aimé, apaisé, alangui. Tout à
l’heure, devant les autres, ils feindront d’être deux étrangers l’un pour
l’autre, ils se diront « vous » et prendront garde à ne pas
s’effleurer. Elle savoure par avance leur délicieux secret…
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