Très heureux sans toi
Un lit plus grand, aussi chaud
Trouver le sommeil.
lundi 21 septembre 2009
dimanche 20 septembre 2009
Réveils ("Contretemps", dernière) - par Lilian Saint-Gaudin
Comme je n'avais pas donné de date limite pour l'exercice "Contretemps", je publie celui-ci, mais c'est la dernière fois, hein ? Maintenant, faut faire les autres. Et pas dépasser la date limite, hein ? Hein ? Sinon je vais pas m'en sortir, moi... ;-) (MW)
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C’est la pluie qui le réveilla.
Il sortait tout juste de la réunion de coordination du groupe marketing d’ASSUR’TOU, et c’est en sortant de l’immeuble que la pluie s’abattit sur le trench dans lequel il se croyait protégé des éléments, transformant sa raie sur le côté, il le voyait d’un œil fatigué dans une vitre, en placard qui lui tombait de tous les côtés à la verticale.
La pluie l’imbiba aussitôt et sa noyade lui rappela ce qu’il venait de se passer : Giles Gerti, son manager venait littéralement de l’humilier devant l’équipe entière. Il le voyait à ses collègues qui en sortant évitaient son regard.
« Et c’est avec des idées pareilles que tu veux lancer la campagne qui est censée relancer la branche assurance-vie? Non mais ce sont des idées de branleur, ça ! Et tu as 15ans de boîte ? T’as toujours des idées du même type ? Non mais continue comme ça et tu finiras dans un placard quelconque où tu pourras faire office d’étagère. Là au moins, pas besoin d’idées » Il avait baissé la tête et cherché à cacher une larme. Elle ne passa pas inaperçue. La suite de la réunion fut longue et aveugle. Il ne se réveilla que sous la pluie.
En hiver à la sortie des bureaux, c’étaient les lumières qui dominaient, des halos partout qui tentaient inutilement de se cacher derrière la brume. D’habitude il trouvait ça plutôt gai : Noël approchait. Mais là il était complètement…à côté. Et son manteau qui ne lui servait à rien. Il le retira lentement pour le poser par terre passant sa mallette d’une main à l’autre. Sa mallette…elle dérangeait d’ailleurs ; il la posa alors sur son manteau et se cala les mains dans les poches. Il voulait perdre ses larmes et leva son visage cers le ciel.
Il ne pleurait plus, il s’en aperçu immédiatement. La pluie, le ciel le soutenaient. Il ne pouvait plus pleurer. Il était réconforté. L’eau était avec lui. C’était lui qui l’avait appelée. Et s’il lui commandait. Un sourire se dessina entre les lampadaires du parvis. Quel con, il le savait, pas lui mais Giles. Comment avait-il pu ? Comment s’était-il adressé à lui ?
Il se dirigea vers l’entrée du RER comptant les gouttes qui s’abattaient sur ses pommettes. Demain il lui ferait voir, il lui rabattrait sa jeunesse, ses certitudes, son école d’arriviste, son management qui fleurait bon le dégraissage et le suicide de masse. Le bruit sur la vitre de son wagon ne faisait que confirmer sa certitude : chaque goutte était un point d’exclamation à sa révélation : c’était fini tout ça. Le chemin qui luisait sous ses pas, reflétait sa célébration que lui rendaient les lampadaires. Et en se couchant la même idée l’amenait vers son sommeil lumineux. Enfin !
C’est la pluie qui le réveilla.
15 minutes avant la sonnerie du réveil. Il se leva avec une impression de martellement. Le vent projetait la pluie sur les vitres de son appartement. Les lumières sur le trottoir n’arrivaient pas à révéler les employés plus matinaux que lui qui se protégeaient tant bien que mal sous leur parapluie à contre-sens.
Il posa son front contre la vitre et se vit dehors, dans une heure subissant les éléments. Certainement que son pardessus et sa mallette étaient à l’accueil peut-être trouvés par le vigile. Comment allait-il expliquer qu’il les avait oubliés devant l’immeuble ? Il espérait que Giles ne serait pas de trop mauvaise humeur aujourd’hui. Il se leva prendre sa douche.
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C’est la pluie qui le réveilla.
Il sortait tout juste de la réunion de coordination du groupe marketing d’ASSUR’TOU, et c’est en sortant de l’immeuble que la pluie s’abattit sur le trench dans lequel il se croyait protégé des éléments, transformant sa raie sur le côté, il le voyait d’un œil fatigué dans une vitre, en placard qui lui tombait de tous les côtés à la verticale.
La pluie l’imbiba aussitôt et sa noyade lui rappela ce qu’il venait de se passer : Giles Gerti, son manager venait littéralement de l’humilier devant l’équipe entière. Il le voyait à ses collègues qui en sortant évitaient son regard.
« Et c’est avec des idées pareilles que tu veux lancer la campagne qui est censée relancer la branche assurance-vie? Non mais ce sont des idées de branleur, ça ! Et tu as 15ans de boîte ? T’as toujours des idées du même type ? Non mais continue comme ça et tu finiras dans un placard quelconque où tu pourras faire office d’étagère. Là au moins, pas besoin d’idées » Il avait baissé la tête et cherché à cacher une larme. Elle ne passa pas inaperçue. La suite de la réunion fut longue et aveugle. Il ne se réveilla que sous la pluie.
En hiver à la sortie des bureaux, c’étaient les lumières qui dominaient, des halos partout qui tentaient inutilement de se cacher derrière la brume. D’habitude il trouvait ça plutôt gai : Noël approchait. Mais là il était complètement…à côté. Et son manteau qui ne lui servait à rien. Il le retira lentement pour le poser par terre passant sa mallette d’une main à l’autre. Sa mallette…elle dérangeait d’ailleurs ; il la posa alors sur son manteau et se cala les mains dans les poches. Il voulait perdre ses larmes et leva son visage cers le ciel.
Il ne pleurait plus, il s’en aperçu immédiatement. La pluie, le ciel le soutenaient. Il ne pouvait plus pleurer. Il était réconforté. L’eau était avec lui. C’était lui qui l’avait appelée. Et s’il lui commandait. Un sourire se dessina entre les lampadaires du parvis. Quel con, il le savait, pas lui mais Giles. Comment avait-il pu ? Comment s’était-il adressé à lui ?
Il se dirigea vers l’entrée du RER comptant les gouttes qui s’abattaient sur ses pommettes. Demain il lui ferait voir, il lui rabattrait sa jeunesse, ses certitudes, son école d’arriviste, son management qui fleurait bon le dégraissage et le suicide de masse. Le bruit sur la vitre de son wagon ne faisait que confirmer sa certitude : chaque goutte était un point d’exclamation à sa révélation : c’était fini tout ça. Le chemin qui luisait sous ses pas, reflétait sa célébration que lui rendaient les lampadaires. Et en se couchant la même idée l’amenait vers son sommeil lumineux. Enfin !
C’est la pluie qui le réveilla.
15 minutes avant la sonnerie du réveil. Il se leva avec une impression de martellement. Le vent projetait la pluie sur les vitres de son appartement. Les lumières sur le trottoir n’arrivaient pas à révéler les employés plus matinaux que lui qui se protégeaient tant bien que mal sous leur parapluie à contre-sens.
Il posa son front contre la vitre et se vit dehors, dans une heure subissant les éléments. Certainement que son pardessus et sa mallette étaient à l’accueil peut-être trouvés par le vigile. Comment allait-il expliquer qu’il les avait oubliés devant l’immeuble ? Il espérait que Giles ne serait pas de trop mauvaise humeur aujourd’hui. Il se leva prendre sa douche.
Haïkus - par Martine Bourguignon
Une étoile luit
dans les ténèbres de l'ennui,
ton sourire évanoui.
The torch is out,
And I wander alone
Through the dark lanes of grief
All the lights fade out
When you are away
And I stumble, my love.
dans les ténèbres de l'ennui,
ton sourire évanoui.
The torch is out,
And I wander alone
Through the dark lanes of grief
All the lights fade out
When you are away
And I stumble, my love.
Haïkus - par Younes Jama
Haïku (nuit)
de l'étreinte
souvenirs troublants
le rai n'est plus
Haïku (absence)
l'âme qui s'en va
mystique à souhait
le vent mime
de l'étreinte
souvenirs troublants
le rai n'est plus
Haïku (absence)
l'âme qui s'en va
mystique à souhait
le vent mime
A qui un écrivain offre-t-il ses livres ?
Je trouve sur la page FB de François Bon un lien vers un article consacré à son "Incendie du Hilton". Il le donne en s'excusant presque que ce soit un article consacré à son livre. Et je commente "Si l'article te fait plaisir, il n'y a aucune raison de ne pas le partager."
J'ai eu le même type de pudeur quand Vincent Berville m'a mis un site en ligne "clés en main", à la suite de la fin de ma chronique sur France Inter, en août 2003. Je voulais en faire une sorte de prolongement de la chronique, avec des infos, des textes critiques et polémiques, mais pas un portail de présentation de mes livres. Il a insisté (et il est revenu dessus il y a quelques semaines) en disant qu'après tout, il était naturel que j'informe mes lecteurs de mes publications et de ce qu'on en dit. C'est d'ailleurs ce que font les écrivains américains, sans aucune fausse pudeur, sur leurs propres sites.
Et lire ce même type d'hésitation sous la plume de François Bon m'a fait penser à ce que j'ai envie de faire de mes livres quand ils sont publiés. J'ai envie de les donner à tout le monde. En tout cas, à toutes les personnes que j'aime ou plus simplement, que j'estime. (Je respecte tout le monde, mais je suis un être humain, il y a des gens que j'estime plus que d'autres...)
Donc, je donne mes livres à mes amis les plus proches, j'en garde un exemplaire pour chacun des huit individus (ce ne sont plus tout à fait des enfants) que j'ai élevés avec MPJ (encore que je ne l'ai pas fait pour TOUS les bouquins, damn...) et je le distribue à des personnes moins proches, mais qui m'ont touché (pour ce qui concerne le Choeur des Femmes, les membres du CREUM et du département de philosophie de l'UdeM qui m'accueille depuis février, et où je l'ai écrit) ou alors les membres de la librairie Olivieri, ou un/e étudiant(e) de passage qui me dit avoir lu un autre de mes bouquins ou de mes textes et qui m'en parle avec tant de chaleur que j'éprouve le besoin de m'acquitter de ce bonheur qu'il/elle me fait en lui donnant quelque chose.
Ou alors, l'autre jour, dans le métro, quand François a dit "Faut que je lise ton livre, mais je l'ai pas encore", j'ai sorti l'exemplaire que je trimbalais avec moi pour chercher des extraits à faire lire à mes étudiants du cours d'éthique clinique, et je le lui ai donné, je n'y aurais pas pensé s'il ne l'avait pas mentionné.
Je n'attends jamais que le livre que j'ai donné soit lu. En particulier, je n'ai jamais attendu de mes enfants ou de mes amis les plus proches qu'ils les lisent. D'autant plus que j'en ai publié plusieurs dizaines en dix ans, dans des genres différents, alors je sais que peu de lecteurs pourraient suivre ce rythme-là ou lire ne serait-ce que mes romans (il y en quelques-uns, mais ce sont tous des lecteurs/trices hors du commun... Fanny, Emmanuelle, Alexis, David, Elodie entre autres, qui sont aussi des camarades internautes).
Je suis content quand un de mes enfants lit un de mes livres, pas nécessairement un roman, mais souvent un des livres sur les séries ou Super Héros. Mais je n'attends pas qu'ils le fassent. J'écris les livres pour les élever, pas pour qu'ils les lisent. Si, dans vingt ans, ou après ma mort, l'un d'eux retrouve un de mes bouquins sur une de ses étagères et, en le feuilletant, se dit "C'était pas mal, ce truc-là", ça me suffit. Je veux seulement qu'ils n'aient jamais honte d'avoir été élevés grâce à mes textes. Enfin, je ne sais pas si je me fais bien comprendre.
Quand j'étais adolescent, et plus tard encore, j'avais envie de donner mes textes bien sûr pour les faire lire, mais aussi parce que j'avais envie d'offrir quelque chose à mes amis, quelque chose que j'avais fait. Je ne savais pas trop bien bricoler, peindre, dessiner et encore moins composer des chansons (j'aurais aimé savoir faire tout ça) mais j'écrivais, de la fiction, alors je recopiais mes six ou sept nouvelles achevées (j'étais sûr de ne jamais pouvoir en écrire d'autres et d'être incapable d'écrire un roman) dans des cahiers et je les offrais à qui j'aimais et voulais faire savoir que je l'aimais. Et puis, bien entendu, j'ai offert par wagons les livres qui m'avaient touché profondément, Le Carnet d'Or, La vie mode d'emploi, pour ne citer que ces deux-là. (J'offrais des livres que je m'étais approprié en tant que lecteur. C'étaient "mes" livres avant que je n'en écrive.) Offrir un livre, à mes yeux, c'était un geste d'amour. Ca l'est toujours. Je n'aime rien plus que tomber sur un nouveau livre et me dire : "Ah, je sais que MPJ ou l'un des enfants va l'adorer".
Aujourd'hui, je sais qu'on peut estimer quelqu'un sans l'aimer, et que c'est une raison suffisante de lui offrir quelque chose. Je sais aussi qu'offrir un livre ce n'est pas "rien" (c'est ce que j'ai dit pendant longtemps), c'est un cadeau extrêmement chargé (il y a des gens qui ne lisent pas et qui sont très très touchés qu'on leur offre des livres, et je n'en ai pas toujours eu conscience, tant une vie sans lecture me semblait impossible alors que bien sûr, les vies sans lecture sont infiniment plus nombreuses que les vies avec, sur cette planète), ce n'est pas un cadeau dénué de sens ou de poids. Mais on ne sait jamais quel sera le poids d'un livre qu'on offre pour l'autre.
Je ne sais pas s'il y a une question dans ce texte, si je soulève la moindre interrogation philosophique, littéraire, éthique ou autre, mais le fait est que j'aime offrir des livres, que ça reste mon cadeau préféré (les DVD de films ou de séries viennent juste après, sans doute parce que ce sont les objets qui ont, à mes yeux, le plus de valeur au monde. Je ne suis pas sûr que ce soit "culturel" ou uniquement lié à mon milieu de naissance, car beaucoup de personnes dans ma famille aimaient lire mais auraient trouvé qu'offrir un livre était "un pis-aller", un cadeau un peu facile.
Mais comment un livre pourrait-il être un cadeau "facile" ? Quand on l'a choisi au dernier moment sur une table de "Prix littéraires" sans savoir de quoi il s'agit, oui, peut-être. Mais même dans ces conditions, qui sait si le livre, choisi au hasard, n'aura pas un effet profond sur celui/celle à qui il sera offert et qui le lira ?
Entre celui/celle qui offre et celui/celle qui reçoit, le livre est un tiers liant.
Merci, François.
J'ai eu le même type de pudeur quand Vincent Berville m'a mis un site en ligne "clés en main", à la suite de la fin de ma chronique sur France Inter, en août 2003. Je voulais en faire une sorte de prolongement de la chronique, avec des infos, des textes critiques et polémiques, mais pas un portail de présentation de mes livres. Il a insisté (et il est revenu dessus il y a quelques semaines) en disant qu'après tout, il était naturel que j'informe mes lecteurs de mes publications et de ce qu'on en dit. C'est d'ailleurs ce que font les écrivains américains, sans aucune fausse pudeur, sur leurs propres sites.
Et lire ce même type d'hésitation sous la plume de François Bon m'a fait penser à ce que j'ai envie de faire de mes livres quand ils sont publiés. J'ai envie de les donner à tout le monde. En tout cas, à toutes les personnes que j'aime ou plus simplement, que j'estime. (Je respecte tout le monde, mais je suis un être humain, il y a des gens que j'estime plus que d'autres...)
Donc, je donne mes livres à mes amis les plus proches, j'en garde un exemplaire pour chacun des huit individus (ce ne sont plus tout à fait des enfants) que j'ai élevés avec MPJ (encore que je ne l'ai pas fait pour TOUS les bouquins, damn...) et je le distribue à des personnes moins proches, mais qui m'ont touché (pour ce qui concerne le Choeur des Femmes, les membres du CREUM et du département de philosophie de l'UdeM qui m'accueille depuis février, et où je l'ai écrit) ou alors les membres de la librairie Olivieri, ou un/e étudiant(e) de passage qui me dit avoir lu un autre de mes bouquins ou de mes textes et qui m'en parle avec tant de chaleur que j'éprouve le besoin de m'acquitter de ce bonheur qu'il/elle me fait en lui donnant quelque chose.
Ou alors, l'autre jour, dans le métro, quand François a dit "Faut que je lise ton livre, mais je l'ai pas encore", j'ai sorti l'exemplaire que je trimbalais avec moi pour chercher des extraits à faire lire à mes étudiants du cours d'éthique clinique, et je le lui ai donné, je n'y aurais pas pensé s'il ne l'avait pas mentionné.
Je n'attends jamais que le livre que j'ai donné soit lu. En particulier, je n'ai jamais attendu de mes enfants ou de mes amis les plus proches qu'ils les lisent. D'autant plus que j'en ai publié plusieurs dizaines en dix ans, dans des genres différents, alors je sais que peu de lecteurs pourraient suivre ce rythme-là ou lire ne serait-ce que mes romans (il y en quelques-uns, mais ce sont tous des lecteurs/trices hors du commun... Fanny, Emmanuelle, Alexis, David, Elodie entre autres, qui sont aussi des camarades internautes).
Je suis content quand un de mes enfants lit un de mes livres, pas nécessairement un roman, mais souvent un des livres sur les séries ou Super Héros. Mais je n'attends pas qu'ils le fassent. J'écris les livres pour les élever, pas pour qu'ils les lisent. Si, dans vingt ans, ou après ma mort, l'un d'eux retrouve un de mes bouquins sur une de ses étagères et, en le feuilletant, se dit "C'était pas mal, ce truc-là", ça me suffit. Je veux seulement qu'ils n'aient jamais honte d'avoir été élevés grâce à mes textes. Enfin, je ne sais pas si je me fais bien comprendre.
Quand j'étais adolescent, et plus tard encore, j'avais envie de donner mes textes bien sûr pour les faire lire, mais aussi parce que j'avais envie d'offrir quelque chose à mes amis, quelque chose que j'avais fait. Je ne savais pas trop bien bricoler, peindre, dessiner et encore moins composer des chansons (j'aurais aimé savoir faire tout ça) mais j'écrivais, de la fiction, alors je recopiais mes six ou sept nouvelles achevées (j'étais sûr de ne jamais pouvoir en écrire d'autres et d'être incapable d'écrire un roman) dans des cahiers et je les offrais à qui j'aimais et voulais faire savoir que je l'aimais. Et puis, bien entendu, j'ai offert par wagons les livres qui m'avaient touché profondément, Le Carnet d'Or, La vie mode d'emploi, pour ne citer que ces deux-là. (J'offrais des livres que je m'étais approprié en tant que lecteur. C'étaient "mes" livres avant que je n'en écrive.) Offrir un livre, à mes yeux, c'était un geste d'amour. Ca l'est toujours. Je n'aime rien plus que tomber sur un nouveau livre et me dire : "Ah, je sais que MPJ ou l'un des enfants va l'adorer".
Aujourd'hui, je sais qu'on peut estimer quelqu'un sans l'aimer, et que c'est une raison suffisante de lui offrir quelque chose. Je sais aussi qu'offrir un livre ce n'est pas "rien" (c'est ce que j'ai dit pendant longtemps), c'est un cadeau extrêmement chargé (il y a des gens qui ne lisent pas et qui sont très très touchés qu'on leur offre des livres, et je n'en ai pas toujours eu conscience, tant une vie sans lecture me semblait impossible alors que bien sûr, les vies sans lecture sont infiniment plus nombreuses que les vies avec, sur cette planète), ce n'est pas un cadeau dénué de sens ou de poids. Mais on ne sait jamais quel sera le poids d'un livre qu'on offre pour l'autre.
Je ne sais pas s'il y a une question dans ce texte, si je soulève la moindre interrogation philosophique, littéraire, éthique ou autre, mais le fait est que j'aime offrir des livres, que ça reste mon cadeau préféré (les DVD de films ou de séries viennent juste après, sans doute parce que ce sont les objets qui ont, à mes yeux, le plus de valeur au monde. Je ne suis pas sûr que ce soit "culturel" ou uniquement lié à mon milieu de naissance, car beaucoup de personnes dans ma famille aimaient lire mais auraient trouvé qu'offrir un livre était "un pis-aller", un cadeau un peu facile.
Mais comment un livre pourrait-il être un cadeau "facile" ? Quand on l'a choisi au dernier moment sur une table de "Prix littéraires" sans savoir de quoi il s'agit, oui, peut-être. Mais même dans ces conditions, qui sait si le livre, choisi au hasard, n'aura pas un effet profond sur celui/celle à qui il sera offert et qui le lira ?
Entre celui/celle qui offre et celui/celle qui reçoit, le livre est un tiers liant.
Merci, François.
vendredi 18 septembre 2009
Haïku (de plusieurs auteurs)
Un marron
Sur la tête
Et le jour disparu
(Anonyme)
Clavier céleste
Cendrillon démérite
Pantoufle éperdue.
(Marie-Thérèse)
The lights are out
The darkness comes
I’m safe
(Emmanuelle)
Sans tes yeux clos
Sans ton cou parfumé
Je me rends, conte.
(Emmanuelle)
Sur la tête
Et le jour disparu
(Anonyme)
Clavier céleste
Cendrillon démérite
Pantoufle éperdue.
(Marie-Thérèse)
The lights are out
The darkness comes
I’m safe
(Emmanuelle)
Sans tes yeux clos
Sans ton cou parfumé
Je me rends, conte.
(Emmanuelle)
Sur le quai
Avant-hier soir, tandis que j'arpentais le quai de la station Université de Montréal (je change à Jean Talon, et là-bas, l'escalator de correspondance est au bout du quai), j'entends une voix m'appeler :"Tiens, c'est le docteur". Je me retourne et je vois François Bon, qui s'avance et qui, tout heureux de me découvrir là, m'embrasse.
(Au même moment, une étudiante rencontrée il y a quelques semaines, avant l'été, au cours d'un atelier d'écriture improvisé au département d'histoire, sur la suggestion de Claire Garnier et Dominique Deslandres, me fait signe et se rappelle à mon souvenir depuis le banc sur lequel elle est assise, sur le même quai. Deux personnes qui vous hèlent en même temps, c'est beaucoup pour le même homme, surtout s'il est fatigué et cafardeux comme je l'étais ce soir-là. Je me suis laissé embringuer par l'enthousiasme de François et n'ai pu adresser la parole à la jeune femme que quelques minutes plus tard, au moment où elle s'est assise, un peu plus loin, dans la rame du métro, pour lui dire que j'avais bien l'intention de recommencer un atelier et que je lui ferais signe, bien entendu. )
François Bon (si vous ne le connaissez pas, je vous recommande son site, le tiers livre, et ses bouquins, bien entendu) est un homme aussi bon que son nom l'indique et aussi lettré que son prénom le suggère. C'est à lui (que j'admirais, en tant que lecteur, depuis ses premiers livres parus au début des années 80) que je dois une des plus belles surprises de ma vie, dans unecirconstance d'inversion assez bizarre : il était invité aux "24 heures du livre" (la fête du livre du Mans), en 1989, et j'étais allé lui faire signer son dernier bouquin en date. Au moment où il me demande mon nom, j'hésite et je me dis "lequel est-ce que je lui donne ?". J'en avais deux, désormais : La Vacation avait été publié quelques mois auparavant. Finalement, je lui dis "Martin Winckler" et je vois ses yeux s'ouvrir. "La Vacation, c'est toi ?" (François tutoie tout le monde, comme le font les Québecois.) Et moi, héberlué "Euh... Vous avez lu La Vacation, M'sieur ?" (ou quelque chose d'aussi stupide...)
Plus tard, après La Maladie de Sachs, il m'a donné bien d'autres bonheurs (je veux dire en plus de ses livres : je ne me suis toujours pas remis de son bouquin sur les Stones et de son Dylan) en particulier une soirée magique de lecture en public à Nancy dont je rêve encore, tant je me sentais entouré par les spectateurs/auditeurs (c'est fou ce que j'aime lire en public, des lectures publiques, j'en ferais tous les soirs, et j'ai bien l'intention d'en organiser à Montréal).
Et le voilà sur le quai du métro, je savais qu'il venait passer l'année au Québec, à Québec-Ville (Quebec City, comme disent les Ricains), et donner un cours ou un séminaire le mercredi, et oui, on était mercredi, il sortait de ses trois heures de cours et me voilà pile au moment où il attend la rame.
Ca me fait évidemment très plaisir de le voir, et de l'inviter à dîner mais il a une journée chargée le lendemain et il va revenir, chaque semaine, à Montréal, alors on aura d'autres occasions.
Le monde est petit.
Les quais de métro sont grands et il s'y passe des choses étranges.
Au printemps dernier, sur le quai du même métro (mais une station plus à l'Ouest, à Côte-des-Neiges) j'étais debout en train de lire un livre de Bill Bryson, The Mother Tongue en attendant de me rendre à l'université quand une silhouette est passée devant moi et s'est dirigée vers le bord du quai. C'était un homme plus petit que moi, peut être un peu plus âgé, portant des vêtements fatigués mais propres. Il s'est approché du quai tranquillement, mais son pas m'a donné tout de suite le sentiment qu'il n'allait pas s'arrêter au bord. Il s'est arrêté, pourtant, une fraction de seconde, et puis il a levé les yeux vers le bout du quai, le tunnel d'où une rame jaillissait, et je l'ai distinctement vu faire un pas en avant.
J'avais dû m'avancer, moi aussi, en le voyant se diriger vers les voies, avec ce réflexe de père de famille qui ne lâche pas ses enfants des yeux et reste toujours en éveil pour pouvoir les retenir s'il leure venait l'idée de se précipiter dans la rue en courant.
Mon bras est parti, a saisi le sien et je l'ai tiré vers moi en disant/criant : "Qu'est-ce que vous faites ?"
Il m'a répondu avec des phrases incohérentes dans lesquelles j'ai cru comprendre "Oui, je sais, faut pas, faut pas, je vais pas le faire". La rame est arrivée. Je ne savais pas quoi dire. Il a dégagé son bras, il est entré, s'est assis contre la cloison, à l'abri d'un autre voyageur, pendant que je restais debout, comme un imbécile, au milieu de la rame. Je n'avais qu'une station pour prendre une décision. Qu'est-ce que je faisais ? Qu'est-ce que j'avais le droit de faire ? Qu'est-ce qu'il était possible de faire ? S'il avait essayé de se jeter sous le train, il allait le faire de nouveau. Fallait-il que je parle avec lui, que j'essaie de savoir qui il était, pourquoi il avait voulu faire ça ?Il ne se passe qu'une minute, peut-être quatre-vingt-dix secondes, entre les deux stations, mais j'ai pu constater une fois combien les pensées vont vite... et combien il est difficile de se décider quand elles sont si nombreuses.
Il scrutait la vitre mais tournait la tête vers moi de temps à autre, les épaules basses, comme s'il avait eu peur que je le frappe ou que je l'engueule. Il semblait (mais je ne sais pas si, comme le reste, il ne s'agit pas d'une pure interprétation de ma part) avoir envie que je l'oublie, que je le laisse là, que je ne m'occupe plus de lui. Il avait l'air mortifié. Mortifié de n'avoir pas réussi son coup et de ne pas être mort, à l'abri peut-être de la tristesse qui l'avait conduit au bord du quai, et à l'abri de la honte de s'être raté sous mes yeux, par ma faute.
Je voulais faire quelque chose, et il restait hors d'atteinte. C'était clair, il ne voulait plus avoir affaire à moi, mais il n'allait pas me le dire de manière violente ou agressive, il était déjà très confus dans son élocution - il avait peutêtre bu, il prenait peut-être des médicaments - il n'allait pas pouvoir me faire un discours sur sa liberté à mourir.
Je voulais dire quelque chose, mais je n'avais pas le temps, et je voulais le faire avant que nos chemins se séparent, parce que je ne voulais pas m'incruster là, dans la rame, à coller au train de quelqu'un qui n'avait peutêtre qu'une envie : me voir disparaître moi, la cause et le témoin de son geste inachevé, et avec moi le souvenir cuisant de son échec.
La rame ralentissait. Je ne savais pas quoi faire. Je ne savais pas quoi dire. Je ne pouvais pas rester. Je ne voulais pas descendre en lui tournant le dos.
Alors j'ai fait deux pas et je lui ai tendu la main. Il l'a regardée avec surprise, l'a serrée rapidement, comme soulagé de pouvoir en finir et de me congédier et puis s'est de nouveau tourné vers la fenêtre en grommellant quelque chose que je n'ai pas compris.
jeudi 17 septembre 2009
mercredi 16 septembre 2009
Haïku (exercice d'écriture, 2)
Ecrire un haïku (lire la fiche wikipédia pour la définition et les principes de base).
Eléments obligatoires du haïku :
- la nuit
- l'absence
(sans utiliser ces deux mots).
Date limite de remise : mercredi 23 septembre, minuit (heure de votre fuseau horaire).
Eléments obligatoires du haïku :
- la nuit
- l'absence
(sans utiliser ces deux mots).
Date limite de remise : mercredi 23 septembre, minuit (heure de votre fuseau horaire).
"Contretemps" (dernière)
Bonjour M. Winckler,
Vous pouvez lire mon interprétation de votre exercice ici:
http://qbert72.com/2009/09/16/contretemps/
Je vous laisse libre de la reproduire sur votre blog ou de simplement lier au mien.
Merci de m'avoir fourni ce contexte d'écriture amusant!
Alexandre
P.S.: Vous comptez bien les signes avant de publier?
Réponse de MW : Non, je fais confiance au rédacteur. On n'est pas à 350 signes près. Si ça fait douze pages, en plus, je le verrai !!! Et puis je limite la longueur parce que 1° c'est un bon exercice, d'écrire "au nombre de signe" 2° c'est plus facile à lire pour les visiteurs du blog.
Vous pouvez lire mon interprétation de votre exercice ici:
http://qbert72.com/2009/09/16/contretemps/
Je vous laisse libre de la reproduire sur votre blog ou de simplement lier au mien.
Merci de m'avoir fourni ce contexte d'écriture amusant!
Alexandre
P.S.: Vous comptez bien les signes avant de publier?
Réponse de MW : Non, je fais confiance au rédacteur. On n'est pas à 350 signes près. Si ça fait douze pages, en plus, je le verrai !!! Et puis je limite la longueur parce que 1° c'est un bon exercice, d'écrire "au nombre de signe" 2° c'est plus facile à lire pour les visiteurs du blog.
Dans quelle langue écrivez vous ?
Hier mardi, je bavardais avec Yvon Lachance, l'un des propriétaires de la librairie Olivieri (sur Côte-des-Neiges, pas loin de l'université de Montréal) et il me racontait qu'il y a quelques années, Libération avait interrogé des écrivains francophones du monde entier en leur demandant "Pourquoi écrivez-vous en français ?" Une écrivaine québecoise (dont j'oublie le nom, le rouge de la honte m'en monte aux joues) aurait répondu de manière très cinglante à cette question qu'elle trouvait (à juste titre...) idiote.
On ne m'a pas posé la question (je vivais en France, à l'époque, écrire en français pour un citoyen français vivant en France c'est banal à mourir) mais là, tiens, j'ai envie d'y répondre, parce qu'après tout y'a pas de raison.
J'écris en français parce que c'est ma langue maternelle, je n'ai pas eu trop le choix sur ce coup-là, mais j'aurais pu, si les aléas de l'histoire l'avaient voulu, écrire en hébreu. Mes parents ont émigré en Israël en 1961-62 et si mon père avait pu y travailler, nous y serions restés. J'avais 7 ans, au bout d'un an je parlais déjà l'hébreu, bien sûr, j'aurais probablement continué à parler le français, mais j'imagine qu'une fois adulte, j'aurais - par nécessité - écrit en hébreu (ou dans les deux langues).
Je ne sais pas si je serais devenu médecin (c'est probable, étant donné la relation que j'avais à mon père, médecin lui-même) mais je serais certainement devenu écrivain (la lecture de On the Origin of Stories m'en a convaincu). Qu'est-ce que j'aurais écrit ? Qu'est-ce que j'écrirais aujourd'hui ? Ca, c'est plus difficile à dire, mais pour un médecin juif d'origine française vivant en Israël, les sujets ne manqueraient certainement pas !!!!
L'histoire avec sa grande hache en a décidé autrement, et je n'ai pas grandi à Jaffa ou à Tel-Aviv, mais à Pithiviers (45-Loiret), au beau milieu de la Beauce, le grenier à blé de la France, et il n'était pas question pour moi de parler autre chose que le français, langue maternelle de mes parents et, dans une certaine mesure, de mes grands-parents, qui devaient sûrement parler aussi le judéo-arabe ou le ladino, dont il ne me reste que quelques interjections imagées et quelques mots épars.
J'écris donc en français parce que j'ai grandi dans le français, parce que j'ai écrit "bien" (selon des critères scolaires) très tôt, parce que j'avais une mémoire photographique de l'orthographe, parce que je disais mes récitations comme pas un et comme tout ça faisait très plaisir à mes instituteurs - qui étaient très fiers d'avoir dans leur classe un élève aussi brillant, et comment leur en vouloir - ils ne m'ont pas dissuadé d'écrire bien sous leur dictée ou leurs instructions, et pourquoi m'en serais-je privé à la maison ?
J'écris en français parce qu'ayant grandi en français je me suis toujours senti à l'aise dans cette langue. Et puis, franchement, je ne me suis jamais posé la question. Ce qui me posait question, c'étaient toutes les injustices innommables que je découvrais les unes après les autres et sur lesquelles je me suis mis à vitupérer à partir de la pré-adolescence. Mais pas du tout la langue sous laquelle j'allais les dénoncer.
Aujourd'hui, j'écris en français parce que la langue écrite est mon outil de travail, autant que le clavier sur lequel j'écris ceci. Et même plus. Je peux changer de clavier comme de chemise (je passe d'un iMac au bureau à un miniportable chez moi) mais je ne peux pas changer de langue comme ça.
Encore que.
Voyez-vous, quand j'étais seulement lecteur (ou principalement lecteur) et jusqu'à l'âge de 17 ans j'ai lu presque exclusivement des auteurs de romans de "genre" et beaucoup, beaucoup, beaucoup de romans anglo-saxons. J'ai lu Jules Verne, Maurice Leblanc, les Maigret de Simenon et les romans d'énigme de Stanislas-André Steeman ; j'ai vu beaucoup de films français d'avant-guerre (j'adorais Jouvet, Françoise Rosay, Michel Simon, Pauline Carton, les films de René Clair et de Sacha Guitry, et c'est toujours vrai) et d'immédiate après-guerre (Tati, Noël-Noël, La vie est belle et les comédies avec Roger-Pierre et Jean-Marc Thibault), j'ai bouffé de la chanson française (Brassens, Trénet, Aznavour, Barbara, Ferré) ou francophone (Brel, Félix Leclerc) et j'ai lu des centaines de BD franco-belges, mais j'ai lu en plus grande quantité encore Agatha Christie, John Dixon Carr, Herbert George Wells, Conan Doyle, Shakespeare, George Orwell, Aldous Huxley, Jerome K. Jerome et des centaines de nouvelles et de romans de science-fiction et de comic-books américains, d'Asimov à Zelazny en passant par Stan Lee et Denny O'Neil.
En français d'abord, puis, à mesure que je grandissais et que j'allais passer mes étés en Angleterre, en anglais.
Et quand j'ai passé mon année en Amérique, à l'âge de 17 ans, je savais pretty much ce que je voulais faire de ma vie. Je voulais être médecin ET écrivain. Je ne savais pas encore quel genre de médecin je voulais être, je voulais être médecin comme mon père, le reste n'avait pas grande importance, but I knew damn well what kind of writer I wanted to be.
I wanted to be an American writer.
I wanted to write in English.
Alors, d'accord, j'écris en français, c'est un accident de l'histoire personnelle et mondiale, mais même si je suis très heureux d'avoir perfectionné ma langue d'écriture au fil des quarante années écoulées, je ne peux pas dire que je sois parfaitement heureux d'écrire en français. Ou plutôt, je ne suis pas heureux de n'écrire qu'en français.
Cette nuit (la nuit du 15 au 16 septembre 2009) je me suis réveillé à 4 h et j'ai tourné dans mon lit pendant environ une heure, sans pouvoir me rendormir. Et j'ai eu l'idée d'un livre. Une idée à la fois si simple et si transgressive que je me demande pourquoi je ne l'ai pas eue plus tôt.
L'idée a fait son chemin pendant les deux heures qui ont suivi et jusqu'à maintenant et évidemment, comme toutes les idées, elle a évolué, comme si de la gangue s'extrayait peu à peu un insecte qui se frottait les ailes. A cette idée initiale (un retour dans mon passé, un passé très précis), se sont ajoutées deux autres idées très précises. La première, je la garde pour moi, elle fait partie des surprises que recèlera le roman. La seconde est simple, très simple, mais pour moi limpide : ce roman, je vais l'écrire en anglais.
On ne m'a pas posé la question (je vivais en France, à l'époque, écrire en français pour un citoyen français vivant en France c'est banal à mourir) mais là, tiens, j'ai envie d'y répondre, parce qu'après tout y'a pas de raison.
J'écris en français parce que c'est ma langue maternelle, je n'ai pas eu trop le choix sur ce coup-là, mais j'aurais pu, si les aléas de l'histoire l'avaient voulu, écrire en hébreu. Mes parents ont émigré en Israël en 1961-62 et si mon père avait pu y travailler, nous y serions restés. J'avais 7 ans, au bout d'un an je parlais déjà l'hébreu, bien sûr, j'aurais probablement continué à parler le français, mais j'imagine qu'une fois adulte, j'aurais - par nécessité - écrit en hébreu (ou dans les deux langues).
Je ne sais pas si je serais devenu médecin (c'est probable, étant donné la relation que j'avais à mon père, médecin lui-même) mais je serais certainement devenu écrivain (la lecture de On the Origin of Stories m'en a convaincu). Qu'est-ce que j'aurais écrit ? Qu'est-ce que j'écrirais aujourd'hui ? Ca, c'est plus difficile à dire, mais pour un médecin juif d'origine française vivant en Israël, les sujets ne manqueraient certainement pas !!!!
L'histoire avec sa grande hache en a décidé autrement, et je n'ai pas grandi à Jaffa ou à Tel-Aviv, mais à Pithiviers (45-Loiret), au beau milieu de la Beauce, le grenier à blé de la France, et il n'était pas question pour moi de parler autre chose que le français, langue maternelle de mes parents et, dans une certaine mesure, de mes grands-parents, qui devaient sûrement parler aussi le judéo-arabe ou le ladino, dont il ne me reste que quelques interjections imagées et quelques mots épars.
J'écris donc en français parce que j'ai grandi dans le français, parce que j'ai écrit "bien" (selon des critères scolaires) très tôt, parce que j'avais une mémoire photographique de l'orthographe, parce que je disais mes récitations comme pas un et comme tout ça faisait très plaisir à mes instituteurs - qui étaient très fiers d'avoir dans leur classe un élève aussi brillant, et comment leur en vouloir - ils ne m'ont pas dissuadé d'écrire bien sous leur dictée ou leurs instructions, et pourquoi m'en serais-je privé à la maison ?
J'écris en français parce qu'ayant grandi en français je me suis toujours senti à l'aise dans cette langue. Et puis, franchement, je ne me suis jamais posé la question. Ce qui me posait question, c'étaient toutes les injustices innommables que je découvrais les unes après les autres et sur lesquelles je me suis mis à vitupérer à partir de la pré-adolescence. Mais pas du tout la langue sous laquelle j'allais les dénoncer.
Aujourd'hui, j'écris en français parce que la langue écrite est mon outil de travail, autant que le clavier sur lequel j'écris ceci. Et même plus. Je peux changer de clavier comme de chemise (je passe d'un iMac au bureau à un miniportable chez moi) mais je ne peux pas changer de langue comme ça.
Encore que.
Voyez-vous, quand j'étais seulement lecteur (ou principalement lecteur) et jusqu'à l'âge de 17 ans j'ai lu presque exclusivement des auteurs de romans de "genre" et beaucoup, beaucoup, beaucoup de romans anglo-saxons. J'ai lu Jules Verne, Maurice Leblanc, les Maigret de Simenon et les romans d'énigme de Stanislas-André Steeman ; j'ai vu beaucoup de films français d'avant-guerre (j'adorais Jouvet, Françoise Rosay, Michel Simon, Pauline Carton, les films de René Clair et de Sacha Guitry, et c'est toujours vrai) et d'immédiate après-guerre (Tati, Noël-Noël, La vie est belle et les comédies avec Roger-Pierre et Jean-Marc Thibault), j'ai bouffé de la chanson française (Brassens, Trénet, Aznavour, Barbara, Ferré) ou francophone (Brel, Félix Leclerc) et j'ai lu des centaines de BD franco-belges, mais j'ai lu en plus grande quantité encore Agatha Christie, John Dixon Carr, Herbert George Wells, Conan Doyle, Shakespeare, George Orwell, Aldous Huxley, Jerome K. Jerome et des centaines de nouvelles et de romans de science-fiction et de comic-books américains, d'Asimov à Zelazny en passant par Stan Lee et Denny O'Neil.
En français d'abord, puis, à mesure que je grandissais et que j'allais passer mes étés en Angleterre, en anglais.
Et quand j'ai passé mon année en Amérique, à l'âge de 17 ans, je savais pretty much ce que je voulais faire de ma vie. Je voulais être médecin ET écrivain. Je ne savais pas encore quel genre de médecin je voulais être, je voulais être médecin comme mon père, le reste n'avait pas grande importance, but I knew damn well what kind of writer I wanted to be.
I wanted to be an American writer.
I wanted to write in English.
Alors, d'accord, j'écris en français, c'est un accident de l'histoire personnelle et mondiale, mais même si je suis très heureux d'avoir perfectionné ma langue d'écriture au fil des quarante années écoulées, je ne peux pas dire que je sois parfaitement heureux d'écrire en français. Ou plutôt, je ne suis pas heureux de n'écrire qu'en français.
Cette nuit (la nuit du 15 au 16 septembre 2009) je me suis réveillé à 4 h et j'ai tourné dans mon lit pendant environ une heure, sans pouvoir me rendormir. Et j'ai eu l'idée d'un livre. Une idée à la fois si simple et si transgressive que je me demande pourquoi je ne l'ai pas eue plus tôt.
L'idée a fait son chemin pendant les deux heures qui ont suivi et jusqu'à maintenant et évidemment, comme toutes les idées, elle a évolué, comme si de la gangue s'extrayait peu à peu un insecte qui se frottait les ailes. A cette idée initiale (un retour dans mon passé, un passé très précis), se sont ajoutées deux autres idées très précises. La première, je la garde pour moi, elle fait partie des surprises que recèlera le roman. La seconde est simple, très simple, mais pour moi limpide : ce roman, je vais l'écrire en anglais.
mardi 15 septembre 2009
Autoportrait en ogre
Hier, lundi 14 septembre, j'ai participé, en duplex, à une émission de France-Culture (diffusée le week-end du 19-20 septembre, je pense). La sélection
France-Culture/Télérama était commentée et présentée au théâtre de l'Athénée. Je passais après la présentation du livre de Vincent Message (qui était dans la salle) et celle du livre de Marie NDiaye (qui avait été enregistrée, je crois).
J'ai été très impressionné par la lecture que Marie-Christine Barrault a faite des premières pages du Choeur des Femmes. Et cette lecture (qui a semblé beaucoup faire rire l'auditoire, il faut dire que M.-C. B. était vraiment excellente) m'a soudain fait prendre conscience que ce début, une description fantasmée de Karma par Jean Atwood, n'était rien d'autre qu'une sorte d'auto-portrait de l'auteur en ogre.
On m'a souvent - m'a-t-on dit - perçu comme un type agressif qui cherche à "bouffer" les autres et pendant longtemps je n'ai pas compris exactement pourquoi. Je me souviens que certains camarades de fac (ou des confrères, plus tard) me trouvaient intolérant, autoritaire, ayatollesque et je ne sais quoi d'autre. Et ça ne cessait de me stupéfier. Parce que moi, je n'avais pas du tout le sentiment d'être de taille à les bouffer.
Mais je sais pourquoi ils avaient ce sentiment (et pourquoi d'autres l'ont encore, parfois). Parce que je peux parler avec beaucoup d'énergie et de vivacité. Mais l'énergie avec laquelle je peux m'exprimer, verbalement, n'est pas sous-tendue par la haine ou le mépris, elle est, ni plus ni moins, proportionnelle à ma colère, à mon énervement, à mon sentiment de frustration du moment - souvent grands, quand il s'agit des sujets qui m'importent (les médecins maltraitants, les séries télé, la littérature...)
Après mes études (pendant lesquelles on m'a seriné que je "n'écoutais pas les autres") j'ai appris à me taire, ou à tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler, ou à reconnaître que j'étais de mauvaise foi.
Un jour - j'étais médecin de campagne - en me voyant surgir dans la salle d'attente où elle était assise, une patiente s'est exclamée "Oh, comme vous êtes impressionnant" (je n'étais pas barbu à l'époque). J'ai alors compris que la manière dont on me voyait n'avait rien de commun avec ce que je ressentais être à l'intérieur... (et qu'il devait en aller de même pour tout le monde). Ce sont des réflexions comme celle-là qui m'ont donné l'idée des portraits du médecin par ses patients dans la Maladie de Sachs.
J'ai aussi appris, grâce à la formation Balint (des groupes de parole où des médecins se racontent des histoires...) à être moins angoissé et moins culpabilisé par mon sentiment d'impuissance. A entendre la parole des patients autrement que comme une demande d'aide immédiate. A relativiser ce que je croyais être "la vérité" ou "des mensonges". A ne plus porter de jugement.
Alors, peu à peu, j'ai moins tonitrué. Moins souvent. Enfin, suffisamment souvent quand même pour avoir acquis parmi mes confrères la réputation d'être une « grande gueule », autrement dit : un emmerdeur. (On a aussi beaucoup dit, à une certaine époque, que j'étais un grand coureur de jupons, alors grande gueule + séducteur + pilosité au menton = Franz Karma en Barbe-Bleue et voilà comment on construit des personnages de fiction. Il suffit de se laisser porter par les images collectives. )
Cet apprentissage progressif de la distance entre conscience de soi et projection de soi ne m'a pas "calmé". Mes colères sont toujours là. Ainsi que les personnes (physiques ou morales) envers qui j'ai des raisons de rugir. Ce, d'autant plus que j'ai gagné, ces dix dernières années, un auditoire et une écoute que je n'avais pas auparavant.
Mais je ne me « vois » toujours pas en ogre.
Ca m'a donc fait sourire d'entendre ça, hier soir, à cinq mille kilomètres de distance, dans le studio que France-Culture avait réservé pour moi à Radio-Canada.
Je me demande ce que ma mère aurait dit.
Pourquoi ma mère ? Parce que c'est mon prochain personnage de fiction, pardi !
La mère de Barbe-Bleue.
C'est une idée rigolote, non ?
France-Culture/Télérama était commentée et présentée au théâtre de l'Athénée. Je passais après la présentation du livre de Vincent Message (qui était dans la salle) et celle du livre de Marie NDiaye (qui avait été enregistrée, je crois).
J'ai été très impressionné par la lecture que Marie-Christine Barrault a faite des premières pages du Choeur des Femmes. Et cette lecture (qui a semblé beaucoup faire rire l'auditoire, il faut dire que M.-C. B. était vraiment excellente) m'a soudain fait prendre conscience que ce début, une description fantasmée de Karma par Jean Atwood, n'était rien d'autre qu'une sorte d'auto-portrait de l'auteur en ogre.
On m'a souvent - m'a-t-on dit - perçu comme un type agressif qui cherche à "bouffer" les autres et pendant longtemps je n'ai pas compris exactement pourquoi. Je me souviens que certains camarades de fac (ou des confrères, plus tard) me trouvaient intolérant, autoritaire, ayatollesque et je ne sais quoi d'autre. Et ça ne cessait de me stupéfier. Parce que moi, je n'avais pas du tout le sentiment d'être de taille à les bouffer.
Mais je sais pourquoi ils avaient ce sentiment (et pourquoi d'autres l'ont encore, parfois). Parce que je peux parler avec beaucoup d'énergie et de vivacité. Mais l'énergie avec laquelle je peux m'exprimer, verbalement, n'est pas sous-tendue par la haine ou le mépris, elle est, ni plus ni moins, proportionnelle à ma colère, à mon énervement, à mon sentiment de frustration du moment - souvent grands, quand il s'agit des sujets qui m'importent (les médecins maltraitants, les séries télé, la littérature...)
Après mes études (pendant lesquelles on m'a seriné que je "n'écoutais pas les autres") j'ai appris à me taire, ou à tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler, ou à reconnaître que j'étais de mauvaise foi.
Un jour - j'étais médecin de campagne - en me voyant surgir dans la salle d'attente où elle était assise, une patiente s'est exclamée "Oh, comme vous êtes impressionnant" (je n'étais pas barbu à l'époque). J'ai alors compris que la manière dont on me voyait n'avait rien de commun avec ce que je ressentais être à l'intérieur... (et qu'il devait en aller de même pour tout le monde). Ce sont des réflexions comme celle-là qui m'ont donné l'idée des portraits du médecin par ses patients dans la Maladie de Sachs.
J'ai aussi appris, grâce à la formation Balint (des groupes de parole où des médecins se racontent des histoires...) à être moins angoissé et moins culpabilisé par mon sentiment d'impuissance. A entendre la parole des patients autrement que comme une demande d'aide immédiate. A relativiser ce que je croyais être "la vérité" ou "des mensonges". A ne plus porter de jugement.
Alors, peu à peu, j'ai moins tonitrué. Moins souvent. Enfin, suffisamment souvent quand même pour avoir acquis parmi mes confrères la réputation d'être une « grande gueule », autrement dit : un emmerdeur. (On a aussi beaucoup dit, à une certaine époque, que j'étais un grand coureur de jupons, alors grande gueule + séducteur + pilosité au menton = Franz Karma en Barbe-Bleue et voilà comment on construit des personnages de fiction. Il suffit de se laisser porter par les images collectives. )
Cet apprentissage progressif de la distance entre conscience de soi et projection de soi ne m'a pas "calmé". Mes colères sont toujours là. Ainsi que les personnes (physiques ou morales) envers qui j'ai des raisons de rugir. Ce, d'autant plus que j'ai gagné, ces dix dernières années, un auditoire et une écoute que je n'avais pas auparavant.
Mais je ne me « vois » toujours pas en ogre.
Ca m'a donc fait sourire d'entendre ça, hier soir, à cinq mille kilomètres de distance, dans le studio que France-Culture avait réservé pour moi à Radio-Canada.
Je me demande ce que ma mère aurait dit.
Pourquoi ma mère ? Parce que c'est mon prochain personnage de fiction, pardi !
La mère de Barbe-Bleue.
C'est une idée rigolote, non ?
La dernière fois - par Elise Desaulniers
J’ai décidé qu’aujourd’hui, ce serait fini.
J’en ai assez de toute cette souffrance inutile. J’y pense depuis un moment. Je voudrais bien dire un bon moment, mais l’idée m’est venue il y a à peine deux mois. J’ai déjà entendu parler de quelques personnes qui l’avaient fait, qui avaient réussi, mais, je n’y avais pas trop porté attention. Elles devaient avoir leurs raisons, c’est compliqué ces histoires-là. Mais depuis deux mois, ça s’est bousculé dans ma tête. C’est devenu clair. Je devais le faire. Un jour, je dirai que pour moi aussi, c’est fini. Et ce jour, c’est aujourd’hui.
Hier, il fallait que j’en profite. C’était ma dernière journée. Je ne voulais pas être déçu de ma dernière fois; une dernière fois, je ne pense pas que ça se recommence. J’ai décidé de vider mon frigo; de me faire une grande bouffe, comme dans le film du même nom. Il me restait quelques légumes, une poitrine de poulet surgelée, des côtelettes de porc achetées en spécial et même une escalope de veau de lait. J’arrivais pas à me décider, j’ai décidé de tout préparer. Tant pis pour la vaisselle et la cuisinière qu’il faudra nettoyer.
Ça été long, tout préparer. J’ai défait les emballages, rincé les assiettes de styrofoam -même pas sales à cause du truc au fond qui absorbe le sang-, puis je les ai mises au recyclage. Et puis j’ai tout coupé minutieusement, comme on le fait à la télé. J’ai bien huilé, attendu que ça frémisse, et j’ai commencé par faire cuire le veau que j’avais passé dans l’œuf et la chapelure comme ma mère me l’a appris. Quand ça commencé à cramer, je l’ai remplacé par le poulet que j’ai fait cuire avec des poivrons et une sauce « Souvenirs d’Indochine » du Président. Ça devrait être bon, c’est toujours bon, le Président. Ensuite par le porc, porc à rien.
J’ai goûté le veau en premier. C’était le plus tendre. Après le croustillant, une viande rose, qui se coupe presque à la fourchette et qui fond dans la bouche. Ensuite, j’ai goûté au poulet. Ça aussi, c’était pas mal. Mais c’est le Président qu’on goûte, pas le poulet. Et puis le porc, tout sec, qui avait trop cuit, qui était de trop. Assez rapidement, sans trop y penser puisque je regardais des merdes sur Youtube, j’ai tout mangé. Pour une fois, sans culpabiliser, c’était la dernière fois. Je me suis allumé une cigarette, puis je suis allé me coucher. La vaisselle va attendre, mais je ne sais pas jusqu’à quand.
Je me suis réveillé au milieu de la nuit; en sueurs et avec un terrible mal de ventre. Je n’ai pas pu vomir, je n’ai pas pu me rendormir. Quand je ne dors pas, j’angoisse. J’ai passé la nuit à angoisser. J’aurais préféré des cauchemars. J’ai tout repassé dans ma tête, tout ce que j’ai lu, tous les films que j’ai vus. J’ai pas changé d’idée. Ça suffit, ça ne peut pas continuer. Il faut que j’arrête cette souffrance. Il faut que je fasse ma part. C’est possible, je suis capable, d’autres l’ont fait avant moi. Et puis c’est con, ça ne vaut pas la peine d’aller travailler dans cet état. Je m’étire, prends mon iPod Touch, envoie un mail au bureau pour dire que je suis malade.
Je ne pensais pas que ça finirait comme ça, mais c’est bien fini.
Je mets à jour mon status sur Facebook. : « est végétarien ».
dimanche 13 septembre 2009
En vrac
Filtrage
Vendredi j'ai passé la journée avec un petit groupe de médecins autour du thème des "conflits d'intérêt". Au cours des échanges qui ont eu lieu (et à propos des méthodes qui permettent de réfléchir à sa pratique), l'une des participantes a demandé si, quand on mettait sur le papier une expérience clinique, soit pour la lire à d'autres, soit pour la relire plus tard, on ne courait pas le risque de "filtrer" ce qu'on dit.
Je suis très sensible à cette idée de "filtrage" dans les textes autobiographiques. A l'âge de 14 ans, j'ai commencé à tenir un journal, et il y avait tant de choses qui se pressaient à dire - et que je n'osais pas dire de peur que ma mère tombe dessus et les lise - que mes textes étaient bourrés de points de suspension. J'étais persuadé que je me souviendrais toute ma vie de ce que ces points de suspension contenaient ou désignaient ! Mais c'était une forme de protection, bien naturelle à un âge où les garçons "doivent" courir après des ballons, et non rester coincés dans leur chambre, à lire ou (pire !) à écrire.
Alors, bien sûr, quand on écrit, que ce soit des textes intimes ou de la fiction, on "filtre". Ne serait-ce que parce qu'on choisit ses mots, ou son approche, ou ses sujets. Mais ce qu'on ne sait pas - et qu'on découvre bien plus tard - c'est qu'un filtre, ça retient et ça laisse passer. Ce qui passe semble anodin, sans danger, sans conséquence... et ne l'est pas. On le sait d'autant moins qu'on ne voit pas ce que ça donne en fin de compte, dans le texte. Il en va de même pour la fiction. On a beau être persuadé qu'on sait ce qu'on fait, il y a tant, dans le résultat, qu'on n'avait pas prévu, que les lecteurs/trices voient et pointent, et qu'on n'avait pas vu non plus à la relecture, fût-elle la douzième.
C'est comme les "coquilles", ces fautes d'orthographe ou de frappe ou de mise en page, qu'on trouve dans tous les livres (il y en a un certain nombre encore dans Le Choeur des femmes, j'espère que j'aurai l'occasion de les faire rectifier s'il y a une réimpression). Quand on lit, surtout quand on est un lecteur rapide, on ne les voit pas toujours. Même les relecteurs professionnels ne les revoient pas, car au bout d'un moment, ils ne peuvent pas seulement s'astreindre à regarder les mots et les lignes, ils... lisent. Et le cerveau comble les trous. Il met un mot là où ce mot manque, il remet dans l'ordre les lettres inversées, il ajoute l'alinéa qui a sauté, etc.
Le cerveau travaille sans qu'on s'en rende compte et il nous joue des tours. Mais au fond, l'essentiel, quand on écrit, n'est pas de se préoccuper de ce qu'on "filtre" ou de ce qu'on "dit", mais (il me semble, et en tout cas c'est ce que je m'efforce de faire dans mes textes) l'aspect, la sonorité, le rythme, le sens du texte final. S'il "sonne juste" dans la tête de l'écrivant, c'est qu'on a fait son boulot. Ensuite, quoi qu'on en veuille, il sonnera différemment aux oreilles internes des lisants. (Marre d'écrire lecteurs/trices). Et ce que les lisants distinguent ou entendent dans le texte fini est toujours surprenant pour l'écrivant. Alors, ce qui compte n'est pas ce qu'on a retenu en filtrant, c'est ce qu'on a, consciemment ou pas, laissé passer par les orifices. Et le résultat, je le crois sincèrement, est toujours fidèle à la personne qu'on est, même si, d'un point de vue formel, on n'a pas fait tout à fait ce qu'on voulait faire, ou ce qu'on prévoyait.
Quand un écrivant dit qu'il n'est pas content du texte qu'il a publié autrefois, je me demande toujours pourquoi il l'a laissé publier alors. Je sais que si j'écrivais La Vacation ou même La maladie de Sachs aujourd'hui, je ne les écrirais pas de la même manière. Mais je sais aussi que, lorsque je les ai écrits, j'ai fait du mieux que j'ai pu avec les outils dont je disposais à l'époque. Et je sais aussi que les erreurs ou maladresses ou bourdes que j'ai pu faire à l'époque ont, comme les réussites, contribué à préparer les textes qui ont suivi. Et ces textes, bons ou mauvais, je leur suis reconnaissant d'avoir tenu debout suffisamment pour être publiés et m'aider à en écrire d'autres. Jamais je ne pourrai les renier, ni même en avoir honte.
Pige
Un journaliste de Ouest-France demande à m'interviewer pour avoir mon avis sur la campagne de vaccination de la grippe en France (je jouerais le partisan du "Non à la vaccination généralisée"). Je lui réponds que je suis un peu loin et qu'étant donné mon emploi du temps la semaine prochaine, ça va être acrobatique. Est-ce qu'il est d'accord pour que je lui envoie un texte, à la place ? Il me répond par l'affirmative. Je demande alors à ce que mon texte soit rémunéré comme une pige (un texte écrit par un rédacteur extérieur). Il me dit que "ça n'est pas prévu", mais qu'il peut citer le titre de mon livre... Je lui rétorque que si Ouest-France veut mon avis, et si je produis un texte argumenté, donc un travail de journaliste scientifique (ce que je suis depuis 25 ans), le premier quotidien de France a peut-être les moyens de me rémunérer. Je ne demande pas un cachet de diva, mais d'être rémunéré au tarif de n'importe quel journaliste extérieur, et rien d'autre. J'ajoute que je n'écris pas pour "qu'on cite mes livres", mais pour gagner ma vie, et que je veux être traité en professionnel, pas en personnalité. Je m'attends à ce qu'il m'envoie paître. Mais non, il me répond très courtoisement qu'il a compris mes arguments et qu'on me rémunèrera au tarif habituel des éditoriaux (200 euros).
Il me paraît TRES important qu'on se mette, dans la presse française, à faire très distinctement la différence entre d'une part les prises de parole d'opinion ou d'humeur et d'autre part les textes documentés. Une interview, c'est une interview. C'est le journaliste qui reprend et commente les propos de l'interrogé. Mais quand la contribution de la personne sollicitée est un texte qui partage des informations avec le public, c'est un texte de journalisme, et il doit être rémunéré comme tel.
Beaucoup de journalistes français (je ne parle pas de celui-ci, mais d'innombrables autres qui m'ont, pendant des années, interrogé sur les séries télé, par exemple, et que je gardais au téléphone pendant une heure pour leur expliquer ce qu'ils auraient pu savoir s'ils avaient pris la peine de lire mes bouquins sur le sujet au lieu de se contenter de repérer le type qui l'avait écrit pour lui tirer des informations sans avoir besoin de les rechercher) ont une attitude insupportablement paresseuse à l'égard du savoir : ils se contentent de faire parler les "spécialistes", les "experts" mais ne critiquent ni n'analysent (ni même ne lisent) ce qui leur permettrait de distinguer les questions superficielles des questions de fond. Combien de fois m'a-t-on appelé pour me demander "D'où vient l'engouement des Français pour les séries télé ? " ou "Est-ce que les séries ont facilité l'élection de Barack Obama ?", ou encore "Comment il se fait qu'il y ait tant de bonnes séries aujourd'hui alors qu'avant y'en avait pas ?" ... Toutes ces questions sont parfaitement acceptables de la part de quelqu'un qui n'y connaît rien, mais pas de la part de quelqu'un dont c'est le métier de chercher à savoir. Et pour savoir, il ne suffit pas d'interroger UN spécialiste, fût-il aussi bavard que moi. Pour savoir, il faut LIRE.
Aujourd'hui, avec un ordinateur et un abonnement internet, on peut lire beaucoup et apprendre beaucoup sur tout... avant d'appeler le spécialiste. Mais évidemment, c'est plus long.
Vendredi j'ai passé la journée avec un petit groupe de médecins autour du thème des "conflits d'intérêt". Au cours des échanges qui ont eu lieu (et à propos des méthodes qui permettent de réfléchir à sa pratique), l'une des participantes a demandé si, quand on mettait sur le papier une expérience clinique, soit pour la lire à d'autres, soit pour la relire plus tard, on ne courait pas le risque de "filtrer" ce qu'on dit.
Je suis très sensible à cette idée de "filtrage" dans les textes autobiographiques. A l'âge de 14 ans, j'ai commencé à tenir un journal, et il y avait tant de choses qui se pressaient à dire - et que je n'osais pas dire de peur que ma mère tombe dessus et les lise - que mes textes étaient bourrés de points de suspension. J'étais persuadé que je me souviendrais toute ma vie de ce que ces points de suspension contenaient ou désignaient ! Mais c'était une forme de protection, bien naturelle à un âge où les garçons "doivent" courir après des ballons, et non rester coincés dans leur chambre, à lire ou (pire !) à écrire.
Alors, bien sûr, quand on écrit, que ce soit des textes intimes ou de la fiction, on "filtre". Ne serait-ce que parce qu'on choisit ses mots, ou son approche, ou ses sujets. Mais ce qu'on ne sait pas - et qu'on découvre bien plus tard - c'est qu'un filtre, ça retient et ça laisse passer. Ce qui passe semble anodin, sans danger, sans conséquence... et ne l'est pas. On le sait d'autant moins qu'on ne voit pas ce que ça donne en fin de compte, dans le texte. Il en va de même pour la fiction. On a beau être persuadé qu'on sait ce qu'on fait, il y a tant, dans le résultat, qu'on n'avait pas prévu, que les lecteurs/trices voient et pointent, et qu'on n'avait pas vu non plus à la relecture, fût-elle la douzième.
C'est comme les "coquilles", ces fautes d'orthographe ou de frappe ou de mise en page, qu'on trouve dans tous les livres (il y en a un certain nombre encore dans Le Choeur des femmes, j'espère que j'aurai l'occasion de les faire rectifier s'il y a une réimpression). Quand on lit, surtout quand on est un lecteur rapide, on ne les voit pas toujours. Même les relecteurs professionnels ne les revoient pas, car au bout d'un moment, ils ne peuvent pas seulement s'astreindre à regarder les mots et les lignes, ils... lisent. Et le cerveau comble les trous. Il met un mot là où ce mot manque, il remet dans l'ordre les lettres inversées, il ajoute l'alinéa qui a sauté, etc.
Le cerveau travaille sans qu'on s'en rende compte et il nous joue des tours. Mais au fond, l'essentiel, quand on écrit, n'est pas de se préoccuper de ce qu'on "filtre" ou de ce qu'on "dit", mais (il me semble, et en tout cas c'est ce que je m'efforce de faire dans mes textes) l'aspect, la sonorité, le rythme, le sens du texte final. S'il "sonne juste" dans la tête de l'écrivant, c'est qu'on a fait son boulot. Ensuite, quoi qu'on en veuille, il sonnera différemment aux oreilles internes des lisants. (Marre d'écrire lecteurs/trices). Et ce que les lisants distinguent ou entendent dans le texte fini est toujours surprenant pour l'écrivant. Alors, ce qui compte n'est pas ce qu'on a retenu en filtrant, c'est ce qu'on a, consciemment ou pas, laissé passer par les orifices. Et le résultat, je le crois sincèrement, est toujours fidèle à la personne qu'on est, même si, d'un point de vue formel, on n'a pas fait tout à fait ce qu'on voulait faire, ou ce qu'on prévoyait.
Quand un écrivant dit qu'il n'est pas content du texte qu'il a publié autrefois, je me demande toujours pourquoi il l'a laissé publier alors. Je sais que si j'écrivais La Vacation ou même La maladie de Sachs aujourd'hui, je ne les écrirais pas de la même manière. Mais je sais aussi que, lorsque je les ai écrits, j'ai fait du mieux que j'ai pu avec les outils dont je disposais à l'époque. Et je sais aussi que les erreurs ou maladresses ou bourdes que j'ai pu faire à l'époque ont, comme les réussites, contribué à préparer les textes qui ont suivi. Et ces textes, bons ou mauvais, je leur suis reconnaissant d'avoir tenu debout suffisamment pour être publiés et m'aider à en écrire d'autres. Jamais je ne pourrai les renier, ni même en avoir honte.
Pige
Un journaliste de Ouest-France demande à m'interviewer pour avoir mon avis sur la campagne de vaccination de la grippe en France (je jouerais le partisan du "Non à la vaccination généralisée"). Je lui réponds que je suis un peu loin et qu'étant donné mon emploi du temps la semaine prochaine, ça va être acrobatique. Est-ce qu'il est d'accord pour que je lui envoie un texte, à la place ? Il me répond par l'affirmative. Je demande alors à ce que mon texte soit rémunéré comme une pige (un texte écrit par un rédacteur extérieur). Il me dit que "ça n'est pas prévu", mais qu'il peut citer le titre de mon livre... Je lui rétorque que si Ouest-France veut mon avis, et si je produis un texte argumenté, donc un travail de journaliste scientifique (ce que je suis depuis 25 ans), le premier quotidien de France a peut-être les moyens de me rémunérer. Je ne demande pas un cachet de diva, mais d'être rémunéré au tarif de n'importe quel journaliste extérieur, et rien d'autre. J'ajoute que je n'écris pas pour "qu'on cite mes livres", mais pour gagner ma vie, et que je veux être traité en professionnel, pas en personnalité. Je m'attends à ce qu'il m'envoie paître. Mais non, il me répond très courtoisement qu'il a compris mes arguments et qu'on me rémunèrera au tarif habituel des éditoriaux (200 euros).
Il me paraît TRES important qu'on se mette, dans la presse française, à faire très distinctement la différence entre d'une part les prises de parole d'opinion ou d'humeur et d'autre part les textes documentés. Une interview, c'est une interview. C'est le journaliste qui reprend et commente les propos de l'interrogé. Mais quand la contribution de la personne sollicitée est un texte qui partage des informations avec le public, c'est un texte de journalisme, et il doit être rémunéré comme tel.
Beaucoup de journalistes français (je ne parle pas de celui-ci, mais d'innombrables autres qui m'ont, pendant des années, interrogé sur les séries télé, par exemple, et que je gardais au téléphone pendant une heure pour leur expliquer ce qu'ils auraient pu savoir s'ils avaient pris la peine de lire mes bouquins sur le sujet au lieu de se contenter de repérer le type qui l'avait écrit pour lui tirer des informations sans avoir besoin de les rechercher) ont une attitude insupportablement paresseuse à l'égard du savoir : ils se contentent de faire parler les "spécialistes", les "experts" mais ne critiquent ni n'analysent (ni même ne lisent) ce qui leur permettrait de distinguer les questions superficielles des questions de fond. Combien de fois m'a-t-on appelé pour me demander "D'où vient l'engouement des Français pour les séries télé ? " ou "Est-ce que les séries ont facilité l'élection de Barack Obama ?", ou encore "Comment il se fait qu'il y ait tant de bonnes séries aujourd'hui alors qu'avant y'en avait pas ?" ... Toutes ces questions sont parfaitement acceptables de la part de quelqu'un qui n'y connaît rien, mais pas de la part de quelqu'un dont c'est le métier de chercher à savoir. Et pour savoir, il ne suffit pas d'interroger UN spécialiste, fût-il aussi bavard que moi. Pour savoir, il faut LIRE.
Aujourd'hui, avec un ordinateur et un abonnement internet, on peut lire beaucoup et apprendre beaucoup sur tout... avant d'appeler le spécialiste. Mais évidemment, c'est plus long.
"Contretemps" par Bazile Bé
Cette fois ci, c’est sur… je le fais ! Ma décision est prise, cela fait trop longtemps que cette histoire me turlupine le gros Côlon, j’en ai des rouchements de pense à me torde, à tel point que je n’arrive plus à chier tranquillement comme j’aimais à le faire tous les matins, à peine levé et juste avant mon café, comme on se débarrasse de sa crasse afin de commencer la journée sous un ciel nouveau.
Je dois mettre mon plan à exécution… pour ce faire, n’ayant plus de téléphone depuis que je n’ai pu payé ma dernière facture, je décide de me rendre chez pierrot, au bar de la poste, boire un coup pour entériner ma décision et consulter le bottin du téléphone. Je sais bien que je ne pourrais appeler ce soir, il est trop tard pour cela… je le ferais demain dés l’ouverture des bureaux. J’aime bien remettre au lendemain… et de toute façon, c’est trop tard. J’éteins mon électrophone qui depuis cinq minutes tourne à vide et je sors. Chemin faisant, je me réjouis d’avance à la gueule qu’ils vont faire en apprenant ça… ah nom de Dieu ! Je m’en serre les cacahuètes au travers de ma poche tellement cette décision m’excite, me galvanise le moral. Les salops ils vont voir à qui ils ont affaire ! J’en suis convaincu, c’est la bonne décision… cela fait trop longtemps et si ça continu je risque l’occlusion, la tripaille au bord de la rupture, une éviscération gastronomique ! Tout à se répandre !
D’abord, je vais boire un coup, peut-être deux si une connaissance se pointe et m’offre généreusement une tournée, parce que là, je suis raide ! Juste de quoi pour un canon de rouge… à peine ! Je ne vais pas m’apitoyer, je ne suis pas de ceux là et j’ai d’autres chiens à fouetter !
Il ne doit pas être loin de vingt heures quand j’arrive chez Pierrot, c’est un petit bar de quartier, où se retrouve toute la fine fleure du secteur de la Bastille. Que des noctambules, des célibataires en mal d’amour, des ivrognes, des chômeurs en partance pour une nouvelle aventure, quelques béguineuses venues soulager leurs varices… et, y a Marcel ! Je l’aperçois accoudé au bar, en pleine conversation avec Pierrot. Marcel c’est un ancien avocat véreux, rayé du barrot depuis peu et qui consulte ici dorénavant… Marcel se fait rétribuer ses conseils en pintes de bières, pas plus de huit clients par soir, il n’encaisse pas plus… sinon il sort en courant décaisser dans la petite ruelle qui borde le bar… Raoul par ci, Raoul par là ! Alors il se contient… Là, il n’est pas trop tard, il va pouvoir me conseiller, m’informer sur la procédure, Comment les couillonner une bonne fois pour toute ! Les empapaouter les jobards ! Les chouriner ! Jusqu’à la garde ! Ah nom de Dieu de bordel, la régalade ! Tient, je m’en re-palpe les gonades !
Evidement, je n’ai pas de quoi pour ses honoraires… me fera bien crédit d’une tournée… peut-être bien qu’il me payera un coup ou deux… trois s’il est en bonté ! Qu’après tout mon histoire sort de l’ordinaire ! Ce n’est pas de ces petites niaiseries à la semaine dont il fait son ordinaire ! C’est du gros ! Une énormité pareille on laisse pas filer ! Ça se plaide pas, on empale directe !
Je pousse la porte du café et j’entre, je file directe au bar saluer Pierrot et Marcel.
- Tient, voici Gaspar… qu’est ce qui t’amène ?
- La soif… sers moi un petit rouge…
- T’as pas l’air dans ton assiette ?
- Que si… je suis même d’attaque, remonté comme une horloge, le compteur à zéro prêt à se déclencher !… ça va péter pas plus tard que demain matin, éclabousser dans la presse, la radio et tout le Saint frusquin ! Je ne vous dis pas le Bordel au réveil !
C’est vrai, je ne dis pas… parce que je ne sais pas encore dans quel état je vais me réveiller.
Pierrot, plus curieux qu’une bignole m’a remis un coup, il voulait savoir le fin mot de l’histoire… puis Marcel qui apercevait dans mon intrigue un intérêt quelconque… Puis une autre tournée… j’en remis une en promettant de venir demain régler mon ardoise… puis une autre.
Je ne sais pas comment je suis rentré chez moi, là je me lève, il doit bien être onze heures et j’ai la tête dans cul… j’essai de me souvenir où j’ai pu traîner pour me mettre dans un état pareil… ah ! Pierrot… je m’étais pourtant juré de plus y foutre les pieds le soir… de ne plus me murger la gueule avec la plèbe ! Qu’à chaque fois je me fous dans des états pareils ! Et pourquoi j’y suis allé… j’étais bien, peinard chez moi… Je me rappelle ! J’écoutais du jazz… du Brubeck… Dave… « Blue rondo à la turk »… à chaque fois que je l’écoute, je rêvasse… Je vois le ciel bleu et des prairies en fleurs… je suis bien.
Je dois mettre mon plan à exécution… pour ce faire, n’ayant plus de téléphone depuis que je n’ai pu payé ma dernière facture, je décide de me rendre chez pierrot, au bar de la poste, boire un coup pour entériner ma décision et consulter le bottin du téléphone. Je sais bien que je ne pourrais appeler ce soir, il est trop tard pour cela… je le ferais demain dés l’ouverture des bureaux. J’aime bien remettre au lendemain… et de toute façon, c’est trop tard. J’éteins mon électrophone qui depuis cinq minutes tourne à vide et je sors. Chemin faisant, je me réjouis d’avance à la gueule qu’ils vont faire en apprenant ça… ah nom de Dieu ! Je m’en serre les cacahuètes au travers de ma poche tellement cette décision m’excite, me galvanise le moral. Les salops ils vont voir à qui ils ont affaire ! J’en suis convaincu, c’est la bonne décision… cela fait trop longtemps et si ça continu je risque l’occlusion, la tripaille au bord de la rupture, une éviscération gastronomique ! Tout à se répandre !
D’abord, je vais boire un coup, peut-être deux si une connaissance se pointe et m’offre généreusement une tournée, parce que là, je suis raide ! Juste de quoi pour un canon de rouge… à peine ! Je ne vais pas m’apitoyer, je ne suis pas de ceux là et j’ai d’autres chiens à fouetter !
Il ne doit pas être loin de vingt heures quand j’arrive chez Pierrot, c’est un petit bar de quartier, où se retrouve toute la fine fleure du secteur de la Bastille. Que des noctambules, des célibataires en mal d’amour, des ivrognes, des chômeurs en partance pour une nouvelle aventure, quelques béguineuses venues soulager leurs varices… et, y a Marcel ! Je l’aperçois accoudé au bar, en pleine conversation avec Pierrot. Marcel c’est un ancien avocat véreux, rayé du barrot depuis peu et qui consulte ici dorénavant… Marcel se fait rétribuer ses conseils en pintes de bières, pas plus de huit clients par soir, il n’encaisse pas plus… sinon il sort en courant décaisser dans la petite ruelle qui borde le bar… Raoul par ci, Raoul par là ! Alors il se contient… Là, il n’est pas trop tard, il va pouvoir me conseiller, m’informer sur la procédure, Comment les couillonner une bonne fois pour toute ! Les empapaouter les jobards ! Les chouriner ! Jusqu’à la garde ! Ah nom de Dieu de bordel, la régalade ! Tient, je m’en re-palpe les gonades !
Evidement, je n’ai pas de quoi pour ses honoraires… me fera bien crédit d’une tournée… peut-être bien qu’il me payera un coup ou deux… trois s’il est en bonté ! Qu’après tout mon histoire sort de l’ordinaire ! Ce n’est pas de ces petites niaiseries à la semaine dont il fait son ordinaire ! C’est du gros ! Une énormité pareille on laisse pas filer ! Ça se plaide pas, on empale directe !
Je pousse la porte du café et j’entre, je file directe au bar saluer Pierrot et Marcel.
- Tient, voici Gaspar… qu’est ce qui t’amène ?
- La soif… sers moi un petit rouge…
- T’as pas l’air dans ton assiette ?
- Que si… je suis même d’attaque, remonté comme une horloge, le compteur à zéro prêt à se déclencher !… ça va péter pas plus tard que demain matin, éclabousser dans la presse, la radio et tout le Saint frusquin ! Je ne vous dis pas le Bordel au réveil !
C’est vrai, je ne dis pas… parce que je ne sais pas encore dans quel état je vais me réveiller.
Pierrot, plus curieux qu’une bignole m’a remis un coup, il voulait savoir le fin mot de l’histoire… puis Marcel qui apercevait dans mon intrigue un intérêt quelconque… Puis une autre tournée… j’en remis une en promettant de venir demain régler mon ardoise… puis une autre.
Je ne sais pas comment je suis rentré chez moi, là je me lève, il doit bien être onze heures et j’ai la tête dans cul… j’essai de me souvenir où j’ai pu traîner pour me mettre dans un état pareil… ah ! Pierrot… je m’étais pourtant juré de plus y foutre les pieds le soir… de ne plus me murger la gueule avec la plèbe ! Qu’à chaque fois je me fous dans des états pareils ! Et pourquoi j’y suis allé… j’étais bien, peinard chez moi… Je me rappelle ! J’écoutais du jazz… du Brubeck… Dave… « Blue rondo à la turk »… à chaque fois que je l’écoute, je rêvasse… Je vois le ciel bleu et des prairies en fleurs… je suis bien.
"Contretemps", par Arnaud J. Fleischman
Elle se lève. J’entends le bruit de ses pas sur le parquet. Comme chaque matin. comme chaque jour. Dans ces vieux immeubles, sur ces vieux parquets, les bruits voyagent d’un appartement à un autre facilement. Je sais presque tout d’elle. De ses habitudes. L'heure de son réveil. L’heure à laquelle elle rentre le soir. Quand elle se prépare son repas. Ce qu’elle regarde à la télé. L’heure à laquelle elle s’endort.
Je sais tout d’elle. Je ne sais rien d’elle. Je ne connais le son de sa voix qu'étouffé par les cloisons qui nous séparent. Je connais son nom, mais que l’initiale de son prénom. Je connais l’odeur de son parfum quand je passe après elle dans les escaliers, mais je ne sais pas ce qu’elle aime prendre au petit déjeuner. Je l’observe par le judas quand elle sort de chez elle. Je n’ai jamais osé la croiser, lui parler. Je la regarde de loin. Je suis sa vie au travers des bruits qui me parviennent. Je voudrais lui dire que moi aussi je suis seul et que j’en crève. Je voudrais lui dire que moi aussi je regarde Cold Case et NCIS. Je voudrais lui dire que j’aime son parfum. Je voudrais lui demander si son prénom est Cécile, Céline, Catherine, Claudia, ou Charlotte.
Hier soir, en me couchant j’ai cru l’entendre pleurer. J’aurais aimé être à côté d’elle, la serrer dans mes bras, la consoler. Je me suis endormi en me promettant de lui dire bonjour le lendemain matin. Juste bonjour. Pour qu’elle sache qu’elle n’est pas seule. Que j’existe. Que nos deux solitudes peuvent se croiser.
Elle se lève. Je suis cloué au lit. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive. J’ai des frissons partout. Mes draps sont trempés de sueur. Mes jambes pèsent une tonne. Ma t^te résonne comme un tambour. J’entends la sonnerie de son micro-ondes. Elle a déjà pris sa douche. Elle va bientôt partir. Je vais entendre les clés tourner dans sa serrure. Ses pas dans l’escalier. Puis je resterais seul. Dans le silence. Ce silence pesant qui m’accompagne depuis si longtemps. Ce silence dont elle m’avait tiré en emménageant juste au-dessus de chez moi.
Je retombe dans un demi-sommeil. Un sommeil agité. Je la vois partir. Remonter la rue. Attendre le bus pour aller travailler. Je me demande si son boulot est aussi triste que le mien. Est-qu’elle a la chance d’avoir un travail dans lequel elle s’épanoui ou est-ce qu’elle aussi elle passe sa journée dans un open space à rentrer des chiffres dans des tableurs ? Entouré de gens gris et tristes. Surveillé par un petit patron mesquin. Est-ce que ses journées sont riches ou vide, monotones et répétitives comme les miennes ?
Je me tourne, ouvre un oeil. Il va falloir que j’appelle pour dire que je n’irais pas au bureau aujourd’hui. Je ne vais pas me lever de la journée. Je vais traîner cette crève toute la journée. Ce soir je l’entendrais rentrer. Ses pas dans l’escalier de plus en plus proche. Sa porte qui s’ouvre. Ses pas sur le plancher. La télé qu’elle va allumer. Quelques bruits de cuisine. Puis plus rien. Elle ira se coucher. Lira peut-être et s’endormira. Est-ce qu’un jour elle s’endormira à côté de moi ?
Je sais tout d’elle. Je ne sais rien d’elle. Je ne connais le son de sa voix qu'étouffé par les cloisons qui nous séparent. Je connais son nom, mais que l’initiale de son prénom. Je connais l’odeur de son parfum quand je passe après elle dans les escaliers, mais je ne sais pas ce qu’elle aime prendre au petit déjeuner. Je l’observe par le judas quand elle sort de chez elle. Je n’ai jamais osé la croiser, lui parler. Je la regarde de loin. Je suis sa vie au travers des bruits qui me parviennent. Je voudrais lui dire que moi aussi je suis seul et que j’en crève. Je voudrais lui dire que moi aussi je regarde Cold Case et NCIS. Je voudrais lui dire que j’aime son parfum. Je voudrais lui demander si son prénom est Cécile, Céline, Catherine, Claudia, ou Charlotte.
Hier soir, en me couchant j’ai cru l’entendre pleurer. J’aurais aimé être à côté d’elle, la serrer dans mes bras, la consoler. Je me suis endormi en me promettant de lui dire bonjour le lendemain matin. Juste bonjour. Pour qu’elle sache qu’elle n’est pas seule. Que j’existe. Que nos deux solitudes peuvent se croiser.
Elle se lève. Je suis cloué au lit. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive. J’ai des frissons partout. Mes draps sont trempés de sueur. Mes jambes pèsent une tonne. Ma t^te résonne comme un tambour. J’entends la sonnerie de son micro-ondes. Elle a déjà pris sa douche. Elle va bientôt partir. Je vais entendre les clés tourner dans sa serrure. Ses pas dans l’escalier. Puis je resterais seul. Dans le silence. Ce silence pesant qui m’accompagne depuis si longtemps. Ce silence dont elle m’avait tiré en emménageant juste au-dessus de chez moi.
Je retombe dans un demi-sommeil. Un sommeil agité. Je la vois partir. Remonter la rue. Attendre le bus pour aller travailler. Je me demande si son boulot est aussi triste que le mien. Est-qu’elle a la chance d’avoir un travail dans lequel elle s’épanoui ou est-ce qu’elle aussi elle passe sa journée dans un open space à rentrer des chiffres dans des tableurs ? Entouré de gens gris et tristes. Surveillé par un petit patron mesquin. Est-ce que ses journées sont riches ou vide, monotones et répétitives comme les miennes ?
Je me tourne, ouvre un oeil. Il va falloir que j’appelle pour dire que je n’irais pas au bureau aujourd’hui. Je ne vais pas me lever de la journée. Je vais traîner cette crève toute la journée. Ce soir je l’entendrais rentrer. Ses pas dans l’escalier de plus en plus proche. Sa porte qui s’ouvre. Ses pas sur le plancher. La télé qu’elle va allumer. Quelques bruits de cuisine. Puis plus rien. Elle ira se coucher. Lira peut-être et s’endormira. Est-ce qu’un jour elle s’endormira à côté de moi ?
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